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LE CHEVALIËII DE LIGNIERES
DU MEME AUTEUR
LITÏERATL'RE ET HISTOIRE
Le Cyrano de l'Histoire (Dujanic, édit.) épuisé.
Bertraa de Born (Lechevallicr, édit.) épuisé.
Scarron et son milieu (Éditions du Mercure de Friince) . épuisé.
Madame de Villedieu (Edit. du Mercure de France), i vol. in-iS.
Madame de la Suze et la Société précieuse (Editions du Mercure de France) i vol. in-i8.
Le plaisant abbé de Boisrobert (Éditions du Mercure de France).
1 vol. in-i8.
Madame de Châtillon (Edii. du Mercure de France), i vol. in-i8.
Gaultier-Gai guille, comédien de l'Hôtel de Bourgogne (Louis- Michaiid, cdil.) i vol. in-i(S.
"Voiture et les origines de l'Hôtel de Rambouillet (ICdilions du Mercure de France), ouvrage couronné pai- TAcadémie Fran- çaise, prix lîordin i vol. in-i8.
Voiture et les années de gloire de l'Hôtel de Rambouillet ( IMit. du Mercure de France), ouvrage couronné par l'Association des Critiques littéraires, prix de la Critique, 1912 . 1 vol. in-t8.
Ninon de Lanclos (.Nilsson, édit.) épuisé.
La Bruyère (Plon-.\ourrit, édit.) 1 vol. in-iô.
Le grand Condé et le duc d'Enghien : Lettres inédites à Marie- Louise de Gonzague, Reine de Pologne, sur la Cour de Louis XIV (1660-1667). (Éniiie-Paul, édit.), ouvrage couronné par l'Aca- démie frauraise, l'rix Saintour 1 vol. in-81^.
ART
L'Esthétique des villes(Edil. du Mercure deFrance). i vol. in-18.
Nicolas Poussin, premier Peintre du roi (Van Oest, édil.)
I vol. in-fo.
EMILE MAGNE
UN AMI DE CYUANO DE BERGERAC
LK
(IHEVALIEK DE IIGNIÈRES
PLAISANTE HISTOIRE d'uN POlVrE LIBERTIN d'aphès des ijocuments lnkdits
PARIS
ÉDITIONS E. SANSOT
R. CHIBERRE, S'
7, Rue de l'Épcrou, 7
// (i été- tii'é de cet ouvrage :
SIX CKM" OUATKE-VIXGTS EXEMPLAIRES
donl duc exemplaires sur vieux Japon, nuinvrotés de i à lo. — Vingt exemplaires sur hollande teinté de van Gelder Zonen, numé- rotés de II à .lo. — Cinq cent cinquante exemplaires sur vergé d'Arches, numérotés de 07 à 'j8o. — Cent exemplaires sur alfa, mi/néro/és de 58i à G8o (hors commerce).
[TIFICATIOX DU TIRAGE :
\
0CT271965 j N";i-28
Tous (Iroils de iT|ii-0(Jiiclioa el de traduction rt-servés pour tous pays.
LE CHEVALIER DE LIGNIERES
Chapiti-e preiaier, an. (lijraiio^ iiotir défendre Li(jnièt'es le débile, mel cent bnire.s en déroute dans les fossés de In porte de Nesle.
V troiine vcrmillonnôe, le ircste égrillard, à voix de lonnerre, rempercur du burlesque, Charles Coypeau Dassoucy, lança le premier
couplet de la chanson (|ue (laiiItier-Garg-uillc inventa
pour la joie de TlhUei de Bourg'og'iie :
Oiiand Guillot vient de mâtine,
0 le bon mari, ma voisine.
11 balaye la cuisine
Et me va quérir de l'eau.
O le bon mari, ma voisine.
Il en faudra i^ardei' la peau!
Les convives, autour de la table uù vaguaient, parmi les desserts, les reliefs des chapons et les rési- dus des sauces, s'esclalïèrent. D'un mouvement, tou- jours le même, Gha pelle cl Saint-Amant tendirent
LE CHEVALIER DE LIGNIKUES
leurs verres que les valels emplirenl cFAy pétillant. Eli sourdine, heureux d'aspirer l'odeur de cave, agréable à leurs narines, de cette taverne familière, ils psalmodièrent :
i/emlKirquemenl esl divin, Oiiaud on vogue, quand on vogue, Quand on vogue sur le vin.
A leurs côtés, imberbe, juvénile, pâle et blond comme une lille, le chevalier de Lignières « taslon- nait » une servante. Et, plus loin, gravement, levant leurs verres, comme des ciboires :
— Tope! disait Cyrano de Bergerac.
— Masse ! répondaient Cuig^y et JJourg-og^ne. A^ant porté toutes les santés (pTil était convenable
de porter à des officiers du roi, ils burent à la lune dont on apercevait, à travers les fenêtres ouvertes sur la Seine, le mascpie ironique et rond. La langue pâteuse. Dernier louait au poète llesnault un point de morale épicurienne. Le jeune comte de Brienne soutenait la tête du sieur de Brissaille occupé, dans un coin, à restituer les mangeai lies épicées.
Il y eut, dans la vaste salle, enfumée de pétun, un soudain tunmlte. Des mousquetaires entrèrent, le verbe haut, en cabriolant. Ils bousculèrent une tal)lée de gardes du Cardinal gorgés de cervoise et qui leur lancèrent à la tête les restes d'ime éclanche de mouton marinant dans la sauce. Des injures éclatèrent. Les
LE CHEVALIKH DE LIGMERES
épccs, extraites des fourreaux, flauibèrcnt à la lueur des torches. Le tripotier apparut, brandissant une broche où deux faisans, emmitouflés de lard, atten- daient leur tour de rôtissoire. Les servantes, terri- fiées, g-lapirenl, cependant que des valets saisissaient, à deux mains, de lourds escaljeaux. Mais les soldats, déjà, franchissaient hi porte, avides de s'entre-tuer, en un lieu solitaire, derrière Notre-Dame.
Le calme renaissait. Saint-Amant, g-oguenard, scanda des stances lubriques et, devant le nez rubi- cond de Flotte, ivrogne majeur du royaume, on déposa le verre gigantesque (|u'il s'engageait à vider d'un trait pour ravir à l'illustre goinfre Montmaur le laurier de son dernier exploit bachique. Comme il l'engloutissait sans souffler, les biberons émerveillés applaudirent.
Des luths, dans l'ombre, d'un rythme allègre, accompagnèrent une courante chantée [)ar un petit- collet à mine futée. A cet instant, Cyrano aperçut, sur le mur gris du cabaret, charbonnée par un artiste, la silhouette du pédant La Mesnardière. Gela réveilla sa verve endormie dans le vin. Comme une fleur vivante la satire naquit sur ses lèvres. Il stigma- tisa l'impuissance de ce Purgon lamentable à qui la poésie servait à drainer les pistoles des grands.
— Parasite! Sycophante ! Pilleur de pensées! cria- l-il.
8 LE Cni-.VAI.IEH IJF LIGNIliRES
Et ses compagnons étendirent à toute la littérature sa réprobation. Il n'y eut bientôt plus, à leur dire, sur le Parnasse, que malveillants, maraudeurs, dépouil- leurs de morts, mallôtiers de conceptions, filous, tire- laine et charlatans.
Le chevalier de Lignières lâcha, pour se mêler au concert d'invectives, la servante dont il s'efforçait d'extraire du justaucorps de panne les seins énormes. Comme il dressait incontinent la liste des auteurs dont les harengères des Halles uiiliseraient les (euvres invendues à envelopper leurs marchandises, un homme, entré discrètement, s'approcha de lui et lui e^lissa quelques mots à l'oreille. Soudain, le jeune homme blêmit. Les railleries qu'il jetait à voix aiguë se fig-èrent sur sa bouche. De telle sorte que Cyrano, anmsé par la malice de l'adolescent (ju'il instruisait de son exemple, remanjua aussitôt son émotion.
— Que t'arrive-l-il, chevalier? dit-il avec soUici- citude. Que veut cet homme?
Lig"nières expli(|ua la raison de son trouble. Là- bas, sur le cliemin de sa demeure, cachés dans les fossés de la porte de Nesle, cent spadassins, aposiés par un seig"neur (i), dont il ridiculisa les infortunes conjug^ales, attendaient son passag-e pour lui frotler les épaules. C'était, après un repas succulent, nue
()) Le conilc de Ciuiclie, ciisciit quelques-uns.
I.E CHEVALIER DE L1GNI:;UES
piètre excitation à digérer dans rallégresse. Prévenu cependant, il échapperait à la bastonnade en couchant chez l'un de ses amis.
Les poètes et les philosophes approuvèrent celte détermination pacifi({ue ; mais Cyrano, soutenu par Cuigy et Bourgogne, clama son indignation. Son nez en bec d'aig:le s'empourpra de colère. Il écrasa de son mépris ces hommes pii'cs ((ue des femmes pour la lâcheté. Il affirma son désir de rosser à lui seul les cent sbires du cocu incapable de laver lui-même sa honte dans le sang-. Décrochant son épée immense :
— Prends une lanterne, cria-t-il à Lignières, et marche derrière moi. Je veux t'aider moi-même à faire la couverture de ton lit.
Ils coiffèrent leurs feutres à panaches. Ils sortirent. Dans la nuit blanche de lune, ils s'avancèrent parmi les ruelles tortueuses où les maisons à auvents et à tourelles formaient des parois fantasques. De-ci, de- là, brillaient encore les lumignons des tavernes mur- nmrantes et resplendissaient les enseignes des pâtis- siers, bigarrées de dessins étranges. Ils croisèrent un groupe de comédiens et de gaupes qui échangeaient d'affreuses injures. Une chaise passa avec ses porteurs et une suite de domestiques armés.
Ils gagnèrent la Seine. Là, poètes et philosophes tentèrent de détourner Cyrano de son expédition guerrière. Mais il allait vers la bataille avec trans-
LE (.;nKVALIER DE LIGMEKES
port. Il persifla encore ces hommes davanlauc enclins aux querelles de lang-iie qu'aux (juerelles d'épée. El, sur-le-champ, il se sépara d'eux. Seuls, Guigy et Bourg-ogne persistèrent dans le dessein de l'accom- paerner.
Ils longeaient maintenant la rivière, loule d'argent fluide sous la lune. Déserte et sinistre, la Vallée de Misère s'étendait devant eux, barrée, au loin, par les silliouelles grises de Saint-GeiMnain-l'Auxerrois el du Louvre. Ils s'engagèrent parmi les boutif|ues basses du Pont-Neuf enire lesquelles Huaient, comme des ombres, des fripons en (piéte d'une proie. Le Palais, masse énorme, dormait, protégé par ses tours que le campanile ajouré de la Sainte-Chapelle aspergeait d'une lueur d'or.
Ils débouchèrent près de la lour de Nesle, déman- telée et meurtrie et, délibérément, entrèrent dans le faubourg. Ils ap|)rochaient. Le chevalier de Lignières claquait des dents, soutenu par Guigy et Bourgogne. Cyrano, l'épée nue sous le bras, armait ses pistolets.
Brusquement, la porte de Nesle dépassée, ils aper- çurent, dissimulée dans les ténèbres des murailles, la bande des spadassins, (aiigy et Bourgogne dégai- nèrent ce[)endant (pie, d'une main mal assurée, Lignières levait sa lanterne. Et l'on entendil, dans le silence, rugir Cyrano :
— Vous voilà donc, marauds! Eli! ne savez-vous
LE CHEVALIER DE LIGNIKIIES
pas qu'à ces heures niuelles j'ordonne à loulos choses de se laire, hormis à ma renonunée? Ne savez-vous l)as (jue mon épée est faite d'une branche des ciseaux d'Alropos? Ne savez-vous pas que si j'entre, c'est par la brèche; si je sors, c'est du combat; si je monte, c'est dans un trône; si je descends, c'est sur le pré; si je couche, c'est un homme [>ar terre; si j'avance, ce sont mes conquêtes; si je recule, c'est pour mieux sauter; si je joue, c'est au roi dépouillé; si je gai^ne, c'est une bataille; si je perds, ce sont mes ennemis; si j'écris, c'est un cartel ; si je lis, c'est un arrêt de mort; enfin si je parle, c'est par la bouche d'un canon? Donc, pendards, vous saviez ces choses, et vous n'avez pas redouté mon tonnerre? Choisissez- vous-mémes le nenre de votre supplice, mais, dépê- chez-vous, car votre heure est venue!
Un crissement d'armes, un éclat de rire strident, puis le cri :
— En avant! Tue! Tue!
Mais déjà Cyrano avait bondi, écartant d'un j;este Cuig"y et Bourgogne qui le voulaient apfjuyer. A la lueur falote de la lanterne, les deux officiers et Lignières le virent entrer, comme un boulet, dans la troupe ennemie. Ses pistolets détonnèrent et des hommes hurlant s'abattirent. Puis ce fut le moulinet élincelant et furieux de la terrifiante épée. Enveloppé de ce moulinet le prodigieux guerrier apparut invul-
LE CHKVAl.IEK DE LICNIIHES
nérable. Un à un, les brigands mordaient la j)oiis- sière. Leurs pisloletades, mai diriiiées, ristiuaieni, par leur vacarme, d'aliirer Taltenlion du guel. Ils s'élancèrenl, en masse comi)acle, tenlani d'écraser l'adversaire (ju'im destin nélasle leur suscitait. Mais celui-ci parait les feintes, ripostait, allait, d'un saut l)rusque, atteindre le coquin perfide (|ui essayait, le lournani, de le frapper par derrière. Les crosses des mousquets brandis sifflaient dans le vide.
Alors, contemplant les corps nombreux de leurs camarades morts, les spadassins, j^ris de panique, arrêtèrent leur élan. Quelques-uns tournèrent le dos et s'enfuirent. Une voix tremblante cria :
— C'(îst le diable en personne!
Cela aclieva la déroute. De tous cotés, ainsi cpTune volée de moineaux, les canailles supersliti(Hises s'ef- forcèrent de j^^agner les Irous-puiuiis et les terrains vagues du Pré-aux-Clercs.
A la veste d'un mort, Cyrano, souriant, essuya son épée. Kt comme Cuigy et Bourg-og-ne s'avançaient, accompag-nés de Lignières, le formidable duelliste, montrant à ce dernier neuf corps étendus à terre, lui dit :
— Ton cocu, chevalier, ne se réjoui r'a |)as de sa vengeance (i)!...
(i) Les (ICuvrt'x dit M. de Ci/tuino île Iterf/rrur, ifiyfi, -y p.-irl., Pré- fare,pai' /.cUret.
Cliai)ilre denocicme, on Vauieur éclaire les origines du chevalier de Lignières et montre comment celui-ci devint, pour la belle taille de son nés, l'ami de Cyrano et son disciple en libertinage.
ES écrivains qui, au xvii'^ siècle, manient avec dextrrilé l'«''pigTamnie et se complaisent à la satire, ne sont j)oint, comme on pourrait le
croire, friands de la lame. Ils seraient fort empêchés d'aller sur le pré où ils feraient triste fii^ure. C'est pourquoi on punit de la bastonnade leurs imperti- nences,
François Payot, écuyer, sieur de Lignières, sans la protection de Cyrano, eût apprécié de quelle façon pénible pour une échine délicate les ^«"rands seigneurs se veng-ent des insolents et des poltrons. Il n'était point, à l'exemple de Scudéry ou de La Calprenède, fanfaron et matamore. Il ne cachait pas son horreur de la brutalité. Il disait :
Je n'ay point le désir de paroistre à l'armée, Nargue du Gazeltier et de la Renommée !
l4 LE CHEVALIER DE LIGN'iiuES
-Mon Aiiio pacilique abhorre les combats.
Et c"est pour ce sujet que Mars ne me plaît pas.
En haine de ce dieu, je réserve à Sylvie
Le plus pur de mon sang-, mon espi'it et ma vie (i).
Il était né, croit-on, à Senlis, le a novcmijre iGaC (y). Son pèi'o, IVanrois Pavot, conseiller an Grand Con- seil, sa mère, Marie Lesage, personnages médiocres dont les chroniqueurs ne parlent point, s'étaient elTorcés de lui communiquer le goût de l'honnêteté plutôt que rapi)étil de la !)ravoure. Le lion que les Payot portaient dans leurs armes symbolisaient leurs tendances : c'était un lion de sable dressé sur un écu d'argent (3).
Ces Pavot formaient, en e.'ïct, une famille de bour-
(i) Poésies choisies..., i658, 4" part., p. :>83, -1 M. Ilo/eman, capi- taine au régiincnl de la Marine, épistre.
(2) La date de sa naissance, nous est fournie par l'acte suivant : « Création d'une pension viai^ère de 1000 livres par an, moyennant une somme de 8.33o livres h sols, 8 deniers, par la ville de Lyon, au profit de François Payot, ccuyer, sieur de Liynières, demeurant à l'aris, rue Coquille, et àf^c de quarante-six ans accomi)lis, ainsi qu'il est apparu auxdils notaires par l'extrait de son baptistaire du ■A novemhrcî i(»2G. )> {Ac/e du 2 Juin iij/'i. Anciennes minutes de M" l.e Seinelier, Etude actuelle de M" Bossij, notaire à /*aris). Nous avons examiné les reg-istres de l'état civil de six paroisses de Senlis sans retrouver l'aclc de baptême de Lignières. I»eut-clre cet acte se trou- vail-ll dans les registres de la septième ; ceux-ci n'existent plus pour la période qui nous intéresse.
(3) Jacques l'ayot, sieur de Morangle, frère de notre héros, fît enre- gistrer les armes des Payot par d'Hozier en iGy7. Le généalogiste les décrit ainsi : D'argent à un lion de sable ». liib liai hè que natio- nale. Armoriai (jénér(d, l'aris. II. 91G ; lilasons coloriés, Paris, 1. 776. V. ans^X, Cabinet des titres, Pièces originales, ms, n° 2219.
LE CHEVALIER DE LIGNIFRES l5
geois anoblis par des charges de conseillers au Parle- ment, au Grand Conseil ou à la Chambre des Comptes et de conseillers-secrétaires du roi. C'étaient, pour la plupart, des financiers retors enrichis dans les affaires et la maltôte. L'un d'eux, Isaac, trésorier des finances à Soissons, avait obtenu, du roi Louis XIII, la ferme g-énérale des Aides de France (i).
Parmi les ascendants de notre héros, l'un, Robert Miron, avait successivement occupé les emplois de prévôt des Marchands, de conseiller d'Etat, d'ambas- sadeur en Suisse et d'intendant du Languedoc (2) ; un autre, son grand -oncle par alliance, Pierre de la Bruyère, argentier du roi, l'apparentait peut-être au futur auteur des Caractères (6).
Il est probable que François passa quelques années de sa jeunesse, en compagnie de son frère Jacques, de ses sœurs Marie et Marguerite, dans la morose petite ville de Senlis qui agglomérait, au bord de la
(i) Archives nationales, P. 2800, f» 8g et s. V. aussi, à l'Appendice, la Généalogie des Payot et le Contrat de mariage De Trouillart- Payot qui donnent des renseig'ements sut- la situation sociale des Payot. Michel de MaroUes : Mémoires, i-]îJ'>, III, et Carpentariana, 1741, p. 347, affirment la noblesse de cette famille.
(2) Gabrielle Miron, sœur de Robert, avait épousé Josias Payot, maître des Comptes, gTand-père de Lignières.
(3) V. la Généalogie à l'Appendice. Presque toutes les pièces que contiennent, à la Bibliot/iêque nationale, le ms w 22i<j précité et aussi le ms n" 5i4 [Cabinet des titres, dossiers bleus] émanent de parents de Lignières. On y rencontre, en particulier, de nombreuses quit- tances de Gabrielle Miron.
l6 LE CIIEVALIKR DE Lir.NIKRES
Nonette, ses maisons basses. Il n'en conipril jamais le charme. C'était un étroit domaine pour son désir d'aventures et de conquêtes galantes. lî ne respirait point à l'aise dans les ruelles tortueuses qui circu- laient à travers les sept paroisses minuscules que jalonnaient, Noire-Dame comprise, toute fleurie de dentelles de pierre, sept belles églises gothiques ou romanes et de nombreux monastères. Il se sentait écrasé par les ruines gallo-romaines, les forteresses et les murailles qui enfermaient la petite cité dans une ceinture de granit. Il ne voyait point que chaque maison, cent hôtels debourg-eois cossus y resplendis- saient de beauté et de bien-être, enclos, comme des joyaux, dans leurs verdures et leurs fleurs.
Sentis, que Charpentier, l'académiste, passant ravi de rencontrer cette étape aux bonnes auberges au sor- tir des bois toulTus qu'il fallait traverser pour l'at- teindre, aj)pelait en souriant la douce « ville fores- tière », ne saisissait point pour quelle raison son ami Lignières en g-ardait si mauvais souvenir. Or, Li~ gnières l'avait surnonunée « la ville médisante ». Jamais, hors aux processions et autres cérémonies d'église, on ne rencontrait àme qui vive dans ses rues. Les senlisiens vivaient chez eux, occupés à calomnier leurs voisins et à blâmer toutes choses. Ils étaient peu sociables. Ils n'avaient de tendresse que pour gens d'église, moines, nonnes, moinillons. Ils avaient
LE DHF.VAI.IIIR 1>E LK.XIKRKS I7
bâti, on ne savait pourquoi, des caves à double élag-e dans les substructions de leurs demeures, caves aux voûtes soutenues par des piliers éléj>ants, aux chapi- teaux ornés de sculptures llorales. Ces caves ne con- tenaient point de vin, mais un cidre affreux qui fai- sait les caractères pointus en délabrant les estomacs. Parmi les habitants, ceux que Lignières exécrait le plus, c'étaient les « iientiisliommes à lièvres » tou- jours revêtus de buffleteries et de bottes puant le suif et le suint. Ces hommes, rudes et brutaux, rava- geaient les forêts voisines, marchaient accompagnés de valets de chasse et ne rêvaient que d'hécatombes de bêles. C'étaient pour la plupart des sots.
S'ils ne discouroient de chiens On ne leur enlendioit rien dire
maugréait, parlant d'eux, notre chevalier. Mais sur- tout Senlis lui paraissait intolérable parce que l'on n'y rencontrait que des « beautez fades » (i). Dès l'âge le plus tendre, il avait montre un appétit très vif de galanterie et sou désir de pimenter celle-ci de
(i) Poésies choisies, 1O60 cl lOOO, ô' part., p. 33 et 118, S/arices. Sur Senlis, V. ïassin : Les plans et profils de toutes les principales villes et lieux considérables de France... i63G, 2 vol. in-4 obi. ; Louis Gotfried : Arc/ioniologia cos/nica... 16^9, p. i44- V. aussi. Vue de Senlis par J. Peeters. V. enraiement, E. Le Jay : Les TImilleries d'amour. Divisées en deux allées, iGio; Charpentier : Le voyage du valon tranquille, 1G73 ; Vatin : Senlis et Cliantilly anciens et modernes, 1847; E. Muller : Monoijrap/iie des rues, places et monu- ments de Senlis, 1880-1884; Senlis et ses environs, 1896.
2
l8 LE CHEVALIER DE LIGMKRES
luxure. On ignore à peu près tout de son adoles- cence. Ful-il initié aux sciences, à la lillérature, aux arts j)ar un précepteur ou bien suivit-il les cours d'un collège provincial? Nous ne pouvons le préciser. Il fit, dans tous les cas, des études sérieuses que son intellig-ence vive lui rendit aisées. Il apprit le latin, le grec, l'espagnol et l'italien (ï).
Il vint habiter Paris tout au moins au sortir de l'adolescence, son père étant oblig-é, par son emploi d'y séjourner. Celui-ci, ayant perdu sa première femme, se remaria. Il paraît n'avoir pas eu d'enfants de son second mariage. Il mourut à une date impré- cise, mais avant i(34a, laissant la tutelle honoraire de ses quatre enfants à M'« Robert Miron, sieur du Trem- blay, son cousin, et leur tutelle onéraire à M'' Pierre Chalippe, bourgeois de Paris.
M'*^ Robert Miron, maître des Comptes, petil-lils de Fran(;ois Miron et fils de Robei't Miron, tous deux prévôts des Marchands de Paris, élait un brave et spi- rituel l)Ourgeois, fort riche et fort honoré. Il recueillit les orphelins dans son foyer situé au carrefour du
(i) Recueil des iiorlrails et éUxje.s en vers cl en prose, ilédiè à S. A. Ji. Mademoiselle, i6r><), I. 209, Porlvuil de M. de Lignières fuit par luij niesnie :
J'ay Icii bcaiicoui) d'aiUlioiirs el je srais assrz bien,
Le laliii, l'espagnol avec- ritalicn ;
Je srais fon;e mots grecs, peu de pliilosopliie,
Point de théologie el de géosTaphic.
LE CHEVAMEH DE LKiMKHKS IQ
Clievalier-du-Guel, paroisse Sainl-Germain-l'Auxer- rois. Il leur réserva liospitalité d'autant uiei Meure qu'ils étaient quelque peu fortunés. M'« Franeois Pavot avait, en elTel, laissé de bonnes et solides rentes, des droits sur son ofîîce de conseiller au Grand Conseil, des maisons et terres sises à Chauvelon, une maison bâtie faubourg- Saint-Honoré (i). De leur oncle, Charles Pavot, en outre, les quatr© enfants avaient hérité des renies importantes, les terres et fiefs de Lignières et de Morangle (-i).
Les deux garçons avaient pris les noms de ces cliâ- tellenies provinciales. François montrait ([uelque fierté de posséder en V^endômois ce castel de Lignières ([ui
(i) Comptes de tutelle du li nrril lO.'io résumé A V Appendice. (Minutes anciennes de M' Le Senielier. Etude (te f (telle de J/« Bossy, notaire à Paris.) V. aussi Bihliot/irque nationale, Cabinet des titres. Pièces originales, ms \v 2219. Des quittances données le 18 jaillcl, i642, le 10 septembre ifVi'i, en décembre i044, par Pierre Cbalippc, tuteur oacraire des mineurs Pavot, indiquent que ceux-ci jouissaient de rentes constituées sur le clero'é. D'autres, données les i5 avril i6j8, 8 février iGOi, 20 juin 167 1 par Lig'nières et Jlorang-le précisent également que des revenus leur étaient attribués sur les recettes générales. Une quittance du 2 juin 1O73. [Minutes anciennes de J/" Le Senielier. FAwle actuelle de M' liossi/) signale, en outre, des rentes sur l'Hôtel de ville laissées en héritage à ses enfants pai- M" François Payot.
(2) Transport du 20 mai iCiGj résumé eu Appendice iMinutes anciennes de M' Noël de lienuoais, Etude actuelle de M' Recel, notaire à Paris). V. aussi sur l'iii-rilage de Charles Payot une quit- tance de Pierre Chalippe du i4 mai 1O46, pour un quartier d'une rente de 2.5(X» 1. constituée k au sieur Des Barreaux le 17'' mars lôSft sur les receptes générales. » Les notaires des Payot furent à Senlis : Forlicr et Sainl-Leu ; à Paris : Gilles .Marion et Le Senielier.
LE (;iir:vALiEU de li(;mi:i\i;s
t'uiiiinaiitlait un gros villaiie, des terres el métairies. Être seigneur au pays tant vanté de J\onsard, lui paraissait de bonne augure pour commencer une car- rière poétique à laquelle l'inclinaient des dons naturels. .Jacques, plus modeste, obligé par sa condition de puîné, de se contenter des maisons et terres de Morangle, proches de Beaumont-sur-Oise, savait que, disposé lui aussi à cultiver la poésie, il l'cncontrerait de sereines sources d'inspiration [jarnii les i)aysai;es gracieux d'Ile-de-France ( i ).
Robert Miron ne cherchait j)oinl à les détourner de leur goût pour la littérature. Il était lui-même, au sortir des grimoires où il alignait des chiffres, volon- tiers poète. Tantôl il s'exerçait à la satire et tantôt il écrivait, à la lagon de Voiture, sur le modèle fourni par Marot, des rondeaux galants qu'il adressait aux dames (2).
|i) Transporf précilô. Liynit-res ot îMoranirlc- siil)sisleiit encoiT, le liicmier vill;ii;t* dans le Loir-et-Cher, arrondissement de Vcndrmie ; le second dans l'Oise, arrondissement de Senlis. D'après U. de Saint - Venant : Purliciildrilés rcla/ir^es (/lur parnisse et scigneurii' de. Lir/riiri-t's au XVIIh sicclc, dans liull. de la Société (irrlK'Otoijique e.t lit/érairc du Vendnmois, l. x.wii, pp. H,"» el s., Lii;nièrcs aurait appar- tenu aux Miron. Cela paraît imiirobablc. En ifi<.)i, celle terre était entre les mains de Anne-Félice d'illiers, dame de Corhinelly.
(2) On a de lui un rondeau en forme de satire (li. N. ms. n» 19145 f" 4i ; Recueil cl Noiwean Recueil de divers riindetui,r, iM\t et itifx)) et (juatre autres rondeaux f^alants publiés dans les mêmes recueils. Tallemanl ; //islurieltes, i8r>5. IV. :«82, dit un mot de lui. Il fut, pen- dant la Fronde, colonel des (iu;u-tiers du Chevalier du Cuel et de Saiid-fiermain l'Auxer'rdis et fut massacré le f\ juillet ifiâ^. Les
LE CHEVALIER DE LKJNIKHES
Avec l'aide de M" Pierre Chalippe qui paraissait en nom c( par procurai ion dans tous les actes notariés, il administrait fidèlement les biens des mineurs, n'accordant d'autres subsides que ceux n'entamant pas les rentes laissées en héritaiie, veillant à la con- servalion du capital. S'il autorisait les jeunes hommes à goûter les divertissements de leur âge, il dirigeait les tilles sur le chemin de la vertu.
Cependant il n'empêchait [)oint ces dernières de fréquenter les sociétés galanles de la [)aroisse Saint- Germain l'Auxerrois. Rue des Fossés, habitait, dans un confortable hôtel, une dame probablement orig-inaire de Senlis, M'"" Marguerite Vig-or, veuve de Nicolas de Trouillart. Le fils de cette dame, Charles de Trouil- lart, chevalier, seigneur de Baron et de Bâchant, con- seiller du roi et correcteur en sa chambre des Comp- tes, était un bon vivant, buveur allègre, mang-eur solide, amant résistant, « g'ros scélérat » qui, au dire de Lignières, avait perdu son nez « dans un combat vénérien » (i). Il hantait avec plaisir la maison de M'" Robert Miron où il trouvait, [)Ourson inaltérable bonne humeur, accueil courtois. Sans doulc v était-
Mtmoires concernant la rroudc cilont souvent son nom. Gui Patin : Lettres, cdit. Rcvelllc-Parise, 18/46, III., 7G0-761, consacre une lettre à l'élog-e de sa famille. Sur sa demeure et les maisons qu'il I>oSsédait paroisse S' Germain l'Auxerrois, V. liihl. nationale, ms., n» 18789, p. 38 v«, 4i v. (i) Variéif^s sérieuses et (iiniisunles par M. Sa/ier, 17^9, III. 207.
22 LE GHEVALir:» DE LI'iNlKRF.S
i! attiré par la gaieté naturelle des jeunes hommes, mais il y appréciait surloutia t'race piquante des jou- vencelles. Et il advint ce qui devait arriver. Il s'en- flamma d'une vive tendresse pour Marie J^ayot. Il ne lui déplaisait point. Elle comprenait qu'à ses côtés elle mènerait une existence toute lissée de bonne chère. Elle encouragea complaisammentsa recherche.
En avril 1646, le notaire Marion dressait leur con- trai de mariage. Le gentilhomme disposait d'une fortune considérable. Marie Payol réalisait une excel- lente alTaire ( i ).
Les deux conjoints s'installèrent, leur mariage célé- bré, rue aux .luil's, dans la paroisse Saint-Bernard. Soit que François et Jacques Pavot ne s'entendissent plus, à celle époque, avec leur cousin Robert Miron ou (ju'ils trouvassent davantage de liberté et de joie auprès de leur beau-frère, ils s'en allèrent habiter dans sa maison, abandonnant leur jeune sœur Mar- guerite (2).
(i) Confraf de mariage De Trouillnrt-Maric Vaijol en date du 26 avril /04(j, rcsunic en Ajipendice [Minutes anciciincs de M" (Jilles Mdriun. Etude actuelle de M' Notin, notaire à Pai'is). iMaric Payol apporta à son époux une dot de 32.000 livres. Charles Trouillart reçut, (le son cùté, une dot de lôo.oofi livres. Son nom, oi'lhoyrapliic De Trouillart dans le contrat, est ortlio<;raphi(" d'Eslrouiilard dans un autre acte. D'après le nis., ri" iSSo3, (liibl. /Kdionale), les De Trouillard possédaient deux immeubles rue Moufl'ctard, faubourg- S'-.Iacques, à l'enseigne du Soleil d'Or.
(2) Comptes de tutelle du l'i avril iG'iO précités. .Marifuerite log^c encore à celte date chez Holiert Miron. Elle épousa, plus tard, un sieur Jehan de Mouhy ou de Maitz, trésorier des finances à Chàlous.
LE CHEVALIKU DE HGNIKRES 23
En avril iG5o, Pierre Chalippe se décida à rendre ses comptes de tutelle et à partager entre les quatre enfants les biens dont il avait eu la garde pendant de nombreuses années (i). Dès lors, Jacques Payot, sieur de Morangle, son^sea à son établissement. C'était un élrang^c personnag-e. Il partageait sa vie en deux occujjations principales, dont Tune consistait à profé- rer de belles impiétés, et l'autre à savourer les délices de l'amour (2). Impie et débauché, il ne néglig-eait point cependant d'assurer, en même temps que ses plaisirs, sa sécurité malérielle. Il entra, tout d'abord, dans la maison de Gaston d'Orléans (^3). Plus tard, devenu « gentilhomme ordinaire de la maison du roy », il vécut dans une familiarité assez grande avec Louis XIV, pour lui servir de partenaire au jeu de paume (4). A
(i) Comptes de tutelle du li avril i6Co précités.
(2) La gralanterie, souvent orduriére, de Jacques Payot de iMorangle, se manireslc dans ses poésies. Celles-ci sont publiées dans l'ouvrag-e suivant : Noubedii Recueil des i>lus belles poésies contenant le Triomphe d'Aminte..., Paris, .h-B. Loyson, ir>y't,in-i2, p. 23, 11(1,127, 128, i2<j, i.3i, i32, i33, i34 (î pièces), 323. V. aussi, Frédéric Lechévre : Bibliographie des recueils collectifs de poésies, 1901-190.'), H, 2ÔG, 3o7; IV. i.')7.
(3) :Micliel de .Marolles : Mémoires, iCjCi, I, i(j4 indique que Moran- g\e aj)partint à la maison de Monsieur.
(4) Lig-nières : Epistre à M. de Villurs, (Bibl. de l'Arsenal, ms. n« btiiH, fo- 3i5 et 317; Bibl. de La Rocfielle, mSjW O73, fo 2i8|^ précise ce détail. Il ajoute que son frère n'eut jamais de commission de sa charge et que la fortune ne lui sourit pas. Pour acheter celte charg-e, Morangle fut certainement obligé d'emprunter à son frère 12.000 I. pour la garantie desquelles il lui transporta, en 1667. sa part sur les terres et fiefs de Lignières et Moranglc et diverses rentes. V. à l'Ap-
2/( LE CHEVALIER DE LUÎMLRES
ce moment, il avail reiioiicé à écrire. La poésie ne fut qu'une passade dans sa vie. II mania néanmoins le vers avec une certaine aisance.
La poésie fut, au contraire, l'unique occupation de François Payol, sieur de Lignière^. Celui-ci screfusait à accepter la moindre entrave à sa liberté. Il entendait suivre en toutes choses son caprice et ne se point assujettir à flagorner les puissants de la lerre. Le pre- mier témoignage que nous rencontrions sur ses mœurs nous est lourni par une épigramme. Comme on devait s'y attendre, notre hlondin musardait par- tout où l'on pouvait grapiller des plaisirs. Il s'avisa, certain jour, de fréquenter l'Hôtel de Bourgogne et de se plaire dans la cliaml)re où les comédiennes de ce théâtre revêtaient leurs liardes solennelles. Il n'était point le seul à hanter ce lieu de perdition. Maints fre- luquets, et même des g'ens illuslres, comme M. l'abbé de Boisrobert, cherchaient là aventure ou encore faci- lité de placer leurs pièces.
Un sieur de Saint-Michel, que les uns disent conseil- ler à la cour des aides, les autres iii()us(|uetaire, d'au- tres encore garde (lu corps, professait pour- la comé-
pendice \cs actes du 20 mai i0r.7ct du 2juin 1G73. (Anciennes minutes de M' jXof'l de Jieuuvais et de M' Le Semetier. Etudes actuelles de ;!/" lieuel et fioss//). Morariglc donna sa démission de ladite cliarye eu J673 et celle-ci fut attribuée, le i3.juin, \K\r Itrcvet, au sieur de La Mothc. Arc/iii'eft nationalfs, o' 17, f" <|i, v°.
LE CHEVALIER DE LÎ(;NIKRES 25
diennc choisie par Lignières une admiration jalouse. Leur concurrence galante provo([ua leur haine réci- proque et l'esclandre que l'on pouvait i)révoir se pro- duisit, lisse battirent. Ils n'allèrent point, comme deux hommes soucieux de leur dignité, croiser le Ter sur le Pré-aux-CIercs ou à la place Royale. Ils sehallirent à l'aide de leurs poings. El le chevalier subit le plus affreux orag-e de soufflets que valet d'apothicaire |)ùl endurer (i).
Cela le dégoûta à jamais du Ihéàtre et des comé- diennes et il tourna vers d'autres distractions plus intellectuelles, son esprit enclin à la curiosité. Il avait déjà, malgré sa jeunesse, la réputation d'élre un « réprouvé du ciel ». Il se sentait animé d'une élraniie et invincible haine contre la religion. Il cherchait, à travers Paris, les éléments dispersés de l'ancien liber- tinage, afin de reconstituer la troupe qui, jadis, avait ému la ville de ses gestes et de ses propos sacrilèges.
Ah ! quel dommage que Théophile de Viau, l'illustre et ardent poète, l'athée pendu en effigie, ne fut pas encore de ce monde! Avec quel transport il se mêle- rait à ses jeux subtils de langue ! 11 déplorait (pie le
(i) Biblioi/if^(/ue NalioTUde, nws, a"" 12.722, 12.724, 12,700, f""^ :^G8, G7 et 371 ; Bibliothèque de Cliantillij, nis, n» 940» f" 184 ; Comptes rendus et Mémoires du Comité archéologique de Sentis, 1880, p. 20. D'après le commentaire de cette épiçramme, Lignières a'urait fait partie, à ce moment, du corps des mousquetaires. Cela est fort improbable.
2b LE CHEVALIER DE Lir.MERES
Parlement et les jésuites, dans un i)rocès furieux, eus- sent dispersé sa cabale. 11 vilij)endait Des Barreaux, poète remarquable et disciple de Théophile, de n'avoir point, par crainte des dévots, féroces dans leurs représailles, pcrsisié à lancer des blasphèmes iJrog:ue- nards.ll raillait son austérité hypocrite (i) et celledes poètes et seigneurs qui cachaient soigneusement, sous un voile de sévérité, leur amour du libre penser.
Il discerna heureusement fort vite que les libertins s'étaient métamorphosés en épicuriens. Le philosophe Gassendi, dans l'ombre, prêchait à ses élèves, Molière, Dernier, Chapelle, Hesnault, La Mothe Le Vayer, Rohault, Cyrano de Jiergerac, les préceptes d'une doctrine tiui devait avoir, au xvn" siècle, d'innom- brables sectateurs. Lignières, à la vérité, ne ht point partie du petit cénacle où Cyrano lui-même ne s'était introduit que par la violence. Mais il en adopta spon- tanément les idées. Celles-ci lui furent vraisemblable- ment transmises par le fameux duelliste.
On ignore conunent ils se connurent. Mais ils étaient faits, au physique comme au moial, pour se compren- dre. De même que Cyrano, Lignières était aflfig-é d'un nez iiigantesque (pi'il portait conmie l'enseigne de son intelligence. Il eut pu y avoir entre eux rivalité
(i) Lig-nièrcs : Contre Des Harrenii.i-, i-puir., dans Viilesifinn,\(\*y\, y. 3:î ; Annalf-it /loéiifiites, iiK\, XVII, p. 7 ; Laclièvrc : op. cit.. Il, Vc^-
LE CHEVALIER DE LIOÏKRES ^^
pour la suprématie nasale, il y eul,au contraire, com- munion dans l'infortune. Le chevalier admira l'intré» pide qui, bravant le ridicule, osait proclamer :
« Un grand nez est le signe d'un homme spirituel, courtois, affable, généreux, libéral... le petit est le signe du contraire... A la longueur du nez se mesu- rent la vaillance, l'esprit, la passion, la finesse: le nez est le sièg-e de l'âme ».
Il l'admira aussi de décréter l'incontestable disgrâce des camus et de pourfendre quiconque soutenait le contraire. En sa compagnie, il prit conscience queson nez aquilin a grand comme celui de Nason le |)oète ou du bon roi François » ne le déparaît point. Quand on rit, écrivait-il dès lors,
Quaud ou rit de mon nez, je ne me fâche pns.
Je tiens que les grands nez ne sont pas sans appas,
Et jamais un grand nez n'enlaidit un visage.
Et c'est assurément cette parité de nez et de i:oùts qui fît leur amitié assez vive pour que Cyrano risquât sa vie en faveur dusenlisien (i).
Cyrano était l'aîné de Lignières de quehpies années seulement. Il achevait une carrière militaire précoce et brillante. Il ajoutait à des qualités g-uerrières qui lui avaient valu le surnom de « démon de la bravoure »
(i) Lebret : op. cit., cite parmi les amis de Cyrano : « M. de Ligniè- res dont les productions sont les effets d'un parfaitement beau feu. »
28 LE CHEVALIER UE LIG.MÈRES
dV'iiiiiientes (jualilés intellectuelles. Au service du duc d'Arpajon, i! se préoccupait déjà de faire œuvre de poète, de dramalurg-e et de pliilosoi)lie. Il avait, pour Ja liltérature et pour les sciences, une égale prédilec- tion. Il était pittoresque dans son langage, dans son st\ le et dans sa vie. Toujours prêt à servir ses amis desonéf)ée, de sa plume et de sa bourse, il était d'un commerce délicieux, sacliant tour à tour se montrer plaisant ou sévère.
('a|)able de passions généreuses, soucieux de dnji- ture et de lo^'auté, il liaïssait les iiypocrites, les cafards, les (ilous, tous ceux en ^qui il soupçonnait quelque duplicité. Il n'était point, comme on l'a dit, ridicule et fou. Il ])ortait fièrement, sur des épaules maig-res, un visage d'aigle assez semblable, la laideur et la fourberie en moins, à celui du grand Condé. 11 exerçait, sur quiconque l'approchait, une domination immédiate. Autour de lui se rangeaient, désireux d'écouler ses avis, les soldats et les poètes qui admi- raient également son intrépidité de guerrier, sa fougue et son indépendance de philosophe.
Ses ennemis du xvn*^ siècle, le considérant comme un esprit dangereux, léussirent à le rendre suspect à ses contemporains et à la postérité. Un de ses com- pagnons, le chanoine Lebret, s'est même efforcé, pour sauver sa mémoire, d'expurg^er ses ouvrages.
.Mais nous savons aujourd'hui quelles étaient les
LE CHEVALIER DE LKi.MEUES
occupations iiUellccUielles do Cyrano, de Lig-nièreset de leur groupe. Elles étaient de deux sortes. Tantôt on s'assemblait pour de simples amusements d'esprit que l'on appelait les Entretiens pointus. Chacun s'atVu- blait d'un nom de j)liilosophe etCyrnno était Socrate. On faisait assaut de boutades, de quiproquos, de co<{- à-l'âne. On jouait sur la signification des mots. C'était, pendant des heures, une sorte de prestidigitation verbale, d'espièglerie linguisti(|ue d'où la g-aillardise n'était point exclue. Ainsi se procurait-on (|uelques allégements aux soucis de la vie.
Tantôt on se réunissait pour examiner les questions qui préoccupent sans cesse les hommes, l'immortalité de l'àme, l'existence de Dieu. Alors les propos pre- naient une gravité plus grande. Mais les dogmes croulaient, comme des châteaux de cartes, sous les attaques de ces négateurs acharnés. Ils considéraient comme des lég-endes charmantes, mais comme de simples légendes susceptibles d'enchanter les esprits grossiers, les faits de l'Ancien Testament. En parti- culier, le paradis terrestre leur apparaissait ainsi qu'un rêve de cité future rénové, dans les temps modernes, par Bacon et Campanella. A se promener dans la Bible, il leur semblait qu'ils parcouraient le royaume chimérique où y'wsixenV Pea n-d' A ne et toutes les héroïnes engendrées par l'imagination populaire. A leur sens, l'àme, simple intelligence possédant
30 LE CHF.VALIER DE LIGNlÈUES
comme organisme moteur le cerveau, ne connaissait poinl de permanence et mourait consumée avec son enveloppe. Ils ne croyaient pas à l'existence de Dieu, d'un Dieu immobile (pii ne se manifestait point à sa créature et qui était un principe de mal el de bien, ayant jeté l'un et l'autre sur la terre.
Maître de sa pensée, et l'insinuant à ses disciples, Cyrano prononçait parfois des aphorismes (pii indi- quent sa parenté intellectuelle avec Montaig-ne et qui semblent annoncer la forte» conrision de La Bruyère, la ferme incrédulité de Voltaire. Il disait :
« A pénétrer sérieusement la matière, vous connaî- trez qu'elle n'est qu'une qui, comme excellente comé- dienne, joue ici-bas toutes sorlesde [)ersonnag'es,sous toutes sortes d'habits. »
(( Ni le nom d'Aristote, ()lus savant que moi, ni celui de Platon, ni celui de Socrale ne me persuade point, si mon jugement n'est convaincu par raison de ce qu'ils disent. La raison seule est reine. »
« H n'y a rien qu'on ne persuade j)lus aisément au peuple que ce (pTil est bien aise de croire. »
« Il est malaisé de parler comme les marauds, et de ne le pas être. »
« l'n lioiméte homme n'est ni Français, ni Alle- mand, ni Espagnol : il est citoyen du monde et sa patrie est partout. »
Il est probable que le chevalier de Lignières aban-
LE CHEVALIER DE LIGMKRES
donna Cyrano à son destin ajirôs en avoir re(;u tout l'enseignement qu'il en pouvait tirer. Nous ne le voyons point, en effet, à ses côtés, lorsque le duelliste, remplaçant définitivement l'épée par la plume, com- bat, pendant la Fronde, les adversaires de Mazarin, ni lorsque quelques vers malheureux de sa tragédie : La mort cVAgrippine^ suscitent contre lui les impré- cations des dévots. Il est vrai, Cyrano s'est alors retiré dans une étroite et studieuse solitude. Il pressent peut-être, à certains sym|)tômes physiques, que sa vie sera courte et qu'il est utile, pour le triomphe du matérialisme, que ses idées reçoivent, dans le livre, leur plein développement.
Lignières, d'autre part, ne possède point un es[)rit comparable à celui de Cyrano. Il est athée sans rai- sonner son athéisme, par impulsion, par tempéra- ment. On discerne surtout en lui un jouisseur épris des femmes, volontiers puéril, cherchant partout sa satisfaction personnelle. S'il ne disposait d'un certain talent poétique, s'il ne s'était, avec rudesse, jeté dans la bataille littéraire contre les pédants, il serait semblable aux frivoles plumets qui encombraient les alcôves des précieuses.
Chapitre troiaiènie, où le chevalier de Lignièrea^ friand de bon vin, pousse /'héroïsme jusqu'à boire, jioiw altendrir le eo'ur d'une inhumaine, l'eau sau- mdlre d'un bénitier et, rendu célèbre par cette action méritoii'c, moissonne les faveurs dans les ruelles galantes.
y^lks roiieiiie de sa carrière, le chevalier de
Lii>nières ambitionna de conciuérir, parmi ^■^^1 les dames, une rapide renommé(\ Pour obtenir celle-ci il manifestait parfois un li('ioïsme j)articulier. Il complaît, nous le verrons postérieure- ment, parmi les meilleurs « biberons >> du royaume, Xul ne se conduisait mieux que lui à table et ne sou- riait si atîTéablement aux flacons de Coindrieux et de Beaune. Nul ne lenail eu plus «irande horreur l'eau insipide.
Or, certain jour, ayant donné à une belle (|u'il souhaitait séduire un rendez-vous en l'une de ces églises mondaines, comuu» les Minimes, où l'on se préoccupait davaulai>e de i^alaulerie (|ue de dévotion, il vil celte belle tremper dans le bénitier sa tine main
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 33
gantée de frangipane. La cruelle répondait jusqu'alors avec tiédeur à ses invites et, si elle acceptait de le voir, elle ne promettait point d'adoucir son sort. Il résolut donc de l'impressionner par un acte inusité. Aussi bien l'eau de la vasque sacrée lui sembla-t-elle deux fois bénite, l'ayant été par le prêtre d'abord et par l'amour ensuite. Il y avait peu de monde dans l'ég-lise et l'on ne songeait pas à contrecarrer son dessein. Il se pencha sur le bénitier et, à longs traits, but l'onde touchée par la main parfumée. Ainsi parvint- il à triompher d'une rigueur jusqu'alors incorrup- tible (i).
Des prouesses semblables valaient, au xvn'^ siècle, une prompte gloire à leurs auteurs. Lignières tira de la sienne des bénéfices multiples. Il possédait, il est vrai, toutes les qualités requises pour coqueler avec supériorité dans les « ronds » précieux : l'en- jouement, l'audace, l'esprit. Il était, au physique, charmant, le savait et n'hésitait point à le dire. Vous avez, écrivait-il, au sieur Hoteman :
Vous avez l'air divin et vostre teste blonde,
Sans la mienne, seroit la plus belle du monde (2).
Cette confiance en lui-même lui permettait d'entre-
(i) Carpentariana, 1741, P- 36i.
(2) Lig'olères : A M. Hoteman dans Poésies choisies, i658, k" part., p. 283.
34 LB CHEVALIER DE LIGNIÈRES
prendre avec la certitude de réussir. Il jouait avec aisance de la poésie, l'utilisant à la fois pour établir sa réputation, pour flatter et humaniser les cruelles ;
Mes vers m'ont servi pi-ès des belles. Les plus fîères, les plus cruelles Ont eu pitié de mon tourment. J'en ai des preuves assez amples Et je citerois des exemples Si je n'estois discret amant (i).
Il connaissait à merveille l'art de varier le ton,
selon le caractère des femmes auxquelles il adressait
ses rimes. Il cultivait, en faveur des sentimentales,
l'élégie et les stances. Parlant, à l'une d'elles, de sa
flamme :
Vous la verrez toujours briller dans mes regards
S'il est vray que les yeux soient les miroirs de l'âme (2).
A une autre qui l'accusait d'inconstance, il assurait avec tranquillité que ses précédentes expériences amoureuses devaient, loin de l'alarmer, lui commu- niquer la conviction de sa fidélité définitive :
Ne laissez pas de m'estimer Et songez que j'ai voulu faire Quelques essais en l'art d'aimer (3).
(1) Carpentariana, iihi, p. 4'i7-
(2) Poésies choisies, i658, 4'= part,, p. 374; La Muse coquette, 1659, p. 82. V. aussi Poésies choisies, iGGo, 5" i)art., p. 175.
(3) Poésies choisies, i658, 4'' part., p. 428; lOGo, 5" part. p. 3i. V. aussi, Jbid., i658, 4° part., p. 378. Il offre ses consolatious à une veuve; p. 384- Il est amoureux des deux sœurs à la luis.
LE CHEVALIER DE LIGNIER.ES 3»
Mais, d'ordinaire, il affectait, à l'ég-ard des femmes, un lang-age effronté. Il se montrait ainsi fin psycho- logue, subjug"uant au lieu de prier. En concurrence auprès de l'une avec un philosophe pesant, il rappe- lait que les mérites de cet homme ne pouvaient sur- passer le sien qui consistait à être « le premier en date (i) ». Il ne craig-nait jamais d'ailleurs celte com- paraison des mérites, s'eslimant, en matière d'amour, d'une qualité éminente :
De tous ceux que l'amour rend chez vous assidus Je soutiens que je suis celuy qui vaut le plus (2).
Les dames partageaient souventes fois cette opinion avantag-euse. Volontiers, elles le prenaient pour con- fident. Disputant un jour sur leur réciproque beauté et se prétendant plus séduisantes l'une que l'autre, deux d'entre elles en appelèrent à son arbitrag-e. Semblable aux magistrats du Parlement, il déclara aussitôt que, pour obtenir un arrêt favorable, il le fallait corrompre. Il réclama, en outre, comme le berger de VAstrée, la faveur de voir les parties de ce singulier procès dans leur nudité primitive (3).
Toutes les fois d'ailleurs qu'il ne fait pas les pre- mières avances, il exig-e, avec outrecuidance, en échange de son amabilité, des récompenses énormes.
(i) Poésies choisies, i658, 4" part., p. 382.
(2) Poésies choisies, i658 et 1G61, 4'' part., p. 36o.
(3) Recueil La Suze, 1674, I, 26.
36 LE CHEVALIER DE LIGXIÈRES
Aux dames qui rêvent de se voir encensées dans ses rimes, il répond par des madrigaux impertinents :
Philis. tu souhaites de moy
Que je fasse des vers sur toy,
Sur ton teint de lys et de rose ;
Sans dissimuler, je ne puis,
Mais, dedans Testât où je suis,
J'y ferois bien quelqu'autre chose (i).
' A celles qui, soucieuses de son avenir littéraire, l'invitent à écrire quelques gros in-quarto qui l'ég-ale aux Scudéry ou aux Gomberville, il envoie ces stro- phes de raillerie :
Vostre éloquence me convie A mettre en lumière un romant Où je décrive ifalamment Les avantures de ma vie.
Mon âme, à toute heure, est ravie De vous obéir promptement, Et vous serez, par un amant. Pour un romant bientost servie.
.Mais comment conclure le mien ? Je crains fort qu'il ne vaille rien. Et qu'il n'ait pas l'honneur de plaire.
Je suis certain qu'il seroit bon Si vous vous disposiez à faire Avec moy la conclusion (?.).
(i) Poésies choisies, iCjG, 3' part., p. 197.
(2) Poésies choisies, 1660 et 16G6, 5' part., p. 30.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES 87
Lignières est souvent plus insolent encore. Il per- sifle les filles qui le désireraient pour mari (i). Il bro- carde celles cjui le voudraient choisir pour dupe (2). Il lance enfin des épig-rammes acérées contre celles qui le relèguent impitoyablement à leur porte :
Je veux cesser, Philis, de vous estre importun. A tout moment, pour moi, vous estes empeschée : Vous avez la migraine et vous estes couchée ; Je le pense, Philis, mais c'est avec quelqu'un (3).
Néanmoins ces méchancetés riniées ne lui valent aucunement les vindictes de ses victimes. La société précieuse l'accueille avec faveur. Il est même un ins- tant à la mode. Somaize, auteur du Dictionnaire des Précieuses^ l'appelle le galantissime Lignières (4). H passe, ajoute-t-il, pour « fort inconstant ». « Il voit quantité de précieuses des plus jolies et des plus spi- rituelles d'Athènes (Paris) à qui il sert d'alcôviste par quartier (5). » On l'écoute, dans ces alcôves, comme un oracle, et ses mots, répétés avec transport, font fortune (G). Scarron, contempteur des pécores manié- rées qui s'assemblent dans les hôtels du Marais, ne
(i) Poésies choisies, iGr)8, ^' part., p. 384-
(2) IbicL, 1G60, 5« part., p. 32.
(3) Ibid., i658, 4» part., p. 38i
(4) La Pompe funèbre de M. Scarron, i6Go, p. 5o,
(5) Somaize : Dictionnaire des Préiieuses, iGGo, art. Léonce.
(G) Ibid. Voici les mois précieux de Léonce (Lig-nières) recueillis par Somaize : « Vos yeux peuvent disputer avec ceux de Philis. » « Vos yeux peuvent faire assaut d"appas avec ceux de Philis. »
38 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
cache point l'aversion que lui cause ce blondin pré- tentieux et bavard. Lorsqu'il raconte à son ami, M. d'Elbène, la conversation que lui imposa un fâcheux, il met dans la bouche de celui-ci ces propos :
II me qiiestionna de toutes les manières : Étes-vous visité de Monsieur de Linières '? I\Ie dit-il ; ce qu'il fait est satirique et beau (i).
Mais Scarron, juché sur sa cliaire à poulie, devenu, comme il dit, un ce magasin de douleurs », réagis- sant, par le burlesque, contre le ridicule « des pous- seurs de beaux sentiments », ne peut comprendre la vogue dont bénéficie un Lig'nières.
C'est l'époque où Madeleine de Scudéry, rue Vieille- du-Temple, invente la Carte de Tendre. Les ronds précieux pullulent sur toute cette région silencieuse et mélancolique du Marais. Les uns sont rég-entés par des prudes, les autres par des dévotes, d'autres eucore par des coquettes qui, compliquant leur lang-ag-e, déploreraient de com[)liquer leurs actes. Lig-nières fréquente ces derniers. Approuve-t-il les folles qui s'y évertuent, conjointement à l'Académie, à réfor- mer le sens des mots? Nous ne le croyons pas. Si, parfois, on le voit, à l'exemple de ses rivaux les muguets, se mêler à leurs exercices frivoles, on dis- cerne aisément qu'il les raille sous cape. H est, cela
(i) Scarron : Seconde Epislre chagrine à M. d'Elbène, ifiûg.
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES Z^
€St certain, l'ennemi de la dissimulation. Oblig-é, souvent, d'obéir à certaines contraintes mondaines, il s'en venge par des sarcasmes. S'il exalte notamment, parce qu'on l'y invite, les mérites de telle petite chienne, dont la maîtresse ferait ses délices au déduit :
Toutes ses actions semblent judicieuses, dit-il. Et il ajoute :
Elle aboyé agréablement Comme parlent les pi^étieuses (i).
Celles-ci lui semblent donc un tantinet grotesques. Il s'écarte d'elles avec précaution. Il hait leurs harangues savantes et tous les embarras dont elles parsèment leur vie. Mais elles enrégimentent dans leurs cabales des demoiselles peu farouches et des épouses succombant sous le poids du lien conjugal. Ces dernières ne dédaignent point l'aventure et leur préciosité est fort superficielle. Si, à la vérité, elles se montrent doctes en sourire, connaissant toutes ses graduations, et qu'il peut être successivement de Vœil gracieux, de la dent blanche, ou dédaigneux ou faux-semblant ; s\ elles approuvent que l'on partage en quatre méthodes l'art d'aimer; si elles adoptent les rites de la ruelle et participent à ses disputes, c'est pour acquérir quelque célébrité en ce monde.
• (i) Poésies choisies, 1660, 5» part., p. 201. V. aussi, même sujet. Poésies choisies, 1660, 5» part., p. 16.
4o LE CHEVALIER DE LIGMÈRES
En réalité, elles cachent leur sentiment véritable. La ruelle, pour elles, est une officine de g-alanteric. Ardemment on les y voit s'ébattre dans le « parti des petits coins » et souffrir d'être cajolées. Elles ne sont nullement féroces et, pour une flatterie, pour le plai- sir seulement de satisfaire leur curiosité, elles avancent l'heure fameuse du berger.
C'est parmi elles que Lignières trouve de l'agré- ment à la ruelle. Il est, lorsqu'il se livre, en leur compagnie, aux jeux de sociétés, un furieux voleur de baisers. Nul n'a plus d'astuce, et les mouchoirs de cols, dans les pénombres propices, ne sont point un obstacle à ses larcins délicieux. On le craint comme la peste, et néanmoins on ne sait se soustraire à sa séduisante et chaude parole.
Notre chevalier, publiant dans les recueils ses poé- sies pimentées ou doucereuses, s'est bien gardé de nous révéler les noms des héroïnes qu'il conduisit de l'indifïérence à la tendresse. Il chante des victoires anonymes. Somaize nous a conservé le souvenir de M^'® d'Asnières dont il dit qu'elle était charmante et (jue Lignières en était l'ami. ]\I"c d'Asnières fut donc ensorcelée par le sémillant «: plumet ». Si elle avait fait le rêve de le conserver pour sa propre dilection, elle dut rapidement déchanter (i).
(i) Somaize : Dictionnaire des Prélieuses, 1660, art. Duphné' M"" d'Asnières faisait partie du cercle de M'""^ Deshoulicres.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES 4'
C'est d'ordinaire en trois maisons différentes que notre héros papillonne autour des dames et butine leurs faveurs. Madeleine de Scudéry, la comtesse de La Suze, et la marquise de Villaine le reçoivent, en effet, plus particulièrement. Madeleine de Scudéry, Sapho en jarg-on précieux, tient boutique de bagatelle, nous l'avons dit, rue Vieille-du-Temple. Le bureau d'esprit de M""^ de La Suze [Doralise] est situé rue des Trois- Pavillons. On ignore où gîte M'"*^ de Villaine [Virgi- nie]. Les mêmes visiteurs se pressent d'ailleurs dans les trois demeures à des jours différents. Ce sont gens de toutes sortes, auteurs surtout chez la pre- mière, mondains principalement chez les deux autres.
M™e de Villaine, sur laquelle les renseignements sont peu nombreux, est la femme d'une sorte de pédant et de fol préoccupé d'astrolog-ie. Ni l'un ni l'autre n'intéresseraient Lignières si, avec eux, ne vivait leur fille. Visiblement notre chevalier ne hante leur log-is que pour assiéger cette dernière. Il s'est chargé d'en tracer un portrait où éclatent son admi- ration et sa convoitise. M"*' de Villaine est, à son dire, une plantureuse adolescente. Elle porte, sur un col délié et une gorge ferme, un visage aux carnations de fruit mûr qu'obombre une abondante chevelure brune. Elle n'a nullement besoin, pour entretenir sa santé, de gober des œufs chaque matin, ou encore d'user, pour embellir son teint, des fards à la graisse
42 LE CHEVALIER DE LIGNiÈRES
de veau. Ayant signalé la vivacité des veux et la courbe exquise du nez, le portraitiste s'arréle longue- ment sur le chapitre de la bouche. Elle est, dit-il, semblable à un fragment de corail sur lequel on aurait incrusté quelques perles d'Orient. Cette bouche succulente et qu'il n'a point savourée fait trembler son pinceau. D'autres charmes d'ailleurs brillent en cette personne adorable. Elle est dotée d'une mine enfantine. Elle est gaie, aimable, douce. Elle danse, elle chante, elle joue volontiers au volant. Ses bras sont, comme la soie, agréables à caresser. Sa taille tiendrait entre deux mains unies. Lignières voudrait poursuivre le tableau. Mais il sent l'inconvenance de son vœu. Touchant, dit-il,
quelques autres beautés
Las ! ce sont des obscurités
Et pour nous des nuits éternelles.
Ses qualités intellectuelles et morales égalent sa splendeur physique. Elle est savante et décèle dans ses propos le jugement joint à la sagacité. L'italien et l'espagnol lui sont familiers. Elle écrit en prose et en vers agréablement. Elle raille non sans àpreté. Géné- reuse, modeste, prudente, elle s'offre, dans la vie, comme une loyale camarade (i).
(i) Recueil des porl rails ci élorjes en vers el m prose, dédié à S. A. R. Mademoiselle, 1659, p. 29«j, Portrait de iU"« de Villaine fait par le chevalier de Li{//tièrcs. V. aussi, môme volume, p. 247, Portrait de .1/"" de Villaine par .!/"'« Deshoulières.
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 43
Ah! que notre chevalier regrette cette droiture naturelle! Comme avec joie il serait le papillon de cette fleur! Il ne désespère point d'ailleurs de le deve- nir! Il correspond en vers avec elle. Tel jour il lui envoie le Grand AlmanacJi cVAmoiir qu'un sieur Lontier échafauda pour prévenir les galants que seul le mois de mai compte dans la mélancolique année (i). Tel autre jour, il loue en stances goguenardes la chatte de la jeune fille qui, selon son dire, soupirant et miaulant, apprend aux matous réunis autour d'elle
Ce que c'est qu'Amour et que Tendre (2).
M^i^de Villaine répond sur le même mode de gogue- nardise un peu leste. Et tout se borne à ces escar- mouches. Parfois le chevalier se fait, au jeu de volant, l'adversaire de la jouvencelle. Mais il n'obtient même pas, s'il la vainc sur ce terrain, une récompense équivoque.
De sorte qu'il est obligé d'apaiser ailleurs son mar- tyre. Et il se rend chez la comtesse de La Suze. Celle- ci est une véhémente amoureuse. Depuis que son mari, butor stupide que la Fronde contraignit de fuir en Allemagne, l'a laissée jouir d'une sereine indé- pendance, elle accueille les hommages des poètes et
(i) Poésies choisies, iG58, 4° part., p. 357,
(2) Les Muses illustres, iG58, pp. 247-248; Recueil La Suze, 1674,
I, 25.
44 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
des seig-neurs avec une impartialité de déesse. Elle est sensuelle et senlimenlale. Elle atteint, en souriant, l'àge de la chaude maturité. Ses formes sont épa- nouies. Des boucles aux reflets d'or adoucissent son visag-e pou|)in où de grands yeux bleus semblent, avec une douceur résig^née, prier d'amour l'arrivant.
Elle compte parmi les meilleures poétesses du royaume, et la plainte de son cœur, souvent meurtri par des déceptions tendres, éclate dans vingt élég-ies désolées. Des recueils ont paru, apportant au monde, sous le patronag-e de son nom, les œuvres d'écrivains illustres. Elle s'enorgueillit d'avoir été encensée par des marchands d'immortalité notoires. Sa ruelle, quand elle daig-ne l'ouvrir, est envahie par une cohue de personnages aux noms sonores et par la foule des inconnus qui cherchent à triompher de l'obscurité (i).
Etendue sur son lit de parade, mag-nifique dans ses vêtements de brocart d'or, elle règne, avec bien- veillance, sur un peui)le immense de soupirants. De temps à autre, elle élit l'un d'eux et lui prodig-ue les largesses de sa nature expansive. Lig-nières volontiers eût ])articipé aux libéralités intimes de cette héritière des Coligny. Pour y parvenir il usa de la louange. Le ciel, lui écrivit-il.
(i) Nous avons donné une ima^e complète d'Henriette de Coliffny dans notre volume : Madame de La Suce et la société précieuse^ iyo8, iu-i8.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES 45
Le ciel joint rarement l'esprit à la beauté. Vous avez l'un et l'autre en un degré suprême Et c'est, à mon avis, un horrible blasphème De ne pas vous tenir pour une Déité.
Cet esprit, en tous lieux, si justement vanté,
Car vous faites des vers mieux que Malherbe même,
Lorsque nous les lisons le plaisir est extrême
Et nous sommes surpris de leur sublimité.
Que c'est un grand bonlieur d'estre belle et sçavante ! Que vostre sort est doux ! Que vostre âme est contente D'avoir de vos vertus mille illustres tesmoins!
Avec tous ces attraits, si l'on n'ose vous dire :
Je meurs d'amour pour vous, je languis, je soupire,
Adorable comtesse, on n'en pense pas moins (i).
Maintes fois la comtesse avait suscité un aveu sem- blable enveloppé dans des périphrases laudatives. Lig-nières avait peu de chance qu'elle le remarquât sous sa plume. Mais si les hyperboles et la tendresse, même formulée avec esprit, l'émouvaient à peine, elle considérait comme digne d'attention l'homme qui les lui adressait. Elle lui eût, de tout cœur, confié le soin d'emplir de quelques liesses son désœuvrement si elle n'eut craint son inconstance, son indiscrétion, et surtout son esprit satirique. Elle redoutait de s'en- gager en des liens qu'elle eût été forcée de rompre
(i) Poésies choisies, iGCo et iG65, 5'= part., p. 3o.
46 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
aussitôt après les avoir noués. Le bruit courait, en effet, que Lig-nières s'était affilié à certaines cabales qui projetaient une Saint-Barthélémy des pédants. On disait, par exemple, que, chez Michel de Marolles, abbé de Villeloin, un complot poétique s'ourdissait contre Valcnlin Conrart, secrétaire perpétuel de l'Aca- démie, et que le chevalier en était l'âme (i).
(i) Tallemant des Réaux : Historiettes, i854, III, 295, ad notam.
Chapitre quatrième, où le chevalier de LignièreSy amoureux de la clarté française, entreprend, contre les pédants qui veulent l'obscurcir, une croisade sati- rique.
^^^^Wb.) ces bavardages contenaient une part de vérité. Goûtant en matière de littérature, la clarté, la spontanéité, la finesse, Lig-nières
exécrait la gent pédante qui, encombrant les « ave- nues » du Parnasse, prétendait donner la suprématie aux dissertations indigestes, bourrées de latin, sur les proses et les poésies légères, proscrire la fantaisie au profit de l'érudition, promulguer des arrêts sans recours, mettre un joug à l'inspiration. Il se souve- nait que, jadis, à l'Hôtel de Rambouillet, Voiture avait dû lutter avec une énergie désespérée contre l'assaut des Balzac, des Chapelain, des Montausier, qui mena- çaient d'assujettir cette demeure à leurs goûts fasti- dieux de savants et de paperassiers. Le divin épis- tolier n'avait triomphé de ses antagonistes que par
48 LE CHEVALIER DE LIGMÈRES
la raillerie. Les dames, d'ailleurs, avaient soutenu son parti, fatiguées d'entendre des lectures interminables sur des sujets moroses.
Depuis ces heures lointaines, la marquise de Ram- bouillet vivait dans l'isolement. Les pédants l'avaient abandonnée et s'étaient répandus dans les ruelles. Ils tentaient encore d'étouffer, partout où ils avaient accès, l'esprit de galanterie qui animait et embellissait la production littéraire. La plupart se prévalaient de leur qualité d'académistes pour imposer l'amour d'une science emphatique et ennuyeuse. Contre tous ces barbons, la nécessité se faisait sentir d'entreprendre une croisade. Lignières, sans hésitation, se proposait d'en porter la bannière.
Il avait d'ailleurs des griefs personnels contre cer- tains « savantasses ». Au début de sa carrière poéti- que, il était allé rendre visite au célèbre M. Chape- lain. Celui-ci, rue des Cinq-Diamants, passait les journées, au fond d'un sombre cabinet tendu de taffe- tas vert, à parfaire les rudes chants d'un poème héroïcjue : La Pucelle. Il en avait fait des lectures publiques et ses auditeurs en conservaient un souve- nir mélancolique. Il organisait sourdement, autour de cette œuvre, une réclame sans répit. On en parlait comme d'une chose sublime. Depuis de longues années on en attendait la publication avec curiosité. On pensait que l'homme, chargé oflicicUcmcnt par
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 49
Richelieu de réglementer le théâtre et de censurer Corneille, s'ég"alerait à Homère.
Habillé de hardes dépenaillées, pompeux et solen- nel dans sa crasse lég-endaire, Chapelain réserva à Lig:nières un accueil glacé. Il lut les vers que le poète juvénile lui présentait avec quelque émotion. Puis il prononça son jugement :
■ — Monsieur le chevalier, dit-il, vous avez beaucoup d'esprit et de bonnes rentes, c'en est assez. Croyez- moi, ne faites point de vers. Le titre de poète est méprisable dans un homme de qualité comme vous (i).
Lignières reçut cette sentence avec dépit. Car, comparant sa poésie à celle que Cliapelain uiit au jour en quelques circonstances particulières, il pou- vait malaisément se contenter d'une seconde place. Il ignorait alors que les médiocres remplacent le talent par l'intrigue et que l'autorité de Chapelain fut acquise au prix d'innombrables platitudes et de pro- digieuses flagorneries. Il crut s'être trompé sur sa propre valeur. Il accepta avec colère, mais sans esprit de vengeance^ l'avis de son interlocuteur.
Plus tard, il devait à nouveau rencontrer l'acadé- miste dans le monde, et Cliapelain ayant, devant lui,
(i) Carpentariana, i^^i, p. 359-36o. SeloQ Tallemant : V, 234-235, Lig-nières aurait connu Chapelain, en même temps que Fureticre et Gilles Boileau, chez Ménage.
50 LE CHEVALIER Dli LIGMÈRES
manifesté le désir de connaître certaine dame, il lui oIFril son entremise. Chapelain l'accepta et se fit présenter par un autre personnage. Cette attitude mé- prisante blessa Lignières (i). Il avait alors pu se rendre compte que Chapelain était un fantoche gon- flé de vent et se convaincre qu'à le pourfendre on accomplissait œuvre de salubrité intellecluelle. Et tranquillement, dans le concert d'éloges qui l'accom- pagnait en tous lieux, il lanra une note discordante. La France, écrivit-il,
La France attend de Chapelain, Ce rare et fameux écrivain, Une merveilleuse Pucelle : La cabale en dit force bien ; Depuis vingt ans on parle d'elle, Dans six mois on n'en dira rien (2).
Cette hardiesse de plume le mil aussitôt en mau- vaise posture dans les cercles où le pédant jouissait d'une considération. De là, la réserve de M"''^ de La Suze. Mais M"i^ de La Siize n'était pas tout à fait assurée que les pédants méritassent une admiration éperdue. Ils l'avaient souvent lassée. Elle se conten-
(1) Tallcniaiit : V. 23/,-?.35.
(2) liiblioihè jiie nationale, ms n" 9364 f" i/j; Nouveau recueil des èpifji'aminulistcs français, 1720, 1,873; Anecdotes littéraires, 1752, 11,55; Tallemanl : III, 277; IX, 55; Kcr^'iler : La Bretagne à l'Aca- démie, 1879; ^ui Patin : Lettres, cdit. Heveillé-Parise, 1840, II, 222; Fi'édéric Lacliùvre : La Cttronir/ue des Ciiapons et des Gelinottes du Mans, Kjo-j, p. LXI.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES Si
tait de les respecter. Elle leur accordait une place dans sa ruelle, sachant qu'ils pouvaient, par leur louang-e, étendre sa renommée. Elle les voyait plus volontiers chez son amie M^'^ de Scudéry.
Ils tenaient, en effet, leurs assises en la maison de cette dernière. Là, en toute liberté, ils étalaient leur science et clamaient leurs apophteg-mes. Maig-re et olivâtre comme une Parque, Madeleine de Scudéry les vénérait ainsi que des dieux et les eût volontiers juchés sur des trônes. Celle intarissable « romaniste » s'efforcera, vers la fin de sa vie, de moraliser le monde à leur exemple. A cette heure, ayant déchargé son cerveau dans les dix tomes du Grand Cijriis, elle superposait les douze in-octavos de la Clélie^ distri- buant les éloges à la terre entière. Les pédants avaient contribué à répandre la fable de son génie et il était naturel qu'elle leur en fût reconnaissante. Néanmoins, dans l'intimité, lorsque ces hôtes intolérants avaient quitté son logis, elle s'ingéniait, en compagnie de Pel- lisson, son galant platonique, et de quelques antiques pucelles affamées d'amour, à situer des villes nou- velles sur la Carte de Tendre et à rédiger la Gazette de ce pays chimérique (i).
(i) Lig-nières participa, pendant quelque temps, d'une faoon active aux divertissements du groupe Scudéry. La Gazette du Samedi con- tient une de ses lettres. Le manuscrit original de cette srazette, passé des mains de Teuillel de Couches dans celles de M. L. Bclmont, a
%
52 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
Lig-nièrcs avait vu chez elle, au cours des samedis, siég-er le concile des pédants et entendu ruisseler de leurs bouches les axiomes et les aphorismes. Sou- ventes fois, accablé par le g-rcc de Gilles Ménage, sémillant abbé aux mains malpropres, ou par le latin de Costar, gros chanoine venu du Mans pour cueillir des lauriers en la capitale, il avait juré d'écraser sous le ridicule ces diseurs de galimatias. Sa première épigramme contre Chapelain lui avait fermé la ruelle de Madeleine de Scudéry, où des gens comme Pel- lisson, qui amassait les documents de son Histoire de l'Académie française^ ne pouvaient endurer la pré- sence, à leurs côtés, de ce critique à leur avis médisant. Dans la docte compagnie elle-même, plusieurs des ([uarante, le marquis de Coislin notamment, souhai- taient le châtiment de Ligjiières.
De sorte que ce dernier, soutenu par tous les indé- pendants et les mécontents, se trouvait dans l'obliga- tion d'entreprendre une lutte contre le cercle Scudéry d'une part et contre l'Académie de l'autre. Il attendait, pour commencer les hostilités, l'apparition de la Pucelle. Par les fragments qu'il en connaissait, il savait que ce poème procurait à ses lecteurs im ennui
é^c analysé succinctement par ce dernier dans la Revue d'hislnire liltéruire de la France, IQ02 p. (546 et s. {Dociirnenls irn-dils sur la Société cl la litlérutiire précieuses c.clraits de la Chronique du Samedi et publiés d'après le registre original de Pellisson).
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES 53
mortel. Vainement le marquis de Montausier et le duc de Longueville s'efTorçaient-iis d'en prouver la magnificence. On n'y trouvait aucun vestige de poésie et le style en était si rude qu'on s'écorchait la langue à réciter la moindre période de cette gigantesque rimaille.
Selon Chapelain, Lig-nières et ses amis, l'abbé de Marolles et Furetière entre autres, impatients de l'acca- bler, n'auraient pas attendu la publication de son livre pour en prendre connaissance. Ils auraient corrompu le libraire Courbé et, avec sa connivence, se seraient procuré les épreuves à l'impression. L'as- sertion de Chapelain est probablement calomnieuse, car la principale attaque ne se produisit qu'après le lancement du volume. Mais Lignières, un beau matin, épand dans les ruelles une gerbe d'épigrammes.
Nul de ceux qu'il veut atteindre n'est ménagé. Le jeune duc de Coislin, petit-fils du chancelier Séguier, mestre de camp d'un régiment de cavalerie à l'âge de huit ans, reçu membre de l'Académie française à dix-sept ans, par la pression de son aïeul qui héber- geait la compagnie en son hôtel, lui semble, le premier, mériter le fouet. Jamais on ne vit, en effet, fortune si insolente, fortune couronnant des titres si piètres, tant de suffisance au service de tant de sottise :
Parmi ce grand nombre d'aulheurs Dont on voit la gloire affermie,
54 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
Tous CCS illustres fondateurs
De la superbe Académie.
Ce n'est pas M. Chapelain
Que l'on estime davantage :
Le petit marquis de Coeslin
Passe à bon droit pour le plus sage (i).
écrit ironiquement Lignièrcs. En voilà assez pour lui valoir quelque bonne bastonnade, car M. le marquis n'est pas d'humeur à se laisser berner. Il ne souffre pas non plus qu'on lui conteste le droit d'occuper un fauteuil dans l'aréopage qu'hospitalise son grand- père. L'honneur qu'il fait aux trente-neuf marauds dont il accepte le voisinage est, en vérité, fort grand. Lignicres cependant ne craint point le courroux de M. le marquis. Il le craint si peu qu'il tarabuste de nouveau Jean Chapelain, ami de 31. le marquis :
Par bonheur devant qu'on imprime Cette Pucelle magnanime, Chapelain, tu tiens le haut bout, Mais on dit que celte Pucelle Ne s'est fait voir qu'à la chandelle Et que le jour gastera tout (2).
Et ce ne lui paraît point suffisant. Il y a encore à l'Académie foule compacte de ces pauvres sires que des manœuvres souterraines aidèrent à sortir de leur
(i) Tiibl. nnl. ms n" 930/) 1» i/, (Incdil). (2) Diil. mit. ins n» (j3G4 f" 1/4.
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 55
humble condition. Vaientin Conrart, petit bourgeois opulent, prêtant ses pistoles à bon escient, parlant peu, écoutant beaucoup, prodiguant les amabilités, patient et doucereux, d'ailleurs sans culture, habile sous une apparence modeste, bureaucrate capable de remuer chaque jour une tonne de paperasses, est le prototype de ces parvenus. ïl tiendra, sans avoir écrit autre chose qu'une douzaine de pages dénuées d'inté- rêt, pendant un demi-siècle, le secrétariat de la Com- pagnie/Lignicres h; touche à l'endroit vulnérable en soulignant sa pacifique nullité :
Conrart, comment as-tu pu faire Pour acquérir tant de renom? Car tu n'as, pauvre secrétaire, Mis eu lumièi^e cxue ton nom! (i)
Il lui semble même bon de préciser l'étrange aven- ture de ce gratte-papier qui, parfois, se permet avec arrogance de censurer ses contemporains :
Conrart est un des beaux esprits; Et sans avoir rien fait, sans même avoir appris La langue qu'on parloit à Rome, Il juge les œuvres d'autruy.
(i) Bibl. nat., ms. n» 9.354 f» i4; Menagiana, 1713, I. 117; Nouveau recueil des épigrammattstes français, 1720. 1. 374; Tallemant : III, 299; Bourgoin : Vaientin Conrart, i883; Laclièvre : op. cit., p. lxi.
jO le chevalier de ligmeres
Je tiens que c'est un habile homme Car il empesche bien qu'on ne jug-e de lui (i).
On ne sait, au juste, pour quelle raison notre che- valier comprend Jean Ogier de Gombauld dans cette hécatombe. Celui-ci n'est point sans talent. Ses poé- sies sont pleines de finesse. Il n'a nullement volé son fauteuil d'académiste. Peut-être Lig-nières fig-ure-t-il, sous un nom ignoré, dans la galerie des gens ég-ralri- g-nés par ses épigrammes. Il se borne d'ailleurs à lui reprocher de ne connaître point l'art de ciseler les sonnets (2).
Ses méchancetés les plus vives, il les réserve pour Pellisson, Madeleine de Scudéry, Ménage et Costar. Toute la société connaît la tendresse qui unit le pre- mier à la seconde, tendresse à la fois touchante et attristante, tendresse basée sur la pitié. Car si Made- leine, laide et sèche comme une g-uenuche, n'en- g"age point les coquets à soupirer pour elle, Pellisson ressemble à l'un de ces démons que les sculpteurs anonymes du moyen âge situèrent sous le porche des cathédrales. Tous deux découragèrent l'amour et c'est
(i) Bibl. nai., ms. n» oSC» f» i4; Tallemant : III, 299; Bourgoin, op. cil. (2) Bibl. nai., ms. 93G/|, f" i/^; Lnchèvre : op ci/., p. l\i.
Gombauld n'approuve aucun sonncl El dit qu'on n'en sauroit bien faire, La raison en est toute claire : C'est qu'il n'en a jamais bien fait.
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES Sy
pourquoi ils joignirent, pour le transformer en joie amère, leur respectif désenchantement. Lig-nières croit cependant pouvoir, avec quelque justice^ stigmatiser cette pauvre joie :
La figure de Pellisson
Est une fig-ure effroyable.
Toutefois, quoique ce g-arçon
Ait un visage espouvantable,
Il a pour Sapho des appas.
Mais je ne m'en eslonne pas :
On ayme toujours son semblable (i).
Lig-nières, assoide de vengeance, ne se doute peut- être pas qu'il commet une mauvaise action. Cette épi- gramme lui sera, plus rudement que les autres, repro- chée. Mais personne ne songe à défendre Ménage et Costar lorsque leur tour vient de mordre la poussière. Ceux-ci sont d'authentiques et importuns pédants. Ils s'ingénient bien, à la vérité, à prendre le ton et l'allure galante. Ménage môme arrive parfois à tourner avec quelque délicatesse le madrigal. Costar, de son côté, ensevelit ses correspondants sous le déluge de ses « puantes flatteries ». Mais leur allégresse principale consiste à se vautrer dans le latin et le grec, à remuer des textes poudreux, à discuter sur des points de grammaire ou d'étymologie, à soutenir, sur des sujets minimes, d'interminables polémiques, à bâtir des dic-
(i) Bibl. nat,, ins., n» 9864, f" i4 (Inédit).
LE CHEVALIER DE LIGXIERES
tionnaires, à se lancer à la lete des références extraites de raiitiquité la plus reculée. Ce sont de terribles exégètes, des plagiaires impénitents, des pilleurs de pensées et de mots. Déjà Lignières, parlant de Ménage avait, de tout son cœur, souhaité qu'un tribunal litté- raire le condamnât à être conduit au pied du Par- nasse et à y être marqué, pour le punir de ses plagiats, de la fleur de lys infâme (i). Dans l'épigramme nou- velle qu'il lui décoche, il nargue le linguiste qui s'époumonne à versifier dans tous les idiomes de la terre.
Pour moi je pense que Ménage
Oui tranche du grand personnage
Et dont quelques-uns ont fait cas
Dans leurs vers et dans leurs harang-ues,
Escrit en trois ou qualité lang-ues
Pour monstrer qu'il ne les sçait pas (2).
Quant à Costa r, c'est un sot ventripotent et qui aurait intérêt à se cantonner dans ses occupations de chanoine. Il veut, à tout prix, conquérir la célébrité. Il fut longtemps l'ami de Voiture qui le considérait comme un benêt. Il s'est fait, après la mort du poète, le défenseur de sa mémoire. Il a publié les lettres qu'ils échang-èrent et cpii prouvent en quelle piètre estime l'hôte des Rambouillet tenait ce g^oinfre lali-
(i) Menagiana, 1710, I, 117.
(2) IJiUl. mit., ins. n" ()36/t, f" i/» (Incclii).
LE CHEVALIEll DE LIGNIÈRES 5g
nisant. Contre Balzac et Girac, ennemis posthumes de Voiture, il a échafaudé des in-quarto pesants sans parvenir à en tirer le moindre bénéfice moral. C'est pourquoi Lig-nières, héritier intellectuel du subtil épistolier, tout en approuvant qu'on combatte la jalousie de Balzac, indique combien peu Costar était désig"né pour entreprendre cette tâche :
Mon cher Costar, chacun asseure Qu'on peut bien deffendre Voiture, Mais pour tes discours importuns, Tes contes froids, tes lieux communs. On est oblige de l'apprendre Que l'on ne sçauroit les deffendre (i).
Contrairement à ce que pensait notre chevalier, ses épigrammcs n'eurent point de retentissement. Per- sonne n'y répondit. Solides comme le roc, les pédants recevaient sans broncher l'averse de quolibets. Le marquis de Coislin lui-même dédaignait le cri de réprobation parti de la foule. Seule, M*"^ de La Suze manifestait son indignation. Elle fermait sa porte sans pitié. Et, de son ccrur, elle chassait le sentiment naissant que le satirique, avec un peu plus d'adresse, eût fait s'épanouir à son profit.
(i) Bibl. nat.. ms. n" o3ô4, f" i4 {Inédit).
Chapitre cinquième, où le chancelier Séguier, ami des pédants, oblige le satirique à déposer la plume et où celui-ci, vaincu dans une lutte inégale, fait pénitence devant la tendre comtesse de La Suze.
E silence des pédants et l'altitude indignée de la comtesse de La Suze ne devaient pas engager Lignières à la modération. Il semble, au contraire, que l'un et l'autre aient contribué à décupler sa fureur. Il va, sans pitié comme sans res- pect, poursuivre sa croisade. Chapelain lui en fournit précisément l'occasion.
Car, peu à peu, laPucelle s'imprime sur les presses d'Aug-ustin Courbé^ cependant que Nanteuil et Abra- ham Bosse, graveurs admirables, travaillent à orner de portraits et d'estampes ce livre aussi lourd jiar son format que par sa poésie. La tenace publicité que, depuis trente ans, le minable académisle org-anise autour de son œuvre, se fait maintenant plus reten- tissante et exaspère le satirique tapi dans l'ombre. La société parisienne attend cette œuvre avec une anxiété
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 6l
semblable à celle que suscite la naissance d'un dau- phin. Aucune autre production littéraire du siècle n'a produit et ne produira une telle sensation.
Lorsque, le i5 décembre i655, les premiers exem- plaires sont mis en vente au Palais, Galerie des Mer- ciers, dans la boutique d'Augustin Courbé, les ache- teurs se ruent. Ils sont bientôt désillusionnés. La terrible stupidité de ces douze chants aux vers rugueux leur enlève en quelques heures l'enthousiasme dont ils étaient animés. Au fond d'eux-mêmes ils se plai- gnent d'avoir été escroqués par une sorte de charlatan juché au sommet du Parnasse; mais ils ne veulent pas en convenir. Car la cabale de Chapelain, tous les doctes portant leur faix de latin, et les académistes, et quelques grands seigneurs clament à si haute voix leur admiration qu'ils passeraient pour des sots à contredire ces « habiles ». Le marquis de Montausier se signale parmi les plus bruyants. Il « trompette » partout la gloire de son ami. Il commande l'escouade des panégyristes. Les ruelles, de leur côté, voudraient bien suivre son exemple, car la déroule du savant « Calpurnius » leur deviendrait préjudiciable. Mais elles lui pardonnent difficilement de les avoir à ce point fatiguées. L'abbé de Pure entonne cependant, en leur nom, dans le roman qu'il écrit (i), le los de
(i) La Prétieiise, i556, \, 362-363.
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l'informe poème, tandis que Chapelain lui-même, avec astuce, se décerne des couronnes (i). Costar, stupéfait de rencontrer en un livre, d'où elle semblait devoir être proscrite, tant d'érudition étalée, exulte, et, dans des lettres successives^ s'agenouille devant l'homme qui^ à son avis, détrône Apollon, Cent autres mani- festent une allégresse pareille (2) et, dans le silence de leurs cellules, un moine et un prêtre le P. Olive du Mesnil et l'abbé Antoine Paulet, s'évertuent à trans- poser en latin la formidable rimaille.
Cependant les indépendants ne se laissent pas en- traîner dans cet émerveillement servile. La duchesse de Longueville, que Chapelain axait, jadis, au cours de ses lectures à l'Hôtel de Rambouillet, contrainte à bâiller, s'est endormie sur le livre que ce fâcheux lui offrit enveloppé de maroquin à ses armes. L'aveu est monté à ses lèvres jilus enclines à murmurer les paroles amoureuses que les rimes épiques.
Et, dans la foule des petits auteurs où évolue Ligniè- res, un immense éclat de rire s'est élevé. Scarron et son ami Rosteau ont fait, rue Neuve-Saint-Louis, des gorges chaudes aux dé{)ens du pied-plat de la rue des
(i) Bibl. nat.. Nouvelles acquisitions, ms. n» 1890, f» 191 et s.
(2) Du Pelletier, Richelet, Teslu-Maiiroy, Moisant de Brieux, Cam- pion, Loret, etc. Nous ne fournissons pas une bibliographie sur cette question. Elle serait considérable. Nous n'ctudion^ ici que le rôle de Lignières dans la querelle de la Pucclle.
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Cinq-Diamants (i). Somaize, dans les alcôves, chante pouilles contre un niais dont il ne s'explique pas la faveur (2). Dans les couvents, les pères Dutuit et Le Vavasseur s'amusent à déclamer en grotesque les périodes héroïques où se combattent les mots. Fure- tière, en train d'écrire sa Nouvelle allégorique, con- sacre un paragraphe à railler le g-rand « podestat des terres épiques ».
Mais des attaques plus vives se préparent. La pre- mière est, à la vérité, plutôt inattendue. Elle émane d'un Gollègue de Chapelain à l'Académie, Louis Ha- bert, sieur de Montmor. Cet homme batifola jadis à l'Hôtel de Rambouillet et y passait pour un galant dangereux. Depuis cette époque lointaine, il s'est agrégé au parti des savants et il a fondé un cercle aux règlements étroils où l'on s'occupe de physique. II exerce la charge de maître des requêtes. On le croi- rait en conformité de pensée ou, tout au moins, de tendances avec Chapelain. Or, il prend plaisir, ayant lu la Pucelle, à donner son sentiment sur elle :
nia Capellani dudum exspectata puella Post tanta in lucem terapora prodit anus.
A peine cette épigramme a-t-elle circulé dans la société, que Lignières, enchanté, s'en empare. Il n'es-
(i)Bibl. SainteGeneolcve, ms. n" 3339, f" ùa, Sentiments de Rosteaa. (2) Somaize : La l'onij)e fanèl/re de Jf. Scarron, iGôo, p. i5.
64 LE CHEVALIER DE LIGNIÈUES
pérait point trouver, parmi les membres de la Compa- gnie académique, des alliés. Il ne veut point que ce latin précieux demeure inintelligible aux ignorants. Et il le traduit incontinent :
Nous attendions de Chapelain
Une Piicelle
Jeune et belle. Vingt ans, à la former, il perdit son latin
Et, de sa main,
Il sort enfin
Une vieille sempiternelle (i).
Peu après, sentant qu'il faut, pour débarrasser les ruelles de la gent pédante, frapper d'estoc et de taille et que les épigrammes sont insuffisantes à déconsi- dérer ces êtres bardés d'érudition, il entreprend une critique en vers et en prose de la Piicelle.U feint que celle critique lui a été demandée par une belle sou- cieuse de posséder son avis. Et il écrit La lettre d'Eraste à Pliilis sur le poème de la Piicelle (2)
Tout le cortège des savants, les Costar, les Conrart, les Gombault, le I\. Père Mambrun, et Boisrobert même, et l'Académie qui halète sur son Dictionnaire, reçoivent, en cette épistole, leur part d'imi)erlinences. Mais Chapelain est, de tous, le mieux étrillé. Ligniè-
(i) Annales poéliqncs, I783,XXV1I, p. 5.
(2) Paris, Chainhoudry, lOjO, in-Zj». Cet opuscule est devenu d'une extrême rareté. Nous en avons seulement trouve un exemplaire, sans litre, à la Biijliolhèquc de Troyes, D. 20jfj.
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 65
res le montre, depuis trente ans, s'essouffïant à écrire un vers et demi par jour, bouffi d'orgueil, elanant partout, pour parfaire cette tâche ridicule, les lii3éra- lités des grands. Il est, à son avis, un « filou de renommée et de pension », un voleur d'estime. Il a acquis la gloire par stratagème; il l'a escamotée « comme on escamote de l'argent ». Ayant friponne son libraire, il a aggravé son cas en friponnant le public. Si lui, Lignières, était confesseur, il ordon- nerait, pour châtiment de leurs fautes, à ses i)éniten- les, la lecture de la Piicells. Châtiment terrible, car celle Pucelle « épuiseroit la patience de Jol) ».
Puis, délibérément, le satirique entre dans la critique historique. En décrivant la misère de la France, Cha- pelain s'est montré à la hauteur de sa tâche, car ses vers sont appropriés au sujet. Il commet nombre d'impiétés en mettant dans la bouche de ses héros des paroles empruntées à l'Ecriture et en représentant les anges fuyant devant les démons. Il prodigue les anachronismes. Il ignore les principes mêmes de la fauconnerie. Il plagie les auteurs contemporains, Scarron entre autres. Il multiplie les « dictions pédan- lesques », les épithètes inutiles, les transpositions importunes. Son portrait de l'illustre lorraine est d'une prodigieuse sottise. Il représente, en effet, celle- ci comme tenant de l'homme et de la femme, c'est-à- dire comme étant hermaphrodite. Sa voix fait « taire
^O LE CIIEVALIEn DE LIGNIERES
les trompettes ». Les médisraits n'ont pas manqué de dire qu'elle était « forte en i^ueule ». Dunois, autre héros de Chapelain, après s'être montre piètre guer- rier, se montre pauvre amant.
En résumé donc, si ce poème est^ comme on l'a dit, une Iliade, c'est une Iliade de « méchantes choses ». Et Lignières ajoute :
Après une vie éclatante, La Pucelle fut autrefois Condamnée au feu par l'Anglois, Ouoy qu'elle fût très innocente : Mais celle qu'on voit depuis peu. IMérite justement le feu.
Quanta son auteur, âne, chimérique, hypocondria- que, il est utile de l'enfermer aux Petites-Maisons. Ainsi préservera-t-on le public de la suite que, témé- rairement, il promet à ces douze chants épouvan- tables.
Ainsi Lignières termine-t-il son pamphlet et, s'adressant à Ph'ilis, il lui déclare : « C'est une grande marque d'amour que d'avoir lu [la Pucelle] par [vostre] commandement... Ce témoignage indubitable de ma passion me devroil tenir lieu de dix ans de service. »
Cette fois, notre chevalier vit bien que ses invectives et surtout ses critiques avaient ému les pédants. Cha- pelain, à la vérité, afTectait de mépriser cet avorton
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du Parnasse; mais sa colère était d'autant plus vio- lente qu'un ami de Lig-nières^ dans une nouvelle Lettre, complétait les censures de ce dernier (i). Il chargea ses partisans de le défendre. Costar, pour le consoler, lui cita l'exemple « de tant d'autres poètes éloquents dont les escrits n'ont esté des morceaux friands que pour les taignes » (2). Un anonyme lança une Imprécation contre ceux qui parlent mal de la Pucelle (3). Enfin l'abbé Jean de Montigny prit la plume et traça la Lettre à Eraste pour réponse à son libelle contre la Pucelle (4).
Le thème général de cette réponse est que Lignières en attaquant Chapelain, a rendu un éclatant hom- mage à la Pucelle et s'est lui-même décrié. Son œuvre n'est que galimatias. On peut en retourner sans peine en faveur de Chapelain toutes les invec- tives. Lignières est un envieux, un jaloux. îl a voulu se signaler à l'attention publique « par un fameux attentat ».
En bon pédant, Jean de Montigny fait dans sa réponse le procès des Leaux esprits, de ceux que
(1) Lettre de M. L. D. C. à M. de Lignières, sur le Poème de la Pucelle, Paris, Chamlioudry, i65C, 10-4". Cette pièce rarissime a été mise en vente par la lilirairie Dorbon aîné. Nous n'avons malheureu- sement pas pu l'examiner.
(2) Costar : Lettres, i658, I, 253.
(3) Poésies choisies, iGfjG cl iG63, S*^ part. p. 33o.
(4) Paris, A. Courbe, i656, in-4.
08 LE CHEVALIER DE LIGNIKRES
jadis commanda Voilure et que Lignières, à son tour, aspire à commander. Il fait, en même temps, et ceci est plus grave, le procès des libertins. Il reproche au chevalier d'avoir appartenu au groupe de Cyrano, son « instituteur », et d'être encore l'ami des Das- soucy et des Montmor qui perpétuent ses pointes et son impiété. Ces gens sont si « bas et si indignes » qu'on ne voit rien « au dessous » qu'un « moine défroqué ». Il l'accuse, en outre, de propager l'athéisme et de faire courir dans Paris : La mort et la pafision de Nostrc-Seigneiir en vers burlesques. Enfin, et bien que lui-même connaisse à ravir l'art des injures, il l'incrimine de récolter à la place Flau- bert des quolibets et de parler la langue des tire- laine : « On peut dire que vous avez usé comme ces chiffonniers qui vont par les rues, ramassant toutes les ordures qu'ils rencontrent et les jettant toutes confusément dans leur hotte. »
Chapelain espérait qu'ailaqué avec une telle viru- lence, Lignières se tiendrait coi désormais. Il connais- sait mal son adversaire. En quelques jours, le cheva- lier élaborait une nouvelle diatribe, obtenait du bailli du Palais permission de la ])ublier et la livrait à son libraire Chamhoudry. La dispute pouvait ainsi se prolonger indéfiniment. Chapelain ne s'en souciait guère. Il avait trop à y j^erdre. Ayant api)ris, par des indiscrets, les intentions de son ennemi, il intervint
LE CHEVALIER DE LIGMLHES Gq
auprès du bailli et fit, en outre, intervenir le chance- lier Sêguier. En un instant, la permission d'imprimer était enlevée à Chamhoudry, et le chancelier lui-même remettait à son prolég-é le manuscrit du libelle saisi. Ce traitement arbitraire indigna Lignières et ses amis. Parmi ceux-ci la colère était si grande que Das- soucy, l'empereur du burlesque, en Avignon où il gog-uenardait à ce moment, résolut de venger le sati- rique opprimé par le magistrat. Au dire de Chape- lain, cet animal féroce donna terriblement du bou- toir contre lui. Mais il ne dis[)0sait, en ce monde, que de sa plume. L'auteur de la Pacelle avait, au con- traire, pour lui, les puissants pédants de la ville pen- chée sur le Rhône. Si bien qxxo le pamphlet de Das- soucy fut, comme celui de Lignières, saisi (i). Les voix indépendantes étaient ainsi étouffées. Il fallait que Chapelain fût glorifié en France pour y avoir introduit le g-enre épique. On songeait, en outre, à châtier Lignières. Le marquis de Coislin parlait bruyamment de pourfendre cet insolent et Monlausier de le berner (2).
(i) Chapelain : Lettres, édit. Taniizey de Larroque, 1880, passirn ; Abbé Goujel : Blbliotliéque française, 175G, t. XVII, p. 239-240. V. «aussi, sur celte querelle, //«e/f/«/u;, 1722, pp. 5i et s.; Baillet : Juge- ment des sçavans, 1722. V. 278 et s.; Irailh : Querelles littéraires, 17G1, t. I. pp. 320 et s. ; Kerviler : La Bretagne à l'Académie au XVII' siècle, 1875, passfVn; '^- Fat»re : Les ennemis de Cliapelain, 1888, passln; G. Collas : Jean Chapelain, 1911, passlm.
(2) Tiillemaut : III, 277.
70 LE CHEVALIER DE LIGNÎERES
Le médecin La Mesnardière, le R.. P. LeVavasscurct quelques autres allaient reprendre, avec moins d'esprit, la lutte contre Chapelain. Notre chevalier crut bon d'adopter momentanément une attitude plus cir- conspecte. Il ne reg-rettait rien de ses critiques, mais il craignait les coups de bâton dont il savait les sei- gneurs prodigues. Il avait aussi appris que quelques hauts [)ersonnages du parli galant, et notamment l'abbé de Boisrobert, que l'on nommait « le grand prêtre des ruelles » et le « directeur du royaume de coquetîerie », désapprouvaient sa méchanceté. L'abbé de Boisrobert, mis en cause dans sa Lettre, avait la répartie facile. Il pouvait, d'un mot, le ridiculiser à jamais. Il l'alla visiter afin d'en obtenir indulgence. Il résolut, en outre, de tenter, du côté de M™*^ de La Suze, une démarche insidieuse. Il lui adressa une lettre où il justifia sa conduite, déclarant, avec astuce, que le ciel l'avait suscité pour dessiller les yeux du siècle et pour abattre la tyrannie des pédants. Mais r^I'"" de La Suze le rabroua avec une merveilleuse ironie, défendant jusqu'à Costar dont elle ne pouvait endurer l'onctueuse flatterie (i).
Si bien que le chevalier était tout morfondu. Beau-
(i) Bibl. (le l'Arsenal, nis. w 5^20, f° 281 et 670, f" 505, Lignières à J/"»" (le la Suze; J/'"° de la Suze à Liginères. Ces deux docuincnls inédits ont été publiés dans notre volume : il/"'" de la Suze et la Société précieuse, 1908, pp. 228 et s.
LE CHEVALISK DE LIGMLRES 7I
coup, qui l'aimaient, l'engageaienl à la sagesse. Le sieur Samuel de Sorbières plaida même, en latin, auprès de lui la cause des pédants (i). Un autre, pro- bablement Etienne Martin, sieur de Pinchesne, neveu de Voiture, promit même de le raccommoder avec IVr°® de La Suze, s'il faisait profession publique de ses fautes.
A la vérité Lig-nières demeure, à Téirard des pédants, dans le même sentiment. Mais il ]ui plairait de retrouver, auprès de la douce amoureuse, l'accueil de jadis. C'est pourquoi il se décide, la fête de Pâques survenant, à confesser ses péchés au tribunal de la Galanterie. Il ne pense pas un mot de ce qu'il écrit, mais il l'écrit malgré tout :
... Un puissant remords me dispose
A demander dévolenient pardon
Au célèbre écrivain de la docte Pacelle,
Ce Socrale, ce bel esprit
Contre qui j'ai fait un libelle...
... Item devant tous je m'engage
X me jeter aux pieds du grand Gilles iMénag'e,
Des Doralises, des Sap!-os
Et de Conrart, ce secrétaire,
Que j'ai taxé de ne rien faire
Et que je me suis mis à dos...
(i) Samuel ds Sorbières : SebastLani Alelhophili ad Francisciim Ligneriiim EpisloLa. De vitnnda in scribendo acerbiiate et n/nplec- tendo sapienlia studio. S. L., 1O57, 10-4». Lettre datée du 3 janvier 1G57. V. aussi, Costar : np. cit., I, 875, 876.
72 LE CHEVALIER DE LIGNIERES
Coslar de même, et Gom-baull reçoivent des excuses.
El Lignières écrit encore :
Je supplie enfin ceux et celles Tant autheurs maslcs et femelles Sur qui j'ai répandu du fiel et de l'aigreur, De me pardonner de bon cœur.
Le poète espère que !a comtesse s'entremettra pour le réconcilier avec ses adversaires. Mais ce qu'il sou- haite au-dessus de tout, et il le lui demande « à deux genoux », c'est « de le mettre bien avec elle ». IM""' de La Suze simule encore du ressentiment. Elle regrellerait . cependant de prouver, par trop de cruauté, qu'elle est "inhumaine. Elle charge Pinchesne de faire prévoir, ])ar une réponse envers, sa prochaine clémence. Bien- tôt, en effet, Lignières se réjouit, rue des Trois-Pavil- lons, de reconnaître, sur les lèvres d'Henriette de Colig^ny, le sourire qui excuse l'enfant prodigue et qui lui [)romet des félicités durables (i ). Ménage, de son côté, consent à oublier les torts du chevalier (2). Les querelles s'apaisent peu à peu et Lignières profite de ses loisirs pour calmer son énervement dans l'orgie.
(i) Bibliothèque nationale, ms. n» 15120; Dibliotlièqiie de l'Arse- nal, nis. n« 3i35, f" ii3;Z,e.v Muses illustres, 1658, p. 3i8; Talloniant : VI, 323-324; Bourg-oin : Valentin Conrnrt, pp. 3/t7-348; LacluWre : La c/ironique des chapons et des gelinottes du Mans, 1907, pp. (/> et s.
{:>.) Jiibl. nat.nis. n" i5i25; Laclicvre : op. cit., p. 100. Mcnai;-<; ('1/e/m- (fiana, 1715, I, 117) écrit : « Quoi qu'il ail mal parle de moi,. je n'ai pas laissé depuis de le bien recevoir chez moi, mais (juckpie temps ai)rès il fît quelques insultes à des PP. Jésuites qui s'y élaienl trouvés en même temps que lui et je fus obligé de le prier de ne plus revenir. »
Chapitre sixième , où le chevalier de Lignières se réconcilie avec l'un de ses ennemis les pédants pour Vexcellence de ses poulardes mancelles et fait, avec quelques bons biberons, des festins dignes d^être chantés par un poète épique.
RÈs de mourir, A^oiture avait, par avance, maudit le sot qui publierait ses œuvres. Ce sot fut son propre neveu, Etienne Martin de Pinchesne. Il était fils de Barbe Voiture et de Raoul Martin, vendeur de marée et bourgeois de Paris. Tout jeune encore, il écrivait de mauvais vers et il continua, durant sa vie entière, à écrire de mauvais vers. Il avait le goût de la gloire et il savait que ses pauvres rimes ne lui procureraient guère l'admiration publique. C'est pourquoi il résolut, par tendresse familliale et par intérêt, de veiller sur la renommée posthume de son oncle. Celle-ci contribua à établir la sienne.
Il était d'une gaieté bruyante et, comme tous les
74 LE CHEVALIER DE LIGNIÈUES
membres de sa famille, il appréciait les repas plantu- reux. Parmi les emplois qui s'offraient à son aclivilé juvénile,leseulquilui parût digne de considération fut celui de contrôleur des cuisines royales, il en assuma, avec enthousiasme, les responsabilités. Et, peu à peu, le goinfre cohabita en lui avec le poète. Il prit l'habi- tude, avec ses collègues, les contrôleurs, de hanter les cabarets et, unissant leurs compétences culinaires, ils s'offrirent respectivement des banquets. Ils for- mèrent bientôt dans la capitale une troupe toujours en marche vers quelque rii)aille.
En ce temps-là, Martin de Pinchesne lia con- naissance avec le chanoine Costar. Celui-ci livrait à Balzac et à son porte-parole Girac un combat de plume en l'honneur de Voiture. 11 était naturel que Pinchesne participât à cette bataille. Il encouragea le pédant manceau et ils échang-èrent des épistoles. Et, comme il était à prévoir, écrivant à un homme qui habitait Le Mans, le poète se souvint que cette ville était la patrie des chapons. Si bien que, la familiarité des rapports le permettant, il le supplia de lui expé- dier, pour contenter sa gourmandise, quelques-unes de ces bestioles succulentes. L'autre comprenait fort bien, étant plein de sollicitude pour sa panse, que des gens enviassent les délices de son canonicat au sein du Mainfe, paradis des galimafrées, et fju'ils souhaitassent les partager. Il avait déjà pris la cou-
LE CHEVALIEU DE LIGNIKRES 7D
tume d'envoyer, aux personnages qu'il désirait cor- rompre, d'odorantes volailles gentement emmitouflées dans le lard. Il adressa donc à Pinchesne un convoi de chapons.
Lorsque celui-ci l'eût reçu, il se dit qu'à la vérité il était peu convenable d'en régaler les contrôleurs, ses compères. Voiture lui valait cette bienfaisance. On avalerait les volatiles en mémoire de l'épistolier, sur une table poétique, en compagnie de convives qui fussent les amis du défunt, ses admirateurs ou ses héritiers intellectuels. Il convia donc ceux-ci chez un fameux tri potier, le sieur Guille. Le médecin-poète La Mesnardière, Charpentier l'académiste, Paul Fréart de Chantelou, ancien propriétaire de Voiture, et son frère, l'esthéticien de Chambray, M. de Fontené et François Pinchesne se rendirent à son invitation. Le repas fut à ce point délectable qu'on en dressa une sorte d'acte officiel destiné à glorifier Costar, Mécène des ventres :
« Beuvant, bauffrant, riant, chantant, jurant sur vostre nom, écrit Pinchesne transformé en notaire bachique, s'escriant dessus vos escris, promettant, obligeant, renonçant, fait et passé en présence de tous les banqueteurs soubs-signez, ils ont tous affirmé le verre en main qu'ils ne se départiroient jamais de vostre amitié, n'abandonneroient point vos intérêts, et vous defendroient envers et contre tous au cas où
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LE CHEVALIER DE LIGNIKRES
quelque autre que Girac, voslre ennemi déclaré, eût la liardiesse de vous attaquer. »
Une académie bachique était désormais fondée, ayant pour protecteur Costar. Celui-ci comprit aussi- tôt {{uelle importance pouvait avoir pour sa réputa- tion la cohésion de cette troupe qui s'en allait clamant en tous lieu ses mérites, lui prodig-uant, en outre, les louaniies en vers et en prose. Et, pour entretenir son enthousiasme, il multiplia les envois de chapons et de gelinottes. Aux premiers convives s'étaient joints ])eu à peu tous les épicuriens qui chantaient, sur un air familier, ce distique savoureux :
Ou je suis ù la taverne. Ou j'y vais, ou j'en reviens.
Guillaume CoUetet et sa femme, l'illustre Claudine, Alexandre d'Elbène, Aubert, sieur de Villeserain, Des Barreaux, l'abbé François Tallemant, Ménage, du Molin, Pellisson, Scarron, Charles Rosteau et, parfois la comtesse de La Suze participaient mainte- nant aux ag-apes. Costar était, par eux, béatifié. 11 n'y avait point d'hyperbole dont ces plumes unies ne se rendissent, après boire, coupables. Pincliesne avait entrepris une Chronique des chapons du Mans et si le doux chanoine se fut présenté aux biberons atta- blés, on lui eut dressé un piédestal à l'aide des plais innombrables et superposés.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES 77
Comme cela avait été entendu, dès l'origine, on avait pris la défense du directeur de la basse-cour mancelle. Lorsque Lignières l'eut attaqué dans ses libelles et ses épigrammes, Pinchesne maltraita fort l'imprudent et lança contre lui des vers méprisants. Mais il éprouvait quelque regret à se conduire de cette sorte. Il savait que le chevalier s'était, en maintes occurrences, montré mangeur admirable et buveur héroïque. Il savait qu'il professait pour Voiture une ardente sympathie. Il le croyait digrne d'entrer dans son académie et capable de l'ilUistrer par des prouesses. Il fut tout heureux de le rencontrer chez la comtesse de La Suze, disposé à résipiscence. El son premier soin fut d'inform.er Costar de cette contri- tion. Il exagéra même un peu celle-ci, souhaitant obte- nir du i)Ourvoyeur de volatiles un pardon qui lui eût permis, sans remords, d'aaréger le satirique à son escouade famélique. Costar pardonna à moitié. C'en fut assez pour que Lignières assistât aux festins suivants (i).
Délibérément ensuite, Pinchesne plaida la cause de son récent ami :
« Encore ne faut-il pas (mon cher), écrivit-il à Costar, que ce Monsieur de Linières que quelques- unes de nos muses, un peu trop sévères et trop cha-
{i) Offerts par Charpentier et Pinchesne.
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grilles, défigurent si fort, vous passe pour ce qu'il n'est pas. Il n'est pas juste... qu'elles vous le donnent toujours pour un Movne Bourru ou pour une espèce d'anthropophage qui mord les hommes à belles dents estant encore tous en v^ie et, sous prétexte d'exter- miner tous les tyrans du Parnasse, semble les vouloir dévorer. C'est une fausse peinture de Li ni ères que celle-là, que l'on voudroit peut-être faire passer pour véritable à a'ous qui, confiné dans le Maine, ne voyés que de loin et comme par lu net! es d'approche ce qui se passe sur le théâtre du monde. Ne vous le figurez donc pas, mon cher Monsieur, je vous prie, sur les traits d'un si faux et vihiin portrait, croyés-cn vostre amy de Pinchesne qui n'est pas mauvais peintre, comme vous sçavés, et qui a'ous en veut donner une fîdelle peinture de sa façon qui vous le représente en son naturel... Je vous diray en bonne prose, que c'est un homme qui a un nez au visage comme les autres, qui a quelques dents en bouche assez belles, et dont il s'escrime fort bien (à table particulière- ment) dont je suis tesmoin, (jui a entre les dents une langue fort fine et fort friande à l'usage esgalement des bons mots et des bons morceaux (car il nous l'a bien montré), qui n'a point aux mains de vilains ongles, sales et crochus tel qu'un lîourru les pour- roit avoir, que, de ces mains-là, il ne décliii-e ])oint, mais découpe fort proprement les viandes pour les
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servir à ses amis, qui n'a point des habits ni des cheveux crasseux à la stoïque, mais beaux et long-s à la mode, et bien peignez, qui est fort bien mis et fort bien fait de sa personne, qui n'est point curieux de ling-e sale, mais du plus beau, du plus blanc et du plus fin, tant sur soy que snr sa table quand il met la nappe ; enfin qui est ce que l'on appelle poli, si non de la dernière politesse, au moins de ce qui en aproche de fort près. »
Pinchesne avait, pour entonner cet éloge, un motif péremptoire : Lignières lui avait rendu son dîner. Lignières n'avait pas voulu, en matière culinaire, se laisser surpasser par ses hôtes précédents. Ne disposant point, à leur exemple, des chapons de Cos- tar, il s'était ingénié à les remplacer par des mets si exquis qu'à les énumérer, Pinchesne, faisant en huitains la description de ce repas, se pourléchait encore les badigoinces.
On avait vu sur un table d'une propreté virginale, apparaître un rôti gigantesque et, parmi les salades d'oranges, surgir des faisans et des perdrix. L'entre- mets avait fondu dans les bouches comme un nectar divin. Les desserts semblèrent, saupoudrés de sucre, surabondants de confitures, faits pour aplanir dans les organes surchargés, le passage brutal des nourri- tures. Les vins furent si nombreux et si suaves que les brindes se multiplièrent. îl y en eut d'innom-
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brables et de fantasques. On lutta pour la suprématie de la capacité slomacalc. Jacques Pavot de Morangle s'emparant d'un vase d'or,
Grand comme la tasse d'Hector,
l'assécha en un instant. L'abbé. Tallemant emplit de vin d'Espag-ne un énorme pot de porcelaine et, d'une seule lampée, engloutit la liqueur pétillante. A son tour La Mesnardière, habitué, en qualité de lec- teur du roi, à régler son souffle, imita l'exploit de l'abbé. Alors, plus héroïques que leurs compères, les frères Pinchesne, se saisissant d'une aiguière aux flancs rebondis, la vidèrent tour à tour d'une baleinée. Ce fut une telle merveille que l'assemblée s'en énmt, croyant voir, dans la gueule de ces gargantuas.
Expirer tout le vin framjois.
Expédié le repas, les convives et Claudine Colletet, dansèrent, autour de la table saccag-ée, un branle joyeux. Ensuite, ajoute Pinchesne,
Ensuilte, estant las de baller, 11 fallut enfin s'en aller, Seuls et replets comme des i;rivcs. Par des chemins assez glissans, Faisant, en postures naïfves. Rire tant soit peu les passans.
Et ce ne fut pas la dernière fois, durant ces années bénies, que les I^arisiens virent, au i)etit malin, pas-
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ser la bacchanale titubante. Les dîners avaient lieu généralement le mercredi. François Martin, frère cadet de Pinchesne, donna le sien et Lignières le décrivit en alexandrins pompeux. Dans la chaleur du vin, il oublia à ce point sa haine des pédants qu'à son tour il célébra les mérites de Costar. Cette con- descendance scella définitivement leur réconciliation, car le chanoine du Mans, flatté, considéra désormais Lignières comme le plus galant homme de la terre. Et les oflfrandes de chapons furent plus abondantes qu'auparavant.
En mars i658, les bons ivrognes décidèrent de fêter le carnaval par un banquet plus magnifique que les autres. Cette fois, l'abbé Tallemant fut l'amphi- tryon et Guillaume Colletet le trouvère de cette épopée de la gueule. Tous, et Lignières entre autres, avaient jeûné à l'avance pour préparer un large terrain aux mangeailles épicées. Sur la table, admirablement parée, le potage disparu, entra, « de cardes couronné », escorté de rognons et émaillé de pistaches, un chapon si grandiose qu'on le supposa venu du royaume d'Utopie. Dorée et piquante au goût, une échinée aux pois défila ensuite accompagnée d'un bataillon serré de boudins blancs et de saucisses. On s'empiffra de ces « allumettes à vin », et de doux pâtés à la Maza- rine, et d'un canard naviguant dans la sauce. Et tant de poivre et de gingembre aromatisaient ces vie-
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tuailles qu'il fallut éteindre par des rasades l'inflam- malion des g-osiers.
Les lang-ues s'étaient déliées. On improvisa des madrig-aux et des .épigrammes. Savamment on invoqua Macrobe, Lipse, Plalon, Xénophon, Plu- tarque, et tous ceux, parmi Ics-anciens, qui chantè- rent la gloire des banquets.
Cependant, sur la table, majestueusement, s'arrêtait le rôli auréolé de lard. Un agneau, survenu ensuite, ne stationna qu'une seconde. Du plat où il paradait il ne fit qu'un saut jusqu'au fond des estomacs. On attendait, en effet, l'escouade légère des poulettes de grain, des pigeonneaux, cailletaux, faisandeaux et perdreaux. Elle se présenta allègre et souriante, et tandis qu'on l'envoyait rejoindre les viandes solides, on disserta sur les gibiers de la Grèce et de la i^aphla- gonie. Et l'on but au génie de Gostar, à sa bienfai- sance, à son éternelle renommée.
Quand trois assiettes de ragoûts entrèrent dans le cercle des bouteilles, il sembla qu'elles apparaissaient là pour symboliser l'image des trois Grâces. Elles précédaient les desserts, elles annonçaient l'émollienle douceur des sucres qui, succédant à la brûlure des poivres, donnent une raison nouvelle de biberonner. Les beignets et les massepains, les citrons, les écorces d'oranges confites, les poires de bon chrétien, les pourpres pommes d'a})i, les cerises framboisées
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nécessitèrent, en efTet, l'emploi véhément du vin d'Espag-ne. Et dès lors, il sembla à chacun que, par une bénévolence spéciale de la Divinité, un peu du paradis promis aux.justes flottait dans la salle (i).
Ainsi se terminèrent, en l'an i658, ces org-ies hebdomadaires. Elles se perpétuèrent dans la suite, mais la chronique de Pinchesne ne nous en a point conservé la relation (2). Lig-nières continua à s'y associer. Il est probable même que ses hauts faits en matière bachique lui valurent une haute illustration, car un poète champenois « de beaucoup d'esprit » et qui écrivait en latin, Gabriel Madelenet, lui-même fort expert à « caqueter le vin » dans les tavernes, lui dédia une ode charmante où sa muse s'évertue à louer la beauté d'un verre bien rincé (3).
(i) Bibl.nat., ms. n» ijiaj, passirn ; F. Lachèvre : op. cit. passini.
(2) Pinchesne resta l'ami de Ligrnières, comme on peut le constater par la poésie qu'il lui adressa, plus tard, dans ses Additions de quelques pièces nouvelles faites depuis l'impression des premières, s. 1. n. d. in-4°, p. ho.
|3) Gabrielis Madeleneti carminum libellus, i652, p. 87. Sur cette ode, V, Menaijiana, 17 15, II, 5o. Gourmand parmi les g-ourmands, à l'époque où il participait aux festins sus-mentionnés, Lig-nières, avec audace, reprochait sa friandise au fameux parasite Montmaur. V. Carpentariana, 1741, P- 6.
Chapitre septième, on Lignières, lâchant la proie pour l'ombre, abandonne J/'"'' de Montbel qui l'adore pour J/'"*' Deshoulières qui le dédaigne, pourchasse Jusqu'à Rennes une bretonne incorruptible et tombe dans les filets de Damoiselle Olive.
E même que Lig-nières avait tenu à se ménager l'estime de BoisrobcrL ([ui régnait sur les gens d'esprit, de même il tenait à ne s'alié- ner point le poète Benscrade qui présidait aux ballets du Louvre et passait pour un oracle dans les ruelles. Volontiers même il louait ce dernier :
Nos escrivains les plus iiisig-nes Ne sont pas capables ni dignes De vous déchausser les souliers (i),
lui écrivait-il. Il n'imaginait point un inslant que ces éloges pussent être considérés comme des bassesses. Benserade, comme Boisrobert, avait un long passé de g-alanterie. Les précieuses, murmurant ses bouts-
(i) Carpentarianci, ly/ji, p. 39'4.
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rimés malicieux ou ses Jouissances subtiles, éprou- vaient la sensation de savourer un sorbet à la crème. Auréolé de sa chevelure rousse, ce coquet avait emporté les suffrages féminins quasiment sans y song-er, et la reine elle-même, tant elle le prisait, lui avait fait présent de son portrait enrichi de diamants. Lig-nières l'envisageait donc comme un modèle et aspirait à suivre ses traces, peut-être même à le sup- planter dans le domaine de l'amour et de la fantaisie.
Mais Benserade, sur le chapitre de la satire où il excellait, usait de procédés moins brutaux que Lignières. Il disait aux seig^neurs, aux dames, à ses confrères leurs vérités en souriant. Il possédait un tact, une habileté, une finesse qu'une longue habi- tude de la cour lui avait donnés. Vainement notre chevalier s'efforçait de l'imiter sur ce point. Sa nature l'incitait à la violence. Il ne savait point dissi- muler la griffe sous la patte de velours.
Dans les ruelles, où il promenait sa morgue, il ne pouvait endurer la plupart des poètes, ses rivaux. Si, par exemple, il consentit à placer quelques gentil- lesses rimées en tête du volume du petit de Beau- chasteau, c'est parce que ce rejeton de deux comé- diens en vogue, âgé de dix ans, choyé par les pré- cieuses, ne gênait point son action amoureuse (i).
(i) La lyre du jeune Apollon ou la Muse naissante du petit de Beaachasteau, 1G57, Pour le petit de Beauchasteau, épigramme.
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Mais il avait, avec les galants plus âgés, de conti- nuelles querelles. Il haïssait_, en particulier, le sieur René Le Pays, qui, à l'aide d'innomiirables versicu- lets et épistoles, touchait le cœur sensible des dames. Ils se gourmèrent tous deux un beau jour :
— Vous êtes, lui dit Le Pays, un sot en trois lettres.
— Vous en êtes un, vous, répondit Lignières^ en mille lettres que vous avez composées (i).
Les petits collets qui se pressaient dans les alcôves et qui, mi-clergeons, mi-iaïques, loin de les inviter à la pénitence, dirigeaient les « caillettes » vers le péché dont ils étaient les bénéficiaires, l'exaspéraient aussi. Leurs phrases chattemiltes, entremêlés de vocables pieux, l'allure confessionnelle qu'ils donnaient à leurs entreprises sentimentales, déchaînaient sa colère. Contre l'un de ces abbés, réfraclaire au sacerdoce, qui lui déniait tout esprit, il lança l'épigramme célèbre :
Un jeune abbé me crut un sot Pour n'avoir pas dit un seul mot : Ce fut une injustice exlresme, Dont tout autre auroit appelé. Je le crus un grand sot lui-m'-me, Mais ce fut quand il eut parlé (2).
Ainsi déconsidéra-t-il cet imprudent. Il lui suffisait
(r) Mp.nngiana, 171.'), III, 1/17; Anecdotes lillérnires, y-i'y-i, II, i05.
(2) Recueil des plus belles épigrainiiies des pnèles frauçois depuis Marot Jusqu'à présent, 1698, I, 3oi; Nouoeau recueil des épiijram- matistes français, 1720, II, 37'»; Annales poétiques, i-^H^i, XXVH,p. 7.
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souvent d'un mot pour que la victime de ce mot n'osât plus paraître dans le monde. Un homme de qualité crut, un jour, devant lui, s'attirer l'admiration générale en jetant en l'air des cerises qu'il rattrapait ensuite dans sa bouche ouverte.
— Quel est le dogue qui vous a appris cela.. Mon- sieur? lui dit Lig-nières ag"acé (i).
Et l'homme de qualité dut s'enfuir sous la risée des dames qu'il pensait émerveiller. Les précieuses intel- ligentes étaient reconnaissantes à notre chevalier, de les débarrasser des niais qui pullulaient dans leurs maisons. Quelques-unes d'entre elles formaient un petit groupe qui imitait aux alentours de Saint-Ger- main-l'Auxerrois. Lignières, logé dans le même quar- tier (2), avait depuis peu découvert leur royaume et s'y était tout de suite senti à l'aise. Les reines de ce
(i) Carpenlariana,i-i'Ai , p. iqA- Une Anthologie des Ecrivains fran- çais, Poésie, XVIl" siècle, Paris, Larousse, 1912, p. 99, attribue à Lignières une épitaplie de Mazaria fort iasolente. Cette épitaplie parut dans Le Tableau de la vie et du gouvernement de Mes- sieurs lescardinaux Richelieu et Mazarin, 1698. Rien n'indique qu'elle soit de notre chevalier.
(2) Charles Sorel : Œuvres diverses ou Discours nieslez, iG63,p, 347, le spécifie. Lignières habita dans la suite, rue Saint-Louis, au Marais, puis rue Coquille, (Actes précités des 10 mai 1667 et 2 juin 1673], puis rue de la Huchette (R.acine : Œuvres, édit. des Grands Ecrivains, t. VI, p. 536). Au dire de M""" de Montbel, il changeait souvent de domicile :
Il fait en moins d'un an plus de douze maisons.
Son frère habita successivement rue de la Monnaie et rue des Fossés, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois.
88 LE CHEVALIER DE LIGNIÈUES
royaume s'appelaient Louise Taveau de Mortemer, dame de Monlbel, et Antoinette du Ligier de la Garde, dame Deshoulières.
On peut aisément imaginer comment il les avait connues. En Tan i653, Michel de Marolles, abbé de Villeloin, publiait une traduction des satires de Juvé- nal et de Perse (i). Gaston d'Orléans s'intéressa, on ne sait pour quelle cause, à celte mauvaise traduction. Il en voulut connaître raul(?ur et lui dépêcha son gen- tilhomme, Jacques Payot, sieur de Morangle, frère de Lignières. L'abbé de Marolles, homme aimable, plut au messager de Monsieur. Tous deux se lièrent d'amitié et Jacques Payot procura à notre chevalier la connaissance du traducteur (2).
Une étroite sympathie s'établit bientôt entre ce der- nier et Lignières. Or Michel de Marolles était parent
(i) Les satyres de Javênal en latin et en français, de la traduction de M. D. M. A. D. V. Paris, Guillaume de Luyues, i653, in-8; Les satyres de Perse en latin et en français, de la traduction de M. D. M. A. D, V. Paris, Guillaume de Luynes, i653, in-8.
(2) Michel de 'MavoWts,: Mémoires, i65G, I, 19/1; 1607,11, 244. V. aussi l'édition de 1755, t. I et III, où Marolles parle de Lig'nicres dans les termes les plus affectueux. Marolles consacre également quelques rimes à Lig^nières dans ses Quatrains, s. d., p. 08.
Linières. esprit franc, qui, selon ton caprice, Ne sais rien di-guiscr tians les A'crs que lu fais, Mais «lui les fais si bien (jue l'on n'en vil jamais D'ailleurs de plus polis avec moins d'artilice.
Lebret: op. cit. Préface, cite Marolles parmi les amis de Cyrano; mais peut-être Lif^nières n'avait-il pas rencontré cet abbé à l'époque où il était en relations avec 'c pliilosopbc.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES 89
par alliance de M""' de Monthel. Il n'introduisit pas son ami chez celle-ci, mais il l'amena chez un homme bizarre, Charles Sorel, sieur de Souvig-ny, en lequel notre héros, rencontra, à la fois, tant de finesse et d'esprit qu'il se prit pour lui d'une vive admiration. Charles Sorel méritait d'ailleurs cette admiration. Romaniste {i) fécond il fut peut-être, avec Scarron, le seul écrivain réaliste du xvn'' siècle. Il était l'ami de toutes les précieuses dont, mieux que Molière et que Somaize, il pénétra l'âme frivole. On ne savait, au juste^ quel était son sentiment à leur ég^ard, s'il se plaisait dans leurs ruelles ou s'il ne fréquentait celles- ci que pour en railler les jeux et les coutumes. Il se fit, dans tous les cas, l'annaliste de cette société et, dans d'innombrables volumes, il tînt, quasiment au jour le jour, non sans persiflag-e, la gazette de ses assemblées.
C'est à lui, plutôt qu'à Michel de Marolles, que Lignières, ayant entendu vanter l'esprit de M'"' de Montbel, demanda de lui ouvrir la ruelle de cette jeune veuve. Charles Sorel acquiesça aussitôt à ce désir. Depuis sa querelle avec Chapelain, le chevalier avait conservé son pseudonyme d'Eraste. Le romaniste conjura donc M™*^ de Montbel de recevoir Eraste. Mais il est probable que celui-ci avait souhaité être
(i) Romancier.
■QO LE CHEVALIER DE LIGNIEUES
admis à la faveur de la courtiser plutôt que de la connaître, car elle répondit avec méfiance. Erasie pas- sait en effet, non sans raison, pour un homme instable dans ses amitiés. Sorel alors s'ingénia à dissiper cetle -appréhension :
« On remarque, écrivit-il, ce que [vaut Eraste] à le voir et à l'entendre parler. Je ne demande pour lui (jue la permission d'une visite. Vous jugerez par la première s'il ne méritera pas bien d'en faire une seconde et plusieurs autres ensuite. Il est toujours charg-é de mille g-alanleries nouvelles qui font le divertissement des bonnes compagnies et, pour sa personne, si l'on la hayt sans l'avoir veue, je ne pense pas qu'il en soit de mesme en la voyant (i)... »
Eng-agée de la sorte à envisager un galant si par- fait, M'"*' de Montbel ne se pouvait refuser plus long-- temps à inviter Lignières. Celui-ci ne cacha point, la voyant, sa satisfaction. Coquette et souriante, elle éta- lait, sur son lit de parade, un corps aux lignes char- mantes quoique légèrement épaissi par l'embonpoint. Son visage surtout plaisait. Une admirable chevelure d'or en idéalisait le teint rosé et les traits délicats. D'immenses yeux bleus l'imprégnaient de leur calme douceur.
Lignières, dans ce visage, remarqua le nez de la
(i) ClK.rles Surcl : oj). cit., p. 3/|G, Recommanda/ion d'un aniij.
LE CHEVALIER DE LIGNIERES 9I
dame « grand et majestueux » et la bouche qui, depuis long-temps privée de cai^sses, semblait, sen- suelle et vibrante, les quémander. Tout de suite il convoita ces lèvres entr'ouvertes sur des dents fin'es (i). Et cela le prédisposa à l'amabilité. Au reste M""* de Montbel n'était point une prude farouche. Elle s'occupait uniquement de questions amoureuses qu'elle développait parfois en stances légères. On lui prétait l'intention d'élaborer, à l'usage des ruelles, sous le titre Le Code de ramitié, wn recueil de lois et de préceptes galants (2).
Une telle jurisconsulte de l'Amour ne pouvait se formaliser qu'on lui tînt des propos en harmonie avec ses pensées. Lignières, dès les premières visites, sut la capter, par sa cajolerie constante et sa gentillesse maniérée. Il se rendit bientôt compte qu'elle n'atten- dait, sur cette terre, de félicité que du cœur et des sens, et qu'elle le prisait, et qu'elle aspirait à voir souvent son visage rieur.
M™^ de Montbel ne dissimula d'ailleurs pas à Char- les Sorel quelles sensations heureuses lui procurait son ami. Et Charles Sorel, avec malice, dans ses lettres, attisait les désirs naissants. Il disait :
(i) Recueil des Portraits et éloges en verset en prose, dédié à S.A. R. Mademoiselle, 1C59, i" partie, p. 2S-], Portrait de J/"^» de Montbel fait par M. de Lignières. V. aussi, Somaize : Dict. des Prélienses, 1661, avl.Mélanire.
(2) Ch. Sorel : op. cit. p. 352.
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« Il me semble qu'Eraste est assez bien fait de sa personne, qu'il a les cheveux si beaux et si longs que d'autres ont bien de la peine à les égaler avec leurs coins (i) et leurs perruques. Pour ses habits, ils sont toujours des plus à la mode et l'une de ses dépenses les plus signalées est en garnitures. On ne peut guère s'ennuyer avec lay pour les choses diverses qu'il dit, et comme il sçait chanter et faire des vers, il n'y a point de courante ou de sarabande qui ayent cours qu'il n'y fasse aussi-tost des paroles, tellement que sa compagnie est fort commode à ceux qui ayment la joye... Ce qui plaist le plus aux dames, c'est qu'Eraste ne les repaist pas seulement de chansons. Quand il les trouve à son gré, il leur donne le bal et la colla- tion pendant l'hiver, et toutes les belles journées de l'esté sont dédiées à ses j)romenades et à ses cadeaux. Il a bon carrosse, dont le cocher sçait mieux le chemin de Saint-Cloud que de tout autre lieu (2). Les traic- teurs le connoissent comme une de leurs meilleures pratiques et luy donnent toujours la meilleure cham- bre. De vous dire s'il mènera long-temps une telle vie, c'est ce que je ne prétens pas déterminer. Mais je
(1) Faux-cheveux.
(2) Lignières écrit lui-même :
Et les bons villag'cs que j'aime C'est Uiicl, Boulog-ne et Sl-Cloiid.
(Poésies choisies, 16G0 et iGl)i}, 5- part., p. 33.)
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES qS
VOUS asseureray qu'il acquiert par là une réputation qui le rendra célèbre aux siècles présens et aux futurs. Or, jugez si un honrime comme luy ne fait pas bien du fracas dans un quartier où il se loge et si toutes les Dames qui veulent bien qu'on les divertisse, ne sont pas fort aises d'acquérir sa connoissance? Cepen- dant on ne l'a pas quand on veut, et il échappe sou- dain à ceux quicroyent le mieux tenir (i)...»
Rien n'attire vers un galant la tendresse d'une femme comme la certitude que d'autres femmes rêvent de lui appartenir. M'"'' de Montbcl, après quelques semaines de fréquentation, entendit volon- tiers le goût de Lignières se prononcer pour elle. Mais dans sa ruelle où batifolaient l'abbé de MaroUes et l'abbé Cotin, elle avait eu la maladresse d'intro- duire des rivales. L'une, à la vérité, Angélique Petit, ne risquait point de lui dérober son amant. C'était une sorte d'amazone, maniant l'épée et la plume, savante en toutes sciences, disputant tantôt de bla- son, tantôt de médecine et tantôt de mathématiques, querellant les pédants sur tels textes latins, italiens ou espagnols, jouant de tous les instruments de musique, dansant, dessinant, sachant, comme un reitre, tenir les gobelets et lancer les dés. On la disait chaste et volontiers cruelle. Elle assemblait les docu-
(i) Ch. Sorel : op. cit., p. 388 et s.
94 LE CHEVALIER DE LIGMÈRES
ments d'un ouvrage g-alant : U Amour escliapé, dont on prédisait merveilles. Grande et belle, elle traversait les compagnies avec une allure de reine.
Lig"nières la considérait avec une ardente curiosité. Elle était comme M"'" de Montbel, blonde, mais d'une blondeur cendrée et ses yeux céruléens étaient pleins de mystère. Le chevalier ne la désirait point. Il sou- haitait simplement la contempler dans sa nudité. Dans portrait qu'il a tracé d'elle, il écrit :
Je prendrai, quelque jour la liberté de voir
Vos tétons merveilleux que recouvre un mouchoir;
J'en brûle de désir, mon âme en est pressée,
Et, les voir seulement des yeux de la pensée,
C'est pour faire enrager un amant tel que moi.
... Si j'en puis toutefois parler par conjecture,
C'est un des plus beaux seins qu'ait produits la nature.
Il est blanc, il est rond et plus dur qu'un rocher ;
Quand vous me gronderiez, je prétends y toucher (i).
Il est vraisemblable qu'il n'y toucha jamais. D'ail- leurs, nous le répétons, cette jouvencelle marmo- réenne lui inspirait un médiocre appétit. M™*' de Montbel ne s'inquiétait guère des flatteries que lui adressait sa plume. Mais dès que M"^"^ Deshoulières
(i) Recueil des PorlrnUti et Eloges précité, iGSq, i" part., p. 271, Portrait de Mlle Petit, fait par M. de Lignières. Sur celle personne, V. notre livre; ^frne de la Suze et la société précieuse, upS, p 129- \?iO. Dans l'Amour eschapé, Lig^nières fig-ure sous le pseudonyme de Prothesiias. V. p. 352.
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eut pénétré dans sa maison, elle comprit que c'en était fait pour elle de l'espoir.
La jeune femme revenait des Pays-Bas où elle avait subi, sur l'ordre du prince de Condé, un rude empri- sonnement au château de Vilvorde en compag-nie de son mari, soupçonné d'avoir voulu livrer à la France la place de Rocroi dont il était gouverneur (i). Elle s'était évadée de cette forteresse dans des circonstan- ces romanesques et l'on prétendait que M. le Prince et les grands d'Espagne lui avaient témoigné une pas- sion demeurée sans résultat. On la disait fidèle à son époux, froide et dure, peu encline au sentimentalisme. Elle écoutait d'une oreille distraite les déclarations. Disciple de Gassendi et épicurienne, elle affectait, en matière de religion, tantôt l'incrédulité, l'athéisme, la brutale négation, et tantôt elle s'abandonnait à des délires de foi. Elle vaguait dans l'incertitude et l'in- cohérence.
Lignières, libertin endurci, la séduisit précisément par son libertinage. Elle se divertit à attirer chez elle
(i) L. Galesloot : Jlrne Deshoiilivres emprisonnée an château de Vilvorde... 1866. Ce fut biea par ordre du prince qu'elle fut empri- sonnée. L'auteur de cet ouvrag-e le prouve. Nous avons nous-mème trouvé à la liibl. nat. ms. n» 6721, f» 30, une lettre du prince (23 mai 1607) Qui est formelle sur ce point : « J'ay résolu d'envoyer la femme de Deshoulières à Vilvord. Je vous prie pour cela de demander un ordre à M. le marquis de Caracèue pour le châtelain dud. Vilvord afâû qu'il ne face point de difficulté de la recevoir. » Si, comme on l'a prétendu, Condé était son amant, il montrait une sing-ullère duretci
gÔ LE CHEVALIER DE LIGMÈRES
cet homme que les dév^ols vouaient aux gémonies. Elle en attendait des propos émouvants. Mais il passait le temps, en sa compag-nie, à la regarder et à la con- voiter. C'était une éclatante brune tantôt mL^lancoliqne et lang-uissante et tantôt animée d'un feu intérieur. Grande et souple, le visag^e illuminé par des yeux vifs et par un sourire tendre, elle minaudait parfois comme une coquette et parfois elle se montrait loin- taine, glacée, pleine de réticences. On ne savait que penser d'elle, et si elle était accessible à la passion ou bien si elle était, au contraire, fermée même à l'ami- tié. Enigme vivante, elle intimidait notre chevalier. Tout ce qu'il avait vu d'elle, en dehors de son visage, ses seins menus, fermes et ronds, ses épaules aux courbes exquises, ses bras au carnations satinées, ses mains dont elle prenait un soin minutieux stimulaient son vœu de faire sienne et de savourer cette proie délicieuse. Mais il n'osait manifester par des paroles précises ce vœu. Toujours les mots s'arrêtaient au bord de ses lèvres. Elle avait d'ailleurs de rudes moyens de défense et une façon d'écarter les galan- teries que le chevalier n'avait rencontré chez aucune autre femme.
La duchesse de Montpensier avait, depuis peu de temps, lancé la mode des portraits. Dans toutes les ruelles, les précieux et les précieuses étaient occupés à s'entre-i)ortraiturer. Lignicres dessina, par pitié,
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l'imag-e de M™*^ de Montbel. Il s'ingénia, au contraire, en des vers polis avec art, à louer la beauté de M"*^Deshoulières. Il espérait ainsi toucher cette déesse au cœur glacé. Il n'en reçut même pas un compliment. A deux reprises, il recommença la même besogne sans obtenir davantage (i).
Par dépit, il se détourna de ce modèle, et, se con- templant dans une glace, il écrivit son propre por- trait. Il le voulut faire sincère et exact. De fait l'astuce s'y mêle à une singulière vanité. De ses dires, il ressort qu'il était mince, de taille moyenne et qu'il marchait sans grâce, à la manière des cagneux :
On m'accuse, en marchant, de tendre un peu le cul.
Mais les faunes ont davantage besoin d'agilité que d'eurythmie. Lignières détaille avec complaisance les traits de son visage. Ses yeux noirs, bien qu'un peu enfoncés dans l'arcade sourcilière, sont pleins d'esprit et de tendresse; son nez aquilin décèle, malgré ses proportions excessives, l'intelligence. La bouche serait appétissante si les drogues des charlatans n'en avaient gâté les dents. Sa chevelure, il l'a souvent répété, sa
(i) Recueil des Portraits et Eloges, i" part., p. 290; 2« part., p. 3o. Dans le même volume se trouve ég-alement un Portrait d'Amarante envoyé à Mme Deshouiliêres. On a voulu y voir, sans motif plau- sible, un portrait de Mme Deshoulières. V. également, même Recueil, 2" part., p. 294, un Portrait de Lisette, probablement femme de chambre, attribué à Lig-nières.
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blonde et épaisse chevelure le dispense des perruques disgracieuses. Et, dil-il,
Et quand je suis poudré, eu toute la nature, On ne voit rien do beau comme ma chevelure,
Celle-ci cache malheureusement une tête quasi sans cervelle. Mais il ne s'en plaint nullement. Il vit à sa guise, désintéressé des affaires d'autrui, peu soucieux de gravité et de jugement. Je suis, ajoute-t-il,
Je suis ne fort galant et ne puis estre un jour Sans conter des douceurs et sans faire l'amour. La charmante Vénus préside à ma naissance... ...Autrefois, mon amour ne duroit qu'un instant. Plus léger que le vent, plus changeant que la lune, J'allois en un moment de la blonde à la brune.
Il aimait, à la fois, cinq ou six maîtresses :
0 Dieu ! que j'estois fourbe et bon comédien ! Que je savois bien feindre et que je pleurois bien !
Il est maintenant plus honnête homme, plus stable dans ses sentiments. Il n'aime que trois femmes à la fois, car
Rendre fixe mon cœur, c'est fixer le mercure.
On lui reproche d'être fort indiscret, de publier aussitôt les faveurs qu'il a reçues. Il s'en défend à peine. Cela a peu d'iniporlanco. Il est libéral avec les femmes. Il danse et chante avec aisance. Il est d'humeur variable, tantôt spirituel et gai, tantôt
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bilieux et morne, quelquefois même — rarement — timide. Il supporte et pratique la raillerie. Il a beau- coup lu. Il sait le latin, le grec, l'espag-nol, l'italien, peu de philosophie, encore moins de théolog-ic et autres sciences. Il est déférent envers les savants, féroce avec les fanfarons, les hypocrites, les pédants. Enfin, et ces rimes sont de nature à lui nuire dans l'esprit de ses contemporains, enfin écrit-il :
La lecture a rendu mon esprit assez fort Contre toutes les peurs que l'on a de la mort, Et ma religion n'a rien qui m'embarrasse. Je me ris du scrupule et je hais la grimace (i).
Ce piquant portrait dut plaire, cela est probable, à jyjme Deshoulières qui goûtait la sincérité. Pour M™*^de Montbel, les mois passant, elle en aimait davantage l'original, tout en se maudissant de s'être abandonnée à ce sentiment invincible. A l'heure où Lignières, détourné d'elle peut-être pour la seule raison qu'il l'avait possédée, allait vers celle qui le dédaignait, elle ne songeait qu'à le poursuivre de ses plaintes. Elle ne se rendait pas compte qu'ainsi elle l'éloignait davantage L'espoir vivait en elle. Elle croyait en la vertu des récriminations. Et sa plume se lamentait sur le papier. Elle aussi, n'ayant plus que des souve- nirs, souhaita au moins les fixer et le chevalier fut
(i) Recueil des Porirails et Élofjes, i" part., p. 259, Portrait de M. Lignières fait par liii-inesme.
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portraituré par son amante désolée. Ce portrait n'est pas, à la vérité, un portrait, mais un hymne où le chagrin se mêle à l'ivresse :
J'ai dépeint ton esprit assez bien, il me semble. Mais je veux que ton corps à ton esprit s'assemble Et, pour éterniser leurs célestes accords, 11 ne faut point cacher leurs plus rares trésors. Ton âme, ô beau Tyrcis, à ton corps bien unie Compose une charmante et divine harmonie.
Doucement, avec quelle mélancolie! M™^ de Montbel se rappelle les musicales inflexions de sa voix mur- murant le : Je t'aime, qui ponctuait les félicités de l'étreinte. Et chacun de ses vers précise une perfec- tion de cet être équivoque, fuyant, impalpable comme une ombre (i). •
Cependant Lig-nières, insensible à cette désolation, avait, auprès de M"'® Deshoulicres, substitué la parole à l'écriture. Il la conjurait maintenant sans cesse d'exaucer sa prière. Elle avait en lui un alcôviste agenouillé et qui maigrissait de se heurter à cette farouche rigueur. Avec bienveillance elle le laissait plaider sa cause et, quand il la supposait gagnée, ellel'écartait du chemin de la pastorale où les femmes ont trop aisément la « cotte verte », pour le diriger
(i) Recueil de Portraits précité, i" part., p. 287. V. aussi Somaize : op. cit., art. Dioclée, qui précise la rivalité de M'"" de Moutbel et de M'"" Deshoulièrcs.
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sur les routes de la philosophie cartésienne. Une fois seulement elle consentit à le suivre, en compagnie d'autres personnag-es, sur un bateau enguirlandé de fleurs où s'embarquèrent des musiciens. Ils s'en allèrent ainsi jusqu'à Mantes-la-Jolie. Ce voyag-e, sans incidents, fut d'une pitoyable monotonie. Lig-nières avait espéré trouver en route l'heure du berg-er. Il n'y rencontra que nasardes et, de rage, il se grisa de vin. Et, au retour, son inhumaine lui imposa l'oblig-ation de faire en vers la relation de cette promenade (i). Si bien qu'à la Qn, fatig-ué d'entendre M™^ de Mont- bel g"émir, lassé de quémander à M"'" Deshoulières un bien qu'elle g-ardait pour son époux, il résolut de se débarrasser de l'une et de se guérir de l'autre. Préci- sément une jeune Bretonne, de passag"e à Paris, repoussait, à l'exemple de M'°^ Deshoulières, ses requêtes tendres. Ayant appris qu'il tenait au jour le jour une Gazette g-alanle où il mentionnait ses exploits amoureux et le nom des héroïnes vaincues par lui, elle ne se souciait pas de lui fournir un article nou- veau. Elle annonça même son départ pour se délivrer de son importunité. Elle ig-norait la ténacité du che- valier. Lorsqu'elle se présenta à l'hôtellerie des coches, elle le vit installé dans la voiture qui Fallait emporter jusqu'à Rennes. Elle fît contre mauvaise fortune bon
(i) Poésies choisies, 1660, 5° part., p. 217. Le voyage à Manies, à j/luc Deshoulières.
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cœur. Au surplus Lig-nières serait-il un compagnon de vojag-e plus agréable que quelque marchand de cidre ou quelque dévole encapuchonnée dans ses coilles.
Arrivée dans la ville bretonne, elle ne song-ea point à lui être clémenle. Elle voulut cependant se glorifier de sa conquête et elle invita ses compagnes à contem- pler le muguet parisien que les ruelles encensaient à l'ég-al d'un dieu. Il n'était pas homme à demeurer immobile parmi ces pecques enfiévrées. Ayant apporté force justaucorps de brocart, il les éblouit de son élé- gance. A chacune d'elles, il adressa des « poulets » incandescents. Vidant sa bourse, il ofl'rit à celle qui en était privée un bijou dont elle avait envie, à telle autre des sérénades, à telle encore, dans la campagne ren- noise, des collations et des cadeaux. Si bien qu'il augmenta de chapitres entiers les pages de sa Gazette galante.
Et toutes éprouvaient en sa compagnie de si grandes félicités ffu'à la fin elles s'unirent pour le garder, malgré les protestations des époux qui menaçaient de la bastonnade ce freluquet trop aimé. Mais Lignicres ne souhaitait point devenir citoyen breton. De Paris d'ailleurs, Charles Sorel avait envoyé, de la part des dames, une épîlre en style « du royaume de Logre » au « très beau, très preux, très amoureux et très magnifique chevalier Eraste ». Il lui marquait leur consternation de son absence. Elles ne comprenaient
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pas qu'il préférât à la capitale la contrée sauvag-e où il s'était réfiig'ié. Elles le supposaient enchanté par quelque magicien, transformé en arbre ou en pierre, ou bien encore enchaîné dans un château inaccessible. La nymphe des Vergers (M"« des Jardins) se mon- trait parmi les plus affligées. Toutes réclamaient son retour et même pensaient qu'il reviendrait sur un vaisseau chargé d'or et de pierreries (i).
Une telle missive devait toucher Lignières. Il n'avait point réussi à conquérir son inhumaine, et les Bre- tonnes plus sensibles l'avaient, en un mois, à ce point assiégé qu'il perdait la force et le souffle. Il se sépara donc de celles-ci sans regret. Bien qu'il n'eût encore que trente-deux à trente-trois ans, il vieillissait pré- maturément; ses excès étaient cause de cette fatigue physique. Des fils blancs enlaidissaient sa chevelure. Mais il ne voulait point demeurer en repos.
Dès son retour à Paris, délaissant encore M""® de Montbel et M"!'- Deshoulières, il s'en alla papillonner dans le jardin d'une belle où se réunissaient, pour galantiser, blondins et coquettes. On le fêta. Et parmi les dames empressées autour de lui, il remarqua l'une d'elles. Elle était nouvelle venue dans la compagnie précieuse et elle se nommait Olive. C'était une fille génie et fort madrée. Elle lui agréa et, tout de suite, il
(i) Charles Sorcl : np. cit., pp. 388 et s.; Poésies choisies, 1658, 4" part., pp. 279 et s.; Iteciieil de porlrnits précité, 2" part., pp. 35 et s.
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désira consig-ner son nom en son journal g-alant. Elle ne paraissait point farouche. Elle répondait à ses invites.
Les jours passèrent et cette fieffée coquine enflamma le cœur du chevalier au point que, comme elle le lui demandait, il lui fit, pour la mieux tenir à merci, une promesse verbale de mariag-e. Il espérait que, comme ses pareilles, elle apaiserait ainsi ses scrupules ; mais quand il voulut outrepasser les caresses banales, il trouva la matoise sur la défensive; et cela doubla son ardeur. Il consentit à venir chez demoiselle Olive où père, mère, parents complotaient d'en faire un mari par force. On avait, au préalable, caché, derrière des rideaux, des témoins complaisants. On lui fit avouer son amour et renouveler sa promesse de mariag^e. Et quand il eut confessé l'un et confirmé l'autre, on le mit en demeure de monter dans un carrosse et d'aller chez le notaire. On avait préparé à l'avance un contrat. Il eut l'imprudence de le sig-ner.
A son sens, tout ceci n'offrait point d'importance. II l'accomplissait dans le but de s'emparer de demoiselle Olive, d'en avoir « des baisers infinis, la g'org-e, etc. ». Mais les jug-es ne plaisantaient pas avec les promesses de mariag-e. Le chevalier s'était mis dans l'oblig'ation d'épouser ou de payer une ruineuse amende. D'ail- leurs demoiselle Olive n'accordait rien de plus qu'au- paravant :
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Moy, qui croyois, par là, tromper cette tigresse, Et devenir après maistre de son esprit, Je n'apprehenday point de coucher par escrit, — Pour avoir le bonheur de coucher avec elle, — Que l'iiymen la rendroit ma compagne fidèle. J'eus beau dire, beau faire et beau la cajoler. Mes soupirs ni mon soing' ne purent l'ébranler. En cette occasion, je vis toujours [Olive] Ferme sur la défense et sur la négative.
Quand les ruelles apprirent son eng-agement, elles furent stupéfaites. M"^ de Scudéry le traita d'insensé. INIais sa famille heureusement veillait. Sa sœur, son beau-frère ne voulaient aucunement qu'il épousât une fîUe sans fortune. Ils allèrent supplier le curé de la paroisse de ne pas publier les bans. D'autres parents dont l'un « vertueux, prude et dévot » et l'autre, fort expert « en l'art de Thémis », s'entremirent. Contre le premier notaire, on lança un second notaire, un procureur, un avocat. L'affaire prenait une tournure judiciaire. Le chevalier allait s'enfoncer dans la pro- cédure. Il préféra laisser à d'autres ce soin. Un beau jour, on apprit qu'il s'était retiré à Senlis, sa ville natale. Bientôt les ruelles reçurent des nouvelles de lui. Elles apprirent que, là-bas encore, il courtisait les Chloris et les Silvie. Il ajoutait :
Le nombre en est petit en ces rustiques lieux.
Alors on ne le plaig^nit plus. On songea même à le railler. Sur le modèle de la Carie du Royaume
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d'Amour de Tristan Lhermile, on bâtit à son intention la Carte du Mariar/e et Sorel la lui envoya. Il y vit toute son histoire, et comment ayant voulu, des contrées de Confidence, Amitié, Société, s'eng-ager sur le fleuve cV Amoureuse volupté, il fut ol)lig-é, par des vents contraires, de se dirig-er vers Mariage, ville régie par des lois sévères. Le voyage ne lui plaisait guère. On rencontrait sur le chemin les mornes bour- gades de Promesse de bouche, Promesse par écrit. Contrat, Conférence de Parents. Il évita heureuse- ment les faubourgs de la cité Mariage qui sont Fian- çiailles et Publication de Bans et ainsi parvint à se soustraire à la dure nécessité de vivre en un pays ■dont les mœurs sont intraitables (i).
Cette raillerie le divertit beaucoup. Mais il fut
(i) Lig-nières conle touto cotte aventure dans Poésie.'^ choisies, iG58, l\' part., p. 283, A M. llotenian. V. aussi, p. 279, Facliim, épltre. M'°= Deslioulières y fait allusion dans son portrait précité. Cli. Sorel: op. cit., pp. 398 et s., pul)lie la Ccvle du Mariage. Emile Roy : La vie et les œuvres de Charles Sorel, 1891, p. 287, confond ravcoture de Paris avec colle de Rennes et les niclo ensemble. Quérard et le même Kraile Roy attribuent à Lif^nièrcs des Poésies diverses ou Dialogue du docteur J/etaj)li/-asle et du Seigneur Albert sur le fuit du Ma- riage, qu'il aurait écrites pour se venger de la belle qui l'obligea à l'aire le contrat susdit. Dans une fort intéressante brochure : Un livre perdu et retrouvé, Pai/ot de Linières et C. Juulnag, 1908, M. Frédéric Lachévre a prouvé que ce dialog-ue. dédié d'ailleurs à Lif^uières, et ces |)oésies forment la seconde i)artie d'un opuscule de C. Jaulnay, intitulé : Les Horreurs sans horreur, poème comique, Paris, J. 15. I^oyson, 1671, u\-i2[Bibl, de l'Arsenal, B. L. 12201) et réimprimé en 1677 sous le litre : L'Enfer burlesque. C. Jaulnay était senlisien et con- naissait cerlainemcnt Li^'^nières. Les poésies précitées sont posté- rieures de douze ans au lait qui nous occupe.
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quelque peu mortifié de recevoir, peu après, son por- trait tracé par M'"^ Deshoulières. Jalouse peut-être, la dame mélang-e la critique à l'éloge. Elle signale toutes ses imperfections physiques. Elle dévoile la tendresse qu'il lui manifesta. Elle proteste que l'amour ne sau- rait la toucher et que, si elle sacrifiait jamais sa quiétude, ce serait en faveur d'un galant moins volage. Elle le défend d'être impie. C'est tout ce qu'elle se sent capable de faire à son proOt (i). Lignières ne peut donc guère plus espérer du côté de la jeune femme. Et son s(\jour à Senlis s'en trouve tout attristé (2).
(i) Recueil de portrait-^ précité, 2° part., p. 35. On a prétendu que jy£me Desboulières l'en défendit contre les incriminations de Boileau. Mais le portrait de Lignières est antérieur à la querelle du chevalier avec le satirique.
(2) Fit-il quelque folie pour chasser celte tristesse? Il en était bien capable. Un passage de son portrait par ^l"^ Deshoulières nous révèle un fait assez curieux dont nous n'avons pu trouver l'explica- tion. M"^ Deshoulières, écrit :
Trois ans sont écoulés depuis qu'à Luxembourg
On vit pour lui la mort triompher de l'Amour.
Tout Paris a bien su cette tragique hisloire
Et tout Paris a bien de la peine à la croire
On m'a dit qu'elle est vraie et je ne la crois pas.
Pour un volag-e amour se donuer le trépas,
Au plus beau de ses ans, ô Dieu quelle innocence!
Qui eût dit Lignières le frivole capable d'une semblable détermi- nation?
Chapitre huitième, où Nicolas Boileaii-Despréaux y le redresseur de torts, ayant attaqué le chevalier de LignièreSj est victorieusement combattu avec ses propres armes et menacé de bastonnade par Bussy- Babutin.
iGNiÈRES était beaucoup trop insouciant et paresseux pour assembler ses poésies et les porter chez un libraire. Il écrivait lorsque les circonstances Tinvitaient à écrire. Ses stances, ses épig-rammes, ses élégies couraient, manuscrites, les ruelles. Il lui suffisait qu'elles fussent appréciées en ces lieux. Mais s'il dédaignait, homme de qualité en cela, de solliciter des privi- lèges et de voir son nom figurer sur de maigres in-12, il lui plaisait cependant que les libraires marquassent (pielqiic faveur à ses œuvres. La plupart de ces der- niers entretenaient, dans la société, des agents qui recueillaient les poésies en circulation et qui les leur apportaient. Quand ils avaient ainsi, par l'entremise de ces nouvellistes, réuni la matière d'un volume, ils l'imprimaient sans s'inquiéter de l'assentiment des
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intéressés. Quasi tous les ans, le libraire Charles de Sercy publiait de cette sorte, sous le titre de Poésies choisies, une anthologie où l'on retrouve une physio- nomie vivante du monde qui s'agitait dans les hôtels du Marais, du faubourgs Saint-Germain, du faubourg- Saint-Honoré et de la cour. Le plus souvent, sur la première page de l'ouvrage, il plaçait, pour attirer l'attention du public, les noms des poètes illustres qui lui avaient fourni une collaboration involontaire. Il crut devoir utiliser, dans un but mercantile, celui de notre chevalier. Et cela, mieux que des affirma- tions réitérées, indique de quelle notoriété jouissait celui-ci (i).
Lignières ne se formalisa point de cette désinvo- ture. Il s'enorgueillit, au contraire, d'occuper une place à côté de Boisroberf, de Gilles Boileau^ de Per- rin et autres marchands d'immortalité. Il écrivit, en effet, à Benserade :
Je me suis acquis quelque estime En de certains recueils de rimes
(1) Les poésies de Lig-nières sont publiées dans un grand nombre de recueils, dont voici les principaux '.Poésies choisies, iC56, i658, 1660 ; Recueils des portraits et éloges, 1609 f3 éditions) ; Les Muses illus- tres, i658 ; La Muse coquette, 1669; Les Délices de la poésie galante, 1664 et 16^6; Recueil La Suze, 1G74; Recueil de pièces curieuses et nouvelles tant en prose qu'en vers, 1690; Recueil des plus belles épi- grammes des poètes françois, 1698, etc. V. Lachèvre : Bibliogra- phie des recueils collectifs de poésies, précité, II, 34o, 676 ; III, 422 ; IV, 146.
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Il arriva même que chez lui la superbe du poète surpassa parfois la morg-ue du noble. Dans la même épître il se plaît à rappeler tous ses titres de gloire :
Je pourrois biea encore dire Que j'ai paru dans le satyre Et que la mienne pique fort : D'aucuns en ont eu l'âme atteinte ; Je n'en veux plus parler, de crainte De réveiller le chat qui dort.
J'avois presque pour ennemie
Toute la docte Académie,
Et, bien loin de m'avoir détruit,
Mes stances et mes épigrammes
Ont contenté d'illustres dames
Et mes portraits ont fait du bruit (i).
S'il utilise Timparfait, dans ces rimes vaniteuses^ c'est par pure simulation. Il feint, en eflfet, détenant désormais la célébrité, de se repentir des erreurs pas- sées et de renoncer à la satire. Or, en réalité, il ne peut davantage renoncer à la satire qu'il ne peut se priver de bons repas et de vins capiteux. A l'heure même où il adresse ces sornettes à Benserade, il entretient un commerce d'amitié avec les plus féroces d'entre les satiriques. On ne saurait exactement éta- blir comment il connut les frères Boileau, Gilles et
(i) Carpcnturiana, 17^1, pp. 4')8-449-
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Nicolas. Dès i658, il était en relations avec eux. Lors- que le premier entreprit de terrasser, par une censure terrible de ses œuvres, le pédant Ménage qui avait méprisé son talent, Lig-nières, pour l'aider dans cette tache salutaire, écrivit de Senlis, où le retenait son malencontreux projet de mariage, un faclum imperti- nent (i). Quelques mois ensuivants, Gilles, avec un mince bagage littéraire, se présentait à l'Académie et, soutenu par Chapelain, enlevait, après un combat furieux, le siège de défunt Colletet.
Dès lors, Gilles Boileau, grisé par son triomphe, prodigua à tout venant les insolences. Ses van- leries le rendirent odieux et Lignières commença à lui retirer son amitié. Il lui gardait rancune surtout d'avoir accepté l'appui de Chapelain, car, de cette sorte, il pactisait avec le parti pédant qu'il avait jus" qu'à l'heure, sans ménagements, attaqué.
Malgré sa Pénitence à la comtesse de La Suze, mal- gré son apparente soumission, le chevalier conservait intacte sa colère contre Chapelain, Celui-ci paraissait vivre fort bien avec son ridicule. Soutenu par d'illus- tres personnages, il régentait toujours la littérature, et Colbert venait même de le charger de dresser la liste
(i) Poésies choisies, i658, 4'- part., p. 279; Menagiana, 1715, 1, 119; IV, 125. Le factum en question est aujourd'hui perdu. Sur la que- relle Gilles-Boileau-Ménag-e, V. notre volume, Scarron et son milieu, Paris, Mercure de France, pp. 335 et s.
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des pensions que le roi accordait aux auteurs. Nulle critique ne semblait plus susceptible de l'abattre.
Or, en réalité, il n'avait jamais été si près de sa perte. Il ne se doutait de rien. Dans son cabinet de tra- vail delà rue des Cinq-Diamants, il prenait des allures olympiennes. Autour de lui rampaient les rimeurs auxquels, d'une phrase de sa plume, il pouvait pro- diguer, sinon l'aisance, du moins la certitude de manger. Jamais on n'avait vu potentat si malpropre et d'une avarice à ce point sordide. Ses confrères, les académistes, s'ing-éniaient à ne le point approcher et à éviter sa poignée de mains. Il portait des habits à la mode du temps d'Henri IV, et si rapiécés, et mon- trant tellement la corde qu'on l'eût dit vêtu de toiles d'araig-née. On l'avait, à cause de cela^ surnommé le « chevalier de l'ordre de l'Araig-née ». Cette bestiole jouait, d'ailleurs, dans sa vie, un rôle important. On prétendait qu'il en apprivoisait des lég-ions dans son antre. Un jour qu'il se trouvait chez M. le Prince, il en tomba une du plafond où elle se promenait. Les dames en eurent une frayeur vive et elles accusèrent Chapelain de l'avoir apportée dans sa perruque.
Car, cet homme qui, assurait-on_, pour éparg-ner ses serviettes, s'essuyait les mains à un balai de jonc, possédait la perruque la plus minable du royaume. Nul fripier n'en eût voulu, même pour un so!. Démunie, par endroits, de ses crins, elle exhibait.
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comme des plaies, ses plaques de cuir souillé. Emmêlée et enduite de graisse, elle épandait, partout où séjournait le bonhomme, une forte odeur de crasse.
Lignières ne comprenait point qu'on pût être l'ami d'un tel pouacre dont l'infection se reflétait dans les vers. Sur sa saleté physique, il faisait des gorges chaudes dans les cabarets. Au Mouton blanc, proche du cimetière Saint-.ïcan, à la Pomme de pin, sur le Pont Notre-Dame, à la Croix-blanche, il ég'ayait ses compères en leur rapportant, toutes fraîches, les anecdotes que les précieuses narraient, sur le sag-ouin académique, de leurs bouches dégoûtées. Nicolas Boileau, Chapelle, Furetière, Racine (i), Molière et quelques seigneurs amis des gens de lettres, réunis autour de lui en ces confortables tavernes, mêlaient volontiers leur réprobation à la sienne. El tous, au cours des galimafrées, avaient pris l'habitude de ber- ner le Pucelain qui, important parmi elle les germes infectieux, contaminait la littérature.
Ils formaient un groupe d'esprits indépendants. Le génie ou, tout au moins, le talent bouillonnait en leur
(i) Les relations de Lig-nières avec Raciue sont prouvées par un passag^e d'une lettre du dernier à M. de Guilleragues. V. Œuvres de Racine, édit. des Grands Ecrivains, t. VI, p. 536. A ce moment, il est vrai (iG84), Racine, devenu illustre, a rompu avec son ancien ami et le méprise.
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cœur et la gloire planait sur leurs fronts prédestinés. Ils souffraient, obscurs encore pour la plupart, que, contrecarrant leur désir de porter au monde la bonne parole, un fesse-mathieu et ses partisans dirig^eassent le goût public. Et, peu à peu, la pensée leur vint d'abattre ce fantoche. Ils ne le pouvaient point par la violence. Ils le tentèrent par moquerie répétée.
Chapelain, à la vérité, avait déjà résisté aux atteintes de celle-ci. Ils espéraient ardemment qu'une nou- velle averse de quolibets le précipiterait de son pié- destal. Ils se mirent à l'œuvre. Œuvre cruelle, mais indispensable, et qui avait pour but, pulvérisant la médiocrité triomphante, de favoriser l'efllorescence du g-énie opprimé par elle. Et ils enfantèrent le Cha- pelain décoijfé.
Il est probable que Lignières eut l'idée de cette plai- sante parodie du Cid. Nous croyons également que sa part de collaboration fut la plus importante. Au dire de Charpentier l'académiste, ami personnel de notre chevalier, Boileau, dans cette parodie, n'aurait écrit que la dernière scène et Furetière que les stan- ces (i).
(i) Cnrpentariana, 1741, pp. 127 et s., 3Go. Selon Charpenlicr, Boi- leau, dans la suite, se sérail laissé aUribuer ccUe pièce, dépouillaot ainsi Lif^nicres de ces charmanlcs inventions. Boileau, cependant, dans sa lettre à Hrossctte du 10 décembre 1701, avoue n'avoir écrit que qualrc vers de la parodie.
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Quoi qu'il en soit, le Chapelain décoijfé, colporté dans les compag-nies, excita des rires unanimes. Peu après son élaboration, plusieurs libraires l'impri- maient et des comédiens l'emportaient pour le jouer en province (i). Dès lors, Boileau, plus désireux peut- être que Lig-nières de détrôner le malheureux auteur de la Piicelle, écrivait, à son tour, au cours d'un dîner chez le sieur Hessein, frère de M""® de La Sa- blière, une Métamorphose de la perruque de Chape- lain en astre (2). Les épigrammes se multiplièrent. Racine, lui-môme, se divertit à conduire chez Chape- lain des personnages burlesques. Les premières satires de Boileau couraient déjà en manuscrit. On en faisait des lectures publiques et des impressions clandestines. Montausier, une fois encore, menaçait du bâton. La guerre acharnée et sans merci était de nouveau engag-ée.
Mais Chapelain conservait ses partisans. Ceux-ci s'accroissaient de tous les auteurs faméliques qui avaient besoin d'une gratification ro3'ale et de tous ceux que flagellait la verve de Boileau.
(i) Le Chapelain décoiffé, comédie en un acte et en vers, dédié à MM. de l'Académie française, Paris, Nicolas Thibaut, i665, in-12. Il a été publié égralement dans le Nouveau recueil de plusieurs et diverses pièces galantes de ce temps, S. L., i665, in-12, pp. i et s. Quelques manuscrits du temps le contiennent aussi. V. Dibl. nat., mss., n»s g634 f» 25i ; 10012 f» g8.
(2) Parodie de la Métamorphose des yeux de Philis en astres, célèbre g-alanterie de l'abbé de Cérisy.
Il6 LE CHEVALIER DE LIGXIÈRES
L'un des premiers, Gilles, le propre frère de ce dernier, protesta contre un tel déchaînement de haines. Il devait, nous Pavons dit, à Chapelain, son élection à l'Académie. Il décida, peut-être parce que la littérature avait créé entre Nicolas et lui un état d'hostilité, de soutenir le distributeur de pensions. Les deux poètes n'étaient pas hommes à demeurer dans la réserve que leur imposait leur parenté. Ils échangèrent des insolences.
Lig-nières eût pu, dans cette querelle, g-arder la neutralité. Il préféra prendre parti et, de cette sorte, rompre définitivement avec son ancien ami. Veut-on savoir, écrivit-il,
Veutron sravoir pour quelle affaire Boileau, le rentier d'aujourd'huy (i), En veut à Despréaux son frère? Qu'est-ce que Despréaux a fait pour luy déplaire? Il a fait des vers mieux que luy (2).
Il est évident que l'ait ilude de notre chevalier dou- bla l'amitié que Nicolas Boileau lui portait. Jusqu'en 1667, date à laquelle apparaît la foudroyante satire IX où le redresseur de torts pourfend, souvent avec une stupide injustice, la multitude poétique^ celte alï'ec-
(j) Gilles Boileau étiit payeur des rentes à l'IIùlel de Ville; de là son surnom de rentier.
(2) Bolœana on hona mots de Jf. Boileau, 1742, p. 84 ; Tallemant : V. 24o; Annales poétiques, 1/83, xxvn, p. 8.
LE CHEVALIER DE LIGMÈRES II7
lion reste ferme et sincère. Poursuivant sa vindicte particulière contre Chapelain, il laisse bien^ dans les deux vers suivants, à son compagnon, le mérite d'avoir le premier entamé la lutte :
Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumière, Chaque lecteur d'abord lui devient un Linière.
Puis, brusquement, le ton change. Il s'est produit, entre 1667 et 1669, un événement incompréhensible et qu'aucun document n'éclaire. La mésintelligence s'est introduite entre les deux complices. En se récon- ciliant avec son frère Gilles, Boileau a-t-il voulu chasser de son entourage tout individu lui rappelant leur ancienne brouille? Ou bien réve-t-il d'avoir seul la gloire de nettoyer le Parnasse de ses pédants? Ou bien encore Lignières s'est-il, à la longue, lassé du second rôle que prétend lui faire jouer le satirique? Nous l'ignorons.
Mais voici qu'en 1G69, dans VEpîire à M. Vabbé des Roches, Boileau met Lignières en scène de façon déso- bligeante. Cet homme qu'il avait jusqu'alors considéré comme plein d'esprit, de fantaisie, de charme, devient incontinent le pire des poètes à la douzaine :
A quoi bon réveiller nos muses endormies, Pour tracer aux auteurs des règles ennemies ? Penses-tu qu'aucun d'eux veuille subir mes lois Ni suivre une raison qui parle par ma voix ?
Il8 LE CHEVALIKR DE LIGNIÈRES
O le plaisant docteur qui, sur les pas d'Horace,
Vient prêcher, diront-ils, la réforme au Parnasse!
Nos écrits sont mauvais : les siens valent-ils mieux?
J'entends déjà d'ici Linière furieux
Qui m.'appelle au combat sans prendre un plus long terme.
De l'encre, du papier ! dit-il, qu'on nous enferme !
Voyons qui de nous deux, plus aisé dans ses vers,
Aura plus tôt rempli la pag-e et le revers !
Moi donc, qui suis peu fait à ce genre d'escrime,
Je le laisse tout seul verser rime sur rime.
Et souvent de dépit contre moi s'exerçant,
Punir de mes défauts le papier innocent.
Dès lors Boiîeau compte un adversaire nouveau, et, de tous, le plus redoutable. Car Lig-nières cesse désor- mais, d'égratigner Chapelain sans cependant se joindre à lui. Il veut, en usant de ses propres moyens, occire son ennemi rendu audacieux par l'approbation du roi. Il le flagelle tout d'abord de ce sonnet chargé d'accusations outrag-eanles, mais justes :
Des Préaux, grimpé sur Parnasse, Avant que personne en sceust rien. Trouva Régnier avec Horace Et rechercha leur entrelien.
Sans choix, et de mauvaise grâce, 11 pilla presque tout leur bien ; 11 s'en servit avec audace Et s'en para comme du sien.
LE CHEVALIER DE LIGNIERES lïg
Et, blasmant nos meilleurs poètes, Par ses satyres indiscrettes, II trouve sa gloire aujourd'liuy.
En vérité, je luy pai^donue.
S'il n'eust mal parlé de loersonne,
L'on n'eust jamais parlé de lui (i).
Il l'enveloppe d'un réseau ténu d'épi grammes. Il le harcèle comme une mouche harcèle un bœuf un jour d'orage. Ses épigrammes, malheureusement pour la plupart égarées, atteignirent douloureusement Boileau. On peut le déduire de la fureur et de la ténacité du satirique qui s'acharne désormais autant sur notre chevalier que sur l'abbé Cotin ; mais Lignières ne s'émeut point de ces critiques de plus en plus tournées en forme d'invectives. Lorsque Boileau, s'avisant d'emboucher la trompette héroïque, chante avec emphase le ridicule exploit du passage du Pihin, Lig-nières se rég'ale. Cette Epitre au Roi, boursouflée de louanges, parsemée de vers ridicules, lui semble composée à souhait pour lui fournir une occasion de montrer la nullité de son adversaire. Il va, tout simplement, s'en constituer le censeur. Quelles délices s'il pouvait prouver à Louis XIV que
(i) Bibliothèque nationale, ms. n» 20862; f» i83. Ce sonnet est attribué à Lignières par Irailh : Querelles littéraires, 1761, I 320 etc.
LE CHEVALIER DE LIGMERES
ses thuriféraires officiels sont des niais î Le monarque ciiasserait aussitôt de son entourage cette engeance qu'il entretient pour témoigner, devant les siècles futurs, de sa magnificence.
Lignières prend donc la plume. Cette fois, il n'écrira point en vers légers et incisifs. C'est dommage. Sa prose est enchevêtrée et maladroite. N'importe! Il feint de s'être, parallèlement à un autre bon compagnon, donné la tache innocente d'examiner l'Epitre au Roi « pour voir si leurs observations se rencontreront » et pour plaire à leur ami commun, M. Hoteman, capi- taine au régiment de la marine.
Dès l'Épitre liminaire au lecteur, il trouve matière à railler. Que signifie cette invention absurde consis- tant à dire que le poète a reçu sur les événements du Rhin les confidences de la Naïade de la Seine? Pour- quoi Boileau, parlant de la mort de Charles Paris d'Orléans, duc de Longueville, ose-t-il déplorer que le « plus illustre sang de l'Univers » ait été répandu? Ce jeune homme n'était pourtant point de sang ro3al. Oue diront les Bourbons à ce piètre rimeur qui, déli- bérément, leur enlève la suprématie du sang?
Lignières passe ensuite à des blâmes d'ordre plus littéraire. Boileau est, à son sens, un écrivain stérile dont le vocabulaire réduit l'oblige à utiliser sans cesse les mêmes mots. Ces répétitions sont désa- gréables. Il n'a aucune connaissance de la propriété
LE CHEVALIER DE LIGMERES 121
des termes. Cette ignorance, dont il cite de nom- breux exemples, provoque des équivoques g-rossières. Maintes fois aussi Boileau, pourtant farci de latin, prouve que le sens étymologique des mots lui échappe. Ses métaphores sont fâcheuses, ses rimes insuffi- santes. Son style, trop souvent, ressemble à du gali- matias : c'est un « jargon obscur, contraint et mal- plaisant ».
Tout le début de son Epilre est « uneturlupinade » roulant « sur la barbarie et la bizarrerie des noms hollandais... » Ah! comme ce disciple d'Horace et de Virgile a mal suivi les préceptes de ses maîtres ! Ces anciens savaient toujours utiliser le mot juste et leur oreille était accoutumée à une divine harmonie. Avec quelle grâce, dans quel style familier et naturel. Marot lui-même, que Boileau loue en maints endroits de son œuvre, aurait-il écrit cette épitre si lamen- table sous la plume du satirique! Boileau, poussif, s'est empêtré dans le sublime.
Celte épitre est surtout admirable si l'on souhaite se rendre compte avec quelle habiielé Boileau multi- plia les plagiats. Pour la bàlir, il a, imperturbable- ment, volé Ovide, Claudian, Martial. Il ne s'est pas contenté de dérober leur bien aux anciens. II a pillé les modernes, des latinistes comme Madelenet, des traducteurs comme Brebeuf. Il a détroussé Corneille de plusieurs alexandrins complets. Enfin, larcin entre
LE CHEVALIER DE LIGNIERES
tous notables, il a escroqué jusqu'à la Piicelle de son ennemi majeur Chapelain.
Malicieusement Lignières fait les rapprochements, cite très exactement ses auteurs, convainc l'aigrefin de la littérature de son forfait. Il l'accuse d'interpréter fâcheusement les historiens latins, de n'avoir pas compris un parag-raphe des Commentaires de César. Il lui reproche, en outre, son méchant patriotisme; car Boileau, maladroitement, ne cesse de montrer le désespoir du dieu Rhin, à la pensée de devenir Français. Or, n'a-t-il pas été Français autrefois ce Rhin désespéré, et ne devrait-il pas se réjouir de le redevenir? « Le courroux de ce dieu est fort désobli- geant et fort injurieux pour le Roi. »
Enfin — et c'est le plus dangereux passage de la critique — Lignières démontre que même dans ses louanges de Louis XIV", Boileau multiplie les sot- tises :
Il a de Jupiter la taille et le visage.
Voilà, clame-t-il, une belle manière de flatter le monarque! N'a-t-on pas toujours représenté Jupiter comme un barbon insupportable? Cette comparaison est absurde appliquée à un prince juvénile qui se plaît à prendre, dans tous les divertissements de la cour, les fisures rayonnantes de Mars ou d'Apollon.
En définitive, termine-t-il, il ne veut pas déso-
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES 123
bliger INI. Boileau. Ses remarques <l ne partent pas d'un méchant fond ». Il le compare à Régnier pour ses satires. li cite quelques vers de l'Epitre incri- minée qui « méritent des autels et des pensions ». Il le « respecte et l'honore ». Il ne donnera aucune publicité à sa censure. Tant pis, cependant, si M. Boi- leau, venant à la connaître, se montrait trop sensible à ses traits. Alors, il croirait c[ue, comme beaucoup d'auteurs, il préfère les injures personnelles au blâme de ses œuvres, semblable en" cela à ces femmes de la société qui se formalisent « moins d'estre trai- tées de putains que de vieilles et de laides (i). »
Il semble que l'interminable diatribe de Lignières, beaucoup moins allègre et spirituelle que ses épi- grammes, ait laissé la société parisienne assez indif- férente. Elle courut en manuscrit dans les ruelles. Elle donna de la satisfaction surtout aux ennemis de Boileau.
Celui-ci terminait son Épitre au Roi par celte rodo- montade :
Je t'attends, dans deux ans, aux boi^ds de l'Hellespont.
(i) Bibliothèque nationale. Nouvelles acquisitions, ms, n° 22,337, f"* 137 et s., Critique de M. de Linièrcs sur le Passage du Rhin de M. Despréaux. Nous ne publierons pas en Appendice cette très longue prose de Lig'nières, bien qu'elle soit inédite, parce qu'elle nous paraît présenter moins de mérite littéraire que ses critiques de Cliapelain et ses poésies. Nous nous contentons de l'analyser minutieusement ci-dessus.
124 LE CHEVALIER DE LIGMERES
Lignières, pour en souligner le ridicule, y ajouta, en forme de rime vaudevillesque :
Tarare ponpon (i)
Celte boutade, peu ing-énieuse, fît cependant for- lune. On en composa des couplets et toute la ville chanta ces couplets où tarare ponpon narg-uait Hellespont. Malicieusement Lig-nicres lança le bruit que Bussy-Rabulin, alors en exil, était l'auteur de celle facétie. Si bien qu'irrité Boileau menaça de railler à son tour Bussy.
Or les ruelles fourmillent d'indiscrets. La menace du satirique, aussitôt transmise à l'exilé, celui-ci charge le R. P. Rapin et le comte de Limog-es de mettre sous les yeux de Boileau les lig-nes suivantes :
(( II a passé en ce pays un ami de Despréaux qui a dit à une personne de qui je l'ai su que Despréaux avait appris que je parlais avec mépris de son Épître au Roi sur la campag-ne de Hollande et qu'il était résolu de s'en veng-er dans une pièce qu'il faisait. J'ai de la peine à croire qu'un homme comme lui soit assez fou pour perdre le respect qu'il me doit et pour s'exposer aux suites d'une pareille affaire. Cependant, comme il peut être enflé du succès de ses satires imprimées, qu'il pourrait bien ne pas savoir la dilTé-
(i) Ce fameux Tarare ponpon, qui provoqua la querelle Bussy-Rabu- lin-Boileau, se trouve dans la critique qui précède.
LE CHEVALIER DE LIGXIÈRES 125
rence qu'il y a de moi aux gens dont il a parlé, ou croire que mon absence donne lieu de tout entre- prendre, j'ai cru qu'il était de la prudence d'un homme sage d'essayer à détourner les choses qui lui '' pourraient donner du chagrin et le porter à des extrémités.
« Je vous avouerai donc, mon R. P., que vous me ferez plaisir de m'épargner la peine des violences à quoi pareille insolence me pousserait infailliblement. J'ai toujours estimé l'action de Vardes qui, sachant qu'un homme comme Despréaux avait écrit quelque chose contre lui, lui fit couper le nez. Je suis aussi fin que Vardes, et ma disgrâce m'a rendu plus sensible que je ne serais si j'étais à la tête de la cavalerie légère de France. »
On peut imaginer dans quel état d'àme Boileau parcourt cette lettre, précisément à l'instant même où l'on vient de l'avertir que seul Lignières est coupable. Il est obligé de s'humilier devant Bussy. Il lui envoie, par l'entremise du R. P. Rapin et du comte de Limoges, des excuses fort humbles et, prenant la plume, il les confirme avec platitude (i). Puis il fait
(i) Correspondance de Roger de Rabntln, comte de Bussy, édit. Ludovic Lalanae, t. II, pp. 240 et s., 245 et s., 201 et s., 256. E. Méaume : Boileau et Bassij-Rabutin dans Bulletin du Bibliophile, avril 1877, ig-norant l'existence de la critique inédite de Lig-nières, n'a pas pu établir que ce dernier était responsable de la querelle née entre les deux satiriques. Il disserte longuement pour n'aboutir à aucun résul- tat.
126 LE CHEVALIER DE LIGXIÈRES
face au chevalier. Il voudrait définilivemcnl le réduire en poussière.
Tàclie malaisée! Au chant II de VArt poétique, il lui décoche cette impertinence :
Il faut, même en chansons, du boa sens et de l'art ; Mais pourtant on a vu le vin et le hasard Inspirer quelquefois une muse grossière Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Puis, sentant que la raillerie où il ne détient pas le plus beau rôle, ne sert qu'à divertir la g-alerie, il s'engage sur un terrain plus dangereux (pie le terrain littéraire. Il cherche, en stigmatisant l'athéisme du chevalier, à diriger contre lui l'indignation des dévôîs. Se sachant écouté de Louis XIV, il espère ouvrir devant le libertin les portes de la Bastille :
Linière apporte de Senlis
Tous les mois trois couplets impies.
A quiconque en veut dans Paris
Il en présente des copies ;
Mais ses couplets tout pleins d'ennui
Seront brûles même avant lui.
IMais Lignières ne s'émeut point. A la vérité même, il s'amuse de son antagoniste. A un ami, le sieur de Villars, lieutenant du roi à Mariembourg, qui, sous sa tente, se divertit à lui écrire en vers, il donne des nouvelles de ses disputes sur ce ton goguenard :
... Je boy souvent, ou bien je glose Desprc'aux le compilateur
LE CHEVALIER DE LïG-MÈRES 12J
Et triste versificateur Oui, chez des personnes niaises, A bien fait valoir des fadaises Et retentir des vers bouffis. J'apprens toujours que ce beau fils Ose m'accuser d'estre impie. Qu'il song-e à réformer sa vie, Ses écrits froids et non pas moj-. Chacun vit icj-bas pour soy, A ce morne frippier d'Horace. Je marqiieray plus d'une chasse Et plus d'un trait d'impiété Dans sou volume tant vanté Et je n'iray pas de main morte, Puisqu'il m'attaque de la sorte. Je devrois aussy prendre au crin Le réjouissant Puy-Morin, Mais laissons là ce joueur d'orgue : C'est Despréaux seul que je morg-ue. Dans Marienbourg- tu te ris Des querelles des beaux-esprits. Le Parnasse et ses zizanies Divertiroient les compagnies Si l'on ne se déchiroit pas Dans ces satyriques combats. Ainsi que Despréaux en use. Et c'est pourquoy je le récuse. J'ay les lionnestes gens pour moy... Qu'en santé le ciel le maintienne Je tiens qii'il est homme de bien Mais que ses vers ne valent rien (i).
(i) Bibl. de l'Arsenal, ms. Conrart, t. IX ia-f» (n» 54i8) f" 3i5 et 817; Bibl. de la Rochelle ms. n» G73, f" 218, Lettre du sieur de Lignièrcs au sieur de Vilars. (Inédite.)
128 LE CHEVALIER DE LIGNitRES
N'ayant point réussi à éveiller contre Lignières l'attention de Louis XIV ou celle, plus malveillante, des membres de la Compagnie du Saint-Sacrement qui pourchassent avec obstination la libre-pensée, Boileau recommence la lutte sur le terrain littéraire. Dans une épigramme, il place le chevalier parmi les sots où Pradon, Bonnecorse et Perrin forment, à son avis, une trinité fameuse. Plus tard, ils s'emporte jusqu'à l'injurier bassement :
Et qu'importe à nos vers que Perrin les admire, Oue l'auteur du Jonas s'empresse pour les lire, Qu'ils charment de Sentis le poète idiot Ou le sec traducteur du français d'Amyot? (i).
Puis, peu à peu, de part et d'autre les attaques se font plus rares. En iGqS seulement Lignières reprend l'otTensive. Boileau vient de publier sa Satire contre les femmes. Le chevalier n'admet point qu'une telle Icicheté, commise par un châtré, demeure impunie :
Ta satire contre les femmes
Que si durement tu diffames
Vole partout, fameux Boileau,
Et c'est le comble de ta gloire
De voir qu'on la montre à la foire
Comme quelque monstre nouveau {2).
(i) Épilre VII, à Racine, 1O77. ^^- sur ce quatrain, Menajiana, 1715, m, i78-i7f(, où Méiiajre ne cache pas sa jubilation.
(2) Lacliiîvre : nihliof/raphic |)n-citcc, III, liZ. V. aussi Madeleine de Scudi'ry à l'abbé Boisot, 20 mars iO<j4, dans Tallcmanl : VIII, 2'|2.
LE CHEVALIER DE LIGMERES I29
Mais Boileau, outragé par les galants de ruelles qui profitent de la faiblesse féminine, ne peut répondre à tous séparément. Il laisse, en silence, passer l'orage. Deux ans plus tard, s'adressant à ses vers, il trouvera encore le moyen de donner au chevalier une nouvelle preuve de mépris (i). L'autre, à son tour, gardera le silence. Il aura, à ce moment, compris que le satirique n'aspirait à renverser Chapelain que pour prendre sa place et que la dictature du premier était tout de même plus bienveillante que celle du second.
La romaniste écrit : « Au reste, la satire est toujours plus décriée, et il y a un grand nombre de vers qui la blâment d'une manière sanglante. 11 y a encore un ancien satirique qui lui;a donné un petit coup de griffe : il s'appelle Linière ». (i) Épitre X, 1695, A mes vers.
Dans peu vous allez voir vos froides rêveries
Exciter du public les justes moqueries;
Et leur auteur, jadis à Régnier préféré,
A Pinchesne, à Linière, à Perrin comparé.
Chapitre neuvième, où l'on voit le chevalier de Lignières gogiienarder dans V intimité du grand Condé et, après avoir livré ses derniers combats de plume, mourir dans V impénitence finale.
iGNiÈRES ne refrène jamais ses impressions; il ne raisonne pas ses sentiments. Il s'aban- donne aux impulsions immédiates. Beaucoup parmi les personnages dont il fait ses ennemis par maladresse eussent pu, ayant des caractères analogues au sien, devenir ses amis. En 1679, par exemple, il s'avise de dire son mot dans une aiïaire qui divise La Fontaine et le musicien LuUy. Ce dernier est un personnage insupportable et que les poètes chargés d'écrire les ballets du roi tiennent en exécration. Sans cesse, profitant de la faveur dont jouit sa mu- sique, il les oblige à remanier leurs livrets. Ouinault, après Benserade, est devenu sa victime. Et voici que, brusquement, il s'est lassé de Ouinault, lui préférant La Fontaine. Il est venu cajoler celui-ci, le conjurant d'écrire un opéra, lui promettant, en échange de sa
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES l3ï
collaboration, des récompenses magniflques. Si bien que le fabuliste s'est décidé à composer Dapliné. Il a dès lors subi, à son tour, la persécution du musicien; mais, habitué à travailler à sa g'uise, il n'a pu l'endu- rer longtemps. De sorte que Lully est revenu à Oui- naull, affirmant à Louis XIV que l'opéra de La Fon- taine « ne Aalait pas le diable ».
Il semblerait que Lignières dut, en cette conjonc- ture, si tant est qu'on lui demandât son avis, se décla- rer pour le fabuliste. Or, sans pitié, il morgue ce chi- mérique volé par le florentin madré :
Ah! que j'aime La Fontaine D'avoir fait un opéra ! On verra finir ma peine Aussitôt qu'on le jouera. Par l'avis d'un fin critique Je vais me mettre en boutique Pour y vendre des sifflets : Je serai riche à jamais (i).
Et il l'oblige, le narguant de cette sorte, à lancer contre Lully une satire virulente (2). Il ne regrette point son injustice. A vrai dire, il n'y pense plus aus- sitôt après l'avoir commise. Il saute inconsidérément d'un sujet à un autre. La politique arrête même un
(i) Bibl. nationale, ms., n" 12622; Laclièvre : op. cit., III, 424; Fétis : Biographie universelle des musiciens, art. Lully.
(2) Le Florentin. V. Contes et nouvelles en vers de M. de la Fontaine, 168O, p. I.
l32 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
instant son attention dispersée. La France est eng-agée dans la g-uerre de Hollande. Lignières est mécontent des maréchaux qui dirigent, au-delà du Rhin, nos armées. II n'accorde pas sa confiance à Luxembourg*. Et il s'afflige que le plus illustre de nos guerriers demeure dans l'oisiveté :
Lorsque le dieu Mars en personne S'appreste à donner des combats, Si Condé ne s'y trouve pas
La feste n'est pas bonne.'
Au destin on chante cent pouilles, De chagrin chacun est remply, Lorsque l'on voit à Chantilly Condé g^ratter ses ... (i).
Un couplet à ce point irrévérencieux devrait cho- quer le grand Condé ; mais le grand Condé ne demande point aux poètes de le respecter. 11 supporta toujours autour de lui de nombreux boufl'ons et souvent il boulTonna avec eux. Le temps va venir où il invitera La Bruyère, précepteur de son petit-fils, à danser en burlesque devant lui en s'accompagnant de la guitare. Il est fort capable, l'occasion se présentant, d'écrire des épigrammes graveleuses et même de les mettre en latin. La moralité de sa vie ne fut jamais son principal souci. Volontiers, il accepte la familiarité,, surtout quand elle est amusante.
(i) Bibl. nat. ms,, n° 12722 f» 267. ePocsie inédite).
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES l33
Il vient, lorsque Lig-nièrcs lui adresse ces rimes, de se retirer dans ce que M"^* de Sévigné appelle « l'apo- théose de Chantilly ». Et, quoi que l'on prétende, il s'y ennuie. Le plus souvent, devenu, comme son père, malpropre et néglig-é, il s'ingénie à varier les occupa- tions et les divertissements, afin d'emplir les heures vides. Tantôt, à ses officiers ou à ses visiteurs, il fait l'interminable récit de ses campagnes passées; tantôt il joue aux échecs; tantôt il visite les volières où vivent les perdrix rouges et blanches qu'il s'efforce d'acclimater. S'il ne chasse pas à courre, il se môle aux histrions à demeure au château et qui, sous la direction de Raisin, organisent des représentations théâtrales. Il songe aussi à bâtir. Déjà Mansart, Le Nôtre, La Quintinie, lui ont fourni les plans des embellissements que Chantilly réclame pour abriter sa g-loire.
En somme vit-il comme un exilé de marque. Sa famille, trop occupée à flagorner Louis XIV, le laisse le plus souvent dans sa solitude. Au début de sa retraite les visiteurs sont nombreux. Ils le deviennent de moins en moins à mosure que les années passent. Bossuet, Fénelon, Malebranche, Perrault, Sacy, Bou- hours, Furetière, Varillas, Renaudot, prélats, philo- sophes, historiens, jésuites, fantaisistes se présentent parfois à la porte du château et emportent le souve- nir d'un accueil bienveillant. Puis ils restent des
l34 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
semaines, des mois, des années, sans revenir. C'est pourquoi Condé entretient quelques gens de lettres à domicile. Ce sont, en général, des turlupins, comme Santeuil. Leur commerce le captive. Au moins l'aident-ils à sourire. Volontiers Lignières lui reproche cette puérilité :
Que fait à Chant!llj% Condé, ce grand héros Et le plus Ijel esprit de la nature?
Il écoute les vers de trois ou quatre sots Et c'est de quoi chacun murmure.
Surtout on est choqué qu'un prince si parfait N'ait plus que Martinet (i). Pour son Voiture (2).
(i) L'abbé Louis Martinet était, dit un manuscrit « autrefois uq grand vaurien ». Il joue aujourd'hui, dit le même manuscrit, à « l'homme de bien toujours en prières ». Les chansonniers du temps l'accusent de beaucoup aimer les femmes et le vin. Il a laissé quel- ques chansons gaillardes et, dit-on, un fort mauvais Tombeau de Tiirenne. 11 mourut en 1O94. V. Bibl. nat. ms., n» 12728 f<" 397, 3y8, 359, 363; Blbl. de l\\.rsenal, ms., n" 6042, f" 254- Lig-nières lui avait voué une haine qu'il exprima en épig"rammes. Une chanson du temps indique que Martinet craignait fort la verve de noire chevalier : Si Martinet
Ne met rien en lumière
C'est (]u'il craint de Lignièrc
Un nouveau couplet, etc...
V. Bibl. nat. ms. a° 12723 f" 291; Bil)l. de ChanfiUi/, ms. n» 794, f» 72 v°; 940, f" 474- l'ius tard ils se réconcilièrent. V. Archives de Chantilly, Bourdelot à. M. le Prince, .lo janvier 1682 : « On m'a dit que M. de Lig-nièrc et Martinet, s'étant trouvés au.\ Jésuites de la rue Saint-Antoine, se sont embrasses et ont promis d'oublier le passé ».
(2) Bibl. nat. ms. n» 12C21 f» 99; Bibl- de Chantilly, ms., n» 940, f" 475 ; Bibl. de la Rochelle, ms., n» 673 f" 262 ; Lachèvre : Bibliogra- phie précitée, III, 423.
LE CHEVALIER DE LIGXIÈRES l35
Mais si, à la vérité, le chevalier est reçu à Chan- tilly, c'est parce qu^il est, comme Martinet et comme Santeuil, divertissant. Pierre Michon, dit Bourdelot, médecin attaché à la maison de Condé, et qui rem- plit aussi le rôle de nouvelliste de M. le Prince, l'y a probablement introduit après l'avoir lui-même décou- vert. Il écrit, en effet, dès 1674, à Condé : « M. de Linières icy [)résent m'a aporté des vers pour V. A. S. que je trouve meilleurs que les premiers parce que c'est une épître familière pour n'estre pas pu- blique (i). » Dans cette épitre, le chevalier deman- dait au prince d'autoriser les gens de son beau- frère, Charles de Trouillart, seigneur de Baron, pro- priétaire de terres voisines de Chantilly, à chasser pour lui. Il lui donnait comme raison que, gêné par une panse considérable, le seigneur de Baron ne pou- vait lui-même se livrer à cet exercice et que, par suite, il courait le risque de mourir de faim. Sans doute eût-il pu solliciter de Gourville, intendant du prince, celte autorisation, car
Ces deux gros hommes autrefois Se sontvusen quelques endroits Et je n'ai g-arde de te taire
(i) Archives de Chanlilly, Bourdelol à M. le Prince, Paris, 28 sep- tembre iGji. Ce document et quelques autres nous ont été obli- i^eamuient communiqués par M. Gustave Màcon, conservateur du Musée Condé, auquel nous adressons nos meilleurs remereiemcats.
l36 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
Que Gourville qui t'a su plaire Pour son extrême jugement A baisé vigoureusement Une tante de mon beau-frère.
Si, ajoutait Lignières, cedernier paraît jamais dans ton auguste palais.
Je te fais savoir par avance
Que tu te divertiras bien
De la figure et de la panse
De cet homme, assez grand terrien.
Mais je te veux encore écrire
Que tu ne peux au nez lui rire,
Parce qu'il a perdu le sien
Dans un combat vénérien.
Condé, si ce que je demande
Avec une humilité grande,
Tiroit à conséquence un peu,
Tu prendras ce que je te mande
Pour des chansons et pour un jeu (i).
Celte cpîlre,plus que familière, en effet, avait suffi à M. le Prince j)our lui rendre Lignières sympathi- que (2). Il l'invita à le venir distraire. Et le. chevalier se rendit à Chantilly. Et là, en outre de Bourdelot, de Santeuil et de Martinet, il rencontra le sieur Gilles Louchault, avocat en Parlement. C'était un senlisien
fi) Salier : Variéfés .wrieuses ci amusan/es, 1769, III, 267. {■i) Il le coûtait même vivement. V. Les satires de BoUeaii commen- tées peu- lui-même, édit. F. Laciièvrc, 190G, p. 142.
LE CHEVALIER DE LIGMERES 1,17
d'assez piètre origine, fils et petit-fils d'orfèvres. Il l'avait connu naguère dans sa ville natale, parmi la tribu des Louchault, artisans libertins, fort amis de la bouteille et de la satire (i). Il fut ravi de la ren- contre. Tous deux s'égayèrent à railler le médecin Bourdelot (2) et Lignières sut, en quelques heures, si bien capter l'amitié de Condé que celui-ci le voulut avoir auprès de lui le plus souvent possible. Il souf-
(i' Lig-nières, fit, en 1671, un séjour à Senlis au cours duquel il se joig-iiit à une délég-ation de hourg'eois qui sollicitait du marquis de Saint-Simon, bailli de la ville, la permission de rétablir, dans les fossés de la dite ville, entre la porte Bellon et le moulin de la porte de Meaux, un jeu de longue paume. V. Dibl. de Senlis, Manuscrits du chanoine Alfortij, t. VII in» 0997); Comptes rendus et mémoires du comité arctiéoloqique de Senlis, 1880, p. 20. Il est probable qu'il connut Louchault à cette époque. Gilles Louchault, avocat en Parle- ment, g-reffier en la prévôté de Senlis,était fils de Charles Louchault, orfèvre, et de Marguerite Sauvag-e. Il naquit, croyons-nous, en i63o. Il avait trois frères et sœur, Alexandre, Elisabeth, Jacques, dont il était le tuteur, comme nous le révèle un arrêt du Parlement où il intervient, en 1G62, en son nom et à ce titre contre les abbesse. relig"ieuses et couvent du Parc aux Dames de Senlis dans une affaire de saisie de meubles (Archiues nationales, XlA 0878, p. 17/4.) On a de lui: Combats d'esprit,?). L.N. D. (i70i).Les Louchault étaient innom- brables à Senlis. M. Gustave Màcon a relevé, dans les registres paroissiaux de cette ville, (paroisse Saint-Pierre et Saint-Aig-nan) quantité d'actes d"état-civil (XV1I<^ siècle) les concernant. Nous n'en faisons pas état. D'après Les Satires de Boileau commentées par lui- même, p. 124, Lignières aurait fréquenté amicalement, à Senlis, une femme Louchault qui se plaisait à écrire des épig-rammes libertines d'une singulière audace. Cette femme était évidemment parente du poète dont nous parlons ci-dessus et que Bourdelot appelle « Jeune merveille de Senlis ».
(2) Jean Lemoine et André Lichtenberger : Trois familiers du grand Condé, 1909, p. 109, attribuent à Lignières des couplets où Bourdelot est raillé.
l38 LE CHEVALIER DE LIGNIKRES
frail de la g-ouUe et, pour oublier la douleur, il avait besoin d'amuseurs.
Mais Lignières se livrait, à Paris, à des occupations galantes qui l'empêchaient de s'absenter. Il apprit un jour que M. le Prince, souffrant d'une nouvelle crise, le réclamait à grands cris. Bourdelot qui, plus ingé- nieux que ses confrères les médecins du XVIP siècle, s'évertuait à varier sa thérapeutique, avait ordonné à son malade un traitement lacté. Il croyait fermement en la vertu curative du lait. Accoutumé, en qualité d'homme de guerre, à vider complaisaunnent les pots de vin, Gondé maudissait à la fois et le mal, et le remède. Or Lignières n'eut point pitié de l'auguste valétudinaire. Le lait, lui écrivit-il ironiquement,
Le lait est donc votre breuvage?
Ah ! valeureux' prince, j'eni^age
Que vous soies la vache à lait
De Bourdelot et de liouillet :
Si vous en prenez davantage,
Condé, je suis voire vaiet.
Mais hélas, quoi qu'on puisse dire,
Le mal a sur nous tant d'empire
(Jue si les moindres médecins,
Dans l'espoir [qu'ils nous rendront] sains
Ordonnoient d'une minefîôre
Oue l'on hmr baisât le derrière,
Je pense qu'on leur baiseroit
Et qu'un roi même le feroit.
Buvez donc du lait, lui disait-il encore, en forme de
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES iZg
conclusion. Et, refusant aimabiementde le venir conso- ler, il ajoutait : Ne vous en étonnez point, j'aime (i). L'excuse était valable. Condé l'accepta. Il chargea même Louchault de répondre à l'ingrat. Son Altesse, écrivit aussitôt le senlisien :
Son Altesse a ti-ouvé votre lettre jolie. Pleine de cent boas mots et pleine d'agrémens : Si j'osois. je dirois «ne lettre accomplie Et vous diriez peut-être quç je mens, Mais point du tout ; jamais en votre vie Vous n'avez fait des écrits plus charmans; C'est ce que Chantilly publie : Le prince vous en fait mille remerciemens...
Louchault engageait, en outre, de nouveau Lignières
à venir.
Une maîtresse peut beaucoup sur notre cœur, Mais notre g-rand Coudé doit marcher devant elle.
Si réellement le chevalier ne pouvait abandonner cette belle, du moins pouvait-il se faire représentera Chantilly par ses écrits et envoyer des nouvelles (2). Effectivement Lignières adopta celte sokition. Pour satisfaire le prince, il résolut de le caresser d'une louanse inusitée. Et il lui adressa ces vers :
Prince, en parlant de vos exploits, Et dans la paix, et dans la guerre,
(i) Combats d'esprils précités, p. 89, Lettre de Lignières à J/sr Iq Prince. (2) Combats d'esprits prûcilés, p. 41, Réponse à M. de Lignières.
l40 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
On VOUS compare quelquefois A celuy qui donna des loix Aux maîtres de toute la terre. De votre honneur, je suis jaloux ; Ce parallèle me fait peine : César, à le dire entre nous, Fut bien aussi bougre que vous, Mais jamais si grand capitaine (i).
Que Condé, en pleine dévotion, ait accepté, sans en châtier l'auteur, une telle accusation, cela passe l'ima- gination, L'épigramnie de Lignières confirme l'attri- bution faite à ce prince de la fameuse chanson latine où il se vante lui-même de son vice. Or, le chevalier ne fut aucunement puni de son insolence. Peu après, il entreprenait de doubler Bourdelot dans son rôle de nouvelliste. Il écrivait, en effet, de Paris les lignes suivantes :
« Condé qui ne crains aucun choc Et que chacun prise à bon titre, D'un cabaret à pot du quartier de Saint-Roch, J'ose vous datter cette épitre.
« Un de mes amis. Monseigneur, a fait un bout- rimé pour V. A. S.; je prends la liberté de vous l'en- voyer; je suis ravy d'avoir tousjours des occasions de vous faire ma cour. Vous seriez un ingrat. Monsei- gneur', si vous ne me faisiez l'honneur de m'aymer un
( I ) Dihl. de Bordeaux, ms. u» Gfj3, f" 60, .1 M»' le Prince de Condé. (Inédit.)
LE CHEVALIER DE LIGNîÈRES l4l
peu; je parle de vous et songe à vous éternellement. M. l'abbé de la Victoire en a envoyé un sur les mes- mes rimes à V. A. S.; on m'a dit qu'il en estoit infa- tué, mais avec tout le respect que je lui dois, je trouve qu'il est la duppe de certains vers et de certains faux beaux esprits. Celuy de mon amy, qui est un fortjoly homme, et avec qui j'ay fait quelque liaison d'amitié en Angleterre, m'a paru digne d'aller à Chantilly.
« M. l'abbé Bourdelot m'a appris avant hier que V. A.S. seportoit bien ; j'enayune joye indincible. En écrivant ce billet, je prends la hardiesse de saluer la santé de V. A. S. Je suis plus fou que jamais; je parois jeune; Dieu bénit mes débauches » (i).
A l'époque où Lignières traçait ces lignes, le prince de Condé s'acheminait rapidement vers la mort. Il devait, deux ans après, disparaître de ce monde. Il est probable que notre chevalier vint encore plusieurs fois à Chantilly et que beaucoup de ses lettres y rap- pelèrent son souvenir, lorsque ses maîtresses le contrai- gnirent à demeurer dans la capitale. Ces lettres n'ont pas été conservées. Avec Condé, Lignières perdit le seul grand personnage qui, ayant compris son carac- tère, lui ait marqué quelque estime. Le libertinage les avait unis.
(i) Archives de Chardilly, Lignières à M. le Prince, Paris, n sep- tembre i634 (Inédile). Documenlcommuniquc par M. Gustave Màcon.
l42 LE CHEVALIER DE LIGMàUES
Il semble, dès lors, que le poète, privé de ce protec- teur, mène une existence peu honorable. Un péda- gog-ue, il est vrai, René Milleran, de Saumur, profes- seur de lang-ue française, allemande, anglaise et interprète du roi, confiant en sa célébrité, lui demande bien de patronner la nouvelle grammaire où il ensei- gne l'art de bien dire et celui d'écrire de galantes 'épistoles (i). Mais c'est un provincial illusionné sur l'efficacité de cette recommandation. En réalité Ligniè- resperd désormais tout prestige. Les dernières ruelles des précieuses se sont une à une fermées. Il ne peut prétendre au titre de bel esprit dans les salons qui subsistent et oîila philosophie qu'il n'aime guère sert de thème aux conversations. 11 est âgé, et ses cheveux blanchis, et ses dents dispersées n'invitent plus les dames à écouter sa tendresse chevrotante s'exprimer.
Ses amis les plus anciens ral)andondent. Furctière, en tête de son DicUonnaire, en guise de biographie, lui consacre ces lignes méprisantes :
« Le seigneur Ligiiières boit, et c'est dommage. Quand on va pour voir le bonhomme Vaumorière et le gaillard Lignières et qu'on ne les trouve pas dans leurs cabanes, on n'a qu'à aller au premier cabaret
(i) René Milleran : La nouvelle grammaire françoise... Marseille, nrcblon, i6f)2,in-i2.Linières embellit cet ouvrage de deux quatrains, rnn pour louer le portrait de l'auteur, l'autre pour exalter rexccllence df; son œuvre.
LE CHEVxVLIER DE LIGMÈRES l43
borgne de leur rue, et on les y trouvera assurément trinquant avec quelque porteur ou quelque croche- leur. »
Ménag-e, en mourant, dans celle sorte de testament littéraire qu'est le Menagiana, se Aeng-e des moque- ries du satirique par ces mots :
« Présentement, on ne le regarde plus et il est obligé de manger avec les cochers et les laquais des maîtres à la table desquels il mangeait autrefois (i). »
Mais ces g:ens mentent effrontément. S'il est vrai que ses débauches ruinèrent peu à peu le chevalier au point de le contraindre à supprimer son carrosse, il ne fut pas cependant réduit à l'obligation de vivre, comme l'en accuse le poète Lainez (2), en parasite, et de s'accoquiner aux compagnies vulg-aires. Sa famille subvenait à ses nécessités (3). Il répond d'ailleurs avec énergie, dans ces vers, aux calomnies dont on l'ac- cable :
Je vois d'illustres cavaliers Avoir laquais, catrosse et pages,
(i) Menaffinnn, 1698. Lignières en lisant ce paragraphe entra en fureur et s'écria : « Ah! bougre! je te donnerai sur tes boug'res de mânes. »
(2) Poésies de Laine:, 1703, p. â6, V. aussi pp. 10 et 42. Lainez paraît poursuivre Liynières, nous ignorons pour quelle cause, d'une haine forcenée.
(3) Carpentariana, 1741, pp. 3j7, 358. « H s'est toujours soutenu assez honnêtement », ajoute Charpentier.
144 LE CHEVALIER DE LIGNIKRES
Mais ils doivent leurs équipag-es Et je ne dois pas mes souliers (i).
Certes nous ne songeons point à nier qu'il prati- quait le vice d'ivrognerie. II s'en vantait haute- ment (2). Mais cela n'enlevait rien à sa dignité exté- rieure et à la qualité de sa verve. Il continuait à disperser poésies et épigrammes (3). Une sorte de fol, Louis de Sanlecque, ancien évoque de Bethléem, privé de son évêché pour indignité et qui se donnait
(i) Richelet : Dictionnaire, a.vi. Equipage ; Menagiana, lyiS, I, 117; Tallemant : III, 284; Nouveau recueil des Epigrammatisies français, 1720,1, 373.
(2) Bibl. nai., ms. n° 12522, f" 867; Laclièvre : Bibliographie \nc- citée. III, 424 :
II faut toujours vuider le verre Pour dissiper nosire cliagrin; Si l'on met tant de gens en terre C'est qu'on ne boit plus de bon vin.
V. aussi, dans le même sens, Même ms., f» 367; Laclièvre : op. cit., III, 423. Apprenant, en 1693, la mort de Robert, grand pénitencier, Ligrnières déclare :
La mort de Robert ]c traiteur
Me tiendrait beaucoup plus au cœur.
(3) Dihl. nat., ms. n» 12G22, f" 407; Œuvres inédites de La Fon- taine, édil. Paul Lacroix, i8G3, p. 33G; Laclièvre ; op. cit., III, 423, Sur J'ellisson,
Je ne jugerai de ma vie D'un bouline avant (ju'il soit éteint :
Pellisson est mort en impie Et La Fontaine est mort en saint.
V. aussi Bil/l. nat., ms. n" 12728, f» 898, Chanson (inédite) contre La Jonclière. V. ég"alcmenl/?w«et7 de />icces curieuses et nouvelles, iGy."), III, 208, Sur la mort de Marie Stuart.
LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES l/|5
des airs de moraliste, Tayant attaqué, dans quelques rimes grotesques, il lui répliqua brutalement :
Au lieu de vivre ainsi que saint Antoine,
Tu veux t'ériger en Boiieau;
Ta satire n'a rien de beau
Et tous tes vers sentent le moine.
L'autre lourdement le traita de pourceau et repro- cha à ses vers de « sentir l'ivrogne ». Dénué d'esprit, il n'était point de taille à triompher dans cette lice. Lignières, par une lettre publique, et dont toute la société s'amusa, le réduisit au silence. Il y persiflait le moine « dameret et joly », l'enfant d'Épicure, le pas- teur dégoûté de son troupeau et qui aspirait à vivre, dans un Tivoli, en sybarite. Et, lui dit-il,
Et, pour ton luxe, il te faudroit Donner le fouet en plein chapitre (i).
Cette querelle paraît être la dernière qui ait suscité les reparties de Lignières. Il était, lorsque Sanlecque l'obligea à prendre la plume, un petit vieillard trem- blotant. Néanmoins, il s'occupait encore, dit le sieur Irailh, à « mettre l'Écriture sainte en comédie ». Il avait réuni ses œuvres. Elles formaient un « sottisier énorme ». Peut-être songeait-il alors à les publier. Il sentait qu'elles seraient d'une certaine importance
(i) Bibl. nat., ms. w 208G2, f» 180 et 180 v° (Pièces inédites).
10
l46 LE CHEVALIER DE LIGNIÈRES
pour répandre dans le monde les doctrines de la libre pensée. 11 n'eut pas le loisir de réaliser ce dessein. En 1704, il mourait dans l'impénitence finale. Après avoir raillé les libertins qui donnaient le spectacle de la crainte devant la mort et abjuraient, par lâcheté, leurs erreurs, il se refusa à suivre leur exemple (i).
Peu de temps après sa disparition, Henry-Jules de Bourbon, fils du g-rand Condé, s'emparait de ses poé- sies et les livrait au feu (2). 11 paraissait ainsi venger la relig-ion sans cesse assaillie par le satirique senli- sien. En réalité, il détruisait aux yeux de Louis XIV et de la marquise de Maintenon, tombés dans la bigo- terie, la preuve qu'un Condé avait, de son vivant, commandé les cohortes de l'athéisme.
Juin i(ji4'
(i) Querelles lUIéralves, 17G1, I, 320 et s.
(2) Nouveau recueil des E.iif/ramrnistes français.
APPENDICE
I. — TABLE DES POESIES IMPRIMEES
DU CHEVALIER DE LIGNIÈRES (i)
1656
1 . Épigramme.
La mort de mon parent se voit dans vostre main. Recueil Sercy, i656, 3e part., p. 272. / ^
2. Epigramme contre la Pucelle.
Par bonheur, devant qu'on imprime. B. N. ms n«9364fo 14 ; 2556; fo 38o; Lettre d'Eraste àPhilis sur le poème de la Pucelle, Paris, Chamhoudry, i656, in-40.
3. Madrigal.
Philis, lu souhaites de moy. Recueil Sercy, i656, 3o part., p. 197.
(1) Nous classons, en celte table, les poésies du chevalier de Lignières sous les dates de leur première publication. On les trouvera, au courant de notre texte, sous les dates de leur élaboration et de leur circulation dans les ruelles. La plus grande et probablement la meilleure partie de ces poésies ne nous est pas parvenue. Le manuscrit en fut acheté « fort cher », dit Bruzzen de la Martinière, par le prince de Condé qui le brûla pour délivrer la littérature d'une œuvre gonflée de libertinag-e. V. Nouveau recueil des épigrammattstes français anciens et modernes par M. B. L. M. 1720. I. p. SjS.
jo le chevalier de lignieres
4. Madrigal.
Vous dites, Belle, en vous moquant. Recueil Sercy, iG56, 3e part., p. 218.
1657
5 . Pour le Petit de Beauchasteau, épigramme.
A dix ans, il a plus d'esprit que père et mère. La lyre du jeune Apollon ou la Muse naissante du Petit de Beauchasteau, i^Sy, s. p.
1658
6. Chanson.
A l'ombre de mille arbrisseaux. Recueil Sercy, i658, 4*^ part., p. 358.
7. Sarabande.
Chacun voit que depuis un mois ou deux. Recueil Sercy, i058, 4*^ part., p. 356.
8. A Uranie, Stances.
Daphnis, ce merveilleux génie. Recueil Sercy, i658, 4^ part., p. 882.
9. A 1\I. Martin le jeune, épistre.
Depuis un mois ou deux qu'un libraire affamé, B. i\. ms no i5.i25 ; Lachèvre : La chronique des cha- pons et des gelinottes du Mans, 1907, p. 177.
10. Chanson.
De tous ceux que l'Amour rend chez vous assidus. Recueil Sercy, if)58 et 16O1, 4*^ part., p.36o.
11. Épigramme.
Ha, Philis, je peste et j'enrag-e. Recueil Sercy, i658, 4e part., p. 38o.
APPENDICE l5l
12. EPIGRAMxME.
J'aime l'aisnée et la cadette. Recueil Serci/, i658, 4^ part., p. 384-
13. A M'ie DE ViLLAINE EN LUI ENVOYANT l'AL^JANACH D'AMOUR, MADRIGAL.
J'ay bien prévu devant vostre retour. Recueil Sercij, i658, 4" part., p. Sôy.
14. A M. HOTEMAN, CAPITAINE AU REGIMENT DE LA MARINE, ÉPISTRE.
Je n'ay point le désir de paroistre à l'armée. Recueil Sercy, i658, 4*^ pari., p. 288.
i5. Sonnet.
Je ne m'estonne point que vous soyez cruelle. Recueil Sercy, i658, 4'^ part., p. 354-
16. Epigramme.
Je veux cesser, Philis, de vous estre importun. Recueil Sevcy, i658, 4^ part., p. 38i.
17. Épigramme.
Le mal que je sens est extresme. Recueil Sercy, i658, 4^ part., p. 356; La Muse coquette, 1609, p. 82; Recueil des plus beaux vers qui ont esté mis en chant, 16G8, 26 part., p. 496, sous le titre : Gigue de M. Sicard.
18. A PhILIS, sur ce qu'elle m'aVOIT DÉFENDU DE LUY PARLER
d'amour, stances.
Lorsque, sans me vouloir guérir. ■ Recueil Sercy, i058, 4*^ pai^t. p. 874; La Muse coquette, 1O59, p. 82.
19. Gazette burlesque (ou la Pénitence de Lignières, ou Epi- tre de Lignières à M^e la comtesse de La Suze).
Maintenant qu'approche la feste. R. N. ms n" i5.i25, f" 44 vo, P^ond eaux pour l'agréable mai- son de Viry; Ribl.Ars., ms no 3i35, Rec. Conrart fo 1 13 ;
102 LE CIIEVALIEU DE LIGNIERES
Les Muses illustres, i658, p. 3i8;Tallemant : VI. 323-324 ;Bour- goin : Valentin Conrart, i883, p. 347-348; Lachèvre : La chro- nique des chapons et des gelinottes du Mans, 1907, p. 96 et s.
20. Sonnet.
Ne craignez point, Philis, d'abandonner la France. Recueil Sercy, i658, 4e part., p. 355.
21. A UNE BELLE CRUELLE, MADRIGAL.
Objet dont mon Ame est éprise. Recueil Sercy, i658, 4e part., p. 38o.
22. Sur UNE CHATTE, STANCES.
On est charmé de vostre chatte. B. N. ms no 19.142, f^ 164 ; Les Muses illustres, i658, p. 247 ; Recueil la Suze, 1674. I. 25.
23. Élégie.
Par un sort inliumain et qui vous est contraire. Recueil Sercy, iG58, 4*^ part., p. 290.
2'\. Pour deux demoiselles dont l'une estoit le serviteur
ET l'autre la MAISTRESSE, SONNET FAIT SUR-LE-CHAMP.
Qu'il est beau, ce couple d'amans. Recueil Sercy, i658, 4<^ part. p. 353.
25. Contre un frippier de vers oui les vouloit vendre un escu le cent, madrigal.
Quoy, tu nous veux vendre des vers. Recueil Sercy, i658, 4" part., p, 377.
2O. Factum, épistre, (contre Ménage).
Tyrsis, je suis ravi que par vostre moyen. Recueil Sercy, i058, 4*^ part., p. 279; Menagiana, 1715, I. 119; IV. 125.
27. Kpigramme.
Vous avez un mérite exlresme. Recueil Sercy, i058, 4" part., p. 38 1.
APPENDICE l53
28. Épigramme.
Vous dites que pour mon malheur. Recueil Sercy, i658, 4" part., p. 429.
29. Épigramme.
Vous faites bonne mine à tous. Recueil Sercy, i658, 4* part., p. 384.
30. Stances.
Vous m'accusez d'estre inconstant. Recueil Sercy, i658, 4^ part. p. 4'-^8; 1660, 5e part., p. 3i.
3 1 . Consolation a une jeune et belle veuve que je n'ai ja- mais VEUE, sonnet.
• Vous que j'ayme devant que de vous avoir vue. Recueil Sercy, i658, 4^ part., p. 378.
32. Épigramme.
Vous qui découvrez dans les mains. Recueil Sercy, i658, 4^ part., p. 292.
33. A UNE belle et fikre coquette oui m'a voit donné son portrait, madrigal.
Vous qui m'avez fait plus de maux. Recueil Sercy, i658, 4*^ part., p. 379.
1659
34. Portrait DE Mme Deshoulières fait par M. deLignières.
Je vais peindre Pliilis jusques au moindre trait. Recueil des poriraiis et éloges en vers et en prose dédié à S. A. R. Mademoiselle, 1G59, i^e part. p. 290. Mêmes titre et date, ire part., p. 376.
35. Portrait de M. deLignières fait par luy-mesme.
Les portraits sont en vog-ue et chacun fait le sien. Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à
i54 LE CHKVALIER DE LIGXIERES
S. A. R. Mademoiselle, iGjo, i''e part., p. 2jo. Mômes titre et date, l'e part. p. 327.
36. Portrait de M^c de Montbel fait par M. de Lîgnières.
On aimire vostre portrait. Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à S. A. R. Mademoiselle, iGôg, jre part., p. 287. ]\Ièmes titre et date, l'e part., p. 3()8.
37. Portrait de M'ie Petit fait par de Lignières.
On fait cas d'un portrait quand il est équivoque. Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à S. A. li. Mademoiselle, 1659, l'e part., p. 271. .Mêmes titre et date, l'e part., p. 344-
38. Portrait d'Amarante par M. de Lignières envoyé a
Mme DeSHOULIÈRES.
Que les poètes sont ingrats. Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à S. A. R. Mademoiselle, iGôg, 2e part., p. G9. .Altmcs titre et date, 2" part., p. 5.")i.
39 l'ORTR.MT DE Ml'e DE ViLLÈNES FAIT PAR M. DE LiGNiÈRES.
Ouoi ! je ne peindrois pas l'adorable Climène! Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à S. A. R. Mademoiselle, lOâg, 2e part., p. 299. Mômes litre et date, 26 pari., p. 899.
40. Portrait de M'"» Deshoulikres fait par de M. Ligniè- res.
Tbut ce qu'a de plus beau la peinture parlante.
Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à S. A. R. Mademoiselle, 1O59, 2e part., p. 3o. Mômes titre et date, 2c part., p. 496 (0-
(i) Ces porirails sont reprorluUs dans La Galerie des Peintures on Recueil des Portraits et Élof/es en vers et en prose... Paris, Sercy, niO;} in-8 cl dans La Galerie des Portraits de J/"' de Montpensier, par E. de Barlliclemy, Paris, Didier, 1860, in-8.
APPENDICE l55
1660
4r. Stances.
Après les maux que j'ay soufferts. Recueil Sercij, i6ôo, ûe part., p. ii3.
42. Idille POUR ^Iadame...
Au pied de ce rocher, je viens perdre la vie. Recueil Sercy, 1G60, 5e part., p. 17.5.
43. Épigramme.
Depuis que vous causez ma peine. Recueil Sercy, lOOo, 5^ part., p. 106.
44. Le voyage ue Mantes, a Madame Deshoulières.
Hé bien, je décriray le voyage de xMantes. Recueil Sercy, 1660, 5e part., p. 217.
45. A Madame..., Elégie.
Hélas! que me sert-il de vous conter ma flamme. Recueil Sercy, lOGo, 5e part., p. 23o.
46. Stances.
J'aime sans espoir d'estre aimé. Recueil Sercy, 1660, 5^ part., p. i58.
47. Stances.
J'ay soupiré pour les plus belles. Recueil Sercy, i6(5o, 5e part., p. 118.
48. Sonnet.
Je ne puis plus celer que je vis sous vos loix. Recueil Sercy, 1660, 5e part., p. 21.
4o. Pour Mnie la comtesse de la Suze, Sonnet.
Le ciel joint rarement l'esprit à la beauté. Recueil Sercy, 1660 et iG'iô, 5e part., p. 3o.
5o. Stances.
Le destin avec ma famille. Recueil Sercy, 1660 et 1666, 5e part., p. 33.
l56 LE CHEVALIER DE LIGMÈRES
5i. A Mad... Sur sa petite levrette,
Philis, vous me prenez pour un peintre de chien. Recueil Sercj, 1660, 5e part., p. 201.
52. Madrigal.
Pour immortaliser ma veine. Recueil Sercy, 1660, 5e part., p. 29.
53. Rondeau.
Un violon charme Sylvie. Recueil Sercy, 1O60, 5e part., p. 32.
54. Sur la petite chienne de Madame..., Stances.
Vive vostre petite chienne. Recueil Sercy, 1660, 5e part., p. iG.
55. Sonnet.
Vostre éloquence me convie. Recueil Sercy, 16C0 et 1G66, 5e part., p. 36. 50. Épigramme.
Vous sravez, outre les anciens. Recueil Sercy, 1660, 5e part., p. 10.
1665
57. Chapelain décoiffé.
Enfin vous l'emportez et la faveur du roy. R. N. VIS, n" 9304 fo 25 1 ; 1 5.012 fo 98; Le Chapelain décoiffé, comédie en un acte et en vers, dédiée à MM. de l'Académie françoise, Paris, Nicolas Thibaut, i665 in-12; Nouveau recueil de plusieurs et diverses pièces galantes de ce temps, S. L. i665, in-12, pp. i ets.
1666
58. Paroles sur un air.
De vos procès et Vostre bien. Les Délices de la poésie galante, 1GG6, 2e part., p. 39.
APPENDICE l57
59. ESTRENNES A Mme..,, SONNET.
N'espérez point, Philis, d'avoir de moy d'estreunes. Les Délices de la poésie galante, 1666, 2e part., p. !\i.
60. Alarme amoureuse, Stances galantes.
Que seroit-ce, mon cœur, voudrois-tu bien aymer ? Les Délices de la poésie galante, i060, ire part., p. 202.
1674
61. STA.^'CES.
Ou m'a dit qu'une dame et vous. Recueil La Siize, 1G74, I, 2O.
1692
62. Epigramme a m. Milleran sur ses ouvrages.
Cet homme, en sa grammaire, étale. La nouvelle grammaire française par M. René Milleran, de Saumur, professeur des langues française, allemande et anglaise, et interprète du rog, 1692, s. p.
63 . Sur le portrait de M. René Milleran.
Vous estes obligé, lecteur. La nouvelle grammaire française, précitée.
1694
64 . Sur Mazarin.
Cy-g'ît que la g-outte accabla. Le tableau de la vie et du gouvernement de MM. les cardinaux Richelieu et Mazarin, lOg^» P- i49> Attribué à Lignières par V Anthologie des Ecrivains français. Poésie XVII^ siècle, édit. Gauthier-Ferrières, 1912, p. 99.
l58 le chevalier de ligmères
Gj. Contre Desbarreaux.
Desbarreaux, ce vieux débauché.
Valesiana, 1694, p. 82; Annales poétiques, 1788, t. XXVII, p. 7 ; Lachèvre : Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de i5gy à i/oo, 1908, II, 242.
1695
GG. Contre La Fûntaïne oui avoit écrit la pastorale de Daphné sur la demande de Lully oui déclara « qu'elle ne VALoiT PAS LE DIABLE » (ou Chansoii SUT l'Opéra de Céladon et d'Astrée faite par M. de La Fontaine). Ha ! que j'aime La Fontaine.
B. N. ms, no 12.G22, fo 190; Recueil de pièces curieuses et nouvelles tant en prose qu'en vers, 1695, IV, 22G; Fôtis : Biograpliie universelle des Musiciens, art. Lully; Œuvres inédiles de La Fontaine, édit. Paul Lacroix, i863, p. 3i23; Lachèvre : op. cit., 1904, III, 4^4-
O7. Sur la Mort de Marie Stuart.
Porter le diadème avec un noble orgueiL Recueil de pièces curieuses et nouvelles tant en prose qu'en vers, 1695, III, 209.
1698
G8. Epigramme.
Un jeune abbé me crut un sot.
Recueil des plus belles épigrammes des poètes français depuis Marot Jusqu'à présent, 1698, I, Zoi; Nouveau recueil des Épigraniniatisles français anciens et modernes, par M. B. L. M. 1720, II, 374; Annales poétiques, 1788, t. XXVII, p. 7.
APPENDICE log
1701
0(). Lettre de M. de Ligmères a MS^ le Prince.
Le lait est donc vostre breuvage? Combats cVesprit. S. D. (1701), p. 89; Bulletin du comité arcliéologique de Sentis, 1881, pp. 278-279.
1715
70. Contre CoNRART.
Conrarl comment as-tu pu faire. D. N. ms, no 9.864, f" i4 ; 25.5(37, p. 38o vo ; Menagiana, 1715,
I, 117; Nouveau recueil des Épigrammatistes françois, 1720, I, 874; Tallemant : III, 299; Bourg-oin : Valent in Cou- rant, i883, p. 161; Lachèvre : La chronique des chapons et des gelinottes du Mans, 1907, p. lxi.
71. Epigramme.
Je vois d'illustres cavaliers. Menagiana, 1715,1, 117; Nouveau recueil des Epigram^ matistes françois, 1720, I, 878; Richelet :