PRINCETON, N. J Division Section Number V DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE LA PALESTINE. OUVRAGES DU MEME AUTEUR : Description de l’ile de Patmos et de l'ile de Samos . accompagnée (le deux Cartes. Un volume in-8°. Chez Pedone-Laeriel, libraire, rue Soufflot, i3. Étude sur l’ile de Rhodes, accompagnée d’une Carte. Un volume in-8°. Chez le même. De tira Palæstinse a promontorio Carmelo usque ad urhcin Joppen perti¬ nente, ouvrage accompagné d’une Carte. Un volume in-8°. Chez le même. Voyage archéologique dans la Régence de Tunis, avec une Carte. Deux volumes grand in-8°. Chez Plon, imprimeur-éditeur, 8, rue Garancière. Description géographique , historique et archéologique de la Palestine , accom¬ pagnée de Cartes détaillées. — Première partie, Judée. Trois volumes grand in-8°. Chez Chàllamel ainé, libraire, 5, rue Jacob. Description géographique, historique et archéologique de la Palestine, accom¬ pagnée de Cartes détaillées. — Deuxième partie, Samarie. Deux volumes grand in-8°. Chez LE MÊME. PARIS. ERNEST LEROUX, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE, DE L’ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, DE LA SOCIETE DE L’ORIENT LATIN, ETC. ‘28, RUE BONAPARTE. Tous droits réservés. DESCRI PT I ON GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE [ET ARCHÉOLOGIQUE DE LA PALESTINE, ACCOMPAGNÉE DE CARTES DETAILLEES, PAR M. V. GUÉRIN, AGRÉGÉ ET DOCTEUR ES LETTRES, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS ET DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE FRANCE, CHARGÉ D’UNE MISSION SCIENTIFIQUE. TROISIEME PARTIE. — GALILEE. TOME I. PARIS. IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DU GOUVERNEMENT À L’IMPRIMERIE NATIONALE. M DGCC LXXX. Digitized by the Internet Archive in 2019 with funding from Princeton Theological Seminary Library https://archive.org/details/descriptiongeogr06guer DESCRIPTION I GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE LA PALESTINE. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. CHAPITRE PREMIER. DE MARSEILLE À SMYRNE . - SMYRNE. - DE SMYRNE À RHODES. - RHODES. - DE RHODES À MERSINA. - MERSINA. - RUINES DE POMPEIOPOLIS. - ALEXANDRETTE. - LATAKIEII. - DE LATAKIEH À TRIPOLI. - TRI¬ POLI. - BEYROUTH. - JAFFA. DE MARSEILLE À SMYRNE. .le venais d’achever la publication de mon travail sur la Samarie* qui forme la seconde partie de mon ouvrage intitulé Description géographique, historique et archéologique de la Palestine, lorsque M. Wallon, alors ministre de l’instruction publique, daigna me confier une nouvelle mission pour cette contrée célèbre, afin d’y explorer en détail la basse et la haute Galilée, et de compléter ainsi les recherches crue depuis de longues années déjà j’avais entreprises dans la Terre sainte. Le mai 187b, je m’embarquai donc à Marseille sur le pa¬ quebot l’Ilissus. Le 9.0 mai, après avoir successivement touché quelques heures, chemin faisant, le 1 fi à Palerme, le 17 à Messine et le 19 à Syra, ! 2 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. nous jetions l’ancre, vers le soir, au fond de l’innnense golfe de Smyrne. SMYRNE. La lune, dans son plein, se levait, en ce moment, derrière le mont Sipyle, et son disque argenté montait lentement dans le ciel, illuminant du doux éclat de ses rayons le golfe entier, les îles qui le parsèment, les hauteurs qui l’encadrent et la grande ville que nous avions devant nous. Jamais cette cité ne m’était apparue si belle, avec les minarets de ses mosquées, les clochers de ses églises, les gigan¬ tesques cyprès qui ombragent ses cimetières, les innombrables lu¬ mières qui scintillaient dans ses maisons et le long de ses principales rues. C’était bien là la reine actuelle de l’Asie Mineure, noncha¬ lamment assise au pied et sur les flancs inférieurs du Pagus, dont le sommet était jadis occupé par son acropole et que couronnent encore maintenant les restes d’une ancienne forteresse. Une atmos¬ phère tiède avait remplacé la brise de la haute mer. On sentait qu’on était sous le ciel de la molle Ionie. Dans l’impossibilité où je me trouvais, ainsi que tous les autres passagers, de débarquer à l’entrée de la nuit, je me promenai long¬ temps sur le pont du navire, contemplant et reconnaissant tour à tour chacun des points du vaste panorama qui se déroulait autour de moi. Je repassais également dans ma pensée les principaux évé¬ nements qui ont marqué l’histoire de Smyrne. Il n’entre pas dans mon sujet de les résumer tous ici. Qu’il me suffise de dire que cette r antique colonie d’Ëphèse, jadis plus rapprochée de Bournabat, et située à vingt stades de la ville actuelle, fut ensuite transportée sur les lianes du mont Pagus. Pausanias raconte qu Alexandre, obéissant aux inspirations d’un songe qu’il avait eu sur cette colline, résolut d’y fonder une ville nouvelle. L’oracle de Claros consulté engagea les Smyrnéens à y transférer leurs pénates. I pi<7(À(x>axpes xelvot xoà TejpaHts avSpes ecrovcat , Oi II ajov oî>aj(70i(jt 'znépi'iv îepoïo MéXtjTOs '. Pausanias, I. Vit, c. v. 1 CHAPITRE I. — SMYRNE. 3 cr Trois et quatre fois heureux seront ceux qui iront habiter le Pagus, au delà du Mêles sacré, v Ainsi créée par le conquérant macédonien, agrandie et embellie par les rois grecs, ses successeurs, puis par les Romains, quand l’Asie tomba en leur pouvoir, la nouvelle Smyrne attira et absorba dans son sein la plus grande partie de la population de l’ancienne, et bientôt elle rivalisa en beauté avec les villes les plus remar¬ quables du monde. Strabon1 vante la régularité et le plan bien or¬ donné de ses rues, qui se coupaient à angle droit, et qui étaient pavées de dalles. Elle était ornée de portiques, de temples et d’autres monuments somptueux. Homère, qui passait pour être né sur les bords du Mêlés, dans une grotte solitaire, y était vénéré dans un sanctuaire particulier, comme le véritable dieu de la poésie. Couvrant le Pagus, elle s’étendait aussi et principalement dans la plaine autour de son port, dont une grosse chaîne fermait l’entrée. Plusieurs fois ébranlée par de violents tremblements de terre, elle fut successivement restaurée par différents empereurs romains, qui se plurent à la décorer. A l’avènement du christianisme, elle devint le siège d’un évêché; et saint Poiycarpe, disciple de saint Jean l’Évangéliste, fut son premier évêque et l’un de ses plus célèbres martyrs. Les empereurs de Byzance en disputèrent longtemps la possession aux Turcs et réparèrent ses fortifications et le château de son acropole. Concédée par un traité aux Génois, qui y établirent un de leurs comptoirs maritimes, elle passa ensuite sous la domina¬ tion des chevaliers de Rhodes, qui, pendant cinquante-sept ans, la gardèrent, malgré les efforts des Osmanlis pour la reprendre. En i ô o 2 , le fameux Tamerlan s’en empara, après avoir fait combler son port, par où elle pouvait se ravitailler, et la livra en proie à ses Tartares, qui y promenèrent partout le fer et le feu. Reconquise par les Turcs, puis de nouveau attaquée et prise par les chevaliers de Rhodes, qui furent contraints de l’abandoner bientôt, elle fut, vers la lin du xvc siècle, dévastée par les Vénitiens, qui ne la gar- Slrnbon , I. XIV, p. 646. h DESCRIPTION DE LA GALILÉE. dèrent. pas non plus. Depuis lors, elle n’a pas cessé d’appartenir à l’empire ottoman. An milieu de tant de vicissitudes et malgré tant de désastres, Smyrne, grâce à son heureuse position et aux avantages de son golfe, est toujours restée l’une des villes les plus importantes de l’Asie Mineure, et aujourd’hui elle compte environ 170,000 habitants, d’autres disent 180,000, qui se décomposent ainsi : 1 5, 000 Francs, cath ol i qu es 0 u pr 0 tes ta nts ; 8 0 , 0 o 0 Gr e es et A r méniens , 1 0 , o 0 0 J u ifs , et tous les autres Musulmans. Le 2 1 , dès la pointe du jour, je parcourais les différents quartiers de la ville, où je remarquai que de notables améliorations avaient été pratiquées depuis quelques années. Néanmoins, de même que Constantinople offre de loin aux regards un spectacle incomparable et perd singulièrement à être vue de trop près, ainsi Smyrne, dont l’aspect général est si séduisant du milieu de son golfe, ne conserve plus qu’une faible partie de son charme dès que Ton y aborde et que l’on commence à la considérer en détail. De tous cotés, en effet, l’incurie musulmane éclate à chaque pas, et auprès de belles maisons européennes, d’autres tombant en ruine ou d’ignobles échoppes et la malpropreté inhérente en quelque sorte à la bar¬ barie vous rappellent que vous êtes dans une ville turque et sur une terre où règne l’islamisme. Le quartier franc est le mieux bâti et le plus animé. Là sont les consulats et les plus jolies habitations. Quelques-unes renferment intérieurement de vastes cours, ombra¬ gées par de beaux arbres. La rue des Roses, pavée avec de larges dalles et bordée de maisons élégantes, est la plus remarquable de toutes. Les différents bazars ont chacun un genre de commerce qui leur est affecté. Dans l’un se vendent les babouches; dans un autre, les étoffes de soie. Celui-ci étale les riches tapis de l’Anatolie et de la Perse; celui-là, les indiennes et les cotonnades. Ainsi en est-il pour les autres marchandises et denrées. Souvent, dans des boutiques en bois, de misérable apparence, sont entassés des objets de grande valeur. Là, dans un petit coin, le marchand lui-même peut à peine CHAPITRE I. — SM Y R NE. quelquefois trouver place, silencieusement accroupi, s’il est Turc, et fumant avec une indolente gravité son tchibouk ou son narghilé, en attendant que le client se présente; plus vif, au contraire, plus empressé et plus loquace, s’il est Arménien, Grec ou Juif. Presque tous surfont beaucoup, principalement les Grecs et les Juifs. Parmi les édifices catholiques, je signalerai d’abord la cathédrale, qui est nouvellement achevée. Elle a trois nefs, de style simple, et bien tenues. M§r Spaccapietra , qui l’a fait construire avec les dons qu’il a pu recueillir, soit à Smyrne, soit en Europe, est en même temps l’archevêque latin de la ville et le vicaire apostolique de l’Asie Mineure. La résidence de ce savant et vénéré prélat est en¬ clavée dans le couvent des Pères Franciscains, et tout y est d’une simplicité vraiment évangélique. L’église de ces religieux est grande et n’a qu’une large nef voûtée, avec trois autels de chaque côté. C’est l’une des paroisses catholiques; elle est sous le vocable de sainte Marie. La cour qui la précède est pavée de dalles funéraires. Quant au couvent, il compte huit pères et quatre frères. La deuxième paroisse catholique est desservie par des Capucins. Elle a trois nefs. On y remarque une belle statue de la Vierge, en argent. Des dalles funéraires forment le pavé de cette église et couvrent la cour qui y est attenante. L’établissement des sœurs de Saint-Vincent de Paul est très con¬ sidérable. Il a été fondé, il y a une quarantaine d’années, par la sœur Ginoux, femme éminente par le cœur et par l’intelligence, qui l’a toujours dirigé jusqu’à sa mort, arrivée depuis peu. Le pen¬ sionnat, les classes d’externes, l’orphelinat et l’ouvroir méritent d’être visités, à cause de l’ordre parfait qui y règne. L’éducation chrétienne (pii y est donnée aux élèves est la même pour toutes. Quant à l’instruction qui leur est distribuée, elle varie suivant la position sociale de leurs familles et l’avenir probable qui les attend elles-mêmes; mais toutes, riches ou pauvres, sont formées dès l’ en- lance aux divers soins du ménage. Cet établissement comprend également dans un batiment voisin un hôpital et un dispensaire, G DESCRIPTION DE LA GALILÉE. où chaque jour trois cenls malades environ viennent demander des soins, des conseils ou des médicaments. Je n’oublierai pas non plus une salle d’asile où les Sœurs reçoivent un assez grand nombre de petits garçons, jusqu’à ce qu’ils soient en âge d’assister aux leçons des Frères. Le collège de la Propagande, tenu par les Lazaristes, et l’école des frères de la Doctrine chrétienne sont de même très fréquentés, et les élèves qui y affluent seraient encore plus nombreux, si les salles destinées à les contenir étaient plus vastes. Ces divers établissements, tous français, ne sauraient être trop puissamment encouragés et patronnés par nous; car, en même temps qu’ils contribuent à transmettre d’âge en âge et à faire luire sur l’Orient dégénéré le flambeau toujours allumé du catholicisme, ils perpétuent notre langue, nos bienfaits et l’amour du nom fran¬ çais, sur cette terre qu’occupe la barbarie, mais que se disputent les influences rivales des grandes nations de l’Europe. Les Grecs, qui composent à eux seuls la moitié de la population totale de Smyrne, sont pareillement sous la juridiction spirituelle d’un archevêque schismatique. Ils possèdent plusieurs paroisses et une cathédrale que décorent intérieurement quelques belles peintures et au dehors un élégant campanile. Leurs écoles sont bien suivies. En sortant de la ville basse, où tout le commerce est concentré, et en gravissant des rues et des ruelles souvent très rapides et en escalier, on est frappé d’un contraste soudain. A la vie et à l’agita¬ tion d’une foule sans cesse renaissante ont succédé le silence et la solitude. Plus de balcons aux maisons, comme dans la rue Franque ou dans celle des Roses, où les femmes aiment à se montrer, mais des croisées grillées et des espèces de jalousies qui ne s’ouvrent presque jamais. C’est le quartier réservé aux Musulmans. En montant encore davantage, on foule sur les pentes du Pagus l’emplacement et les traces de plus en plus etfacées de la Smyrne d’Alexandre. Il n’en subsiste plus que des vestiges, qui disparais¬ sent de jour en jour. Cependant, on y distingue encore ceux d’un CHAPITRE I. SMYRNE. 7 théâtre et, plus loin, la circonférence elliptique d’un vaste stade, dont tous les gradins ont été enlevés, mais dont la forme oblongue de l’arène et quelques débris de voûtes, de date romaine probable¬ ment, sont encore reconnaissables. C’est dans ce stade que saint Polycarpe couronna par le martyre son glorieux épiscopat. Une église consacrée à sa mémoire avait été érigée, à une faible distance de là, par les premiers chrétiens. Renversée de fond en comble depuis longtemps, il en reste à peine maintenant quelques cubes de mosaïque épars au milieu de plusieurs tas confus de pierres mutilées. Une fois parvenu sur le sommet du Pagus, on pénètre dans l’en¬ ceinte d’une grande forteresse, qui était en partie debout quand je la vis pour la première fois, en i85a, et l’on remarquait dans le parement des tours et des courtines un très grand nombre de beaux blocs antiques. Cette enceinte, dont les fondations peut-être ont été jetées par les rois grecs successeurs d’Alexandre, paraît avoir été relevée par les empereurs de Byzance; elle a dû subir ensuite des réparations plus récentes de la part des Génois, des chevaliers de Rhodes et des Turcs. De vastes citernes bien construites s’étendaient sous la plate-forme de ses cours et pouvaient fournir aux besoins d’une nombreuse garnison. Depuis longtemps hors d’usage, elles sont aujourd’hui à moitié comblées. Quant aux pierres de taille qui revêtaient ses remparts, elles sont incessamment enlevées et transportées dans la ville pour servir de matériaux de construction. Bientôt, si cette démolition continue, il 11e restera plus que le blo¬ cage intérieur de cette immense bâtisse. En montant sur l’une des tours, je considérai de là avec attention la cité entière, qui était à mes pieds. Je distinguais tousses monuments, ses divers quartiers, ses nécropoles, son nouveau port, son magnifique golfe. Je suivais du regard les nombreux replis du Mêlés, humble ruisseau de si poétique mémoire. Plus loin, au nord et au sud, se déroulaient les vallées où serpentent l’Hermus et le Caystrc, et se montraient les montagnes aux formes si variées de cette belle Ionie, qui se glorifiait jadis de tant de villes, autrefois florissantes et maintenant détruites, 8 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. telles que Ciazomène, Érythrées, Téos, Lébédos, Métropolis, Claros, Notion, Phygela, Goloplion, Panionion, et cette Ephèse, l’une des merveilles de 1 Asie, dont j’avais, il y a vingt-trois ans, étudié les ruines et dont on s’efforce, de nos jours, d’exhumer de nouveaux débris. A l’est, l’horizon était borné par les monts de la Lydie, qui dérobaient à ma vue l’emplacement de Sardes. J’évo¬ quais dans mon esprit, devant un tel spectacle, éclairé par un soleil resplendissant sous la voûte azurée d’un ciel sans nuages, tous les souvenirs que l’histoire ou la poésie ont attachés à ces lieux cé¬ lèbres. C’est en effet à travers ces souvenirs qu’il faut les contem¬ pler. Autrement, on serait parfois cruellement attristé, soit par le manque de culture d’une grande partie de cette contrée, naturel¬ lement si fertile, soit par la transformation de villes importantes en de misérables villages, soit même par leur anéantissement presque complet ou la disparition de leurs plus remarquables débris sous des amas de décombres, des marais fangeux ou des four rés de broussailles. En redescendant du Pagus, je me dirigeai vers le pont des Ca¬ ravanes, ainsi nommé à cause des longues liles de chameaux qui le traversent continuellement, et qui apportent à Smyrne des den¬ rées et des marchandises de toutes sortes. Il est jeté sur une petite rivière que certains voyageurs ont prise pour le Mêlés. Des cafés y attirent sous de beaux ombrages de nombreux oisifs. A une demi-lieue de là sont les Bains de Diane. Ils consistent en un vaste bassin entouré de roseaux et alimenté par plusieurs sources. Autrefois s’élevait sur ses bords un temple consacré à Diane. On y voyait encore, il y a une trentaine d’années, plusieurs bases de colonnes, qui ont été enlevées et placées ailleurs. De ce bassin sort un ruisseau limpide, large de trois mètres ou plus, et dont l’eau est d’une transparence extraordinaire. Si elle a jadis eu l’honneur, comme le veut la Fable, d’avoir baigné le corps d’une déesse, elle a été utilisée, de nos jours, cl’une manière plus pro¬ saïque, pour les divers besoins d’une fabrique de papier; puis ce ruisseau poursuit son cours jusqu'à la mer, où il se jette. On CHAPITRE I. — DE SMYRNE A RHODES. 9 s’accorde à y voir le Mêlés , bien que d’autres, comme je l’ai dit, donnent ce même nom au ruisseau qui coule sous le pont des Cara¬ vanes. La grotte d’Homère est à quelques minutes des Bains de Diane, sur une colline doucement inclinée et couverte d’énormes figuiers et de vieux oliviers. Au fond est une source qui disparaît sous terre. Une tradition place en ce lieu la naissance d’Homère, évé¬ nement dont six autres endroits se disputent la gloire. Un petit sanctuaire avait été érigé près de cette grotte à la mémoire du grand poète divinisé. A une heure de marche des Bains de Diane, en se rapprochant du Sipvle, on arrive au village de Bournabat, par un chemin pou¬ dreux, que bordent, au milieu de riches campagnes, des haies de myrtes et d’agnus-castus. Bournabat a une population de plusieurs milliers d’habitants, Grecs, Latins et Turcs. De gracieuses villas y sont environnées de jardins délicieux, plantés de citronniers, d’oran¬ gers, de figuiers, et où la vigne court en longs berceaux; souvent aussi elle s’enguirlande aux arbres. Çà et là , de hauts cyprès dressent leur tête altière, et l’on entend partout le gémissement de la co¬ lombe et de la tourterelle qui roucoulent sous d’épais ombrages. Les sœurs de la Charité ont à Bournabat un établissement de date assez récente. Il renferme un certain nombre d’orphelines, et reçoit en outre des demi-pensionnaires et des externes. Les cahiers d’une dizaine d’élèves m’ont été montrés par la bonne religieuse qui me faisait les honneurs de la maison, et j’ai pu admirer dans cet établis¬ sement naissant comme dans le grand de Smyrne de véritables modèles de calligraphie. Une sœur fait également l’école à quelques pelits garçons abandonnés, qui sont ainsi retirés du vagabondage. Le soir, j’étais de retour à bord de l’Ilissus, qui , vers neuf heures, poursuivit sa route vers Rhodes. DE SMYRNE A RHODES. Le 22 mai, au lever de l’aurore, nous commencions à longer 10 DESCRIPTION DE LA GALILEE. les rivages de Chio, et les différents villages ainsi que la capitale de cette belle île fuyaient successivement derrière nous. A neul heures, nous avions fini de traverser le golfe de Scala Nova, au fond duquel j’apercevais de loin l’emplacement de l’an¬ tique Eplièse, près de l’embouchure du Caystre; et nous nous avancions entre Nikaria à l’ouest et Samos à l’est : Nikaria, jadis Icaros ou Icaria, île aux flancs abrupts, à l’aspect sauvage et peu peuplée; Samos, qui a conservé sans altération son ancien nom et qui compte encore une quarantaine de villages, dont quelques-uns sont considérables. J’ai exploré attentivement cette île en 1 853. Je reporte donc le lecteur qui désirerait la connaître à l’ouvrage où sont consignés les résultats de mes recherches dans la plus importante desSporades A onze heures, au delà des îlots Arki, l’île de Patmos se dé¬ couvrait à nos regards vers l’ouest-sud-ouest, et je saluai avec respect ce rocher célèbre, immortalisé par le séjour de saint Jean l’Evangéliste, qui y fut jadis exilé et y composa son Apocalypse. Le couvent de Saint-Christodule, qui couronne l’un des points culminants de cette île, renferme des manuscrits grecs précieux, sur lesquels j’ai, en 1 8 5 2 , attiré par une courte notice l’attention des savants, n’ayant pu moi-même jeter sur ces manuscrits qu’un coup d’œil rapide et dans des circonstances peu favorables, pen¬ dant les quelques semaines que je passai dans ce couvent. Depuis, le docte Grec M. Sakkelion, qui, en qualité de coreligionnaire et ensuite de bibliothécaire du monastère, a pu les étudier à loisir, en a donné un catalogue beaucoup plus complet et plus détaillé que le mien. Plus au sud, nous côtoyâmes bientôt tour à tour les îles de Léros, de Lipsia et de Calymna, aujourd’hui Léro, Lipso et Galymno. A deux heures, le cap Boudroun était à notre gauche. Nous apercevions très distinctement la ville du même nom, jadis si cé- 1 Description des îles de Samos cl de Patmos , accompagnée de deux cartes; 1 vol. iü-8°, chez Durand, libraire, rue Cujas. CHAPITRE I. — RHODES. 11 ièbre sous celui d’Halicarnasse , où résidaient les rois de Carie et où Artémise avait élevé àMausole, son époux, un monument funé¬ raire qui était réputé l’une des sept merveilles du monde, et dont quelques débris ont été retrouvés, il y a peu d’années. A notre droite, Vile de Cos, patrie d’Hippocrate, étalait à nos yeux ses rivages verdoyants, quelques-uns de ses villages dissé¬ minés ça et là et son chef-lieu, agréablement situé entre la côte et les montagnes, au milieu de jardins plantés d’orangers et de citron¬ niers et de collines couvertes de vignes. A quatre heures nous passions, au delà du golfe Céramique, devant la presqu’île découpée et montagneuse de Cnide, et non loin des grandes ruines de la ville ainsi appelée, qui possédait dans l’un de ses temples la statue de Vénus, chef-d’œuvre de Praxitèle, que l’on admire maintenant à Florence. Nisyros, actuellement Nisiro, présentait à notre droite ses flancs rocheux entourés d’écueils et ses montagnes abruptes dont le dé¬ sordre atteste de violentes commotions volcaniques. Plus au sud s’étendait Tilos, qui offre plusieurs bons mouillages. C’est la patrie des ancêtres de Gélon, tyran de Syracuse. A l’est, dans le golfe que forment la pointe de Cnide et celle du mont Phœnix, se montrait, au milieu d’ilots et d’écueils, l ile de Symi, qui a deux bons ports et une bourgade habitée par des pêcheurs d’éponges. A l’époque du siège de Troie, cette île envoya son contingent de guerriers au camp des Grecs. Nirée, dit Homère, amenait de Syme trois navires d’égale grandeur, Nirée, (ils de la nymphe Aglaia et du roi Cliaropus, Nirée, le plus beau des Grecs qui se rendirent à Troie, si l’on excepte le divin Achille, dont la beauté était accom¬ plie; mais Nirée était sans courage et avait peu de troupes l. RHODES. A neuf heures et demie du soir, nous arrivâmes à Rhodes, d’où Iliade, I. Il, v. G71-G7G. i 12 DESCRIPTION DE LA GALILEE. nous repartîmes à onze heures, sans avoir pu débarquer, à cause de la nuit. Rhodes est, sans contredit, l’une des îles les plus remarquables de l’Archipel. Elle est située dans l’ancienne mer Garpathienne, dont elle était, en quelque sorte, la reine, bien qu’elle ne lui ait point imposé son nom, car la plupart des des que baignent les eaux de cette mer lui étaient soumises et s’appelaient îles Rhodiennes, sans en excepter celle de Carpathos, à laquelle est échu l’honneur de donner son nom à cette partie de la mer Egée. Sa capitale, jadis l’une des plus belles cités du monde, ses trois autres villes de Lin- dos, de Gamiros et d’Ialysos, ses nombreux villages, la fertilité de son sol et l’étendue de son commerce, tout attestait son antique importance. Au moyen âge encore, elle fut appelée de nouveau à jouer un très grand rôle, lorsqu’elle devint, sous les chevaliers de Saint-Jean, le boulevard de la chrétienté. Tout le monde connaît les fameux sièges que son chef-lieu soutint alors, notamment en 1/180, sous Pierre d’Aubusson, qui eut la double gloire de sau¬ ver cette place et de réparer ensuite tous les désastres qu’elle avait subis, et en 1622, sous Villiers de l’Ile-Adam. Celui-ci, à force d’héroïsme et avec une poignée d’hommes, arrêta longtemps tout l’effort de l’innombrable armée de Soliman, et il aurait pu encore prolonger la défense et contraindre peut-être l’ennemi à la retraite, sans la trahison du chancelier de l’Ordre, André d’Amaral, grand prieur de Castille, qui cacha une partie des poudres et révéla aux Turcs les points faibles des remparts. E11 1 854, chargé cl’une mission scientifique dans File de Rhodes, que j’explorai tout entière et décrivis ensuite1, je me souviens fort bien d’avoir, dans une conversation avec le pacha, signalé à ce gou¬ verneur, à la suite d’une visite que j’avais faite des magasins sou¬ terrains des remparts, la circonstance particulière de l’enfouissement criminel de ces poudres attribué à d’Amaral dans d’anciennes rela¬ tions contemporaines du siège de 1622. 1 Etude sur l’île de Rhodes, par V. Guérin, accompagnée d'une carte. 1 vol. in-8°; chez Durand, libraire, rue Cujas. CHAPITRE I. DE RHODES A MERSINA. 13 cc Ce dépôt caché de poudre, disais-je au pacha, n’esl-il point un danger permanent pour la ville, et les gouverneurs turcs, vos prédécesseurs, ont-ils songé à ordonner des recherches à ce sujet, soit dans les souterrains que je viens de parcourir, soit ailleurs? — Dieu seul peut savoir, me répondit-il avec l’insouciance musul¬ mane, où est le dépôt dont vous me parlez. Dieu, du reste, est grand et miséricordieux et y pourvoira, v Deux ans plus tard, vers le milieu de l’année 1 856 , une effroyable commotion ébranla une partie de la ville de Rhodes. La cathé¬ drale de Saint-Jean, que j’avais vue encore debout, sautait en l’air, écrasant sous ses débris les Turcs qui s’y trouvaient, car depuis i5a3 elle était devenue leur principale mosquée. Le palais des Grands Maîtres, dont j’avais admiré les ruines, était également ren¬ versé de fond en comble, et plusieurs autres édifices étaient profon¬ dément lézardés. Cette violente secousse, comparable à celle d’un tremblement de terre, était due à l’explosion d’un amas considé¬ rable de poudre dont l’existence était inconnue et qui prit feu on ne sait comment. Ne serait-ce point-là le dépôt de poudre enfoui par André d’Amaral et qui, après plus de trois siècles, confirmait, en éclatant, l’infâme trahison de ce chevalier et les témoignages de ses accusateurs ? Quoi qu’il en soit, j’aurais bien désiré pouvoir jeter un nouveau coup d’œil sur cette ville de Rhodes, dont l’examen m’avait autre¬ fois tant intéressé, et apprécier par moi-même les effets déplorables de la dernière catastrophe de 1 8 5 6 , qui avait anéanti des monu¬ ments remplis de si grands souvenirs. Mais je dus, à mon vif regret, me contenter d’entrevoir de loin, à travers les ombres de la nuit, les tours et les bastions de la place, puis les montagnes de l’île, que nous perdîmes bientôt de vue. DK RHODES A MERSINA. Le 2 3 mai, dès les premières lueurs du jour, j’étais sur le pont du navire, interrogeant des yeux l’horizon. A notre droite s’éten- 14 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. dait une nier sans limites. A notre gauche, nous longions les rivages de la Lycie. Au delà des montagnes qui les bordent en apparais¬ saient d’autres plus élevées, toutes blanchissantes de neige. Sur ces côtes accidentées, où de nombreux caps dessinent des anses et des ports naturels, florissaient jadis les villes de Telmissus, de Patara, de Myra, d’Antiphellus, et d’autres encore devant lescpielles nous passâmes successivement. A onze heures, nous franchissions le cap Sacrum, près des pe¬ tites îles dites Chelidoniæ, et nous commencions à traverser l’im¬ mense golfe d’Adalia, au fond duquel s’élève la ville de ce nom, l’antique Attalia. Les côtes s’enfuyaient de plus en plus loin de nous; c’étaient celles de la Pamphylie. A une heure, elles étaient à peine visibles. Il était déjà nuit lorsque nous doublâmes le cap Anemurium, qui fait face vers l’est au cap Sacrum et qui termine de ce côté le golfe d’Adalia. Nous étions en ce moment devant la Gilicie, que nous continuâmes à longer tout le reste de la nuit. Le lendemain matin, 2Ô mai, l’aurore en se levant éclairait, à notre droite, au sud, les montagnes de Tîle de Chypre, que nous apercevions dans le lointain, et, à notre gauche, au nord, celles de la Gilicie, dont nous étions beaucoup plus rapprochés. Derrière celles-ci se montraient les hautes et altières cimes du Taurus, dont les neiges semblaient se perdre dans les nuages. ÏHERSINA. A onze heures et demie, nous abordâmes à Mersina. Cette petite ville, toute moderne, sert de comptoir maritime à Tarsous, l’antique Tarsus, patrie de saint Paul, qui en est séparée par un intervalle de plusieurs heures de marche. Elle compte à, 000 habitants, et sa population a presque doublé depuis quelques années. Les catho¬ liques y ont une église, desservie par un Père Carme. A l’époque des chaleurs, cette localité est malsaine, à cause des marécages qui l’avoisinent. Aussi tous les marchands aisés que le commerce y a attirés CHAPITRE I. — RUINES DE POMPÉIOPOLIS. et qui y résident s’empressent-ils de quitter leurs boutiques, vers le coucher du soleil, pour gagner les petites maisons de campagne qu’ils se sont bâties sur les hauteurs environnantes. RUINES DE POMPEIOPOLIS. Après avoir parcouru rapidement quelques-unes des principales rues de Mcrsina, je me hâtai de louer un cheval pour aller explo¬ rer les ruines de Pompéiopoîis, situées à 8 kilomètres de distance vers l’ouest. A deux heures, je foulais les débris de cette ville, l’antique Soli, jadis l’une des plus importantes cités de la Gilicie. Strabon1 nous apprend qu’elle avait été fondée par une colonie cTAchéens et par des Rhodiens venus de Lindos. Ses habitants passaient pour avoir un langage incorrect, et de là était venu le proverbe de croXotxt&iv, refaire un solécismes, pour dire parler contrairement aux règles de la grammaire. Pompée agrandit ensuite cette ville et en augmenta la population, en y fixant ceux des pirates qu’il avait épargnés. C’est alors qu’il changea le nom de Soli en celui de Pompéiopoîis par l’imposition du sien propre. Parmi les personnages célèbres nés en cet endroit, on cite Cbrysippe, philosophe stoïcien, Pliilé- mon, poète comique, et Aratus, l’auteur du poème des Phénomènes. Cette ville, autrefois considérable, est depuis longtemps com¬ plètement déserte, et ses ruines sont en partie ensevelies sous d’é¬ paisses broussailles, composées de myrtes, de lentisques et d’ar¬ bousiers. Le mur qui l’environnait était bâti en pierres de taille; il est presque entièrement démoli, et on en fouille actuellement les fondations pour transporter à Mersina toutes les pierres que l’on y trouve. L’intérieur de cette enceinte est pareillement exploité de tous cotés comme une vaste carrière de pierres, de colonnes et de marbres. D’innombrables excavations, à demi cachées par une végé¬ tation luxuriante d’arbustes sauvages, de chardons, de fleurs et de hautes herbes, arrêtent à chaque pas l’explorateur. Néanmoins on Slrabon, 1. XIV, p. O71. 1 i G DESCRIPTION DE LA GAULEE. distingue encore les traces d’un grand théâtre, dont les gradins ont tous disparu; quelques voûtes ont échappé jusqu’à présent à la destruction qui va bientôt sans doute les atteindre. Cet édifice était adossé à une colline du sommet de laquelle on embrasse du regard l'emplacement de la ville entière, son port et les campagnes voi¬ sines, jusqu’aux montagnes. Les vestiges de plusieurs autres monu¬ ments publics sont de même plus ou moins reconnaissables, no¬ tamment ceux d’un aqueduc, qui amenait à Pompéiopolis les eaux cl’un petit fleuve qui coule près de la ville. Mais ce qui attire tout d’abord et absorbe plus particulièrement l’attention ou, pour mieux dire, l’admiration, ce sont les restes d’un immense portique qui traversait cette cité dans toute sa largeur et aboutissait au port. Ce portique, espèce de longue avenue non couverte, se composait de nombreuses colonnes, dont les trois quarts ont disparu ou gisent renversées sur le sol, mais dont une cinquantaine sont encore de¬ bout. Elles sont en belles pierres calcaires et formées de cinq ou six gros tambours superposés que couronnent des chapiteaux corin¬ thiens; elles étaient, en outre, surmontées autrefois d’ornements divers, tels que vases et statues. Quelques-unes sont, vers le mi¬ lieu de leur fût, décorées de consoles engagées dans l’épaisseur d’un des tambours et destinées probablement à porter des sta¬ tuettes. Sur plusieurs aussi j’ai remarqué quelques fragments d’an¬ ciennes inscriptions grecques, malheureusement très mutilées. J’ai copié les caractères que j’ai pu entrevoir à travers les fourrés de myrtes qui enveloppent presque toutes ces colonnes et en rendent l’approche très difficile. Mais d m’aurait fallu beaucoup plus de temps que je n’en avais pour étudier sérieusement ces fragments et en prendre des copies et des estampages fidèles. A quatre heures, en eflet, je dus m’arracher en toute hâte à l’examen très sommaire que je venais de laire des ruines de Pompéiopolis, et regagner Mer- sina, le départ de l’Ilissus étant annoncé pour six heures au plus tard. Avant de perdre pour toujours de vue les débris du grand portique dont je viens de parler, je me retournai un instant afin de les considérer une dernière fois, car dans quelques années peut- CHAPITRE I. — ALEX AND RETTE. 17 être ils n’existeront plus, si l’on continue à agrandir Mersina et à démolir pièce à pièce, pour avoir des matériaux de construction, ce qui subsiste encore des monuments de Pompéiopolis. Après avoir extrait et emporté les pierres détaillé provenant de l’enceinte extérieure, des temples, de l’aqueduc et du théâtre de cette ville, on commence maintenant à attaquer les belles colonnes de cette magnifique avenue, en les sapant par la base. Une lois qu elles ont été projetées violemment à terre , comme de grands arbres déracinés , et que leurs tambours ont roulé pêle-mêle sur le sol avec leurs cha¬ piteaux brisés dans la chute, elles sont soit cassées et débitées en de simples lambeaux afin d’être plus facilement transportables, ou réduites en chaux dans des fours, triste destinée réservée à ces su¬ perbes colonnes, que pourraient envier nos plus opulentes cités. ALEXANDRETTE. Le 2 5 mai, à cinq heures du matin, nous débarquions à Alexan- drette. Cette ville est située au fond d’un vaste golfe qui porte son nom, et qui autrefois s’appelait I crcrixos xoXiros, cc golfe d’issus n, du nom de la ville ainsi désignée, dans les plaines de laquelle, l’an 333 avant Jésus-Christ, Alexandre gagna une grande et décisive victoire sur l’innombrable armée de Darius. Elle a succédé elle-même, mais, dit-on, sur un emplacement différent, à l’Alexandrie mentionnée par Strabon 1 avec les villes d’issus, de Rosus, de Myriandre, de Nicopolis et de Mopsueste, qui entouraient ce golfe. Dans l’anti¬ quité, comme le prouvent d’anciennes médailles, elle était quelque¬ fois surnommée ÀXs^avSpsict xclt Ïctœov , cr Alexandrie sur l’issus ri, soit parce qu elle n’était pas très éloignée du petit fleuve Tissus, r soit parce qu elle était sur les bords du golfe de ce nom. Etienne de Byzance, pour la distinguer des autres villes qui se vantaient de devoir leur origine ou du moins leur dénomination au héros macé¬ donien, l’appelle ÀÀs£a vSpstcc KiXixitxs, cr Alexandrie de Cilicien. L’épithète de Scabiosa lui est donnée dans l’Itinéraire d’Antonin, Strabon, I. XIV, p. G7G. I 18 DESCRIPTION DE EA GALILEE. sans doute à cause des âpres montagnes qui la dominent, et celle de Minou' par les historiens latins des Croisades1, qui la distinguaient ainsi de la grande Alexandrie d’Egypte. Dès cette époque également, elle était déjà connue sous la forme diminutive de Alexandrela2, d’où son nom actuel de Alexandrette. Les Arabes la désignaient, comme ils le font encore maintenant, par celui de Iskanderoun. Plusieurs fois prise et recouvrée tour à tour par les Musulmans et les Chrétiens, puis tombée définitivement au pouvoir des Turcs, elle passe depuis très longtemps pour avoir un climat insalubre et elle est chaque année ravagée par les fièvres pendant l’été, à cause des marais qui l’avoisinent, les sources et les ruisseaux de la haute chaîne de l’Amanus n’ayant pas un écoulement suffisant vers la mer et rendant malsain par une surabondance d’eaux stagnantes le sol qui jadis, sans doute, leur devait sa fertilité. Néanmoins, comme elle sert actuellement de port à Antioche et à Alep, et qu elle est l’entrepôt naturel du commerce de toute l’Asie septentrionale, elle a toujours conservé une certaine importance comme comp¬ toir maritime. Sa population est de 8,000 habitants, Turcs, Arabes, Grecs schismatiques, Grecs unis, Juifs et Européens. La paroisse latine est desservie par deux Pères Carmes; de fondation récente, elle avoisine la maison de l’agent consulaire de France, qui est en même temps l’agent des Messageries maritimes. Les bazars sont assez amplement fournis des choses indispen¬ sables à la vie; mais, dès le commencement du printemps, des nuées de mouches et de moustiques y tourbillonnent sans cesse, dans ceux surtout où l’on débite des denrées alimentaires. A cette époque aussi beaucoup de familles s’empressent, comme à Mersina, de chercher un refuge contre la fièvre dans plusieurs villages situés sur les hauteurs les plus rapprochées de la ville. L’Ilissus, après avoir chargé i,5oo balles de coton et une quan¬ tité considérable de peaux de chèvres, leva l’ancre à huit heures du soir. La journée avait été brûlante. Vers le coucher du soleil 1 Albert d’Aix, I. Itt, c. xxvi. — Guillaume de Tyr, I. III, c. xxv. — 2 Marinus Sanutus, p. 2 hh. CHANT HE I. — LATA Kl EH. 19 un orage effroyable éclata soudain; de violents coups de tonnerre retentissaient sans cesse cl’écho en écho dans les anfractuosités de l’Amanus. Nous nous remîmes en route au milieu d’une pluie tor¬ rentielle et d’une mer très agitée. LATAKIFJI. Le 26 mai, nous jetions l’ancre, à six heures et demie du matin, dans la rade de Latakieh; car le port de cette ville est maintenant à moitié ensablé et très peu profond, et les bâtiments de quelque importance sont contraints de mouiller en dehors. 11 est formé par une digue dont les soubassements sont probablement antiques. L’entrée en était défendue par deux tours actuellement en ruine. Celle du nord, beaucoup plus considérable que la seconde, ren¬ ferme à sa partie inférieure un grand nombre de fûts monolithes de colonnes, la plupart de granit gris, engagés horizontalement dans l’épaisseur de la construction. La digue laisse également apercevoir çà et là des fûts semblables, qui font ordinairement saillie et qui attestent une restauration musulmane ou accomplie par les Croisés. Une fois débarqué, et après avoir traversé ce qu’on appelle la Marine, c’est-à-dire le quartier avoisinant le port, qui est occupé par des cafés et des magasins, je suivis quelque temps une chaus¬ sée antique qui va toujours montant, et que bordent à droite et à gauche des jardins très fertiles, mais assez mal cultivés, où crois¬ sent pêle-mêle des oliviers, des mûriers, des grenadiers, des citron¬ niers, des orangers, et surtout d’énormes figuiers, que dominent par intervalle de hauts palmiers. On y remarque pareillement de vieux ceps de vignes qui s’enroulent autour des arbres et grimpent souvent jusqu’à leur faîte. Une partie de ces vergers était jadis oc¬ cupée par l’ancienne ville, qui les comprenait dans son enceinte. La ville actuelle, de dimensions bien moindres, renferme 8,000 habi¬ tants, la plupart Musulmans ou Grecs schismatiques, auxquels il faut joindre deux cents Maronites et un certain nombre de Latins. 20 DES cm P TI O N DE LA GALILÉE. Les Musulmans y ont dix mosquées, dont deux assez élégantes. Les Grecs schismatiques y possèdent cinq églises. I ne petite chapelle sert de paroisse aux Maronites. Quant aux Latins, ils Iréquentcnt une autre chapelle , desservie par deux Pères Franciscains. Les hazars sont suffisamment fournis. Les rues, fort mal tenues, comme dans presque toutes les villes musulmanes, sont pleines de débris an¬ tiques disséminés de tous côtés, tels que tronçons de colonnes, fragments de hases ou de chapiteaux, plaques de marbre, belles pierres de taille, qui sont encastrés dans les murs extérieurs des maisons. Mais ce qui mérite surtout Fattention du voyageur, ce sont les restes d’un portique, qui entourait peut-être un temple, et dont plusieurs colonnes sont encore debout; elles sont en marbre blanc et couronnées de chapiteaux corinthiens. Non loin de là s’élève un arc de triomphe, avec quatre entrées, regardant chacune un des quatre points cardinaux; elles sont formées par autant d’arcades bâties avec de magnifiques blocs parfaitement appareillés, deux grandes faisant face, l’une au nord, et l’autre au sud, et deux moindres à l’est et à l’ouest. Chacune de ces arcades est extérieure¬ ment flanquée de deux colonnes corinthiennes. Au-dessus règne un fronton surbaissé, puis un entablement orné de bas-reliefs qui représentent des casques, des bouchers et d’autres instruments guerriers. Une sorte d’attiquc couronne le tout. Ces arcades, jadis ouvertes, sont actuellement fermées par des murs grossièrement maçonnés. Une ouverture ménagée dans l’un de ces murs permet de pénétrer dans l’intérieur du monument, qui a été converti par les Musulmans en une petite mosquée , mesurant 9 mètres de long- sur 8 mètres de large. Au dedans, chaque arcade est décorée de deux pilastres corinthiens, et une coupole cintrée reposant sur une corniche octogone, qui lui sert de base, surmonte l’édifice et m’a paru contemporaine de la construction primitive; d’autres voya¬ geurs l’attribuent aux Musulmans. On croit que cet arc de triomphe, d’une espèce particulière, fut érigé en l’honneur de Septime Sévère. Je n ai remarqué aucune inscription sur les parties encore intactes du monument. 21 CHAPITRE I. — DE LATAKIEH À TRIPOLI. Latakieli passe pour être l’antique ville de Ramoutha ou Rami- tha, que Séleucus Ier, Nicator, agrandit et embellit ensuite, Tan 290 avant Jésus-Christ , et à laquelle, en souvenir de sa mère Laodice, il donna le nom de Laodicée. Celle-ci était distinguée des autres villes ainsi désignées par le surnom de AccoSixsiu, Tàpoç B-aXcccrcrciv , Laodicea ad mare, et de ce nom, légèrement corrompu, les Musul¬ mans ont fait Ladakieli , qu’ils prononcent plus ordinairement Latakieli. Strabon, lorsqu’il décrit cette ville, s’exprime en ces termes : Vient ensuite Laoclicée, cité très bien bâtie sur le bord de la mer et jouis¬ sant d’un bon port. Son terroir, outre tous les autres fruits qu’il produit, abonde aussi en vin. C’est elle qui fournit aux habitants d’Alexandrie la plus grande partie du vin qu’ils boivent, la montagne qui la domine étant presque entièrement couverte de vignes jusqu’à ses sommets L L’empereur Justinien, comme nous le savons par Procope2, y construisit une église dédiée à saint Jean. Laodicée resta soumise aux empereurs de Byzance jusqu’en 1102, année pendant laquelle Tancrède s’en empara et la réunit à la principauté d’Antioche. En 1170, elle eut beaucoup à souffrir d’un violent tremblement de terre. En 1188, Saladin l’emporta d’assaut et la livra au pillage. Re¬ devenue indépendante, sous la protection des comtes de Tripoli, elle tomba au pouvoir du sultan Kelaoun en 1 287, et depuis cetle époque elle 11e s’est jamais soustraite au joug des Musulmans. A huit heures. et demie, je fus contraint de quitter Latakieli, sans pouvoir jeter un coup d’œil sur sa citadelle, ni examiner les nombreuses grottes sépulcrales de son antique nécropole, car à neuf heures l’ J lissas devait se remettre en marche. I)E LATAKIEH A TRIPOLI. A une heure nous passons en face de Tartous, la Tortose des Croisades, l’Antaradus des anciens. A une heure et demie, nous Strabon, I. XVI, p. 10/18. — 2 Procope, De /Edifiais Jusliniani , c. ix. I 21 DESCRIPTION DE LA GALILEE. laissons à notre gauche File de Rouad, FArvad des Livres saints, FArados des Grecs, FAradus des Latins. Avec une longue-vue, je distingue du paquebot quelques débris de l’enceinte formidable qui entourait autrefois ce rocher célèbre. Tous les voyageurs qui ont pu les examiner de près, et en dernier lieu M. Renan, qui, en 1861, a fait des fouilles dans cette île, ont signalé les dimen¬ sions gigantesques et le caractère phénicien des blocs employés dans la construction de cette enceinte. Parmi les fils de Canaan, la Bible cite Arvad1, père des Arva- dites et fondateur probablement ou seulement patron de la ville ainsi appelée. Celle-ci reçut plus tard une colonie de Sidoniens, comme nous le savons par Strabon2, qui nous apprend en meme temps que, renfermée dans une île de sept stades de circonférence, elle était extrêmement peuplée, vu les limites étroites qui l’enser¬ raient, et que les maisons y avaient de nombreux étages. Trop en¬ tassés sur le rocher qu’ils occupaient, les habitants d’Arvad avaient de bonne heure débordé au dehors et fondé sur les cotes voisines les villes de Paltus , Balanée , Carné , Enhvdra et Marathus. M. Renan3 suppose, avec raison, qu’Antaradus, qui éclipsa toutes les villes continentales à l’époque romaine , succéda , selon toute apparence, à l’une d’entre elles, attendu quelle n’est pas men¬ tionnée par Strabon. Quoi qu’il en soit, les Arvadites passaient, après les Sidoniens et les Tyriens, pour être les marins les plus expérimentés de la Phénicie. Lorsque Alexandre envahit la Syrie, ils se soumirent à ce conquérant, puis ils tombèrent sous la domi¬ nation des Séleucides , et ensuite des Romains. A l’époque des Croisades, ils 11e jouèrent plus qu’un rôle très secondaire, en com¬ paraison d’Antaradus, plus connue alors sous le nom corrompu de Tortose. Aujourd’hui, dit-on, ils forment une population de 2,000 habitants; les hommes sont, pour la plupart, pêcheurs d’éponges. ' Genèse, c. x, v. 18. — 2 Strabon, I. XVI, p. 758. — Mission de Phénicie, p. 20. CHAPITRE I. — TIUPOLI. 23 TRIPOLI. A quatre heures de l’après-midi, nous jetions l’ancre dans la rade de Tripoli, où nous devions faire escale jusqu’à sept heures du soir. Mettant aussitôt à profit le peu de temps dont je pouvais dis¬ poser, je débarquai à la Marine, quartier que les Arabes appellent el-Mina, rr le port n. Il renferme de nombreux magasins et une popu¬ lation de Turcs et de Grecs, qui peut être évaluée à 5,ooo habi¬ tants. J’y remarquai quelques bâtiments en construction sur un chantier. Ce quartier occupe, vers la pointe de la presqu’île que couvrait autrefois presque tout entière la ville de Tripoli, une partie de l’emplacement de cette ancienne cité. Celle-ci était ornée d’un nombre réellement incroyable de colonnes, la plupart de gra¬ nit gris, les unes actuellement gisantes dans les Ilots, près du rivage, les autres enfouies dans le sol, d’autres aussi engagées dans l’épaisseur des murs des différentes tours, aujourd’hui à moitié renversées, qui ont longtemps servi à protéger la côte contre les incursions des pirates. 11 en est beaucoup enfin qui ont été trans¬ portées dans la moderne Tripoli, la Trablous des Arabes, pour décorer les monuments de cette ville, laquelle ne date que du moyen âge, et s’est peu à peu formée et agrandie non loin du château fondé' par Raymond, comte de Toulouse, dans les pre¬ mières années du xne siècle. On s’y rend de la Marine en suivant vers l’est , pendant trente-cinq minutes environ, un chemin sablon¬ neux que bordent de fertiles jardins bien arrosés et plantés de grenadiers, de figuiers, d’orangers, de citronniers, d’abricotiers, de mûriers et d oliviers, au milieu desquels s’élèvent çà et là d’élégants palmiers. Des cannes à sucre y croissent aussi. Cette plante était, au xic siècle, cultivée sur une grande échelle dans ces mêmes jar¬ dins. Un passage d’Albert d’Aix nous apprend que les Croisés tra¬ versant le territoire de Tripoli au mois de mai de l’année 1099, sans attaquer cette vdle, dont l’émir avait acheté leur amitié par DESCRIPTION DE LA GALILEE. 24 de riches présents , respectèrent les vergers et les vignobles des habitants. Toutefois ils ne purent s’abstenir de toucher à une plante étrangère à l’Europe, et qu’ils ne connurent qu’à leur entrée dans la Syrie. C’était la canne à sucre, qui croissait en cet endroit en abondance et dont ils suçaient la tige avec avidité. Ils avaient déjà rencontré cette précieuse plante dans les alentours d’Albara , de Marrah et d’Archis, et elle leur avait été d’un grand secours au milieu de la cruelle disette qu’ils avaient éprouvée en assiégeant ces places. Voici le passage très précis d’Albert d’Aix auquel je viens de faire allusion : Calamellos mellitos per camporum planiciem abundanter repertos, quos vocant zucra, suxit populus, il lorum salubri succo lætatus et vix ad saturita- tem præ dulcedine expleri hoc gustato valebant. Hoc enim genus herbæ summo labore agricolarum per singulos excolitur annos. Deinde , tempore messis, ma- turum mortariolis indigenæ contundunt, succum colatuni in vasis suis repo- nentes quousque coagulation indurescat sub specie nivis, vel salis albi. Quem rasum cum pane miscenles aut cum aqua lerentes, pro pulmento sumunt, et supra favum nieîlis guslanlibus dulce ac salubre videtur b Jacques de Vitry, au sujet de cette même plante, s’exprime éga¬ lement comme il suit : Sunt autem calamelli calami pleni nielle, id est succo dulcissimo, ex quo quasi in torculari compresso, et ad ignem condensato, prius quasi mel, post bæc quasi zuecara efiicitur. Vocantur autem alio nomine canamelles, quod nomen ex canna et melle componitur, eo quod cannis sive arundinibus liujus- modi calami sunt similes2. Par ces deux passages on voit qu avant l’arrivée des Croisés eu Syrie et en Palestine, les cultivateurs de ces contrées savaient expri¬ mer le jus de la canne à sucre en la broyant dans un mortier, et soumettre au feu les vases où il avait été recueilli, afin d’obtenir sa condensation. Cette plante est, d’après l’opinion commune, originaire des Albert d’Aix, I. V, c. xxxvn. — : Jacques de Vitry, c. lui. 1 CHAPITRE i. — TRIPOLI. 25 grandes Indes; elle se serait ensuite avancée vers les régions occi¬ dentales de l’Asie. Les Croisés Payant trouvée prospérant très bien sur les deux versants du Liban et dans la vallée du Jourdain , la transportèrent en Europe, où elle put s’acclimater en Sicile, dans le midi de l’Italie et en Espagne. De là, franchissant l’Océan, elle se répandit en Amérique, et contribua singulièrement à enrichir le nouveau monde. A l’entrée de Tripoli s’élève le bel établissement des sœurs de la Charité , fondé en 1 803. Deux cent cinquante jeunes fdles, appar¬ tenant à tous les cultes, fréquentent les classes comme externes, pendant la mauvaise saison ; elles sont moins nombreuses l’été. Les sœurs recueillent en outre une foule de pauvres petites Maronites qui errent dans les rues, implorant la charité publique, quand leurs parents descendent, durant l’hiver, de la montagne pour venir chercher du travail dans la ville. Enfin, elles tiennent un dispen¬ saire, qui est assiégé tous les matins par des centaines de malades, soit chrétiens, soit musulmans. La paroisse latine est desservie par des religieux Franciscains. Nouvellement achevée, elle a remplacé une ancienne chapelle qui tombait en ruine, et a été bâtie en grande partie avec les fonds pro¬ venant d’un legs laissé par Msr Sibour, évêque de Tripoli in parli- btis, le frère et le coadjuteur de 1 ancien archevêque de Paris ainsi nommé. Les catholiques possèdent également dans cette ville une mission de Lazaristes et un petit couvent de Pères Carmes. Les Grecs schismatiques, de leur coté, y ont plusieurs églises et des écoles. Les Musulmans, qui à eux seuls forment les deux tiers de la population, évaluée à i q , o o o habitants, ont transformé eu mos¬ quées quelques-unes des anciennes églises élevées par les Croi¬ sés; d’autres ont été construites par eux et sont de date plus ré¬ cente. Le temps m’a manqué pour les visiter, ainsi que le château de Raymond, comte de Toulouse, qui domine toute la ville du haut DESCRIPTION DE LA GALILEE. ‘26 de la colline sur laquelle il est assis. Ce monticule est le cernons Peregrinusn des historiens des Croisades1. Beaucoup de fontaines fournissent aux habitants une eau bonne et abondante; elles sont elles-mêmes alimentées par des canaux qui dérivent du Nahr Kadicha. Ce petit fleuve a l’une de ses sources les plus éloignées dans le voisinage des cèdres, au pied du Mak- mel, dont le sommet est couronné de neiges presque éternelles. 11 doit le nom de saint qu’il porte aux nombreux couvents et sanc¬ tuaires qui ont été bâtis le long de ses bords; les Musulmans l’ap¬ pellent pareillement Nahr Abou-Aly. Après avoir sillonné une région extrêmement accidentée, au mi¬ lieu de laquelle il serpente dans un ravin profond et escarpé, il traverse Tripoli et aboutit ensuite à la mer. Près de la ville, un barrage établi à dessein élève beau à un niveau plus considérable, ce qui permet de la distribuer plus facilement par divers canaux, soit dans les différents quartiers de Tripoli, soit dans les campagnes environnantes. Ce barrage produit aussi une chute des plus pitto¬ resques, lorsque, gonflé par les pluies ou par la fonte des neiges, le torrent se précipite écumant en formant une magnifique cas¬ cade. Avant de quitter Tripoli, j’allai serrer cordialement la main à M. Blanche, qui, depuis de longues années déjà, y représente très dignement la France, en qualité de vice-consul, et a su acquérir l’estime de tous les habitants. En particulier, il a contribué puissam¬ ment aux développements que les établissements religieux des Latins ont pris sous son administration. Sans analyser maintenant l’histoire de la ville qui nous occupe en ce moment, je me contenterai de dire que le nom de T ripolis , donné autrefois à cette cité, lorsqu’elle couvrait la péninsule dont j ai parlé, provenait de sa division en trois quartiers différents, fon¬ dés par trois colonies distinctes, issues de Aradus, de Tyr et de Sidon. En intervalle d’un stade séparait ces trois quartiers. ' Guillaume de Tvi\ I. X, c. xxvn. CHAPITRE I. — TRIPOLI. 2 7 Karà rrjv Ooivixrjv , dit Diodore de Sicile, êerl) tzoXis d^tôXoyos , 6vop.a T piTtoXis, oÎHEÎctv ëyovcra rfj (pvcrsi rrjv rspoo-riyoptav. Tpeîs y dp elcriv év avrij 'tiô'keis, alaSialov dn dXXri'Xoov ëyovaai cUacrlyp.a ‘ èTUKaXeïrai $è rovrœv ?) pièv ApaSiœv, ri Sè JîiScovi'cov, rj $è T vpiwv L rf En Phénicie est une ville considérable, dont le nom de Tripolis est appro¬ prié à sa nature, car trois villes la composent; la distance d’un stade les sépare. L’une est appelée la ville des Aradiens; la seconde, la ville des Sitlo- niens, et la troisième, la ville des Tyriens.u Poniponius Mêla, de son côté, s’exprime ainsi : Tria fuerunt singulis inter se stadiis distantia : locus ex numéro Tripolis dicitur 2. Il est à croire que ces trois comptoirs maritimes, bien que dis¬ tincts les uns des autres, étaient renfermés dans la même enceinte; car sur la péninsule où ils étaient situés, on n’a, jusqu’à présent, découvert les traces que d’une seule muraille très épaisse qui fer¬ mait la ville vers Test. A l’époque des Séleucides, Tan 162 avant Jésus-Christ, Démé- trius Ier, fils de Séleucus IV, résida quelque temps à Tripolis, lors de son retour de Rome3. Hérode le Grand y construisit plus tard un gymnase4. A l’avènement du christianisme, cette ville devint le siège d’un évêché. Restaurée par l’empereur Marcien , vers le milieu du vc siècle, à la suite d’un violent tremblement de terre, elle essuya quelque temps après d’autres secousses semblables, qui la couvrirent égale¬ ment de ruines et nécessitèrent de nouvelles réparations. L’an G38, elle tomba au pouvoir des Musulmans. En 1099, l’émir qui y commandait ayant été vaincu par les Croisés, obtint, à force de présents, que ceux-ci poursuivraient leur roule vers Jérusalem, sans s’emparer de Tripoli. L’année chrétienne continua donc sa marche en respectant les jardins de la ville, et se conten¬ tant seulement, comme je l’ai dit plus haut, de savourer avec 1 Diodore de Sicile, I. XVI, c. xli. — 2 Poniponius Mc'la, 1. 1, c. xn. — -i Josèplie, Anliq. judaïq. , I. Xll, c. x, 8 1. — 4 Josèplie, Guerre des Juifs, I. 1, c. x.\, Su. 28 DESCRIPTION DE LA GALILEE. délices le fruit des nombreuses cannes à sucre qui abondent en cet endroit. En i io3, le comte de Toulouse, séduit par la richesse du terri¬ toire de Tripoli et par l’importance de cette cité, résolut de s’en rendre maître; mais il se borna d’abord à bâtir, sur une colline voisine, un château fort, d’où il harcelait sans cesse les habitants, et les contraignit bientôt à lui payer un tribut. 11 mourut néanmoins avant d’avoir pu réussir à s’emparer de la ville dont il convoitait la conquête, et il fut, dit-on, enterré dans la forteresse qu’il avait construite sur la hauteur que les historiens des Croisades désignent sous le nom de muons Peregrinus» ou de muons Pellegrinus, v parce qu’elle servait d’asile aux pèlerins. Le 10 juin 1109, Tripoli, étant à la fois pressée par mer et par terre, d’un côté par une Hotte génoise, et de l’autre par une armée que commandait Bertrand , fils de Raymond, succomba enfin, après un long siège, sous les efforts des Croisés. Cette place était alors Irès florissante. Elle comptait plusieurs milliers d’ouvriers instruits à fabriquer des étoffes de laine, de soie et de lin. Elle possédait, en outre, une très riche bibliothèque, qui fut livrée aux flammes par les vainqueurs, et dont plusieurs écrivains arabes déplorent amère¬ ment la perte. Erigée en comté, elle devint la possession de Bertrand et de ses héritiers, et resta cent quatre-vingts ans au pouvoir des Chrétiens. Le moine Burchard, qui la visita vers 1280, la décrit comme une cité très peuplée, habitée par des Grecs, des Latins, des Armé¬ niens, des Maronites, des Nestoriens, et par beaucoup d’autres nations. Ses tissus de soie et de laine étaient très recherchés. Son territoire était si ferlile et si bien cultivé en vignes, en figuiers, en oliviers et en cannes à sucre, que c’était un véritable paradis. De Ncphin ad duas Jeucas est civitas Tripolis, nobilis valde et lere Iota iu corde maris sita, sicut Tyrus. Est populosa multum. Habitant enim in ea Greci et Latini, Armeni, Maronite, Nestoriani et multe gentes alie. De serico in ea milita fiunt opéra. Audivi pro cerlo quod essent in ea textores serici et cameloli et similium ( sic ) amplius. Terra illi adjacens dici potest absqne dubio CHAPITRE I. TRIPOLI. 29 paradisus propter amendâtes infinitas in vineis, olivelis, ficclis, canellis, quibus omnibus in aliis partibus non recolo similia me vidisseL De ce passage il résulte qu’à cette époque la ville occupait en¬ core la presqu’île d’où elle s’est depuis éloignée vers l’est, pour se rapprocher du château, puisqu’elle était presque tout entière située dans le cœur de la mer : ccfere tota in corde maris sita. v Quant au Nahr Kadicha ou Abou-Aly, il était regardé comme identique avec 1 e fons hortorum du Cantique des Cantiques : Fons hortorum, puteus aquarum viventium, quæ fluunt impetu de Libano2. Car le même religieux, après avoir décrit Tripoli, parle ensuite en ces termes du petit fleuve qui fertilise ses jardins et alimente ses fontaines : Libanus distat a civilate ista ad très leucas. Adcujus pedem fons oritur bor- torum, fluens impetu de Libano, sicut dicitur in Canticis. Fons iste humiliter nasci videtur, sed subito invalescens fluvium facit veheinentem et magnum valde. Iste rigat omnes liortos et planiciem inter Tripolim etLibanum, et com- mendat mirabiliter région em. Aque ejus optime sont, frigide et dulces, et plura loca religiose constructa sunt super rivos ejus et ecclesie multe. Il est inutile ici de réfuter cette tradition, qui ne soutient pas l’examen, car le texte tout seul du verset que j’ai cité et auquel Burchard fait allusion montre que l’épouse des Cantiques est com¬ parée par l’auteur de ce chant sacré non à telle ou telle source en particulier, mais à toutes celles qui jaillissent vives et limpides des lianes du Liban, même quand elles sont renfermées dans des puits, puteus aquarum viventium. Six ans après que Burchard avait visité Tripoli, celte ville fut arrachée aux Chrétiens par le sultan Kelaoun, en 1289. A partir de cette époque, elle est toujours demeurée musulmane, et s’est retirée peu à peu de la péninsule quelle occupait, pour se rappro¬ cher du château de Baymond. Aujourd’hui, comme je l’ai dit, il ne subsiste plus, sur l’emplacement qu’elle couvrait, que le quartier 1 Burchanlus de Monte Sion, p. 28, édit. Laurent. — 8 Cantique des Cantiques, c. iv, v. 1 5. 30 \ DESCRIPTION DE LA GALILÉE. de la Marine qui soit encore habité; et trois kilomètres d’intervalle séparent cette partie de 1 ancienne ville de la ville moderne. BEYROUTH. Le 27 mai, à quatre heures du matin, nous entrions dans la rade de Beyrouth. Il est difficile de n ôtre point saisi d’admira¬ tion en présence de cette belle cité, qui s’élève en amphithéâtre au-dessus de son port et dont les édifices, les maisons et les villas sont groupés ou disséminés sur les pentes de riantes collines par¬ semées cl’oliviers, de figuiers, de sycomores, de caroubiers et prin¬ cipalement de mûriers. Derrière ces collines, d’autres apparaissent, plus hautes et cultivées également cl’étage en étage. Çà et là elles sont tachetées de points blancs, qui indiquent autantde villages, de hameaux ou de couvents. A l’ horizon, enfin, se montrent les gigan¬ tesques cimes du Liban, aux formes les plus majestueuses et les plus variées, et auxquelles une éblouissante couronne de neige sert comme de diadème les trois quarts au moins de l’année. Tous les détails de ce vaste panorama s’animent, dès l’aurore, et resplen¬ dissent sous la voûte azurée d’un ciel profond et au sein d’une atmosphère diaphane qui semble rapprocher les distances et des¬ sine merveilleusement les contours de chaque objet. Au coucher du soleil, le spectacle change et devient encore plus sublime, car tout alors se revêt de couleurs qu’aucun pinceau ne saurait repro¬ duire, et où les nuances les plus délicates de la rose et du lilas se marient d’abord ensemble pour se fondre ensuite dans une teinte violacée qui s’assombrit de plus en plus, jusqu’à ce qu’enfin, après un très court crépuscule, la nuit arrive avec ses ténèbres, et que d’innombrables étoiles brillent au firmament. Ainsi mollement adossée à ces montagnes et à ces collines, au milieu des fleurs et d’une riche végétation qui descend presque jus¬ qu’à la plage, les pieds baignés par les vagues, Beyrouth, selon l’ex¬ pression des Arabes, ressemble à une jolie sultane accoudée sur un coussin vert et contemplant les flots dans sa rêveuse indolence. 31 CHAPITRE 1. — BEYROUTH. À peine débarqué sur l’un des quais, non loin des ruines d’une ancienne tour carrée, assise sur un îlot et qui porte encore les traces des nombreux boulets quelle reçut dans ses lianes, lors du bombardement que subit la ville en i8/io, je promenai jusqu’au soir mes pas et mes regards dans les différents quartiers de cette charmante cité, que j’avais peine à reconnaître, tant elle s’est agrandie depuis une quinzaine d’années. De l’antique Berytus il ne subsiste plus que de nombreux fûts de colonues, soit en marbre, soit principalement en granit, qui sont dispersés de tous côtés; le long de la mer, des restes de quais, de murailles et de magasins, des excavations pratiquées dans le roc, qui peuvent avoir été des bains ou de simples caves recou¬ vertes jadis par des constructions depuis longtemps démolies, des hypogées funéraires, des sarcophages brisés ou intacts, des débris de mosaïques et une quinzaine d’inscriptions grecques ou latines, mutilées malheureusement pour la plupart et qui, après avoir été souvent copiées, se trouvent maintenant réunies dans le savant ouvrage de M. Renan, intitulé Mission de Phénicie. Lorsque les sœurs de la Charité construisirent leur vaste établis¬ sement, elles découvrirent, en jetant les fondations de leur maison, les vestiges d’un grand édifice antique, orné de colonnes et pavé de belles dalles. C’était probablement un temple consacré à Jupiter, comme cela semble résulter de l’inscription suivante, gravée sur une base qui fut déterrée en cet endroit et qui maintenant porte une statue de saint Vincent de Paul. La voici : I O M H <£> T- PONTIVS-MAXI MVS-Q-F PROTO CTETVS V£>L£A^S£> La première ligne, qui doit se lire ainsi : Jovi Oplimo, Maximo, Heliopolitano, prouve qu’à Berytus une statue en l’honneur de cr Jupiter très bon 3 2 DESCRIPTION DE LA GALILEE. et très grand, Héliopolitain, r> avait été érigée, en vertu d’un vœu , par un certain Titus Pontius Maximus. Elle était placée dans un temple, consacré lui-même, selon toute apparence, à Jupiter d’Héliopolis. À l’antique Berytus enfin appartiennent les ruines d’un aque¬ duc qui autrefois apportait à la ville une partie des eaux du Magoras, aujourd'hui Nahr Beyrouth. Les fontaines publiques et beaucoup de réservoirs particuliers sont maintenant alimentés au moyen d’un canal dérivant du Nahr el-Kelb, le Lycus des an¬ ciens, si célèbre par les bas-reliefs, tant égyptiens qu’assyriens, qui avoisinent son embouchure et que le temps efface et détruit de plus en plus. A la cité du moyen âge et à l’époque des Croisades se rapportent deux monuments transformés en mosquées par l’occupation musul¬ mane. L’un est l’ancienne cathédrale de Saint-Jean-Baptiste. Elle est presque intacte avec son clocher quadrangulaire isolé, devenu un minaret, son porche, ses trois nefs, ses trois absides, ses piliers ornés de colonnes engagées et ses arcades ogivales. Malheureuse¬ ment, les chapiteaux ont été recouverts par une épaisse couche de badigeon et de couleurs grossièrement appliquées qui en dissi¬ mulent tous les détails. Cette cathédrale avait elle-même succédé à une église plus ancienne, remontant à l’époque byzantine et dont il subsiste encore l’inscription grecque suivante, qui marque l’em¬ placement du baptistère : H cDQINH KYPIOY El"ll TQN YAATQN Ces mots, comme on le sait, sont tirés du psaume xx vu i , v. 3 : Vox Domini super aquas, Deus majestatis intonuit; Dominus super aquas ni allas. L’autre monument, beaucoup moins considérable et qui, par suite de remaniements successifs, a complètement perdu sa forme primitive, passe pour être une ancienne synagogue. Devenu plus tard une église et rebâti plusieurs fois, il est actuellement, comme CHAPITRE f. — BEYROUTH. 33 le précédent, au pouvoir des Musulmans, qui y célèbrent leur culte. Ce sanctuaire était sous le vocable de Saint-Sauveur. 11 est raconté dans les actes du second concile de Nicée, tenu en 787, que les Juifs de Beyrouth, l’an 665, ayant trouvé un cruci¬ fix laissé par mégarde dans la maison d’un chrétien, achetée par l’un d’eux, renouvelèrent contre cette image du Christ suspendu en croix toutes les insultes de la Passion. Quand ils lui eurent percé le côté, il en découla aussitôt de l’eau et du sang, qu’ils recueillirent dans un vase et portèrent dans leur synagogue. Là un grand nombre de malades s’étant réunis, à la stupéfaction générale, tous ceux qui furent touchés de cette liqueur sacrée furent miraculeusement guéris. Convertis par un tel prodige, les Juifs présents embrassèrent en foule la religion chrétienne, et leur synagogue, changée en église, reçut le titre de Saint-Sauveur, et fut entourée de la vénéra¬ tion publique. Il est permis également d’attribuer au moyen âge une partie des fortifications qui, il y a vingt ans à peine, enfermaient Bey¬ routh dans une enceinte continue; car une autre partie de ces remparts et des tours qui les flanquaient datait d’une époque plus récente. Depuis 1860, la ville a plus que doublé d’étendue, et cette enceinte a été aux trois quarts démolie pour faire place à des ha¬ bitations, dans la construction desquelles on a employé les maté¬ riaux provenant des remparts. C’est ainsi que Beyrouth déborde sans cesse de plus en plus en dehors du cercle étroit qui l’enserrait et qu’elle a brisé, et elle s’élève progressivement sur les flancs dou¬ cement inclinés des verdoyantes collines au pied desquelles elle était d’abord assise. La paroisse catholique est administrée par des religieux Capu¬ cins. Fort petite, il y a quelques années, elle a été depuis rebâtie sur un plan plus vaste et 11e manque pas d’élégance. Les Franciscains y ont également un couvent et une chapelle. L’établissement des Lazaristes s’est considérablement agrandi depuis 1 863, et leur chapelle, malgré son étendue, est à peine su I— 1. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 34 lisante pour contenir les sœurs de Saint-Vincent de Paul et leurs nombreuses élèves. L’établissement des sœurs, contigu au précédent, comprend à la fois un orphelinat, un pensionnat, des classes d’externes, le tout renfermant près de sept cents élèves, un hôpital et un dispen¬ saire. Depuis une trentaine d’années, il est dirigé parla sœur Gélas, dont le nom est justement vénéré par tous ceux qui ont pu appré¬ cier son immense amour du bien, son dévouement à toute épreuve et la droiture de son jugement. Un autre établissement, quoique de fondation assez récente, est déjà très prospère et est appelé à le devenir encore davantage; c’est celui des Dames de Nazareth. Situé dans une position admi¬ rable, qui commande toute la ville et d’où l’on jouit d’une vue magnifique sur la mer et sur le Liban, il a été créé, malgré divers obstacles, grâce aux efforts persévérants et éclairés de plusieurs religieuses d’une rare distinction, telles que mesdames de Vaux, Hélot , Mulsant, et d’autres encore, femmes aussi éminentes par l’esprit que par le cœur, qu’il m’est impossible de ne pas signaler en passant avec toute la considération qu elles méritent. Dans cette maison, l’éducation la plus complète et la plus soignée est donnée aux jeunes filles des premières familles de la Syrie et de la Palestine. Les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, qui, depuis 18Ù8, rendent tant de services à la Palestine, où Msr Valerga les a ap¬ pelées, l’année meme de son installation comme patriarche de Jérusalem, sont également établies à Beyrouth, où elles rivalisent de zèle avec les sœurs de la Charité et avec les Dames de Nazareth, en concourant au soin des malades et à l’éducation de l’enfance. Elles se sont adjoint quelques sœurs Mariamcttes, religieuses ma¬ ronites, dont elles sont, en quelque sorte, les institutrices et qui, à leur tour, doivent former d’autres religieuses semblables, destinées à instruire les enfants des campagnes. Un dernier établissement, en lin, efface tous les autres en gran¬ deur et en beauté, c’est celui des Pères Jésuites. Pour lutter avec CHAPITRE I. BEYROUTH. 35 plus de succès à Beyrouth contre l’influence protestante, qui va sans cesse grandissant, secondée qu’elle est à la fois par l’Angle¬ terre, par l’Amérique et par la Prusse, ils ont transféré leur col¬ lège de Ghazir dans cette ville, et, sur un emplacement immense et dominant, ils ont su élever, avec une rapidité singulière et dans des proportions réellement monumentales, un lycée et un séminaire modèles. L’architecte a été un des Pères, qui non seulement en a conçu le plan, mais qui encore a surveillé tous les travaux, se faisant même maçon au besoin, pour mieux former ses ouvriers. C’est ainsi qu’en une année a surgi, comme par enchantement, une construction colossale, qui attire aussitôt les regards de ceux qui abordent à Beyrouth. Tout y a été dis¬ tribué intérieurement avec un art des plus intelligents. De nom¬ breuses colonnes, provenant de monuments anciens, ornent la cha¬ pelle, qui a la grandeur d’une église. line imprimerie, où l’on peut imprimer en douze langues diffé¬ rentes, est, sans contredit, la mieux montée de tout l’Orient. Un Maronite extrêmement habile, qui est venu à Paris s’instruire à l’Imprimerie Nationale, la dirige. Il est inutile d’ajouter que de pareils établissements, qui, avec les dogmes de la religion catholique, propagent en même temps dans l’une des villes les plus importantes de la Syrie la langue, les sciences et l’amour de notre pays, font le plus grand honneur à la France. Les Maronites ont à Beyrouth plusieurs églises et un évêque particulier ; il en est de même des Grecs catholiques et des Grecs schismatiques. Les premiers atteignent le chiffre de 20,000, les seconds de 10,000, et les troisièmes de 16,000. Quant aux Euro¬ péens, ils dépassent celui de 7,000. Ce sont eux qui maintenant y donnent le ton partout, bien que les Musulmans soient au nombre de 23, 000. Le chiffre total de la popnlation est au moins de 80,000 habitants, en ajoutant ù ceux que je viens d’é¬ numérer 3, 000 Juifs, 800 Arméniens, unis ou non unis, et quel¬ ques centaines de Druses. DESCRIPTION DE LA GALILEE 36 Los principales nations chrétiennes sont représentées à Beyrouth par des consuls généraux. M. Tricon, consul général de France, nouvellement appelé à ce poste important, se trouvait alors à Jé¬ rusalem. Ce haut fonctionnaire devait bientôt se signaler par son dévouement, pendant toute la durée du choléra, qui sévit trois mois entiers dans plusieurs districts de la Syrie. Beyrouth est l’ancienne Bupvr os des Grecs, la Berytus des Latins. Quelques auteurs ont cru devoir l’identifier avec la Bero- tliaï du livre II des Bois1 (la Beroth de la Yulgate) et la Bero- thali (Berotha dans la Yulgate) du livre d’Ezéchiel2; mais, comme plusieurs savants critiques l’ont déjà observé avant moi, il faut chercher cette ville de Berothaï ou Berothah, non sur la côte, mais beaucoup plus dans l’intérieur des terres, attendu que, dans les deux passages où elle est citée, elle est mentionnée avec les villes de Hamath et de Damas, ce qui nous force, malgré la res¬ semblance des noms, à ne pas admettre l’identification proposée. Msr Mislin 3 incline à tirer la dénomination de cette place, comp¬ toir maritime trop important pour n’avoir pas été fondé par les Phéniciens, du mot hébreu beerotli cc puits n; mais M. Renan4 fait remarquer qu’une pareille étymologie est en contradiction manifeste avec la nature des lieux, où l’eau est mauvaise et rare, et il suppose plus volontiers que la ville avait été ainsi appelée à cause du bois de pins qui l’avoisine encore maintenant, bois dont on attribue quelquefois la plantation à Fakbr-ed-Din, mais qui est certainement antique; car il est déjà mentionné par Guillaume de Tvr et par Edrisi au xne siècle. En cbaldéen, en effet, le mot beroutli signifie cc cyprès n et aussi cc pin •». Peut-être aussi est-on fondé à établir un rapprochement entre le nom de Berouth et celui de Berith, donné dans la Bible à une divinité kananéenne appelée Baal-Beritb, qui avait un temple à Sicheni 5. Quoi qu’il en soit, la ville qui nous occupe en ce moment est 1 Livre des Bois, II, c. vin, v. 8. 2 Ezccliiel, c. xlvii , v. 16. 3 Les Suints Lieux , t. I , p. 2()6 , 3e édit. 4 Mission de Phénicie, p. 353. 5 Juges , c. ix, v. h. CHAPITRE I. BEYROUTH. 37 citée pour la première fois sous sa forme grecque Brjpvros clans les fragments de Scylax, vers l’an 35o avant J.-C. BrçpDTOS, ’ZSÔ'klS HOU Saccagée par Tryphon, elle tomba ensuite au pouvoir des Ro¬ mains, qui la relevèrent de ses ruines. Sous l’empereur Auguste, elle devint une colonie militaire, avec le titre de Félix Julia U Hérode le Grand y construisit des exèdres, des portiques, des temples et des places publiques 2. C’est dans cette ville que, devant un tribunal de i 5o juges, il accusa ses deux fils Alexandre et Aristobule, fds de Mariamne, et qu’à force de les charger d’imputations qu’ils ne pouvaient réfuter, puisqu’il leur était interdit de comparaître et de se défendre, il arracha contre eux un décret de mort, qu’il fit exécuter à Sa marie, où ils furent étranglés o par ses ordres Agrippa Ier bâtit à Berytus des thermes, des portiques, un théâtre et un amphithéâtre4. Agrippa II l’embellit encore en la décorant de nombreuses sta¬ tues qui représentaient tous les chefs-d’œuvre des grands maîtres5. ap rès la prise de Jérusalem, Titus s’arrêta quelque temps à Berytus, où il célébra l’anniversaire de la naissance de son père par des jeux somptueux, dans lesquels des milliers de captifs s’entre- tuèrent au milieu de l’amphithéâtre pour amuser la multitude °. A l’avènement du christianisme, cette ville devint le siège d’un évêché qui était soumis à la juridiction du patriarche d’Antioche. De savantes écoles y florissaient depuis longtemps, principalement pour le droit civil, et l’on quittait quelquefois Athènes et Alexandrie pour venir se perfectionner à Berytus dans l’étude des fois et de la littérature grecque. O ' Pline, Hist. nat. I. V, c. xvu. 3 Josèphe, Guerre des Juifs , I. 1, c. xvi, Antiquités Judaïques, 1. XIX, c. vu, 5. S a. Antiq. Judaïq. I. XVI, c. vu , s 5 Antiq. Judaïq. 1. XX, c. ix, S 4. b Guerre des Juifs, I. Vil, c. m, S t. 3 38 DESCRIPTION DE LA GALILEE Sous le règne de Justinien, elle passait pour l’une des plus belles villes de la Phénicie; mais elle fut alors détruite par un violent tremblement de terre; ses palais, ses temples et ses autres édi lices publics furent renversés, et beaucoup d’habitants furent ensevelis sous les ruines de leurs maisons. Rebâtie ensuite, elle ne retrouva jamais son ancienne splendeur1. En 638, elle tomba sous le joug des Musulmans. Lorsque les Croisés, en 1099, passèrent près de ses murs, en longeant la côte de Phénicie pour gagner Jérusalem, ses habitants obtinrent, par des présents et en fournissant des vivres, que les Francs traver¬ seraient leur territoire sans le ravager. E11 1110, Baudoin Ier s’en empara après un siège de soixante- quinze jours. Cette place était alors défendue par une puissante enceinte. Pour battre en brèche ces remparts et les tours qui les flanquaient, les Croisés construisirent des tours mobiles et des machines au moyen desquelles ils accablaient jour et nuit les assié¬ gés de traits incessants. Guillaume de Tyr nous apprend qu’ils avaient profité pour cela du voisinage d’une forêt de pins : Erat autem eidem civitati pinea sylva vicinior, quæ multam et icloneam ob- sidentibus, ad componendimi scalas et quaslibct machinas, abunde præstabal materiam. Ex hoc igitur erigentes sibi turres ligneas et machinas jaculalorias componentes et quæ adversus bujusmodi soient esse necessaria fabricants ar¬ gumenta, urbem continuis impugnant assultibus 2. L’existence de cette forêt est également constatée par le géo- gr aplie arabe Edrisi, qui vivait dans le même siècle : Au midi de Beyrouth, dit-il, est une forêt de pins qui s’étend jusqu’au mont du Liban, sur un espace de douze milles dans tous les sens 3. C’est celle que l’on voit encore aujourd’hui, mais beaucoup moins étendue qu’à l’époque d’Edrisi, et que l’on prétend à tort, comme je l’ai dit plus haut, avoir été plantée par Fakhr-ed-Din. Elle renferme actuellement très peu de vieux arbres, car les ravages 1 Agatliias, Histoire, 1. II, c. xiv. — 2 Guillaume de Tyr, I. XI, c. xiii. — 3 Edrisi, traduct. Jaubert, 1. 1, p. 355. CHAPITRE l. — BEYROUTH. 3«J quelle a souvent subis et les agrandissements de Beyrouth ont contribué à les faire disparaître, mais on les remplace quelquefois par de jeunes plantations; c’est, du reste, ce qu’a pu faire pareil¬ lement Fakhr-ed-Din. Enlevée aux Musulmans, Beyrouth devint le siège d’un évêché latin dépendant de l’archevêché de Tyr, sous la juridiction du pa¬ triarcat de Jérusalem. En 1182, Saladin la pressa très vivement par mer et par terre; mais elle résista avec courage à tous les efforts qu’il fit pour a prendre d’assaut; néanmoins, elle aurait sans cloute fini par suc¬ comber, sans l’approche de l’armée chrétienne, qui accourut de Seppboris à son secours. L’ennemi se hâta alors de lever le siège, après avoir préalablement saccagé les vignobles et les fertiles ver¬ gers qui environnaient la ville. En 1 187, Saladin s’avança de nouveau contre cette place, qu’a¬ vait complètement découragée la sanglante défaite essuyée par les Chrétiens à Hattin, et qui lui ouvrit ses portes, au bout de quelques jours seulement d’investissement. Dix ans plus tard, les Chrétiens, vainqueurs, à leur tour, de Malek-Adel, dont ils avaient presque anéanti les troupes entre Tyr et Sidon, reprirent Beyrouth sans coup férir. Elle resta depuis entre leurs mains jusqu’en 1291, année où Malek-Achral préluda par la conquête de Saint-Jean-d’Acre à celle de toutes les autres villes que possédaient encore les Latins en Palestine et en Syrie. Dévastée par ce prince, elle se releva peu à peu de ses ruines, grâce aux avantages de sa position, qui en fait le port naturel de Damas, à l’extrême fertilité de son territoire et à l’industrie de ses habitants, qui trouvaient depuis longtemps dans la culture du mûrier et dans le commerce des étoffes de soie une source précieuse de richesse. Au commencement du xvnc siècle, l’émir clruse Fahkr-ed-Din lui donna une nouvelle importance et y résida d’ordinaire. Le palais qu’il s’y fit bâtir était très vaste; il en subsiste encore une partie. Pour se rendre plus indépendant et dans la crainte de voir une Hotte ennemie débarquer des troupes dans son port, il eut la mal- DESCRIPTION DK LA GÀLILEK. /iü heureuse pensée de le combler, mesure funeste pour le commerce de la ville et qui reçut un commencement d’exécution. De nos jours, Méhémet-Aly fut quelque temps maître de la Palestine et de la Syrie. Beyrouth notamment était occupée par une garnison égyptienne; mais celle-ci fut expulsée, en 1 8ùo, à la suite d’un bombardement que la ville subit, le 10 octobre, de la part d’une flotte composée à la fois de navires turcs, anglais et au¬ trichiens. En 1 860 , les effroyables massacres du Liban amenèrent, comme 011 le sait, une intervention française en Syrie, et Beyrouth devint le quartier général de nos troupes. Elle vit alors se réfugier dans son sein une foule de malheureux échappés à la mort, et nos sœurs de la Charité durent agrandir leur maison pour recueillir les in¬ nombrables enfants, orphelins et orphelines, qui venaient de toutes parts frapper à leur porte et leur demander un asile. En même temps, la ville reçut des améliorations notables, et sa population chrétienne s’accroissant de plus en plus, elle prit bientôt un as¬ pect presque européen. Une route carrossable la relia à Damas, et, devenue le centre d’un commerce plus important, elle se vit con¬ trainte d’abattre ses vieux remparts afin de pouvoir s’étendre , et couvrit de jolies habitations les pentes des collines qui entourent son port. 11 est à désirer néanmoins que ces agrandissements continus finissent par s’arrêter, et qu elle cesse d’attirer vers elle pour les transformer en ouvriers, en hommes de peine ou en commis de magasins, les bons et honnêtes montagnards du Liban, qui perdent peu à peu dans son sein leurs mœurs patriarcales, leur simplicité première et leur loi sincère. JAFFA. Le 28 mai, à six heures du matin, je débarquai à Jaffa, heureux de fouler enfin, après quinze jours de navigation, ce sol sacré de la Palestine, où j’abordais pour la cinquième fois. Je l’avais déjà CHAPITRE i. JAFFA. 41 parcouru dans un grand nombre de directions depuis i852. Cette fois-ci il me restait à explorer en détail la haute et la basse Galilée, contrée qui sera le sujet principal de ce travail. Il est inutile de décrire de nouveau JalFa, et je renvoie le lecteur aux renseignements que j’ai déjà fournis sur cette ville dans ma Description de la Judée. Je me bornerai à ajouter que, depuis mon dernier voyage, elle s’est agrandie et a renversé une partie de l’en¬ ceinte trop étroite qui l’enserrait. Quant à son port, il est toujours le même, c’est-à-dire fort petit, en partie comblé et d’un accès très difficile , lorsque la mer est tant soit peu houleuse. La rade qui le précède est également peu sûre. Il est question actuellement de faire sauter par la poudre les récifs qui hérissent et rétrécissent vers l’ouest l’entrée de ce bassin inhospitalier, et de le creuser en¬ suite plus profondément, en enlevant le sable, le limon et les divers matériaux qui le remplissent et ne permettent qu’aux bâtiments d’un très faible tonnage d’y pénétrer. Cette entreprise, si elle se réalise, sera un immense bienfait non seulement pour Jaffa, mais encore pour la Palestine tout entière. On parle aussi plus que jamais de relier Jaffa à Jérusalem par un chemin de fer. Ce second projet, que j’ai déjà combattu il y a quelques années, quand il a été agité pour la première fois, me semble, au contraire, beaucoup plus nuisible qu’utile à la cité sainte. L’exécution d’une voie ferrée rendrait , il est vrai, beaucoup plus faciles et surtout beaucoup plus promptes les communications entre le port habituel où débarquent les pèlerins et les sanctuaires qui les attirent. On pourrait ainsi aller en deux heures au plus, et sans fatigue, cle Jaffa à Jérusalem. Mais, d’un autre coté, n’y a-t-il point à craindre que le nombre des simples touristes ne l’emporte alors sur celui des véritables pèlerins, et que ceux-ci eux-mêmes n’entrent distraits, et en quelque sorte sans s’en douter, dans la cité la plus auguste de l’univers? cc Pour ressentir, ai-je dit, dans foute leur force les émotions profondes qu’une ville comme Jérusalem doit exciter dans l’âme, il faut s’y préparer par le recueillement, il faut, pendant de longues DESCRIPTION DE LA GALILEE 42 el pénibles heures de marche, avoir le temps de disposer sou esprit aux grandes pensées el son âme aux divers sentiments qui l’attendent. Il faut, en un mot, méditer et souffrir un peu, chemin faisant. Autrement, on entrerait avec distraction dans la ville sainte, comme si c’était une ville ordinaire, et les premières impressions ayant été ainsi émoussées affaibliraient nécessairement toutes celles qui suivraient L v En outre, la construction d’une gare de chemin de fer aux portes de Jérusalem en modifierait nécessairement les abords. 11 y a quelques années à peine, elle s’élevait encore silencieuse et mé¬ lancolique au milieu d’une majestueuse et imposante solitude, et l’on pouvait faire extérieurement le tour complet de ses remparts, en repassant à son aise en soi-même ses incomparables destinées. Aujourd’hui, depuis l’achèvement de la route carrossable qui y conduit de Jaffa, elle est précédée vers l’ouest de nombreuses cons¬ tructions nouvelles, qui la masquent en partie. Que sera-ce quand une voie ferrée y amènera à certains jours des flots de voyageurs qui l’envahiront tumultueusement, et pour lesquels on songe déjà à bâtir des hôtels, des restaurants et des cafés? Si quelques per¬ sonnes appellent cela du progrès, j’y vois, pour mon compte, une véritable profanation de la ville qui a l’honneur de renfermer dans son sein des sanctuaires tels que le Golgotha et le Saint-Sépulcre, et je m’associe de toute mon âme aux regrets qu’exprime aussi, à ce sujet, Msr Mislin, dans son savant et pieux ouvrage sur les Saints Lieux 2. 1 Description géogr. hist. et nrch.de la 2 Me'' Mislin, Les Saints Lieux , t. II, Palestine, irc partie : Judée, l. I, p. ah. p. 1 5 A , 3“ édit. ItAMLEIl. CHAPITRE DEUXIÈME. - LYDDA. - TOMBEAU DES MAGHABJîES. RAMLEII. Le même jour, à trois heures de l’après-midi, je me mis en marche pour Ramleh, que j’atteignis vers sept heures du soir. J’ai déjà décrit cette route dans mon ouvrage sur la Judée; j’ai donné également sur Ramleh des détails suffisants. Depuis mon dernier voyage, rien n’a changé dans cette petite ville, où je retrouvai, comme à Jaffa, la même cordiale hospitalité de la part des bons Pères Franciscains. Seulement un établissement qui y manquait, et dont la création devait être un grand bienfait pour tous les habi¬ tants, y avait été récemment fondé; c’était une maison de sœurs de Saint-Joseph, destinées à la fois à faire l’école aux enfants et à secou¬ rir les malades. Deux religieuses dévouées dirigent cet établissement naissant. Très pauvrement installées, elles me montrèrent leur mo¬ deste demeure, où elles ont déjà recueilli deux malheureux petits orphelins abandonnés, et que commencent à fréquenter comme externes une trentaine de petites hiles, soit catholiques, soit schis¬ matiques. Elles se proposaient pareillement d’ouvrir bientôt un dis¬ pensaire, dès qu’elles auraient pu se procurer les premiers médica¬ ments indispensables pour soigner les malades. LYDDA. Le y 9 mai, à six heures du matin, je me rendis à Lydda, où j’arrivai à six heures et demie. Cette ville m’était depuis longtemps connue, et je ne veux pas non plus refaire en ce moment la descrip- â\ DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Lion que j’en ai déjà donnée. Je me bornerai à dire un mot de l'église Saint-Georges, dont les ruines ont été en partie restaurées par les Grecs, en 1871. Cette ancienne cathédrale, plusieurs fois détruite et rebâtie, avait été renversée de fond en comble par les Musul¬ mans, à l’approche des Croisés, en 1099, dans la crainte que les longues poutres de sa toiture ne fussent employées par l’ennemi pour en faire des machines de guerre1. Reconstruite avec magnifi¬ cence par les Latins, quand ils furent devenus maîtres de la Pales¬ tine, elle fut rasée aux trois quarts par Saladin, en 1191, afin que Richard Cœur-de-Lion ne put pas s’y retrancher comme dans un poste fortifié2. Depuis lors, elle 11’avait plus été relevée, bien que, suivant une opinion généralement répandue, et dont la première trace, je crois, se trouve dans Roniface de Raguse, elle passe pour avoir eu Richard Cœur-de-Lion comme nouveau fondateur. Con¬ formément à l’avis de Robinson et de M. de Vogiié, j’ai combattu cette assertion, qui me semble erronée, et j’ai essayé de montrer que les ruines, si fidèlement décrites par le second de ces écrivains3, dans son bel ouvrage des Eglises de la Terre Sainte, ne sont pas celles d’un monument dont il faudrait faire honneur au héros anglais. Toujours est-il que, jusqu’à ces dernières années, elles étaient restées encore debout, mais dans un abandon déplorable. Seule¬ ment par intervalle, les Grecs de Lyclda pouvaient venir prier sur l’emplacement de l’ancien sanctuaire, à l’endroit où avaient été jadis déposées, clans une crypte, les reliques du saint patron auquel la basilique avait été dédiée. Les pèlerins qui passaient par Lydda pour se rendre à Jérusalem 11e manquaient pas, de leur côté, qu’ils fussent Grecs non unis ou catholiques, de s’agenouiller un instant au-dessus de cette crypte bouchée. Enfin, en 1871, Msr Cyrille, patriarche grec schisma¬ tique de Jérusalem, obtint des Turcs, à prix d’argent, la possession exclusive, pour ses coreligionnaires, du chœur et des absides de l’ancienne basilique; car la plus grande partie des nefs abattues 1 Guillaume de Tyr, 1. VII, c. xxu. " Les Eglises delà Terre Sainte, p.363- 2 Boha-ed-Din , Vie de Saladin, p. 208. 366. CHAPITRE II. LY DD À. A 5 avait, dès le xive siècle, été comprise dans l’enceinte d’une mosquée signalée par Medjr-ed-Din au xve, et qui existe encore. Il est sans doute très regrettable que les Latins aient laissé échapper de leurs mains les débris vénérables d’une église qu’ils avaient eux-mêmes jadis construite; mais, d’un autre côté, je ne puis m’empêcher de re¬ connaître que les Grecs ont respecté religieusement dans leur travail de restauration ces restes précieux. Ils les ont renfermés dans une petite église, qui se compose du chœur et de deux absides de l’an¬ cienne basilique, chœur et absides dont ils ont eu soin de laisser ap¬ parentes toutes les assises encore en place, en ne touchant ni aux moulures de la corniche, ni à celles des colonnes, des piliers et des chapiteaux. La crypte, d’origine byzantine peut-être, qui s’étendait sous le sanctuaire a été débarrassée par eux de la terre et des dé¬ combres de toute sorte qui la remplissaient, et on y descend actuel¬ lement par deux escaliers, qui ont été reconstruits et mènent au tombeau de saint Georges. Ce tombeau, de date toute récente, n’est en réalité qu’un simple cénotaphe en marbre, avec la figure du saint. On y lit l’inscription grecque suivante : Anoz rEQpnoz O TPOnAlOOOPOZ Elu KYPIAAOY fl ATPI APKOY 1871. te Saint Georges, le porteur de trophées, sous le patriarcat de Cyrille, 1 87 1 . ’■> A la porte de l’église, le même saint reparaît en bas-relief sur une plaque de marbre blanc et sous la forme traditionnelle d’un cavalier armé terrassant un dragon, à la fureur duquel il arrache une jeune fille, image qui rappelle naturellement à l’esprit le mythe célèbre de Persée sauvant Andromède, au moment où elle allait être dévorée par un monstre marin. C’est pour le chrétien la figure de l ame humaine prête à succomber aux efforts de l’esprit du mal, el ne devant son salut qu’à la toute-puissanle intervention de la grâce. 46 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Saint Georges passe pour être né à Lydda; il subit le martyre à Nicomédie, sous Dioclétien, vers la fin du mc siècle, et ses restes ayant été, dit-on, rapportés dans sa patrie, une église y fut plus tard érigée en son honneur. Ce saint jouit d’une très grande vénération dans tout l’Orient, où une foule de chapelles, d églises et de cou¬ vents sont sous son invocation. Mais nulle part sa mémoire n’est plus respectée qu’à Lydda, qui se vante d’être à la fois son berceau et sa tombe. Il y a quelques années encore, les Grecs de cette ville prétendaient que dans la crypte, alors obstruée, se trouvait la tête du saint martyr; mais quand on a, en 1871, débouché et débar¬ rassé cette crypte de tout ce qui l’encombrait, on n’y trouva pas cette précieuse relique, qui, d’ailleurs, d’après le cardinal Baronius, avait été autrefois transportée à Piome. TOMBEAU DES MACIIABEES. Je quittai Lydda à sept heures cinq minutes du matin, pour gagner vers l’est les ruines dites Kharbet el-Medieli, où je fis une longue halte, à neuf heures quinze minutes. Un problème impor¬ tant, en effet, s’imposait à mes recherches dans cette localité avant tous ceux qui devaient tour à tour solliciter mon attention : c’était celui de l’authenticité du tombeau des Machabées, tombeau que j’avais découvert en 1870, et où d’autres fouilles, pratiquées de¬ puis, en 187/1, Par M. Clermont-Ganneau, avaient mis à jour une croix dessinée en mosaïque au fond de l’une des cuves funéraires de la première chambre. La présence d’une croix en cet endroit semblait, au premier abord, renverser toutes mes conjectures et faire crouler par la base ma prétendue découverte. Ce monument, me disait-on, est daté par cette croix; c’est un monument chré¬ tien, peut-être de l’époque byzantine. E11 outre, il paraît avoir été construit successivement et n’avoir point été conçu, dès le début, sur un même et unique plan. Troisièmement, il ne renferme que trois tombes, au lieu de sept. J’ai déjà, dans le dernier chapitre de mon ouvrage sur la Sa- CHAPITRE II. — TOMBEAU DES MACHABÉES. 47 marie, combattu ces diverses objections. Avant de les réfuter de nouveau, je voulais revoir ce monument, tel que les fouilles prati¬ quées par M. Clermont- Ganneau l’avaient laissé. Cette question se dressait, en quelque sorte, devant moi, sur ma route, et mon de¬ voir était, soit de renoncer publiquement et sans plus tarder à ma première hypothèse, si un nouvel examen des ruines de l’édifice me démontrait mon erreur, soit, au contraire, d’affirmer encore davantage, dans l’intérêt de la vérité, cette même conjecture, si elle se transformait de plus en plus, dans mon esprit, à la suite de cet examen, en une véritable certitude. Comme c’est à Modin qu’avait été élevé par Simon, l’un des fils de Mathathias, le mausolée des Machabées, il faut préalablement prouver que les débris du monument qui nous occupe sont bien et effectivement situés sur l’emplacement de cette ville célèbre. Mais je crois que, si le lecteur prend la peine de lire ce que j’ai écrit, à ce sujet, dans mon ouvrage sur la Samarie1, il se convaincra qu’il est difficile de 11e pas identifier Modin avec le Kharbet el-Medieh, qui conserve le nom légèrement altéré de cette ville et qui répond, du reste, parfaitement par sa position aux indications de la Bible, de Josôplie, d’Eusèbe et de saint Jérôme. Dès lors, il me semble inutile de revenir sur des preuves que j’ai déjà données et contre lesquelles on ne peut opposer, à mon sens, aucune objection sé¬ rieuse. J’admets donc comme un fait certain et démontré, et non comme une simple supposition qu’une autre hypothèse pourrait remplacer, l’identité de Modin avec les ruines dites Kharbet el- Medieh, et si l’on admet cela avec moi, je crois qu’après les expli¬ cations dans lesquelles je vais entrer, on sera en même temps obligé de reconnaître que le monument en question est bien effectivement le mausolée des Machabées. Ce monument, au lieu de renfermer sept chambres sépulcrales, comme je l’avais d’abord supposé, avant d’avoir pratiqué des fouilles assez complètes pour me faire une idée exacte de la disposition in- 1 Description géographique , historique cl archéologique de la Palestine, ^ partie : Su- marie, t. Il , p. 5 5 - G A . 48 DESCRIPTION I)E LA GALILÉE. térieure qu’il présentait, n’en contient, en réalité, que quatre, ainsi que cela résulte clés nouvelles fouilles exécutées par M. Cler- mont-Ganneau. Je m’empresse donc de rectifier cette erreur; mais ce dont je me suis assuré, c’est que ces quatre chambres sépul¬ crales renfermaient précisément sept tombes : la première vers l’est, trois; la seconde, une; la troisième, une aussi, et la qua¬ trième, c’est-à-dire la plus occidentale, deux, séparées par un mur de refend qui partageait cette chambre en deux compartiments communiquant ensemble au moyen d’une petite porte. Ces quatre chambres avaient été comprises dans l’enceinte d’un monument rectangulaire, long de 27°’, 77 sur 6n\ 7 1 de large. Quatre portes ouvrant vers le nord sur un portique orné jadis de colonnes, et aujourd’hui entièrement détruit, donnaient entrée dans chacune des chambres. De tous les autres côtés, les façades du rectangle étaient pleines extérieurement, et les assises encore debout sont formées par des pierres de taille dont beaucoup sont ébréchées par le temps et par les hommes, mais qui néanmoins sont suffisamment remarquables, même dans leur état actuel, pour permettre d’y voir les pierres polies signalées par la Bible et par Josèphe : Et ædificavit Simon super sepulcruin patris sui et fratrum suorum ædifi- cium altum visu, lapide polito ante et rétro L Nous lisons également dans l’historien juif : 2 t[xct)v Sè xa\ fivtj[xs7ov [xéyialov ûxoSofAricrs tôj zsonp) xai to7s dSe\(Ç)o7s avTOv sx. Xi'dov Xsuxou xoà àveï'eap.évov-. r Simon, en outre, éleva à son père et à ses frères un très grand monument de pierre blanche et polie. •» La première chambre sépulcrale, c’est-à-dire celle qui est située à l’extrémité orientale du monument, contient, comme je l’ai dit, trois tombes pratiquées dans le roc vif et dont l’une, qui fait face au sud, est placée en retour d’équerre par rapport aux deux autres. 1 Machabèes, I. I, c. xm, v. 97. — ’’ Anliq. judaïq. I. XIII, c. vi, § 5. CHAPITRE II. — TOMBEAU DES MACHA BÉES. 49 Est-il possible d’assigner un personnage spécial à chacune de ces tombes et aux quatre subséquentes, et de les marquer toutes, avec quelque certitude, d’un nom particulier? La chose me paraît facile, si Ton adopte, ce qui semble le plus na¬ turel, Tordre chronologique de la mort successive des sept membres de la famille des Machabées, comme celui-là même qui fut adopté pour leurs sépultures. Une seule date nous manque, c’est celle du décès de la mère des vaillants fils de Mathathias; mais il est permis de penser que T épouse de cet illustre vieillard le suivit la première dans la tombe; car l’Écriture, en nous parlant des pyramides éri¬ gées par Simon sur chacun des sépulcres des membres de sa fa¬ mille, s’exprime ainsi: Et statu i t septem pyramidas, imam contra imam, patri et matri et quatuor fra tribus U De ce verset, en effet, il semble résulter que, dans la série des tombes de ce mausolée, en commençant par l’orient, se trouvait d’abord celle de Mathathias, puis celle de sa femme. Mathathias mourut, comme on le sait, Tan i à6 de 1ère des Sé- leucides, c’est-à-dire Tan 166 avant J.-C. Et defunctus est anno centesimo et quadragesimo sexto, et sepultus est a fîliis suis in sepulcris patrum suorum in Modin, et planxerunt eurn omnis Israël planctu magno2. Nous lisons de même à ce sujet dans Josèphe : Met’où trroX v zelsina, xai S-anlsTou [xèv év Mwàieijtx, 'csèvQos $’én’avT<ü pteya tou Aa où -zsolvtos 'arotvcrap.évov ' SisSé^aro t rjv 'apocrla.crlav rwv zspayyid- t cov b zsoiîs avToü I ovSaç b hou MotHHtxSouos , èxcrtocfiü stsi hou T£vcrarlie : Samarie , I. Il, [). 4 2 1-42 2. 54 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Mathathias et ses valeureux (ils avaient levé l’étendard d’une sainte insurrection pour la défense de leur foi et de leur nationalité. Voici le passage de saint Jérôme : Modeim, viens juxta DiospoJim, unde luerunt Maccabæi , quorum lio- dieque ibidem sepulcra monstrantur. Salis ilaque miror quomodo Antiocbiæ eorum reiiquias ostendunt aut quo boc cerlo auctore sit creditum. «Modeim, bourg voisin de Diospolis, patrie des Maccabées, dont au¬ jourd’hui encore on montre, en ce lieu même, les tombeaux. Aussi je m’é¬ tonne beaucoup que l’on expose aux regards leurs restes à Antioche, et je me demande sur quelle autorité certaine repose une pareille croyance. r> En s’exprimant ainsi, saint Jérôme semble évidemment ne point distinguer ici les deux familles des Machabées, toutes deux juives et contemporaines, Tune composée de martyrs, l’autre de héros, mais ayant cela de commun que, s’inspirant des mêmes principes et du même dévouement, elles ont su lutter jusqu’à la mort, soit devant le tribunal d’un tyran, soit sur les champs de bataille, pour la revendication des croyances religieuses de leurs aïeux et de leur indépendance nationale. Les premiers sept Macha¬ bées étaient vénérés, à Antioche principalement, dès les premiers siècles de l’Eglise, dans une basilique élevée en leur honneur, et où leurs saintes reliques étaient l’objet, d’un culte spécial. I^es sept autres Machabées reposaient à Modin, dans le mausolée érigé par Simon, le dernier survivant de ses parents et de ses frères. On conçoit sans peine que, si une pareille méprise a pu échapper à saint Jérôme, c’est qu’elle était, de son temps, par¬ tagée par un grand nombre de chrétiens. Par conséquent, tout porte à croire qu’alors les tombes des Machabées asmonéens à Modin étaient entourées de la vénération publique, tout comme à Antioche les reliques des autres Machabées dans la basilique qui leur avait été consacrée. La croix en mosaïque que M. Clermont- Ganneau a retrouvée dans le fond de la fosse orientale de la pre¬ mière chambre du monument ne doit donc plus nous surprendre, et malgré cette croix, ou plutôt, à cause de cette croix même, je me confirme de plus en plus dans mon hypothèse. L’auge sé- CHAPITRE IL — TOMBEAU DES MACHABÉES. pulcrale où elle a été découverte, commençant la série des tombes, devait, à mon avis, avoir reçu primitivement la dépouille mortelle du chef même de la famille, c’est-à-dire de Mathathias, dont le sépulcre, en raison des vertus et de la piété héroïque de cet auguste vieillard, a fort bien pu avoir été transformé plus tard en une sorte d’oratoire chrétien. La seconde chambre funéraire, qui ne renfermait qu’une senle tombe, actuellement tout à fait détruite, était celle de Judas Machahée. Jean devait reposer dans la troisième chambre, au fond d’une fosse également rasée, et où j’avais remarqué encore, en 1870, quelques cubes de mosaïque et plusieurs fragments d’ossements. La quatrième chambre enfin, divisée en deux compartiments, au moyen d’un mur percé d’une ouverture servant de porte, contenait très probablement, dans le premier, les restes de Jona- tlias, et dans le second, qui terminait vers l’ouest le monument, ceux de Simon, le fondateur de ce mausolée. Les auges sépul¬ crales où ils avaient été déposés sont, de même, totalement brisées, mais il est facile de reconnaître encore l’emplacement qu’elles occupaient, et j’y ai recueilli également deux autres frag¬ ments d’ossements. L’édifice rectangulaire de Medieli contenait donc bien réelle¬ ment sept tombes, réparties, comme je l’ai indiqué, dans quatre chambres contiguës. Celles-ci n’avaient, chacune, qu’une entrée vers le nord, et n’ont jamais pu servir qu’à une destination funé¬ raire. I^a plate-forme qui les couronnait est, à la vérité, aux trois quarts au moins détruite. Mais, en 1870, j’avais signalé, au- dessus de trois dalles appartenant à cette plate-forme, la présence de deux encastrements, qui m’avaient paru propres à recevoir les bases de deux des sept pyramides mentionnées par la Bible et par Josèphe. Ces trois dalles étaient alors en place. En 187b, l’une d’entre elles avait été dérangée de sa position première ; peut-être sont-elles toutes enlevées aujourd’hui. Mais les encastrements qu’elles portaient ont été vus et mesurés, très peu de temps 56 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. après mes fouilles, par M. Mauss, et cet architecte français, si versé dans l’étude des monuments de la Palestine, a adopté ma conjecture. Ils ont été également constatés par M. Tyrwhitt Drake, l’un tles membres de la mission scientifique anglaise en Palestine, qui a reconnu de même qu’ils pouvaient avoir servi au but que j’avais indiqué. Ce savant, qu’une mort inopinée a malheureuse¬ ment interrompu au milieu de ses recherches, a même évalué la hauteur des pyramides qui s’y adaptaient. Selon lui, l’élévation totale du monument, y compris ces pyramides, était de quinze cou¬ dées hébraïques environ, élévation bien suffisante pour le rendre visible de fort loin, sur la colline où il avait été construit, et dont l’altitude est au moins de 220 mètres au-dessus de la Méditerranée. Du plateau où il est situé on aperçoit parfaite¬ ment Lydda, Ramleb et même Jaffa. On distingue aussi une très grande étendue de mer et les moindres voiles qui blanchissent à l’horizon. Donc, réciproquement, tous les navigateurs qui lon¬ geaient la côte pouvaient jadis saluer, en passant, le monument d’El-Medieh, quand il était encore debout avec ses pyramides et la colonnade qui l’entourait. De cette colonnade, depuis long¬ temps sans doute renversée, il subsistait encore quelques débris en 1870. J’avais, en effet, observé alors, non loin de l’édifice, une dizaine de tronçons de colonnes monolithes, gisants mutilés sur le sol. Ces tronçons ont été vus, mesurés et mentionnés, après moi, par M. Mauss. En 1875, je ne les ai plus retrouvés ; mais les habitants d’El-Medieh m’ont dit les avoir récemment trans¬ portés à Lydda, de même qu’eux ou leurs pères avaient autrefois vendu, dans la même ville ou à Ramleh, d’autres fûts sem¬ blables, plus ou moins brisés, qui étaient étendus en cet endroit. M. Clermont-Ganneau lui-même a déterré, en 187/1, tout près du monument, une colonne encore debout et enfoncée profondément dans le sol, que j’ai vue en 1875, et dans une des chambres sé¬ pulcrales un tronçon mutilé, qui y avait été projeté ultérieurement. Ne sont-ce pas là autant de restes authentiques des portiques à colonnes monolithes signalés par la Bible et par Josèphe? CHAPITRE II. — TOMBEAU DES MACIIABÉES. 57 En résumé, le monument funéraire d’El-Medieh affectait la forme d’un long rectangle entouré de colonnes. Il renfermait quatre chambres sépulcrales contiguës et ouvrant toutes sur le portique du nord. Ces chambres contenaient en tout sept lombes, et elles étaient elles-mêmes surmontées de pyramides. Situé sur un pla¬ teau élevé, cet édifice, quand il était debout, devait être, en outre, parfaitement visible de la mer. N’offre-t-il pas, dès lors, toutes ces conditions étant réunies, l’image fidèle et irrécusable du mau¬ solée des Macbabées, tel que le décrivent la Bible et Josèphe? Ou plutôt n’est- il pas ce mausolée lui-même, mausolée remanié à l’é¬ poque chrétienne et détruit aux trois quarts depuis, mais présen¬ tant encore dans ses débris les traces très reconnaissables de sa configuration première et quelques vestiges de son ancienne splen¬ deur? A quelle autre famille, en effet, qu’à celle des Macbabées aurait pu appartenir au Kharbet el-Mcdieh , c’est-à-dire à Modin, le monument en question, monument qui reproduit encore, même dans ses restes, tous les principaux détails et les traits fondamen¬ taux du mausolée des princes asmonéens ? Hélas ! ces ruines mêmes , dont j’ai tant souhaité que mon pays fît l’acquisition, sont proba¬ blement destinées à périr ! Maintenant qu’elles sont exhumées et qu elles ne sont plus protégées à la fois et par la terre qui les re¬ couvrait et par l’oubli qui les enveloppait de son ombre, elles sont chaque jour exposées soit à l’indiscrète curiosité des voyageurs, soit surtout à l’avidité des fellahs des environs, qui, s’imaginant qu’elles recèlent des trésors, sont sans cesse tentés de les boule¬ verser de fond en comble et d’en vendre ensuite les matériaux au plus offrant. Et cependant, comme je l’ai dit et comme je le répète avec une conviction plus profonde encore qu’au para vaut, à ces ruines est attachée la mémoire de l’une des plus héroïques familles dont s’honorent la nation juive et l’humanité tout entière, je veux dire celle des Macbabées. 58 DESCRIPTION DE LA GALILEE. CHAPITRE TROISIÈME. DE RAMLEH À JERUSALEM. - JERUSALEM. - kOUREIBEH. - KII ARRET EL- MEDIEII. - K1RIET EL-a’nAB. - RETOUR À JERUSALEM. - DEPART DE JÉRUSALEM. - ARRIVÉE À NAZARETH. DE RAMLEH À JERUSALEM. Dans l’après-midi du même jour, j etais de retour à Ramleh. Le lendemain, 3o mai, je m’acheminai vers Jérusalem par la voie ordinaire des pèlerins, voie que j’ai décrite en détail dans mon ouvrage sur la Judée. A cinq heures du soir, j’entrai clans la ville sainte. JÉRUSALEM. Les abords de cette cité étaient naguère encore mornes et silen¬ cieux. Maintenant ils s’animent et s’embellissent d’année en année, au moyen de constructions nouvelles, dont quelques-unes sont en¬ tremêlées de jardins. Mais pour moi, je l’avouerai franchement, je regrette le temps où tout se taisait autour de Jérusalem, où une sorte de désert austère l’environnait, et où le pèlerin, arrivant de Jaffa et apercevant enfin, après une longue et pénible marche, les remparts, les tours et les coupoles de cette ville, vers laquelle l’attire principalement un tombeau, pouvait se prosterner à loisir la face contre terre, à la vue des deux dômes de la basilique du Saint- Sépulcre. La solitude qui l’entourait ajoutait encore par sa reli¬ gieuse tristesse à la vivacité des diverses impressions qu'il éprouvait alors, et il n’avait d’autres témoins de ses larmes, de ses prières et de son émotion profonde (pue des rochers nus ou de vieux oliviers tout chargés de siècles et de souvenirs. A présent ce qui frappe 59 CHAPITRE III. — JERUSALEM. tout, d’abord ses regards, ce sont les immenses constructions des Russes, sorte de citadelle, à la fois politique et religieuse, bâtie aux portes de la ville, sur le plateau d’où elle a été plusieurs fois assiégée, et qui se dresse comme une menace éternelle du schisme et de l’empire moscovite, qui aspirent plus que jamais à s’emparer des lieux saints; ce sont pareillement des écoles et des hôpitaux fondés tout récemment par la Prusse et par l’Angleterre, témoi¬ gnages visibles des efforts tentés également par l’hérésie pour dis¬ puter au catholicisme la possession de ce sol sacré. Ce sont, en outre, des maisons de particuliers et de consuls, des jardins et quelques cafés. Jérusalem déborde donc peu à peu, et de plus eu plus, en dehors de son enceinte. Aussi est-il question de démolir cette enceinte en totalité ou en partie pour en vendre les pierres, qui seraient débitées comme de simples moellons. Mais j’espère que le gouvernement turc, avant d’exécuter une pareille mesure, y ré¬ fléchira à deux fois. Pour quelques faibles ressources quelle lui procurerait momentanément, ressources que les frais de démoli¬ tion diminueraient de moitié, elle exposerait la ville, ainsi ouverte, aux pillages possibles des Bédouins et des fellahs; elle détruirait ensuite des remparts à jamais vénérables, dont une partie sans doute ne remonte pas au delà de l’année i5Ù2, époque où ils lurent relevés par Soliman, mais dont beaucoup d assises sont an¬ tiques et gardent l’empreinte des nombreux siècles et des grands événements qu’elles ont vus passer. Quand même on ne renverse¬ rait que les murs qui renferment la ville du côté de l’ouest et du nord, comme il est hors de doute actuellement que ces murs ré¬ pondent précisément à la troisième enceinte, due à I Iérode-A grippa , et que les fossés creusés dans le roc qui les précèdent, et qui sont aux trois quarts comblés, datent du règne de ce prince, une sem¬ blable démolition n’en serait pas moins infiniment regrettable; car les soubassements de cette portion des murs et des tours qui les flanquent étant çà et là antiques, il en résulte qu’eu les détrui¬ sant cl qu’en achevant de combler les fossés qui les bordent, on ferait disparaître en même temps quelques-uns des témoins 60 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. authentiques du fameux siège de Jérusalem par Titus, et plus tard des attaques des Croisés. On saperait, en outre, par la base l’un des principaux arguments topographiques sur lesquels on s’appuie pour prouver qu’il faut chercher beaucoup plus à l’est que plu¬ sieurs écrivains protestants ne l’ont fait les traces du second mur d’enceinte et, partant, du périmètre occidental de la ville à l’époque de Notre-Seigneur. Nous savons, en effet, que le Christ fut crucifié et ensuite enseveli dans un sépulcre neuf en dehors de la ville. Si celle-ci, comme le veulent ces critiques, s’étendait alors vers l’ouest aussi loin que maintenant, et s’il faut reculer bien au delà de l’enceinte actuelle les limites de celle d’Agrippa, il s’ensuit que le Saint-Sépulcre et le Golgotha, vénérés depuis de longs siècles par la chrétienté tout entière, ne sont que des sanctuaires apocryphes, qui ont usurpé mensongèrement les hommages et la foi des peuples, et qu’aujourd’hui encore nous nous prosternons de¬ vant de vains fantômes, quand nous venons nous agenouiller sur la roche dite du Calvaire ou auprès du tombeau attribué au Sauveur. Ces sanctuaires effectivement sont enfermés dans une basilique qui est elle-même depuis longtemps enclavée dans le sein de la ville. 11 est donc de la plus haute importance de résoudre ce problème topographique, auquel se rattache par contre-coup la solution du problème capital qui domine nécessairement tous les autres à Jérusalem, je veux dire celui qui a Irait au Saint-Sépulcre et au Golgotha. Je sais bien que l’authenticité de ces deux sanctuaires peut se prouver par d’autres arguments très puissants, et principa¬ lement par la continuité non interrompue de la tradition transmise d’âge en âge parmi les fidèles de Jérusalem depuis la fondation d’une église chrétienne dans cette ville, c’est-à-dire depuis la mort du Sauveur jusqu’au règne de Constantin, qui consacra par l’érec¬ tion d’une superbe basilique les deux endroits où le Messie avait été crucifié, puis mis dans le tombeau, et, par conséquent, la tra¬ dition elle-même relative à ces deux points à jamais mémorables. Mais à ceux qui opposent à celte tradition sacrée des considé¬ rations empruntées à la topographie, il est bon de répondre de CHAPITRE III. — JERUSALEM. 61 même par des arguments topographiques capables de les ramener à la vérité. Or le mur que l’on veut abattre le premier passant à travers les anciennes Caves royales signalées par Josèphe ] comme traversées par la troisième enceinte, il s’ensuit nécessairement qu’il doit être identifié avec cette enceinte, sur les ruines de laquelle il a été relevé, et nullement avec la seconde, dont on a retrouvé, de nos jours, quelques débris à une faible distance vers l’est de l’église du Saint-Sépulcre. Dès lors, il n’est point étonnant que le tombeau du Christ et le Golgotha, situés, à l’époque de jNotre-Seigneur, en dehors de la ville, soient en dedans de la ville actuelle, puisque la troisième enceinte, identique, je le répète, avec la muraille mu¬ sulmane de l’ouest et du nord, les y enclava dans la suite. De cette manière, la topographie et la tradition se donnent la main pour dé¬ montrer l’authenticité des deux plus augustes sanctuaires du monde. Je compte développer plus tard ces considérations, comme le sujet le mérite, dans l’ouvrage spécial qu’après celui-ci j’ai l’in¬ tention de publier sur Jérusalem; mais, en attendant, j’ai hâte de décharger ma conscience par cette protestation préalable contre le projet de démolition dont il s’agit. Depuis mon dernier voyage, des fouilles d’un haut intérêt avaient été pratiquées à Jérusalem, les unes par les Anglais, les autres par les Prussiens. J’en parlerai également plus au long un jour. Qu’il me suffise, pour le moment, de les mentionner en passant. Je les ai examinées avec soin, en compagnie de l’excellent frère Liévin, du couvent de. Saint-Sauveur. Les Anglais, en creusant sur le mont Sion pour y asseoir les fondations d’une école, ont mis à jour, sur le bord extrême de cette colline, du coté où, vers le sud-ouest, elle surplombe la vallée de Ben-Hinnum, une partie de la muraille antique. C’est le roc lui-même qui a été taillé verticalement, de manière à former une longue courtine flanquée de deux tours. Celles-ci étaient mu¬ nies de deux citernes qui pouvaient fournir de l’eau à leurs défen- 1 Guerre des Juifs , 1. V, r. iv, S ü. G 2 DESCRIPTION DE LA GALILEE. seurs. Si l’on poursuivait ces fouilles au delà de remplacement occupé par cette école, on trouverait probablement, sur les bords de la même colline, la continuation de cette enceinte tout à fait primitive, et peut-être d’origine jébuséennc. Les Prussiens, de leur côté, devenus possesseurs depuis quelques années des ruines considérables de l’abbaye de Sainte-Marie-la- Grande et d’une grande partie du vaste emplacement que couvrait jadis le couvent célèbre des Hospitaliers de Saint-Jean, ont com¬ mencé à déblayer le sol de l’énorme quantité de décombres qui l’exhaussait. Plusieurs couches successives de débris ont été tour à tour enlevées par eux, et, sur certains points, ils ont du creuser des puits assez profonds avant d’atteindre le roc sur lequel repo¬ saient les constructions antiques, remplacées beaucoup plus tard par celles du moyen âge. Si les schismatiques et les protestants multiplient le nombre de leurs établissements à Jérusalem , les catholiques sont loin égale¬ ment d’y rester inactifs. I^a cathédrale fondée par Msr Yalerga, à côté de son patriarcat , est maintenant terminée. Consacrée le 1 1 février 1872, elle est à trois nefs et dans le style gothique. Le corps de cet éminent prélat y repose actuellement dans une cha¬ pelle, au pied de l’autel de saint Joseph, son patron, où il a été placé par les soins de son pieux et zélé successeur, Msr Bracco. L’église Sainte-Anne, concédée à la France en 1 856, est restau¬ rée presque complètement. L’habile architecte français, M. Mauss, qui a été chargé de ce travail difficile , s’en est acquitté avec beau¬ coup de goût, et en conservant fidèlement au monument son carac¬ tère primitif, que les dégradations nombreuses qu’il avait subies de la part des Musulmans avaient çà et là fort altéré. Cette église n’est pas encore néanmoins livrée au culte. Les R. P. Franciscains, auxquels revient la gloire de n’avoir jamais déserté, en Palestine, au milieu même des plus grands périls, la garde des différents sanctuaires, qui leur a été confiée depuis plusieurs siècles, et d’avoir été comme la providence de tous les pèlerins latins que la visite des lieux saints y attire sans CHAPITRE III. 63 — JÉRUSALEM. cesse, ont récemment agrandi les bâtiments destinés à recevoir leurs hôtes. La paroisse de Saint-Sauveur, qu’ils desservent, est trop petite, et doit être pareillement construite sur un plan plus vaste, qui permettra d’y célébrer plus convenablement les cérémo¬ nies sacrées et d’y donner place à un plus grand nombre de fidèles. Le IL P. Marie de Ralisbonne, qui, depuis une vingtaine d’an¬ nées, semble avoir adopté Jérusalem pour sa seconde patrie, et aspire à y convertir ses anciens coreligionnaires, dont il a autrefois abjuré à Rome les erreurs, développe constamment dans la ville sainte, avec une persévérance admirable, les diverses œuvres qu’il y a entreprises en 1 8 5 6 . Son beau couvent de Notre-Dame-de- Sion, qui contient le sanctuaire de YEcce Homo, est achevé. On sait que dans les substructions de ce monastère ont été découverts de vastes souterrains antiques et de nombreuses dalles ayant appar¬ tenu très probablement au Lithostrotos. Du haut de sa superbe terrasse, la vue est incomparable. Pi œs de ce couvent, et sous la direction des religieuses qui 1 ha¬ bitent, est un orphelinat de jeunes filles, où sont élevées cent dix orphelines internes, de toutes les parties de la Palestine et du Liban; elles sont presque toutes catholiques. Une division à part est réser¬ vée aux enfants des infidèles. A ce même monastère est adjoint un dispensaire, qui donne sur la voie Douloureuse, et qui s’ouvre, tous les matins, à une centaine de malheureux, chrétiens, juifs et mu¬ sulmans. Le R. P. Marie de Ratisbonne a également fondé, à une heure et demie de Jérusalem, à Saint-Jean-in-Montana, un autre pen¬ sionnat de jeunes filles, dirigé de même par des religieuses déta¬ chées du monastère de Notre-üame-dc-Sion. Enfin il se propose d’établir sur le mont des Oliviers, dans un terrain qui lui a été généreusement concédé par Mme la princesse de La Tour d’Au¬ vergne, une école industrielle d’arts et métiers pour les garçons. Sur cette même montagne s’élèvent deux nouveaux sanctuaires, sur les ruines de deux anciens, qu’ils font revivre : l’un est appelé le Pater noster, et l’autre le Credo. Ils sont dus tous les deux à la DESCRIPTION DE LA GALILEE GA munificence de celte princesse, qui eut la bonté de m’en faire les honneurs, quand j’allai les visiter. A ces sanctuaires est attenant un petit couvent habité par des religieuses carmélites. Contre le mur de la galerie qui environne la cour du couvent ont été appli¬ quées de grandes plaques sur lesquelles on lit YOraison dominicale. en trente-deux langues. Il est inutile d’ajouter que je visitai pareillement, à Jérusalem, les deux autres établissements religieux que je connaissais déjà depuis longtemps, et qui y ont été fondés dès i 8/18, l’année même de l’installation de Msr Valerga en qualité de patriarche; l’un est l’hôpital Saint-Louis, et l’autre est une école de petites filles, te¬ nus toçis les deux avec beaucoup de dévouement par les bonnes sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, presque toutes Françaises. Je ne fais que glisser légèrement en ce moment, à mon grand regret, sur ces deux établissements, dont je parlerai plus longue¬ ment, plus tard, dans ma monographie de Jérusalem. Aujourd’hui, mon sujet m’appelle ailleurs. Après quelques jours consacrés à parcourir en tout sens cette ville, dont chaque rue, depuis i85a, m’a vu errer à plusieurs reprises, pour en interroger les monuments encore debout, les ruines ou les simples souvenirs, je retournai de nouveau à El-Me- dieh, en compagnie de AF1' Povet, protonotaire apostolique, attaché depuis longtemps au patriarcat de Jérusalem, qui désirait visiter avec moi les ruines du tombeau des Machabées. KOUBE1BEH. Chemin faisant, nous nous arrêtâmes deux heures à Koubeibeh. Ce petit village, que j’ai déjà décrit1, est situé à deux heures et demie à l’ouest-nord-ouest de Jérusalem. Nous y examinâmes, avec un vif intérêt, les belles ruines d’une ancienne église, dont les ara¬ sements étaient seuls visibles il y a encore peu de temps. Les 1 Descript. géographique, hisloriq. et archéologiq. de la Palestine, 1" partie : Judée, t. I. p, 3iç)-36i. CHAPITRE III. KO U R El BE II. 65 R. P. Franciscains, qui habitent le couvent construit par eux dans cette localité, avaient dégagé récemment les assises inférieures de ce bel édifice des énormes amas de terre et de décombres qui les dérobaient aux regards. Il mesurait 3 s mètres de long sur 20 mètres de large. Parfaitement orienté, il se terminait, vers l’est, par trois absides, encore en partie debout. A l’intérieur, l’ appareil est très régulier; il consiste en belles pierres de taille bien aplanies; au dehors, l’appareil est moins soigné. Les murs ont 2 mètres d’épais¬ seur; aux angles on remarque de gros blocs taillés en bossage. Près des absides latérales apparaissent des traces de fresques. Trois piliers sont encore en place; ils étaient cantonnés chacun de quatre colonnes engagées. Plusieurs tombeaux ont été décou¬ verts sous le pavé de l’église; l’un paraît être celui d’un évêque; il était recouvert d’une pierre considérable, taillée en dos d’âne, sur laquelle avait été sculptée une croix épiscopale double, et ren¬ fermait encore des ossements. Les couvercles de quelques autres tombeaux y ont également été déterrés. Enfin on a trouvé les fon¬ dements d’une sorte de maison enclavée dans l’église. Cet édifice a pu avoir été restauré et embelli parles Croisés, mais il est proba¬ blement antérieur à leur entrée en Palestine, et prouve l’impor¬ tance de la localité dont les ruines portent, depuis plusieurs siècles, le nom de Koubeibeh ou de Petite Coupole, dénomination due peut- être à une coupole qui couronnait cette église, quand elle était encore debout. Si Koubeibeh représente l’Emmaiis où Notre-Seigneur, le jour de sa résurrection, rompit le pain avec deux de ses disciples, ne pourrait-on pas supposer que cette église a été bâtie sur Rempla¬ cement de la maison de Cléophas, l’un d’entre eux, maison où ce repas mystérieux eut lieu? En effet, cette église n’a-t-elle pas plus de droit à cet honneur et à cette conjecture que la longue salle rectangulaire, voûtée en ogive, dont les IL P. Franciscains ont lai I leur chapelle, après l’avoir restaurée, et où repose le corps de la pieuse fondatrice de leur couvent, Mlle de Nicolaï, morte, il y a quelques années, en odeur de sainteté? I. GG 1) 12 SC H I PT ION DE LA GALILEE. I! est certain que, depuis l’époque des Croisades, Koubeibeh a été généralement regardé comme étant le si t e du véritable Emmaüs de saint Luc. A la fin du xiiic siècle, le moine Ricold du Mont-de-la-Croix signale, à huit milles de Jérusalem, une belle église encore debout, à l’endroit appelé Emmaüs : Inde exeunles et redeuntes de Jherusalem venimus recto cursu octo miliaria in Emaus. Et conferentes de Christo, ut ipse appropinquans iret nobiscum, per prata et loca pulcherrima appropinquantes caslelio, venimus ad viam in qua finxit longius ire, et postea in Emaus, ad locum ubi paraverunt cenam et rognoverunt eum. lbi est ecclesia pulchra1. Cette belle église, c’est, selon toute apparence, celle dont les IL P. Franciscains de Koubeibeh viennent d’exhumer les débris, et qui, je le suppose, était alors le rendez-vous des pèlerins, comme occupant l’endroit où Noire-Seigneur avait rompu le pain avec les deux disciples. Ce pèlerinage se poursuivit, ainsi que je l’ai dit, jusqu’en 1760, et il était accompli chaque année, le lundi de Pâques, par les Pères Franciscains de Jérusalem, et, à leur suite, par les pèlerins chrétiens alors de passage dans la ville sainte; mais ensuite cette pieuse excursion cessa d’avoir lieu, à cause des dangers quelle offrait. Peu à peu même on finit par 11e plus savoir au juste où était le bourg d’Emmaüs, et c’est seulement en 1862 que plusieurs religieux Franciscains, et, entre autres, le R. P. Emmanuel Forner, alors curé du couvent de Saint-Jean-de- la-Montagne, s’étant mis à la recherche du sanctuaire d’Emmaüs, le retrouvèrent tà Koubeibeh. Et comme dans ce village, à côté de l’église presque entièrement ensevelie sous des décombres, la ruine la mieux conservée était celle d’une enceinte assez considérable, que les fellahs de l’endroit appelaient eux-mêmes Ed-Deir (le cou¬ vent), et que dans cette enceinte existait encore une belle salle rectangulaire, voûtée en ogive, où l’on découvrit deux tombes et quelques ossements, on fut amené naturellement à conclure que Ricoldus rie Monte Grucis, Itinerarimn , c. vi. 1 CHAPITRE III. KOUBEIBEH. 67 cette salle était une ancienne chapelle, fondée sans doute sur rem¬ placement de la maison de Cléophas, et que c’était là le véritable sanctuaire d’Emmaüs. En 1861, grâce à la munificence de Mlle de Nicolaï , les Pères Franciscains purent faire l’acquisition de la grande salle dont je viens de parler, et des autres ruines comprises dans l’enceinte appelée Ed-Deir, et ils commencèrent bientôt à restaurer cette salle et à bâtir à côté un petit monastère, destiné à être habité par quelques religieux de leur ordre, et à servir en même temps d’asile aux pèlerins qui pourraient venir visiter ce sanctuaire. Ce monastère est terminé depuis plusieurs années, et la pieuse fonda¬ trice, héritière des vertus des Paule et des Eustochie, et qui, à l’exemple de ces nobles et saintes femmes, avait quitté la splendeur des luxueuses cités de l’Europe, pour venir s’ensevelir à l’ombre des cloîtres de la Palestine, dort maintenant son dernier sommeil dans la nouvelle chapelle, due à ses dons, et où elle avait si sou¬ vent prié. Depuis sa mort, les religieux qui desservent ce couvent ont pratiqué les fouilles dont il a été question tout à l’heure, fouilles qui ont révélé l’existence, à Kouheibeh , du véritable sanctuaire, très probablement, que les pèlerins allaient vénérer à Emmaüs, car nous lisons à ce sujet dans Quaresmius : Quod magis integrum cernitur est do mus in qua Christus cum duobus dis- cipulis hospiLio exceptas fuit, quæ olim in pulchram versa ecclesiam, mine fere tota colla psa visitatur1. Or il me paraît difficile d’admettre que la salle rectangulaire transformée actuellement en chapelle, et qui mesurait seulement, avant d’être allongée, iâm,5o de long sur 6 mètres de large, ait jamais été une belle église, pulchra ecclesia, suivant l’expression de Quaresmius, qui ne fait que reproduire ici celle de Ricold du Mont-de-la-Croix, tandis que, au contraire, les ruines nouvellement exhumées de l’église témoignent encore de l’ancienne magnificence du sanctuaire dont elles offrent les débris. Elvcidatio Terrœ Sanclœ, t. Il, p. 790. I G8 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Mais ici une grave question se pose inévitablement devant moi : Le village de Koubeibeh est-il bien réellement, et d’une ma- r nière incontestable, l’Emmaüs mentionné dans l’Evangile de saint Luc 1 ? J’ai déjà traité assez longuement cette question dans mon ouvrage sur la Judée, et j’ai développé, sans parti pris et ne cherchant que la vérité, les raisons pour et contre qui militent, les unes en faveur d’ATnouas2, les autres en faveur de Koubeibeh3. Sans reproduire tous les arguments que j’ai fournis alors, je me bornerai à dire qu’A’mouas, TEmmaiis-Nicopolis des anciens, est, pour Eusèbe, pour saint Jérôme, pour Sozomène, pour Tliéo- phane et pour saint Willibald, d’après les divers textes que j’ai cités de ces auteurs, l’Emmaüs de saint Luc, laquelle, dans plu¬ sieurs manuscrits grecs de cet évangéliste, et notamment dans le codex Cyprins, le codex Vindobonensis et le codex Sinaiticus, regardé comme le plus ancien de tous, est marquée, non pas à Go, mais à 160 stades de Jérusalem, distance qui s’accorde très bien avec la position d’A’mouas, qui est à six heures de marche de la ville sainte. Une pareille distance, à la vérité , rend plus difficiles l’aller et le retour des deux disciples dans la même journée; néan¬ moins elle est loin de les rendre impossibles, et, tous les jours, des hommes tant soit peu habitués à la marche, comme devaient l’être les deux disciples qui avaient accompagné Notre-Seigneur dans toutes ses tournées, exécutent des étapes aussi longues, et même plus longues encore que celle-là, pour les intérêts souvent les plus mesquins : à plus forte raison, les deux disciples témoins de l’apparition du Sauveur devaient-ils être pressés de retourner à Jérusalem pour annoncer à leurs frères le grand mystère de la résurrection du Christ; et, surexcités par un tel miracle, ils b⬠tèrent, sans aucun doute, le pas et franchirent rapidement les 29 kilomètres, au maximum, qui les séparaient de la ville sainte, où ils purent très aisément arriver à minuit au plus tard, étant 1 Saint Luc, c. xxiv, v. i3. — Description géographique , historique et archéologique de la Palestine, ire partie : Judée, l. I, p. -3 9 3 - 3 o 8 . — 3 Ibid. p. 36 9-861. CHAPITRE III. KOUBEIBEH. 69 partis d’Emmaüs vers le coucher du soleil, c’est-à-dire vers les six heures du soir, à l’époque de l’année où ils étaient alors. D’un autre côté, Koubeibeh peut invoquer en sa faveur : i° Le texte de la Vulgate et la plupart des manuscrits grecs de r l’Evangile de saint Luc, où le chiffre de 60 stades seulement rem¬ place celui de 160 des manuscrits dont j’ai parlé; 20 Une tradition presque non interrompue, remontant au moins à l’époque des Croisades, si même elle n’est pas d’une date beau¬ coup plus ancienne, et qui fixe à Koubeibeh la cène d’Emmaüs; 3° Une facilité beaucoup plus grande pour les deux disciples d’accomplir dans la même journée le voyage de Jérusalem à Em- maüs et le retour d’Emmaüs à Jérusalem , de manière à arriver dans cette ville quand les disciples étaient encore assemblés au cénacle. Dans les deux endroits, du reste, deux monuments remar¬ quables peuvent également revendiquer la gloire d’avoir été élevés jadis en souvenir de ce grand événement. A A Allouas, en effet, 011 admire les débris d’une belle basilique, qui avait été construite avec de superbes blocs reposant sans ciment les uns au-dessus des autres, et dont quelques-uns mesurent plus de 3 mètres de long. Elle avait trois absides : celle du centre est seule aujourd’hui en partie debout, les deux autres sont presque entièrement détruites. On démolit malheureusement cette basilique d’année en année, et des chardons gigantesques l’ont envahie tout entière. C’est, à mon avis, l’un des plus anciens monuments chrétiens de la Palestine, et il serait à désirer que l’on s’efforçât d’en arracher les précieux dé¬ bris au vandalisme des habitants d’A’mouas, qui y puisent comme dans une carrière des pierres toutes taillées. Des fouilles intelli¬ gentes, pratiquées dans l’enceinte de cette église, dont le sol s’est considérablement exhaussé par suite des décombres et de la terre hérissée de chardons qui le recouvrent, amèneraient sans doute des découvertes intéressantes. A Koubeibeh, on retrouve de même, comme nous l’avons vu, les ruines d’une autre église, qui heureusement sont préservées maintenant d’une destruction complète, puisqu’elles sont tombées 70 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. entre les mains des R. P. Franciscains. Moins ancienne que celle d’A’mouas, cette église existait peut-être néanmoins avant l’époque des Croisades, où elle a pu être en partie rebâtie, et les vestiges qui en subsistent justifient l’épithète de belle, pulchra ecclesia, qui lui est donnée par Ricold du Mont-dc-la-Croix et par Quaresmius. Que conclure de tout cela, et où, en définitive, faut-il placer l’Emmaüs évangélique? J’hésite, pour mon compte, à trancher cette question délicate, à cause de la divergence que présentent les r manuscrits de l’Evangile de saint Luc, relativement à la distance d’Emmaüs par rapport à Jérusalem, distance qui, chez les uns, est de 160 stades, et que d’autres réduisent à 60. A cette divergence dans les chiffres correspond naturellement une divergence analogue dans les témoignages des écrivains et des pèlerins, ceux-ci, et ce r sont les plus anciens, reconnaissant l’Emma üs de l’Evangile dans Emmaüs-Nicopolis, aujourd’hui ATnouas, ceux-là la rapprochant de Jérusalem et la plaçant à Koubeibeh. Mais la Vulgate, me dira-t-on, a décidé la question, puisqu’elle a adopté la leçon des 60 stades, et dès lors, elle fait pencher dé- r finitivement la balance du côté de Koubeibeh. Gomme l’Eglise, ajoute-t-on, a approuvé cette version, vous n’avez qu’une chose à faire, c’est de vous soumettre purement et simplement à toutes ses décisions et à adopter vous-même, sans plus tarder, le chiffre de fio stades comme étant le véritable. Personne, assurément, ne s’incline avec plus cle respect et d’une manière plus absolue que moi devant les décisions de l’Eglise, quand elle nous commande de croire une chose comme article de foi, et qu’avec l’inspiration de l Esprit-Saint elle nous dicte d’une façon souveraine des dogmes bien définis qui s’imposent à notre raison; mais dans le cas dont il s’agit en ce moment, bien que la Vulgate ait r été consacrée, en quelque sorte, par l’Eglise latine, comme la ver- r sion la plus autorisée des Livres saints, l’Eglise n’a pas entendu, je pense, ainsi que je l’ai dit ailleurs, consacrer par cela même tous les détails que renferme ce vaste ouvrage et trancher, par exemple, sans appel toutes les questions purement topographiques qui peu- CHAPITRE III. KO U B El R Eli. 71 r vent être soulevées à propos des saintes Ecritures. Eu ce qui re¬ garde, notamment, la distance de Jérusalem à TEmmaüs évangé¬ lique, le doute, je crois, peut être permis, lorsque, contrairement à la distance de 60 stades que donne la Vulgate, on peut alléguer celle de 1G0 que l’on trouve dans plusieurs manuscrits grecs très importants, lorsque surtout à saint Jérôme, auteur de la Vulgate, on peut opposer saint Jérôme lui -même, traducteur de YOnoma- r sticon d’Eusèbe et auteur de Y Epitaphe de sainte Paule. A propos du mot Epi ipuxovs, Eusèbe s’était exprimé ainsi: Èf i[xa.ovs, oOev vv KXew7raî b èv kcltol Kovnav E va.yys’ki'ct) ' avTrj êcrViv i) vvv Nz«&7roXi5 jrjç YlaXouul ivr\s êirlarjixos isokis. Saint Jérôme traduit ce passage comme il suit, sans rectification aucune, et semble par conséquent en adopter la teneur: Emmaus, de quo loco fuit Cieophas, cujus Lucas evangelista meminit, hæc est nunc Nicopolis, insignis civitas Palæstinæ. r r Ailleurs, dans son Epitaphe de sainte Paule, ce même Père de l’Eglise nous montre cette pieuse Romaine quittant Juppé pour gagner Nico¬ polis et de là gravissant les hauteurs de Betboron supérieure et de Bethoron inférieure. Or, en parlant de Nicopolis, il nous dit: Repetitoque ilinere Nicopolim, quæ prius Emmaus vocabalur, apucl quam iu Iraclione panis cognitus Dominus Cleophæ domum in ecclesiam dedicavil. Atque inde profîciscens ascendit Bethoron inferiorcm et superiorem 1. Cette Emmaüs-Nicopolis est marquée dans un autre passage de saint Jérôme comme étant dans la plaine, à l’endroit où les mon¬ tagnes de la Judée commencent à s’élever : Juxta Nicopolim, quæ prius Emmaus vocabalur, ubi incipiunt montana Ju- dææ consurgere2. En décrivant ATnouas, j’ai montré surabondamment par des lextes formels que c’était là et non à Koubeibeh qu’il fallait placer cette Emmaüs-Nicopolis; ATnouas était située précisément sur le seuil des monts de la Judée. Ilieronymi opéra, I. I p. 8815, édit. Migne. — / Commentaire sur Daniel , c. xu. DESCRIPTION DE LA GALILEE. Eusèbe, saint Jérôme et les autres auteurs que j’ai cités, ainsi que les manuscrits auxquels j’ai fait allusion, et qui me reportent pareillement à A’mouas, tiennent donc encore mon esprit en suspens relativement au véritable emplacement de i’Emmaüs évangélique, que d’autres autorités très graves, je l’avoue, rapprochent de Jéru¬ salem et fixent à Koubeibeh. Dans le doute donc j’émets, en ter¬ minant cette discussion, le vœu que voici : c’est que les ruines de l’antique église d’A’inouas, de même que celles de l’église de Koubei¬ beh, soient, les premières comme les secondes, soustraites aux pro¬ fanations des Arabes et préservées de la destruction totale qui les menace. Si les Pères Franciscains de Ramleh, par exemple, qui sont peu éloignés d’A’mouas, ou si quelque autre communauté chré¬ tienne faisait l’acquisition de ces ruines vénérables, les chrétiens seraient sûrs, en possédant à la fois les débris de ces deux belles églises, d’avoir entre leurs mains le véritable sanctuaire d’Emmaüs, qui ne peut être que l’un de ces deux endroits. KHARBET EL -MEDIEH. De Koubeibeh, Msr Poyet et moi, nous nous remîmes eu route pour El-Medich, où nous arrivâmes après une nouvelle marche de trois heures et demie, en passant successivement à Beit-Anan, à Beit-Loukieh et non loin de Berfilya, villages que j’ai décrits ailleurs. A El-Medieh , j’étudiai de nouveau les ruines de l’antique cité de Modin, éparses actuellement au milieu des champs de blé, et prin¬ cipalement celles du monument funéraire que j’identifie avec le mausolée des Machabées, et dont je montrai en détail les moindres vestiges à Mgp Povet. O J KIR 1 ET EL-A NAB. Le lendemain, après une nuit passée au couvent des Pères Fran¬ ciscains de Ramleh, nous reprîmes le chemin de Jérusalem par la voie ordinaire des pèlerins, c’est-à-dire par l’Oued A’iy. CHAPITRE 111. — Kl RI ET EL- A' N AB. 73 Au bout de cinq heures de marche, nous fîmes halte à Kiriet el- ATiab, autrement dit Abou-Koch, que l’on prononce ordinairement Abou-Goch. C’est l’antique Kiriat-Iearim, ainsi que je l’ai montré dans la notice que j’ai consacrée à ce village1. On sait que dans cette localité est une ancienne église connue sous le nom de Saint-Jérémie. M. de Vogué l’a décrite dans sou bel ouvrage des Eglises de la Terre Sainte2 . J’en ai parlé, à mon tour, dans ma Description de la Judée. Aussi je ne la mentionne aujour¬ d’hui que pour dire qu’après avoir, pendant près de quatre siècles, servi d’étable aux Musulmans, elle a été concédée à la France, il y a deux ans, par la Sublime Porte, ainsi que les terrains qui l’avoi¬ sinent, terrains actuellement hérissés de ronces et de broussailles ou couverts de décombres, et qu’occupait autrefois un couvent latin. Ce couvent, abandonné depuis 1A89, année pendant laquelle les religieux Franciscains qui l’habitaient furent massacrés par les Mu¬ sulmans, a été entièrement détruit. L’église seule est restée debout et est en assez bon état de conservation, bien quelle remonte pro¬ bablement au xiic siècle, et que depuis longtemps elle ait été non seulement privée de tout entretien, mais encore continuellement dégradée par l’usage indigne auquel 011 l’a fait servir. La crypte, que j’avais trouvée à moitié comblée, lors de mon précédent voyage en 1870, est actuellement en partie débarrassée de la terre et des décombres qui la remplissaient. O11 y remarque, de même que dans l’église supérieure, des restes d’anciennes peintures murales. Les religieux qui vont être appelés à l’honneur d’y faire refleurir le culte catholique auront d’abord à la réparer et à élever pour eux- mêmes un petit couvent sur les ruines de l’ancien. Ce couvent, plus lard, devra avoir un bâtiment spécial destiné à la réception des pè¬ lerins, car un certain nombre de ceux qui se rendent de Ramleh à Jérusalem trouvent cette étape lui peu longue, et seraient bien aises de rencontrer sur leur route, avant d’atteindre la ville sainte, un gîte sur où ils pussent, comme à Ramleh, passer une nuit. 1 Description géographique , historique et archéologique de la Palestine , i'° partie : Ju¬ dée, l. I, p. 6-2-71. — 2 Les Eglises de la Terre Sainte, p. 3Ao— 34B. 74 DESCRIPTION DE LA GALILEE De retour à Jérusalem, j’y restai encore trois jours, que j’em¬ ployai à rédiger mon premier rapport à M. le Ministre de l’Ins¬ truction publique, et le 9 juin, à six heures du malin, je me mis en marche pour Nazareth, où je devais commencer méthodi¬ quement mon exploration de la Galilée. La veille, j’avais fait mes adieux à M. le consul de France, M. Patrimonio, qui m’avait accueilli avec beaucoup de bienveil¬ lance, et qui représente si dignement et si chrétiennement notre pays à Jérusalem. J’avais également salué, peut-être pour la der¬ nière fois, tous mes anciens amis de la cité sainte. Avant de perdre de vue les remparts et les monuments de cette ville, je les contemplai longtemps d’un dernier et triste regard; car, depuis 1862, époque où je les avais aperçus pour la première fois, ils m’étaient devenus chers, tant ils avaient éveillé au fond de mon âme, dans les différents examens que j’en avais faits, de r souvenirs et de sentiments divers. Etaient-ce mes adieux définitifs à cette antique métropole de la religion et de la nationalité juive, devenue plus tard, par une destinée extraordinaire, le tombeau de l’Homroe-Dieu et le berceau du christianisme ? Je l’ignorais et je l’ignore encore. Tout ce que je puis dire, c’est qu’en la considé¬ rant alors, je répétai instinctivement dans mon cœur ces deux ver¬ sets si connus du beau psaume Super jl a mina Babylonis : 5. Si oblitus fuero tui, Jérusalem, oblivioni detur dextera mea. 6. Adhæreat lingua faucibus meis, si non ineminero tui E ff Si je t’oublie, ô Jérusalem, que ma droite s’oublie elle-même ! «Que ma langue s’attache à mon palais, si je 11e me souviens pas de toi N Le R. P. Dulau, qui s’était embarqué à Marseille avec moi et qui avait l’intention de parcourir avec soin la Palestine, où il avait déjà fait un premier voyage, avait demandé à me suivre. J’avais donc l’honneur d’avoir pour compagnon ce docte et pieux religieux, si versé dans l’étude des Livres saints; mais unis un instant par le Psaume cxxxvi, v. 5 et 6. 1 CHAPITRE 111. Kl R JET EL-A'NA R. l 0 même but, nous fumes presque immédiatement séparés par la ma¬ ladie. Car, à peine arrivé à Nazareth , le R. P. Dutau fut atteint d’une grave indisposition, qui prit tout à coup un caractère alarmant, par suite des excessives chaleurs que nous avions essuyées dans notre voyage de quatre jours pour gagner cette ville. Après une semaine de repos complet, il s’achemina vers Kaïfa et de là se rendit par mer à Beyrouth. Je commençai donc et poursuivis seul, six mois durant, la laborieuse mission qui m’avait été confiée. Mon drogman était le même Francesco Morcos qui m’avait déjà servi de guide en 1 863 et en 1870, et dont le dévouement et le courage m’étaient connus. Il est inutile de retracer ici les quatre étapes qui séparent Jérusalem de Nazareth, car elles sont décrites avec beaucoup de dé¬ tails dans mon ouvrage sur la Samarie, et je me hâte, sans plus dif¬ férer, de transporter mon lecteur en pleine Galilée, sujet principal de cette étude. 7 G DESCRIPTION I)E LA GALILEE. CHAPITRE QUATRIÈME. LIMITES DE LA GALILEE. Le nom de Galilée apparaît pour la première fois dans les Livres saillis à propos de la ville de Kadès de Nephthali, qui fut assignée aux meurtriers comme l’une des villes de refuge : Decreveruntque Cédés in Galilæa montis Neplithali et Sichem in monte Ephra.im, et Cariatharbe, ipsa est Hébron in monte Juda L Le nom de Galilée , en hébreu Gcîlil (cercle, circuit) , semble avoir été appliqué uniquement dans le principe au district septentrional de la Palestine, qui renfermait les vingt villes données plus tard par Salomon au roi de Tyr, Hiram, en retour des bois de cèdre du Liban et de l’or que ce prince lui avait fournis pour la construction du temple et de son palais : Hiram, rege Tyri, præbente Salomoni ligna cedrina et abiegna et aurnm juxla onme quod opus liabuerat, tune dédit Salomon Hiram viginti oppida in terra Galilææ 2. Une multitude de Gentils habitaient la Galilée, à l’époque des rois, car dans Isaïe cette province est appelée Galilæa Gentium, cr Ga¬ lilée des nations, des Gentils : v Primo tempore al leviata est terra Zabulon et terra Neplithali, et novissimo aggravata est via maris trans Jordanem Galilææ Gentium3, Dans le livre l des Machabées, nous voyons que les Juifs étaient beaucoup moins nombreux en Galilée que les Gentils, qui les oppri¬ maient 4. A l’époque de Josèphe, la Galilée se divisait en haute et basse, et voici les limites dans lesquelles elle se renfermait alors : 1 Josué, c. xx, v. 7. — 2 Bois, 1. 111, c. ix, v. 1 1 . — ; Isaïe, c. ix, v. 1. — ‘ Ma¬ chabées , 1. 1, c. v, v. i5 et suivants. CHAPITRE IV. GALILEE 77 Il y a, dit cel historien , deux Galilées, l’une haute et l’autre basse; la Phé¬ nicie et la Syrie les environnent. Au couchant, elles ont pour limites les frontières du territoire de Ptolémaïs et le Carmel, montagne appartenant autrefois aux Galiléens et maintenant aux Tyriens; au sud, la Samarie et Scythopolis, jusqu’aux rives du Jourdain; à l’est, l’Hippène et la Gadaritide, ainsi que la Gaulanitide et les fontières du royaume d’Agrippa; au nord, enfin, Tyr et toute la région des Tyriens. La Galilée inférieure se développe en longueur depuis Tibériade jusqu’à Zahulon, qu’avoisine sur la côte Ptolémaïs, et en largeur depuis le bourg de Xalotb, situé dans la Grande Plaine, jusqu’à Bersabé, où commence la Galilée supérieure. Celle-ci s’étend de là en largeur jusqu’à Baca, qui la sépare du pays des Tyriens, et en longueur depuis Thclla. bourg voisin du Jourdain, jusqu’à Meroth b Dans un autre passage, Josèphe donne comme limite méridio¬ nale à la Galilée, non plus le bourg de Xalotb, mais celui de Ginæa. La Samarie, dit-il2, est située entre la Judée et la Galilée. Commençant au bourg de Ginæa, qui se trouve dans la Grande Plaine, elle finit à la topar- chie des Acrabaténiens. Si la Samarie commençait au nord à Ginæa, aujourd’hui Djénin, l’En-Gannim des Livres saints, bourg situé au sud de la Grande Plaine, il s’ensuit que celle-ci appartenait tout entière à la Galilée, ce que confirme, du reste, le passage suivant du livre de Judith : 7. Tune exaltation est regnum Nabucbodonosor, et cor ejus elevatum est : et misit ad omnes qui habilabant in Cilicia, et Damasco, et Libano; 8. Et ad genles quæ suntin Carmelo, et Cedar, et inhabitantes Galilæam in Campo Magno Esdrelon3. Cette immense et fertile plaine est connue aujourd’hui parmi les Arabes sous le nom de Merdj-Eben-A’mer. Jadis elle s’appelait plaine ou vallée de Jezrael : en hébreu Emek-Yzreel , en grec xoiXcts tov en latin vallis Jezrael, dénomination qu elle devait à la ville ainsi désignée. Plus tard, elle s’appela Esdrelon cl Esdrelom, forme grecque dérivée de la forme hébraïque Yzreel. Guerre des Juifs, I. III, c. ni, Si. — 2 Ibid. § A. — ' Judith, c. 1, v. 7 cl 8. 1 78 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Elle était le lot de la tribu d’Issachar, comme l’indiquent les noms des villes échues en sort à cette tribu : 17. Issachar egressa est sors quinta per cognationes suas. 18. Fuitque ej us liæreditas Jezrael, et Casalolh, et Sunem b Théâtre de nombreuses batailles qui s’y sont livrées, cette plaine fameuse a été illustrée encore de nos jours par la grande victoire que Kleber, avec une poignée d’hommes, y remporta, le 16 avril 1799, contre une armée infiniment plus considérable que la sienne. De forme triangulaire, elle est accidentée çà et là par quelques ondulations de terrain. Vers le nord-ouest, elle communique par une vallée avec la grande plaine de Saint-Jean-d’Acre et aboutit ainsi à la Méditerranée. A l’est, elle se prolonge en trois autres vall ées, la première au nord, comprise entre le mont Tbabor et le Petit-Hermon ou Djebel Daby, la seconde qui s’étend entre le Petit-Hermon et le Gelboë, actuellement Djebel Foukouab, la troi¬ sième située au sud de cette dernière montagne. Plusieurs ruisseaux la sillonnent; ils sont à sec une partie de l’année, à l’exception de quelques-uns, dont les deux plus importants sont le Nalir Djaloiul, qui se jette dans le Jourdain , et le Kison ou Nahr el-Moukaltlia, qui a son embouchure dans la mer, un peu au nord de Kaïfa. Au nord de cette plaine, entre celle de Saint-Jean-d’Acre à l’ouest et le lac de Tibériade à l’est, est une région très accidentée dont les montagnes les plus hautes atteignent à peine 600 mètres au-dessus de la Méditerranée; la plupart sont moitié moins élevées. Parsemées d’innombrables vallées généralement très fertiles, elles étaient elles-mêmes autrefois cultivées jusqu’à leur sommet, et sur leurs pentes s’étageaient de belles plantations d’oliviers, de figuiers, de vignes et d’autres arbres fruitiers que des broussailles ont en partie remplacées depuis longtemps; à leurs pieds croissaient, comme maintenant encore, du blé, de l’orge et d’autres céréales. Au milieu de ces montagnes se déroule une magnifique plaine 1 Josuè, c. ix, v. 17 et 18. CHAPITRE I\. — GALILEE 79 appelée aujourd’hui Merdj el-Balhouf, et jadis plaine de Zabulon ou d’Asochis. Une multitude de villes, de bourgades et de villages, soit ren¬ versés, soit encore en partie debout et habités, s’élevaient dans les vallées, sur les lianes ou même très souvent sur le plateau supé¬ rieur des montagnes, jouissant sur ces hauteurs d’une vue plus étendue, d’un air plus salubre et d’une sécurité plus grande. Rien n’égalait, en particulier, la beauté des alentours du lac de Tibériade, qu’environnait une ceinture de villes plus ou moins con¬ sidérables, et autour duquel, à cause de sa dépression au-dessous de la Méditerranée, régnait un printemps presque éternel, et où pouvaient prospérer toutes les productions des contrées tropicales. La tribu de Zabulon avait obtenu en partage la plus grande partie de ce district. La vallée connue actuellement sous le nom de Medjdel-Keroum, et qui court de l’est à l’ouest, formait une limite toute naturelle entre la basse et la haute Galilée. Cette vallée est elle-même à 2 5o mètres, en moyenne, au-dessus de la Méditerranée; les montagnes qui la dominent au nord sont plus hautes que celles qui la bordent au sud. En les gravissant, on pénètre donc dans la Galilée supérieure. Beaucoup moins souvent visitées par les voya¬ geurs que celles de la Galilée inférieure, elles méritaient, de ma part, un examen tout spécial, et c’était là que j’espérais faire le plus de trouvailles nouvelles. J’entrepris, par conséquent, de les explo¬ rer les unes après les autres, malgré les difficultés de pareilles as¬ censions, car, pour la plupart de ces montagnes, les sentiers sont détestables. J1 faut les escalader péniblement, en tirant son cheval par la bride et en écartant à chaque instant les obstacles qui ob¬ struent la voie, si l’on peut appeler de ce nom des espèces d’esca¬ liers très grossièrement taillés dans le roc, dès l’époque kananéenne peut-être, et qui, depuis de nombreux siècles, ont cessé d’être entretenus; mais aussi, quand on a vaincu ces difficultés, et qu’on arrive, épuisé et haletant, sur le sommet tant désiré, on voit surgir souvent du sein des broussailles des arasements de murs d’enceinte, 80 DESCRIPTION DE LA GALILEE de tours, d’édifices et de maisons avec les pieds-droits et les lin¬ teaux de leurs portes encore en place; et, au milieu de fourrés presque inextricables de lentisques, d’arbousiers, de chênes verts, de térébinthes et de caroubiers, des ruines d’un haut intérêt ne manquent guère de dédommager l’observateur de toute la peine qu’il s’est donnée. Ces ruines appartiennent quelquefois à toutes les époques et à toutes les civilisations, ruines kananéennes, judaïques, byzantines, ou datant seulement de la domination des Croisés, enfin ruines d’une époque plus récente encore. Témoins muets, mais néan¬ moins pleins d’enseignements divers pour qui sait les interroger et les comprendre, elles sont là, à moitié ensevelies sous la végétation sauvage qui les recouvre, comme autant de couches superposées et successives des nombreuses populations, conquérantes ou con¬ quises, qui ont tour à tour habité le pays. Décombres gigan¬ tesques de villes ou de forteresses, perchées sur des cimes élevées comme des nids d’aigle, vestiges de temples, de synagogues, d’é¬ glises et de mosquées, excavations de toutes sortes pratiquées dans le roc, telles que tombeaux, magasins souterrains, réservoirs, citernes, puits, pressoirs, tout atteste que cette contrée était autrefois extraordinairement peuplée et merveilleusement cul¬ tivée, dans les endroits même les plus désertés aujourd’hui par l’homme, et les plus rebelles, en apparence, à toute culture. Rien, par exemple, ne semble, au premier abord, plus abrupt et plus stérile que les âpres massifs du Djebel Djermak, du Djebel Beit-Djenn ou du Djebel Zaboud, dont les cimes atteignent de 1,000 à 1,200 mètres au-dessus de la Méditerranée. Rien de plus rude que les sentiers qui y conduisent : eh bien ! de tous cotés, sur les pentes, comme sur les plateaux supérieurs, les broussailles recèlent les traces d’innombrables murs de séparation, indiquant des propriétés et des enclos jadis cultivés, malgré les rochers qui hérissent le sol, et chacun alors, là comme ailleurs en Palestine, pouvait, suivant la poétique expression de (Écriture, se reposer sous sa vigne ou son figuier. CHAPITRE IV. — GALILÉE. 81 La haute Galilée était limitée au nord par les profonds ravins du Nahr Kasmieh, et au nord-est par le Djebel ech-Gheik ou Grand-Hermon, au pied duquel jaillissent les trois sources du Jourdain. Toute la partie orientale et la plus montagneuse de ce district avait été assignée par Josué à la tribu de Nephthali; la tribu d’Aser en occupait la zone occidentale jusqu’aux confins de la Phénicie. Les deux Galilées, si dignes d’être explorées en détail, à cause des ruines et des souvenirs que Ton y rencontre à chaque pas, à cause aussi de la beauté des sites et de la forme variée des mon¬ tagnes, dont l’aspect est tantôt gracieux et plein de charmes, tantôt austère et imposant, offrent aux chrétiens en particulier un intérêt tout spécial; car, si elles ne peuvent se glorifier, connue la Judée, de posséder le berceau et le tombeau du Christ et de montrer à la vénération des fidèles les lieux sanctifiés par sa pas¬ sion, par sa mort, par sa résurrection glorieuse et par son ascen¬ sion, couronnement final de sa divine mission, c’est là, du moins, que s’est écoulée la plus grande partie de sa vie mortelle. A Naza¬ reth, il a vécu une trentaine d’années dans un mystérieux recueille¬ ment, dans l’obéissance et dans le travail. A Cana, il a accompli son premier miracle; à Capharnaüm, devenue quelque temps sa nouvelle patrie, il a souvent prêché dans la synagogue et mar¬ qué sa présence par de nombreux prodiges. Bethsaïda, Corozaïn, la montagne des Béatitudes, tous les autres alentours du lac de Tibériade, ont été également témoins de ses enseignements, de ses bienfaits et de ses miracles. A Naïm, il a ressuscité le fils d’une pauvre veuve. Sur le Tbabor, il s’est transfiguré devant trois de ses disciples. Il a également visité les confins de Tyr et de Sidon. En un mot, la Galilée presque tout entière a pu le voir et l’en¬ tendre. Le présent ouvrage ne se bornera pas à l’étude de cette contrée proprement dite, mais il contiendra encore l’esquisse rapide d’une partie de la Décapole, de la Gaulanitide et des côtes de la Phé¬ nicie. En élargissant ainsi le cadre de mon travail, fie même (> DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 82 que j’ai étendu sur les lieux celui de mes recherches, je ferai mieux connaître la Galilée elle-même, par suite des détails que je donnerai sur les pays limitrophes, avec lesquels elle devait entre¬ tenir des rapports incessants. Sans développer davantage ces considérations générales, je m’em¬ presse de décrire Nazareth, où je viens d’amener mon lecteur, et qui fut quelque temps le centre de mes premières explorations en Galilée. CHAPITRE V. NAZARETH. 83 CHAPITRE CINQUIÈME. NAZARETH. Au nombre des villes de la Palestine dont la vue, à cause des souvenirs qui s’y rattachent, éveille dans l’âme les plus douces et les plus vives émotions, il faut citer en première ligne Nazareth. Située sur les dernières pentes des hauteurs qui la dominent et qui, vers le sud, la séparent de la vaste plaine d’Esdrelon, elle est elle-même à une altitude moyenne de 3Go mètres au-dessus de la Méditerranée. Généralement mal bâtie et beaucoup plus mal en¬ tretenue encore, elle est très poussiéreuse en été et très fangeuse en hiver. Mais Notre-Seigneur l’a choisie jadis pour y passer les trente premières années de sa vie, et de là l’auréole incomparable qui l’entoure aux yeux du chrétien, et qui y attire sans cesse tant de pèlerins, heureux d’aller se prosterner dans le sanctuaire de l’Annonciation. On descend dans cette crypte, du milieu de l’église où elle est renfermée, par un escalier de dix-sept marches en marbre blanc. Au bout des quinze premières marches, on ren¬ contre une chapelle appelée la Chapelle de l'Ange, qui forme un rectangle de 8 mètres de long sur am,70 de large. A droite de cette chapelle est un autel dédié à sainte Anne et à saint Joachim, et à gauche, un autre autel, sous l’invocation de l’archange Gabriel. Chacun de ces autels est orné d’une colonne monolithe en granit, provenant de la basilique primitive. Traversant ensuite une arcade ogivale qui s’appuie sur deux colonnes torses en marbre, on des¬ cend deux autres degrés et l’on arrive au sanctuaire proprement dit de l’Annonciation. Cette seconde chapelle est entièrement creusée dans le roc, mais elle a été revêtue de marbre, à l’exception de la voûte. Elle est constamment éclairée par des lampes qui, jointes à DESCRIPTION DE L \ GALILEE 8 A la faible clarté que donne l’escalier, y répandent une sorte de lu¬ mière mystérieuse, favorable à la prière et à la méditation. Suivant une tradition non interrompue depuis de longs siècles, ce serait soit dans cette grotte, soit dans la sainte maison transportée à Lo- rette, qu’aurait eu lieu la salutation de l’ange à l’humble vierge de Nazareth, et qu’auraient été prononcées ces paroles que, depuis, l’Eglise a sans cesse répétées : Ave, gratia plena, Dominus tecum. Benedicta tu in mulieribus; paroles auxquelles Marie, après les explications données par le messager céleste, répondit par ces mots non moins célèbres : Ecce ancilla Domini; fiat milii secundum verbum tuum. L’autel est décoré de quatre colonnes en marbre gris-vert; il est lui-même en marbre blanc élégamment sculpté. Sous la table de l’autel et dans la paroi du fond sont gravés ces mots : Verbum caro Lie factum est. A gauche, on voit une colonne de granit engagée dans la voûte, et dont la partie supérieure atteint la surface du chœur des reli¬ gieux. Cette colonne est mutilée vers le bas, à im,5o du sol, et se tient comme suspendue en l’air par la force du ciment et par des barres de fer. Lu tronçon appartenant à une autre colonne d’un diamètre moindre a été placé juste au-dessous d’elle, mais néan¬ moins sans la toucher. Elle représenterait, d’après la tradition, l’endroit où se tenait Marie lorsqu’elle vit apparaître l’archange Gabriel. Deux autres colonnes de granit s’élèvent dans un enfonce¬ ment voisin, celles-là reposant sur le sol. L’une, d’après la même tradition, indiquerait l’endroit d’où l’ange aurait adressé à Marie les paroles qui lui annonçaient sa mission. Cette pieuse croyance, bien qu’ancienne, n’est reproduite toutefois qu’avec une discrète réserve par les religieux. Ce que l’Eglise latine regarde comme in¬ dubitable, c’est que le grand mystère de cette apparition et de l’Incarnation du Verbe s’est accompli dans l’enceinte de la crypte de l’Annonciation, puisqu’il s’est réalisé, soit dans la grotte pro- CHAPITRE V. — NAZARETH. 85 prement dite, soit dans la sainte maison de Lorettc, laquelle, d’après les témoignages les plus authentiques, et avant sa transla¬ tion miraculeuse, occupait le devant de la grotte, à la place où se trouve maintenant la chapelle de l’Ange et la plus grande partie de l’escalier dont j’ai parlé. Un assez beau tableau représentant l’Annonciation, et enfermé dans un cadre d’argent, se voit au-dessus de l’autel. A l’extrémité orientale de celui-ci, une porte à laquelle on monte par deux degrés conduit à un enfoncement voûté en forme d’abside, qui, primitivement, ne faisait qu’un avec le compartiment qui est devenu le sanctuaire de l’Annonciation, et dont il est séparé par un mur de refend. On y remarque un autel adossé au précédent et dédié à saint Joseph. Au-dessus est un tableau représentant la r Fuite en Egypte. Une plaque de marbre y contient l’inscription sui¬ vante : In humillimum suæ devotionis lestimonium Erga Virginis Deiparæ ab angelo gratia plenæ Salutatæ mysterium, Altare hoc marmoreum fieri curavit P ater Félix Philippus a Neapoli lu regno Neapolitano comimssarius Anno Domini M I) CC LNXI. De là on pénètre, par un escalier d’une dizaine de marches, dans une grotte supérieure, dépendance de la grotte principale et qui autrefois communiquait avec le couvent des Franciscains, lorsque les religieux voulaient descendre dans le sanctuaire de l’An¬ nonciation sans être vus ni molestés par les Musulmans. Mais rentrons actuellement dans l’église. Divisée en trois nefs, elle forme un rectangle long de 22 mètres sur 17 de large. Qua- resmius nous apprend qu elle était jadis orientée de même que le sanctuaire souterrain. Celui-ci se trouvait alors dans le bas côté nord d’une grande basilique tournée de l’ouest à l’est. Je lis, en effet, à ce sujet, dans l’ouvrage de ce docte religieux : Primo csl ibi specus iu rupe ipsa excisa, vel i ta a natura producla, et acte 8G DESCRIPTION DE LA GALILÉE. adjuta et perfecta :quæfulcitur vetustissimis mûris a parte aquilonari, meridio- nali et occidentali. In orientali est altare majus Annuntiationi beatæ \irginis Mariæ dicatum. Alia quæ sunt recenter sunt constructa post sancti loci récu¬ péra tionem 1. A propos de l’église, Quaresmius poursuit ainsi, un peu plus loin : Ecclesia ipsa 1ère tota collapsa et destructa est, muro aquilonari cxcepto, cui annexa erat anlistitis domus, et in præsentia restaurata, in qua habilant Fratres D. Francisci. In purgatione sancti loci, multa eruta terra pavimentum ex dolatis quadratis marmoribus deprehensum est cuin basibus et fundamenlis columnarum; ex bis et superstite muro talem fuisse ecclesiam dijudicatum fuit. Longitudo erat ab occidente in orientem; duos habebat ordines colum¬ narum; sacrum antrum et sacellum Annuntialionis erat in læva ingressus ec- clesiæ, navi videlicet aquilonari, ad quod per sex gradus descendebatur. 11 y a quelques années, les Franciscains, en pratiquant des fouilles dans leur jardin, ont retrouvé plusieurs colonnes de granit et des arasements de gros murs ayant appartenu à cette ancienne basilique. L’église actuelle, beaucoup moins vaste que l’édifice primitif, est tournée, non plus de l’ouest à l’est, mais du sud au nord. De puis¬ sants piliers la partagent en trois nefs. Une partie de la nef centrale est occupée par le chœur et le maître-autel, qui s’élèvent au-dessus de la crypte et dominent les deux nefs latérales. On y monte par deux rampes, disposées à droite et à gauche de l’ouverture de la crypte. Gomme dans toutes les églises de l’Orient, les deux sexes sont séparés. La nef latérale de droite est réservée aux hommes ainsi que la première moitié de la nef centrale; dans la nef de gauche se mettent les femmes. Un orgue, don commun de l’Au¬ triche, de la Bavière, de l’Espagne et de Venise, y a été apporté de cette dernière ville, en 186a ; il est admirablement joué par un des Pères, musicien distingué. En somme, cette église, qui, dans la forme qu’elle présente au¬ jourd’hui, ne remonte pas au delà du xvne siècle, et qui même a Elucidalio Terrœ Sanctœ , t. Il, p. 825. 1 CHAPITRE V. — NAZARETH. 87 subi des remaniements considérables dans la première partie du xvmc, 1T0ffre.de réellement remarquable que les immortels souve¬ nirs quelle rappelle et qui font de sa crypte l’un des lieux les plus vénérés de la terre. Le couvent qui touche à l’église est vaste et précédé d’une grande cour. Mais il a été conçu d’après un plan défectueux, qui le rend peu commode dans sa distribution intérieure. Trois belles citernes, dont l’une sert également souvent aux besoins de la ville, alimentent d’eau la communauté. Celle-ci se compose de dix religieux Fran¬ ciscains, prêtres, de quelques novices et de neuf frères. Une école de petits garçons est dirigée par l’un des Pères. Un frère, à la fois pharmacien et médecin, prodigue gratuitement ses soins et ses mé¬ dicaments à tous ceux qui réclament son secours. Le Père gardien est en même temps le chef de la nation latine à Nazareth. Près de la porte d’entrée du couvent, on observe deux anciennes colonnes de granit ayant appartenu à la basilique primitive. A quelques pas de distance en dehors est la Casa Nova, ou b⬠timent réservé aux étrangers qui, de passage à Nazareth, deman¬ dent l’hospitalité aux Pères. C’est une construction qui date de 1 863 , l’ancienne Casa Nova ayant été détruite en 1887, lors du terrible tremblement de terre qui renversa tant de maisons à Naza¬ reth, et celle qui lui avait succédé ayant, à son tour, croulé en 1862, à la suite de pluies continuelles. Comme le nombre des pèlerins qui passent à Nazareth a beau¬ coup augmenté depuis quelques années, les Pères ont conçu le projet d’agrandir ce bâtiment, et déjà les travaux sont commencés. J’ai trouvé les fondations de la nouvelle construction presque achevées; elles avaient du être poussées à une très grande pro¬ fondeur, à cause de l’accumulation énorme de décombres que les ouvriers avaient rencontrée avant d’atteindre un sol moins mouvant. Indépendamment de la petite maison dont la partie construite se trouve maintenant à Lorette, et dont la partie creusée dans le roc se voit encore à Nazareth, au milieu de l’église de TAimoncia- 88 DESCRIPTION DE LA GALILEE lion, sailli Joseph et sa virginale épouse possédaient encore dans cette ville une autre maison, qui servait d’atelier au père adoptif de Notre-Seigneur. C’est là que le divin enfant grandit, occupé de travaux manuels, sous la direction de ce vénérable artisan. 11 vou¬ lait de cette sorte sanctifier le travail par son propre exemple et relever la condition de l’ouvrier. Sur l’emplacement de cet atelier avait été jadis construite une chapelle tournée de l’ouest à l’est, qui avait trois nefs et trois absides. Il n’en subsiste plus que de faibles vestiges. Une autre chapelle, de date récente, a succédé à la précé¬ dente, dont elle n’occupe qu’une partie. L’autel placé au nord est en beau marbre blanc; c’est un don du marquis de Nicolay, comme l’atteste l’inscription suivante: Elaboration Neapoli Theodori marchionis de Nicolay sumptibus, i8bo. Sous l’autel, un tableau représente l’enfant Jésus entre son père et sa mère, avec ces mots : Hic erat subditus illis. Au-dessus du même autel, un second tableau représente Notre- r Seigneur devenu plus grand et lisant les saintes Ecritures à ses pa¬ rents. H esta regretter que l’on n’ait point conservé à ce sanctuaire sa forme et sa grandeur primitives. On aurait dû, au moins, ne pas cacher sous une maçonnerie moderne les restes des absides, témoins par leur orientation de l’ancienneté de cet édifice. Quelques traces de murs néanmoins ont été précieusement conservées et per¬ mettent de retrouver jusqu’à un certain point l’étendue ou la con¬ figuration du sanctuaire détruit. Aux Franciscains appartient également, dans le quartier haut de la ville, vers l’ouest, un troisième sanctuaire , appelé Mensa Christi; il forme un rectangle long de i3 pas sur 8 de large et couronné par une petite coupole percée de quatre fenêtres. Dans le fond, devant l’autel, on remarque un énorme bloc de pierre, carré d’un coté et un peu ovale de l’autre et mesurant 3m,5o de long, sur 3 mètres de large et i mètre de haut. La surface supérieure en est CHAPITRE V. — NAZARETH. 89 grossièrement aplanie. D’après une tradition fort ancienne, il aurait servi de table à Notre-Seigneur, qui y aurait mangé avec ses dis¬ ciples après sa résurrection. De là le nom de Mensa Chris ti qu’on lui a donné. Ce sont les Pères delà Terre-Sainte qui ont reconstruit ce sanc¬ tuaire , en 1 86 1 , ainsi que le témoigne l’inscription suivante, gravée sur une plaque de marbre qui a été encastrée dans la muraille de droite : Sacellum hoc In quo lapis asservatur Super quein Christian cum discipulis comedisse Continua tenet traditio Temporum injuria et vetustate coilapsum P. Franciscales Terræ Sanclæ Piæ societatis colonise Agrippinæ Et comitis Melerii Mediolanensis eleemosynis Iterum excitarunt Anno M D CGC LXI. Non loin de là est une église desservie par un prêtre maronite et qui sert de paroisse à tous ceux de sa nation qui habitent Nazareth; elle est bien tenue, et date seulement de cent vingt-cinq années. L’église des Grecs unis appartenait autrefois aux Latins, qui la leur ont ensuite concédée. Elle passe pour avoir été bâtie sur Rem¬ placement de l’ancienne synagogue où Notre-Seigneur lut un pas¬ sage d’Isaïe quile concernait, et d’où il fut chassé par les habitants, qui cherchèrent, mais en vain, à le mettre à mort, Jésus s’étant échappé de leurs mains : 16. Il (Jésus) vint à Nazareth, où il avait été élevé et il entra, suivant sa coutume, le jour du sahbat, dans la synagogue, et il se leva pour lire. 17. On lui donna le livre du prophète Isaïe, et l’ayant déroulé, il trouva l’endroit où il était écrit : 18. L’esprit du Seigneur est sur moi; c’est pourquoi il 111’a consacré par son action, et m’a envoyé pour évangéliser les pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé; iq. Annoncer aux captifs leur délivrance, aux aveugles le recouvrement de 90 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. la vue, rendre à la liberté ceux qu’écrasent leurs fers, publier l’année propice du Seigneur et le jour de la rétribution. 20. Ayant replié le livre, il le rendit au ministre et s’assit. Et tous dans la synagogue avaient les yeux attachés sur lui. 21. Or il commença à leur dire : C’est aujourd’hui que cette écriture que vous venez d’entendre est accomplie. 22. Et tous lui rendaient témoignage, et dans l’étonnement où ils étaient des paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche, ils disaient: N’est-ce pas là le fils de Joseph? 23. Alors il leur dit: Assurément, vous m’appliquerez ce proverbe: Méde¬ cin, guéris-toi toi-même, et me direz: Ces grandes choses faites à Caphar- naüm et dont nous avons ouï parler, fais-les ici dans la patrie. 2 h. Et il ajouta : En vérité, je vous affirme qu’aucun prophète n’est bien reçu dans son pays. 2 5. Je vous le dis en vérité : Il y avait aux jours d’Elie beaucoup de veuves en Israël, lorsque le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois et qu’il y eut une grande famine sur toute ta terre; 26. Et Elie 11e fut envoyé à aucune d’elles, mais à une veuve de Sarepta de Sidon. 27. Et il y avait en Israël beaucoup de lépreux au temps du prophète Elisée, et aucun d’eux ne fut guéri, sinon Naaman le Syrien. 28. Entendant ces paroles, ils furent tous remplis de colère dans la synagogue. 29. C’est pourquoi ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent au sommet du mont sur lequel leur ville était bâtie, pour l’en précipiter. 30. Mais Jésus, passant au milieu d’eux, s’en alla1. Les Grecs schismatiques ont une église dédiée à saint Gabriel et surmontée au centre d’une coupole. Les boiseries de l’iconostase, sur lesquelles on lit la date de 1767, sont assez remarquables, principalement sous le rapport des arabesques et des divers orne¬ ments qui y sont ciselés; les figures, en effet, sont d’un travail moins achevé. Dans la partie septentrionale de cet édifice se trouve une ancienne chapelle souterraine, où l’on descend par plusieurs degrés. Là est une citerne recueillant par dérivation les eaux d’une source située un peu plus haut dans la montagne; elles sont regar¬ dées comme sacrées. Suivant la tradition grecque, la Vierge puisant 1 Saint Luc, c. iv, v. i6-3o. CHAPITRE Y. NAZARETH. 91 un jour de l’eau en cet endroit y aurait été saluée une première lois par l’archange Gabriel, et de là elle serait rentrée précipitam¬ ment dans sa maison, où elle aurait revu de nouveau le messager céleste. À l’époque de Quaresmius, cette chapelle souterraine était seule debout, et l’église qui la contenait ainsi que le monastère de religieuses qui y était contigu avaient été démolis; l’église ac¬ tuelle n’a que cent dix ans. Voici comment s’exprime à ce sujet le docte Franciscain : Parum supra fontem ulterius procedendo ad dexteram ejus partem, descen- dimus per aliquot gradus in quoddam subterraneum sacelluin sancti Gabrieli archangelo, Mariæ virginis paranympho, dicatum. Ejus longiludo est palmo- rum 2A, latitudo ià, altitudo vel projectura i5 circiter. In ejus medio ad orientem est altare ad missain celebrandam; mullæ sunt in eo picturæ, sed humiditate, antiquitale et odio infidelium fere demolitæ. In exlrema sacelli parte est os fontis, ex quo dicuntur illius aquæ scaturire1, et ibi seala et ostium olim erat, quibus ascendebatur ad sanctimonialium monasterium quod supra antiquis lemporibus fuisse tradilio est; illius in presenlia milia ves¬ tigia apparent, nec sacellum absque duce invenietur, quia non desuper appa- ret; lestudo enim ejus cum solo æquatur. Aliquando in eo Græci sacrum faciunt 2. Un canal conduit un peu plus bas les eaux de cette même source à une fontaine publique. Celle-ci, de forme voûtée, est de date toute récente, car elle a été refaite presque entièrement en 18G2. On y voyait, avant les réparations qu’elle a subies, les cinq croix de Terre-Sainte sur une pierre encastrée dans la bâtisse, ce qui prouve qu elle appartenait autrefois aux Pères Franciscains. A coté est un sarcophage antique, aujourd’hui très mutilé; la guirlande sculptée qui serpente autour forme trois festons sur les longs côtés. Près de là aussi est un ancien réservoir en très mauvais état. Un canal amenait, il y a une centaine d’années, les eaux de cette fontaine au couvent des Franciscains; mais depuis il a été obstrué. Le nom quelle porte est celui de Fontaine de Marie. Rien 11’empêche, en effet, de supposer qu’à l’époque de Notre-Seigneur, ' Ceci est une erreur, lu source venant de plus haut, du moins d’après les renseigne¬ ments qui m’ont été donnés. — 2 Elucidatio Terrœ Sanctœ , t. H, p. 8Yj. 92 DESCRIPTION DE LA GALILEE. cette fontaine existait déjà, en même temps que celle qui est ren¬ fermée actuellement dans l’église Saint-Gabriel, et dès lors tout incline à penser que la sainte Vierge, comme les autres femmes de Nazareth, a dû y venir souvent puiser de l’eau. A quelques pas de la Casa Nova des Pères Franciscains est la maison des Dames de Nazareth, fondée dans cette ville en 1 8 5 5 . Cet établissement a été pour Nazareth, ainsi que pour les autres villes de Palestine et de Syrie où des maisons semblables ont été créées, un bienfait inappréciable. On sait combien en Orient la condition de la femme est généralement abaissée; or, pour la relever, il faut avant tout la réhabiliter par une éducation fonciè¬ rement chrétienne donnée aux jeunes filles appelées plus tard à devenir épouses et mères de famille. La maison dont je parle, parfaitement administrée, renferme une trentaine d’orphelines pensionnaires; le nombre des externes dépasse ordinairement le chiffre de quatre-vingts. Les protestants de leur coté redoublent, depuis quelques années, d’efforts à Nazareth pour contre-balancer l’influence catholique par la leur propre; Anglais et Prussiens rivalisent ensemble dans ce but. Us ont déjà construit une école et une jolie église gothique qui do¬ mine une grande partie de la ville, et sur un point plus culminant encore ils bâtissent un vaste orphelinat, qui de loin ressemble à une sorte de citadelle. Quant aux Musulmans, ils célèbrent les cérémonies de leur culte dans une mosquée que surmonte un haut minaret; ils possèdent également plusieurs oualys ou chapelles dédiées à des santons. La population actuelle de la ville est de â,q5o habitants envi¬ ron et se décompose ainsi : 710 Latins, 3oo Grecs catholiques dits unis, 220 Maronites, 600 Grecs schismatiques, 200 individus qui flottent entre l'Église catholique et l’Église schismatique. C’est dans cette catégorie naturellement que les protestants cherchent surtout à se faire des prosélytes. Il y a enfin quelques familles pro¬ testantes anglaises, américaines et prussiennes. Parmi les hauteurs qui dominent Nazareth , la plus élevée vers CHAPITRE V. — NAZARETH. 93 le nord-ouest est couronnée par un oualy connu sous le nom de Neby-Ismaïl; d’autres l’appellent Neby-Saïd. L’altitude de ce point au-dessus de la Méditerranée est de 5oo mètres. De là on jouit d’une vue magnifique, et tous les voyageurs l’ont exaltée à l’envi. Vers le nord, en effet, on aperçoit, au delà de la basse Galilée, un tiers au moins de la haute. Derrière les montagnes de Safed apparaît dans le lointain la chaîne gigantesque du Djebel ech- Gheikh ou Grand-Hermon. A l’est, l’œil plonge dans le bassin du lac de Tibériade, dont les eaux néanmoins sont invisibles, à cause de la grande dépression du lac au-dessous de la Méditerra¬ née. Plus loin, dans la même direction, se montrent les plateaux si accidentés des contrées transjordanes. Au sud, on distingue les cimes du Thabor, du Petit-Hermon et du Gelboë, la grande plaine d’Esdrelon et les monts de la Samarie. A l’ouest, on suit du regard la chaîne entière du Carmel, et la baie de Kaïfa semble étinceler sous les rayons du soleil. La hauteur en question est considérée par quelques critiques comme celle où les habitants de Nazareth conduisirent Notre-Sei- gneur pour l’en précipiter. Ils se fondent, pour appuyer cette con¬ jecture, sur le verset suivant de saint Luc : Et surrexerunt et ejecerunt ilium extra civitalem, et duxerunL ilium usque ad supercilium montis super quem civitas illorum erat ædificala, ut præcipi- tarent eum J. De ce verset il semble ressortir, en effet, que les habitants de Nazareth menèrent le Sauveur, après l’avoir jeté hors de la ville, jusque sur le sommet de la montagne au bas et sur les pentes de laquelle celle-ci était assise. Or la montagne que couronne l’oualy de Neby-Saïd surplombe précisément vers le nord-ouest Nazareth, qui s’étend sur ses flancs inférieurs et à ses pieds; elle offre en outre dans plusieurs endroits des escarpements naturels très propres à l’accomplissement du genre de supplice que l’on voulait infliger à Noire-Seigneur. 1 Saint Luc, c. iv, v, 29. 9/i DESCRIPTION DE LA GALILEE. Mais, je dois le dire, la tradition est tout à fait contraire à cette conclusion, que l’on pourrait être tenté d’adopter, tant elle semble légitime, et depuis longtemps elle désigne une autre montagne comme étant celle d’où l’on chercha à précipiter le Messie; c’est la montagne que les Arabes eux-mêmes appellent Djebel el-Kafzeh, mont du saut , du précipice, ou plutôt de la précipitation, si l’on peut employer ce mot dans un sens que l’usage lui a refusé, celui d 'ac¬ tion de précipiter quelqu’un. Pour s’y rendre, on commence par descendre vers le sud, au sortir de Nazareth, dans une vallée fertile cultivée en blé, puis on passe bientôt devant une petite colline couverte de figuiers ou de broussailles qui appartient aux Pères de Terre-Sainte, et où, à la suite de fouilles très intelligentes, ils ont retrouvé récemment quelques vestiges encore reconnaissables de la chapelle d’un ancien couvent de Bénédictines, connu sous le nom de Santa Maria del tremore. Ce nom serait dû à une pieuse tradition en vertu de la¬ quelle la sainte Vierge se serait tenue en ce lieu, toute trem¬ blante d’effroi, lorsqu’on conduisit son fils hors de la ville pour le mettre à mort. Le petit couvent qui enfermait dans son enceinte ce sanctuaire a été depuis longtemps détruit de fond en comble, et il n’en subsiste plus que de misérables amas de décombres, toutes les grosses pierres ayant été autrefois transportées à Nazareth, pour servir de matériaux de construction. En continuant à s’avancer dans la même direction, c’est-à-dire vers le sud, et en suivant, sur un sentier âpre et rocheux, les sinuosités d’un torrent desséché , qui serpente dans un étroit ravin, on arrive à un endroit appelé, par les indigènes, ed-Diouan (le divan). C’est une grande roche plate, qui environne une sorte de petit banc demi-circulaire dû à la nature. Elle semble inviter d’elle- même à s’y reposer un instant les pèlerins qui vont au Djebel el- Kafzeh, ou qui en reviennent. Au delà de ce point, le sentier que l’on gravit devient plus raide et très glissant, à travers des ro¬ ches hérissées de lentisques, d’arbousiers et de térébinthes. Enfin, après une marche d’environ trois quarts d’heure à partir de Naza- CHAPITRE V. — NAZARETH. 95 reth, on atteint, non sans peine, en s’aidant des pieds et des mains, le lieu dit le Précipice. Deux énormes blocs de rochers ser¬ vent comme de garde-fous sur une petite plate-forme, et séparent le spectateur de l’abîme presque vertical qui s’entrouvre devant lui. La hauteur de cette plate-forme est d’environ 200 mètres au- dessus de la plaine d’Esdrelon, mais la montagne est plus élevée encore. D’après une pieuse tradition, que le bon religieux qui m’accompagnait dans cette excursion ne m’a donnée d’ailleurs qu’avec toute réserve, quelques traces confuses sur la surface de l’une de ces roches seraient les vestiges des mains de Notre-Seigneur, qui s’y seraient miraculeusement imprimées. A une autre époque, on croyait distinguer, sur une autre roche, la trace des pieds du Sauveur et les linéaments de sa robe, comme cela résulte du pas¬ sage suivant de Quarcsmius : In quæ verba (Evangetii Lucæ) Lyrensis ex Recla dicit : Cum Dominus de raanibus eorum elapsus de verlice montis descenderet, et sub rupelalere vellet, subito ad tactum Dominicæ vestis saxum illud subterfugit, et instar ceræ solu¬ tion quemdam sinum effecit, id est concavitatem, in quo Domini corpus reci- peretur. In quo loco oumia lineamenta et rugæ vestis et vestigia pedum in rnpe apparent adhuc, sicut testantur qui viderunt1. Quaresmius ajoute que, de son temps, ces vestiges sacrés n’étaient à plus reconnaissables, par suite peut-être de l’indiscrète des pèlerins, qui avaient gratté le rocher : In præsentia nec signa vestigiorum pedum vcl lineamenta vestis Christi apparent, annon a piis sed impiis ficlelibus fuerint abrasa, auferentes indis- crcta devolione memoriam mirabilium Christi, sicut alibi factum novimus, me latet. Un peu plus has, on remarque deux anciennes citernes et une grande niche pratiquée dans le roc, comme une sorte de petite ahside, avec une tahlc d’autel ménagée intérieurement cà dessein, afin d’y pouvoir célébrer la messe. Au-devant de cette niche s étend une étroite plate-forme artificielle reposant sur un mur épais, dont Eluciclalio Terra ? Sanclœ, I. II, p. 8 A 3 . I 96 DESCRIPTION DE LA GALILEE une partie seule est aujourd’hui debout, et qui pouvait permettre à une centaine de fidèles d’assister à la cérémonie sacrée. Encore maintenant, les Pères Franciscains de Nazareth viennent, le lundi delà troisième semaine de carême, chanter en cet endroit l’évan¬ gile où il est question du grand événement dont le souvenir est resté attaché à ce lieu. On peut suivre cette tradition d’âge en âge, au moins jusqu’à l’époque des Croisades. Je la trouve, par exemple, consignée dans le récit d’un pèlerin anonyme qui semble avoir voyagé en Palestine entre les années 1126 et 1 i3o, et dont le texte a été publié, pour la première fois, par M. de Yogiié, d’après un manuscrit de la Bibliothèque nationale : Miliario a Nazareth contra meridiem locus qui Precipitium appellatur. Est auteni supercilium montis, ex quo Jliesum precipitare voluerunt parentes ejus a quibus disparuit L En 11 85, le moine Phocas reproduit la même tradition en passant 2. E11 1283, Burchard la mentionne avec plus de détails : Extra civitatem Nazareth contra austrum forte quantum quater potest arcus jacere est locus qui vocalur Salins Domini, ubi volebant Jhesum precipitare, sed exivit de manibus eorum et sulailo , ut ibidem oslenditur, inventus est in latere montis oppositi ad jactum arcus. Et videntur ibidem lineamenta corporis et vestium lapidi impressa 3. Depuis lors, une multitude de pèlerins, dont il est inutile ici de transcrire le témoignage, ont répété à peu près la même chose dans des termes plus ou moins équivalents. Vis-à-vis du Djebel el-Kafzeh, au delà d’un étroit ravin, à l’est, se dresse une autre montagne, plus haute et plus abrupte encore que cette dernière; c’est évidemment celle que signale Burchard par les mots suivants : Et subito. . . inventus est in latere montis oppositi ad jactum arcus. 1 M. le comte de Vogué, Les Eglises de la Terre Sainte, appendice, p. Z» 2 3. — Phocas, De Locis Sanctis , § 10. — 3 Burchardus de Monte Sion, p. /17, édit. Laurent. NAZARETH. CHAPITRE V. — 97 Comment accorder maintenant cette tradition avec le texte de saint Luc, duquel il semble, au premier abord, résulter, ainsi que je lai dit précédemment, que c’est immédiatement au-dessus de Nazareth, par conséquent sur la montagne de Neby-Saïd, qu’il faut plutôt chercher l’endroit escarpé où Notre-Seigneur fut conduit pour en être précipité? Et duxerunt ilium usque ad supercilium mordis super qucm civilas illorum erat ædificala, ul præcipitarent eum. Est-il permis de supposer que Nazareth, à l’époque de Jésus- Christ, s’étendait jusqu’au pied du Djebel el-Kafzeh , dont trois kilomètres la séparent actuellement? ou bien faut-il admettre que la ville moderne a changé d’assiette? Mais ces deux conjectures sont également inadmissibles, car la ville ancienne devait être fort petite; elle devait, en outre, occuper à peu près le même emplace¬ ment qu’aujourd’hui; autrement les sanctuaires qu’on y vénère seraient apocryphes et devraient être déplacés en même temps pour être rapprochés du Djebel el-Kafzeh. Comment donc résoudre cette difficulté? Le seul moyen, à mon avis, c’est de considérer toutes les hauteurs qui avoisinent Nazareth comme faisant partie du même massif montagneux. Cet ensemble de collines plus ou moins éle¬ vées qui se tiennent constituait la montagne sur laquelle la ville était assise, montis super quem civilas illorum erat ædificala. De cette manière, il est facile de concilier la tradition avec ce passage de l’Evangile de saint Luc, et rien n’empêche plus d’ajouter foi à la première lorsqu’elle localise sur le Djebel el-Kafzeh, beaucoup moins rapproché de Nazareth que le Djebel Nebv-Saïd, mais se rattachant à cette dernière hauteur, le fait raconté par cet évan- Nazareth, en grec Na^apex et Na£aps(9, en latin Nazareth, en arabe Nasarah et Nasirah, n’est mentionnée ni dans l’Ancien Testament, ni dans l’historien Josèphe, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne remonte point à une antiquité reculée. Seulement, ce silence prouve qu’elle n’avait pas une grande importance, et qu’elle 98 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. ne dut sa célébrité qu’à l’honneur insigne qui lui fut réservé d’étre la ville ou plutôt la bourgade où Notre-Seigneur fut élevé et passa les trente premières années de sa vie. Elle appartenait à la Galilée, et paraît avoir été située dans la tribu de Zabulon, près des limites de celle d’Issachar. C’était une bourgade si misérable, et dont les habitants jouissaient d’une si mauvaise réputation, que, lorsque l’apôtre Philippe parla pour la première fois à Nathanaël de Jésus- Christ de Nazareth, comme du Messie annoncé par Moïse et par les prophètes, celui-ci lui répondit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? 6 5 . Invenit Philippus Nathanaël et dicit ei : Qucm scripsit Moyses in lege et Prophetæ, invenimus Jesum filium Joseph a Nazareth. éi G . Et dixit ci Nathanaël : A Nazareth potest aliquid boni esse? Dixit ei Philippus : Veni et vide L Plus tard, le nom de Nazaréen fut donné aux chrétiens, et tou¬ jours avec une intention de moquerie, comme le témoigne saint Jérôme en traduisant et commentant un peu un passage de YOno- maslicon, au mot Na£api6. Nazareth, onde et Dominus Noster atque Salvator Nazaræus vocalus est; sed et nos apud veteres quasi opprobrio Nazaræi dicebamur, quos mine Chris- tianos vocant. Est autem usque hodie in Galilæa viculus contra Lcgionein in quinlodecimo ejus milliario ad orientalem plagam, juxta montem Thahor, nomine Nazara. Aujourd’hui encore, les Arabes désignent les chrétiens sous le nom de Nosrani au singulier, et de Nasara au pluriel. Sainte Paule, dans son pèlerinage à travers la Palestine, n’ou¬ blia pas de visiter Nazareth, la bourgade nourricière du Seigneur. Inde cilo itinere percucurrit Nazareth, nutriculam Domini2. Dans un petit traité intitulé : Liber nominum locorum ex Aclis, longtemps attribué à saint Jérôme, mais que d’autres critiques lui contestent, et peut-être avec raison, pour le joindre aux œuvres Saint Jean, c. i, v. 45 cl 40. — 2 Hier ony mi opéra omnia , I. I, p. 88(j. CHAPITRE V. NAZARETH. 09 de Beda, nous lisons au mot Nazareth, qu’il y avait alors deux églises dans ce bourg, l’une à l’endroit ou l’ange était entré pour annoncer à Marie le grand mystère qui devait s’opérer en elle, l’autre au lieu où Notre-Seigneur avait été élevé : Nazareth, viculus in Galilæa juxta monlem Thabor, unde et Dominus Noster Jésus Christus Nazarenus vocatus est, habetque ecclesiam iu loco quo angélus ad beatam Mariam evangelizaturus intravit, sed et a liant ubi Dominus est nulritus. Antonin le Martyr, vers la fin du vie siècle, mentionne à Naza¬ reth l’existence de la synagogue où Notre-Seigneur avait parlé, et celle d’une grande basilique; il vante aussi la beauté singulière des femmes de cette ville, beauté dont elles étaient redevables, dit-il, à la Sainte Vierge b Au vnc siècle, Arculphe s’exprime ainsi, au témoignage d’Adam- nanus : Civitas Nazareth, ut Arculfus, qui in ea hospitatus est, narrat, et ipsa ut Capharnaum murorum ambition non babel, supra montera posita; grandia tamen lapidea habet ædificia, ibidemque duæ prægrandes habentur constructæ ecclesiæ, una in medio civitatis loco super duosfundata cancros, ubi quondam ilia fuerat ædificata domus, in qua noster nutritus est Salvalor. Hæc itaque eadem ecclesia duabus, ut superius dictuin est, lumulis et interpositis arcu- bus suffulta habet inferius inter eosdem tumulos lucidissimum routera conlo- catum, quem totus civium fréquentât populus, de illo exhauriens aquam, et de lalice eodem sursum in ecclesiam superædificatam aqua in vasculis per troebleas subrigitur. Altéra vero ecclesia in ea fabricata habetur loco ubi ilia fuerat domus constructa, in qua Gabriel archangelus ad beatam Mariam in- gressus ibidem eadem liera solam est locutus2. D’après ce passage, on voit qu’à cette époque l’église qu’a rem¬ placée, au xviic siècle, celle de Saint-Gabriel, passait pour occuper l’endroit où se trouvait la maison dans laquelle Notre-Seigneur avait été élevé. La tradition a donc changé relativement à ce point. Au vine siècle, saint Willihald ne mentionne à Nazareth qu’une Antonin le Martyr, S 5. — 2 Adamnanus, De Locis Sanctis, c. xi, S a(>. t 100 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. seule église, celle de l’Annonciation, et il nous apprend (pie les chrétiens étaient souvent obligés de la racheter des païens1 à prix d’argent, quand ceux-ci voulaient la détruire. Ambulabant in ilium locum ubi Gabriel primum venitad sanctam Mariam... Ibi est nunr ecclesia, et ille \icus in 7fz ài to aripEiwv e tou ©aé’wp opovs xtxTot. v6t ov. Saint Jérôme, en traduisant ce passage, corrige avec raison Zov&yfL en ZovvyfJL : 1 Bois, I. III, c. t, v. i-4. — 2 Bois, 1. IV, c. iv. — 3 Bois , I. IV, c. vin. i. 8 DES cm P T 10 N DE LA GAULEE. 1 U Suncm, in tribu Issachar, et usquo hodie viens ostenditur nomine Sulem in quiuto milliario montis Thabor contra australem plagain. Du temps de ces deux écrivains, comme on le voit, celle même localité se prononçait Soulem, prononciation identique à celle d’au¬ jourd’hui, par suite de la permutation de la lettre n en /. Il serait même permis de penser, d’après un verset du Cantique des Cantiques, que, dès l’antiquité, les Juifs également prononçaient le nom de cette ville des deux manières, tantôt Chounem, tantôt Choulem; car Salomon désigne sous l’appellation de Sulamite, en hébreu Choulamite, l’amante du cantique sacré. Cette Choulamite ou Sulamilis, en grec 'LovXccfxîris , en latin Sulamitis, ne pouvait être qu’une femme originaire de Choulem ou Choulam : Iîevertere, revertere, Sulamilis; reverlere, reverlere, ut inlueamur te1. Or tout incline à croire que Salomon, en vantant les charmes r de cette Sulamite, image de la beauté future de l’Eglise, avait en vue laj eune Abisag, donnée comme servante à David, son père, et que la bible nous dit ailleurs avoir été une vierge sunamite d’une extraordinaire beauté. 3. Quæsierunt igilur adolescentulam speciosani in omnibus finibus Israël; el invenerunt Abisag Sunamitidem, et adduxerunt eam ad regem. k. Erat autem puella pulcbra nirnis. . . 2. Quant à la distance indiquée par Eusèbe, et ensuite par saint Jérôme, entre le mont Thabor et le village qu’ils appellent tous deux Sulem, elle est trop faible de deux milles au moins. DA 11 V. A onze heures, je gravis péniblement vers le nord, puis vers le nord-est, les premières pentes du Djebel Daby, et à onze heures trente-cinq minutes je parviens au petit village de ce nom. 11 se compose d’une quinzaine de misérables maisons à moitié renver- 1 Cantique des Cantiques, e. vi . v. i 9. — 2 li ois , I. III, c. i, v. 3 <;l 7i. CHAPITRE VII. NAIN. 115 sées, qu’avoisinent quelques jardins mal entretenus, bordés de baies de cactus. NEBY-D.4HY. Ce hameau, situé sur une sorte de plate-forme qui s’avance vers l’ouest au-dessus delà plaine d’Esdrelon, est lui-même commandé à l’est par une hauteur qui le domine d’une centaine de mètres et dont les flancs sont parsemés de gros blocs basaltiques. J’en atteins le sommet à midi trente minutes. Il est couronné par un oualy con¬ sacré à Neby Daliy, santon qui a donné son nom à la montagne entière, dont j’embrasse toute l’étendue de ce point élevé. Elle est, sauf en quelques endroits, nue et pierreuse, et les blocs basaltiques y abondent. Le petit sanctuaire musulman dont je viens de parler est lui-même bâti avec du basalte blanchi extérieurement à la chaux, et alentour on observe plusieurs enceintes en pierres sèches, pa¬ reillement basaltiques, servant aux bergers à y enfermer leurs troupeaux. NAÏN (nAÏm). A une heure, je redescends vers le nord les pentes de la mon¬ tagne, et à une heure quarante minutes je fais balte à côté de la source de Naïn, près de laquelle ma tente a été dressée pour la nuit. Cette source est recueillie dans une espèce de petite chambre voûtée où l’on descend par quelques degrés. Non loin de là gisent trois sarcophages antiques très mutilés, placés comme auges le long d’un réservoir en partie détruit. A une faible distance de ce point, on remarque les vestiges d’un petit édifice dont quelques assises inférieures sont encore en place. Il mesurait 18 pas de long sur 12 de large. Comme il est orienté de l’ouest à l’est, et que les traces d’une abside à son extrémité orientale sont encore reconnaissables, il est permis de le considérer comme une ancienne chapelle chrétienne, dont les Musulmans pa¬ raissent avoir fait ensuite une mosquée et qui est maintenant bou¬ leversée de fond en comble. DESCRIPTION DE LA GALILEE. 1 1 G Plus haut, on distingue, au milieu des ruines d’un grand nombre de maisons démolies, celle d’un second édifice chrétien qui a été pareillement converti en mosquée, ainsi que l’atteste un mihrab encore en partie debout, que décore une colonnette torse en marbre blanc couronnée d’un chapiteau corinthien et provenant d’un mo¬ nument plus ancien. D’après une tradition très répandue, cette église aurait été jadis élevée à l’endroit où Notre-Seigneur avait ressuscité le fils unique de la veuve de Naïm. Naïn, en effet, est l’antique Naïm, en grec NoûV, que ce grand miracle du Sauveur a rendue à jamais immortelle : 11. Jésus s’en alla ensuite dans une ville appelée Naïm, et ses disciples l’accompagnaient, ainsi qu’une foule nombreuse. 12. Or comme il approchait de la ville, voilà qu’on emportait un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve, et beaucoup de personnes de la ville la suivaient. î 3. Lorsque le Seigneur l’eut vue, il fut louché de compassion pour elle et lui dit: Ne pleurez point. i/i. Alors il s’approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s’arrê¬ tèrent, et il dit: Jeune homme, je te le commande, lève-toi. î 5. El celui qui était mort se mit sur son séant et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère L Eusèbe mentionne cette ville à douze milles au sud du Thabor, dans le voisinage d’Endor. Naïf, koj[xïi êv >; tov viov jrjs xv'p&s êx vsxpùv rjyetpzv o K ûptos' xoù viïv êcrVi xoltoi. vgtov 0 aëàp àn o ië' cjr\p.el(x)v , t3\y\s oltio <7Y\[XeiO)V S'. A présent, cen’est plus qu’un hameau où vivent misérablement, dans d’anciennes grottes ou dans de pauvres masures, une centaine de Musulmans. Aux mois d’aout et de septembre, la source dont j’ai parlé, et qui avait autrefois donné son nom à cette localité, ne fournit d’ordinaire qu’une eau peu abondante. Aussi les anciens habitants avaient-ils creusé des citernes, qui depuis longtemps sont hors d’usage. KHARBET MALOUF. A sept heures quarante-cinq minutes, je quitte Endour, et un sentier très accidenté vers le sud-ouest, à travers la hauteur du Tell AM joui, me conduit à une fertile vallée, large d’environ 800 mètres, qui s’étend entre ce tell au nord et le Djebel Dahy au sud. Je la suis vers l’est-sud-est, puis vers le sud-est, et à huit heures cinquante minutes j’arrive à Malouf, ville entièrement dé¬ truite, située sur un plateau au pied oriental du Djebel Dahy. L’emplacement quelle occupait est en partie livré à la culture; le reste est envahi par des chardons, par des broussailles et de hautes herbes. Les vestiges de nombreuses maisons démolies sont encore néanmoins reconnaissables, bien qu’elles aient été, pour la plupart, presque entièrement rasées. On distingue également les traces d’un édifice construit en pierres de taille, et dont il ne subsiste plus que trois fuis de colonnes brisées et plusieurs magnifiques blocs, dont un est orné au centre d’une moulure figurant un demi-cercle. Mais ce qui mérite surtout l’attention, c’est l’antique nécropole, assez bien conservée, de cette ville anéantie, et qui sullit, à elle seule, pour prouver l’importance qu’elle devait avoir jadis. Cette 122 DESCRIPTION DE LA GALILEE. nécropole avait été pratiquée sur les lianes d’une colline rocheuse, qui avait été en même temps exploitée comme carrière. J’examine tour à tour une dizaine de tombes creusées à différents étages et offrant à peu près le même type. Elles sont, en effet, précédées, pour la plupart, d’un petit vestibule à voûte cintrée et donnant accès, par une porte basse et étroite, de forme rectangulaire, dans une chambre sépulcrale. Celle-ci renferme d’ordinaire trois auges funéraires, plus ou moins dégradées actuellement, et surmontées d’un arcosolium cintré. Ces auges, taillées dans l’épaisseur du roc évidé, étaient fermées au moyen de couvercles, soit plats comme des dalles, soit bombés en dos d’âne et munis d’acrotères aux quatre angles; ils ont été enlevés. A l’endroit où reposait la tète du mort, on remarque au fond de ces auges une légère proémi¬ nence, comme une sorte de coussinet de pierre ménagé avec soin. Les portes monolithes qui fermaient les baies rectangulaires par où l’on pénétrait en se baissant dans ces chambres ont presque toutes disparu; j’en ai retrouvé seulement trois à moitié brisées, et dont l’une est un beau bloc basaltique, portant comme ornement trois rangées de grosses têtes de clous sculptées sur trois lignes ver¬ ticales. Indépendamment de ces grottes sépulcrales, qui pouvaient con¬ tenir chacune trois cadavres, la même colline présente sur ses pentes un certain nombre de sarcophages, les uns mobiles et complètement détachés, les autres adhérant encore par le fond à la masse rocheuse au sein de laquelle ils ont été creusés. Plusieurs sont encore surmontés de leurs couvercles bombés en dos d’âne et munis d’acrotères. Au bas de la colline, on observe pareillement deux pressoirs avec différents compartiments, une citerne et un petit réservoir, où des degrés permettent de descendre, le tout excavé dans le roc vit et accusant, comme les tombeaux précédents, une haute anti¬ quité. Quel était le nom de cette localité, aujourd’hui complètement déserte, si ce n’est à l’époque des labours, des semailles el de la CHAPITRE VIII. — K H ARRET MALOUF. 123 moisson, où quelques pauvres familles de fellahs viennent s’éta¬ blir provisoirement pour exécuter ces divers travaux, la charrue ayant depuis longtemps passé et repassé sur la moitié au moins du terrain que la ville ancienne couvrait? A cette question je ne puis rien répondre; car les documents nous manquent totalement sur ce point. Le livre de Josué nous donne les noms de plusieurs villes de la tribu d’Issachar qui n’ont point encore été retrouvées. Voici le texte relatif aux seize principales cités de cette tribu : 17. Issachar egressa est sors quarla [ter cognationes suas; 18. Fuitque ejus liæreditas, Jezrael, et Gasaloth, et Sunem, 19. Et Hapbaraiin, et Seon, et Analiarath, 20. Et Rabboth, et Cesion, Abes, 21. Et Rameth, etEngannim, et Enhadda, et Bethpheses; 22. Et pervenit terminus ejus usque Tliabor, et Sebesima et Redisantes; fuerunlque exitus ejus Jordanis ; civitates sexdecim et villæ earmn L Parmi les villes assignées aux Lévites, la Cible, dans un autre passage, nous signale les suivantes comme appartenant à cette même tribu d’Issachar : 72. De tribu Issachar, Cédés et suburbana ejus, et Daberelh cutn subur¬ bains suis. 73. Ranioth quoque el suburbana ejus, et Anem cum suburbanis suis2. De ces différentes villes de la tribu d’fssachar, dont la Bible nous a transmis les noms, 011 n’a pu encore identifier jusqu’à présent avec certitude que six d’entre elles, savoir: i° Jezrael avec Zera’ïn ; 20 Gasaloth avec Iksal; 3° Sunem avec Soulam ; ù° Enganuim avec Djenin ; 5° Tliabor avec les ruines de la ville qui s’élevait autrelois sur celle montagne célèbre; 0° Dabereth avec Dabourieh, petit village situé au pied de cette même montagne. ' Josué, c. \ix, v. 17-22. — 2 Paraüpo mènes , I. I, c. vi, v. 72-7.3. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. m Par conséquent, il reste à retrouver remplacement de Hapha- raïm, de Seon, de Anaharath, de Rabboth, de Cesion, de Abes, de Rametli ouRamoth, de Enhadda, de Betbpbeses, de Sehesima, de Betbsames, de Anern et de Cédés, qu’il ne faut pas confondre avec une ville du même nom appartenant cà la tribu de Nephtbali. Mais avec laquelle de ces villes faut-il identifier les ruines de Malouf? C’est ce que je ne saurais dire, et je crois que sur ce point il est impossible actuellement d’émettre autre chose que de pures conjectures sans fondement sérieux. NA^OURA. A dix heures trente minutes, je me remets en marche vers l'est, puis vers Test-sud-est. Le sol est partout jonché d’une énorme quantité de pierres volcaniques. A dix heures cinquante-huit minutes, après avoir traversé une vallée, je gravis une colline que couronnait autrefois un village considérable; il est réduit, aujourd’hui, à l’état de simple hameau, appelé Na’oura. J’y remarque un tronçon de colonne antique, que les habitants me disent provenir des ruines de Malouf. Les trois quarts des maisons sont renversées. TOUMRA (TOMMAN?). A onze heures trois minutes, je poursuis ma route vers le nord, et bientôt je passe près d’un puits d’apparence antique, appelé Bir Na’oura. Après avoir traversé successivement plusieurs collines, qui, sans faire partie du massif proprement dit du Petit-Hcrmon, s’y ratta¬ chent cependant comme des rameaux secondaires, j’arrive, à onze heures trente-trois minutes, à Toumra. C’est un village de cent vingt habitants au plus, vivant dans des masures construites en pisé ou avec de menus matériaux, presque tous volcaniques. 11 a succédé à une ville antique, qui s’élevait jadis en amphithéâtre autour d’une CHAPITRE VIII. KHARBET MARA’A. 125 source abondante, dont les eaux sont recueillies dans un bassin rectangulaire, autrefois voûté. De là elles se répandent dans quel¬ ques jardins, qu’elles fertilisent. Partout des amas considérables de pierres, la plupart basaltiques, restes de nombreuses maisons ren¬ versées, jonchent les pentes de la colline que la ville couvrait. Au milieu de ces ruines confuses, je remarque, non loin de la source, les vestiges reconnaissables d’une petite église, tournée de l’ouest à l’est et divisée en trois nefs. Elle était ornée de colonnes, dont plusieurs tronçons sont encore en place. Dans la partie haute de cette cité, on distingue également les traces d’une seconde église presque entièrement rasée, et qui était pavée en mosaïque, comme le prouvent quelques petits cubes épars sur le sol eu cet endroit. Dans Toumra il faut sans doute encore reconnaître l’une des villes de la tribu d’Issachar qui n’ont point été retrouvées. Peut- être est-ce l’ancienne Tomman, que nous révèle un verset des Septante : K a) P s(Xfxois , kou \eàv , xoli Tojwf/ày, xa) A l^apex , xcà B>;p<7a(p>7S '. KHARBET MARA A. A midi vingt minutes, je me remets en route vers le nord et, après une montée nouvelle, je rencontre une source appelée Am Mara’a, enfermée dans un petit réservoir circulaire. De là je me dirige vers l’est et je foule bientôt les débris d’un hameau bouleversé de fond en comble, que mon guide me désigne sous le nom de Kbarbet Mara’a. A midi trente minutes, ma direction est celle du sud-sud-est. A midi quarante-deux minutes, d’autres ruines, analogues aux précédentes, et sur lesquelles je jette un coup d’œil en passant, me sont indiquées pareillement sous le même nom. Je marche alors directement vers le sud, et à une heure vingt- sept minutes je fais halte à Ounun et-Thaybeh. 1 J o. sué, c. \ix, v. (texte des Septante). DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 12 G OUMM ET-THAYBEH, PEUT-ÈTKE E^N-IIADOA. Ce village, pauvre et misérable, n’est plus que le triste reste d’une ville importante, située sur les pentes d’une colline dont la plate-forme supérieure était occupée par une forteresse. Celle-ci avait été construite avec de magnifiques blocs basaltiques taillés et appareillés avec soin; un fossé pratiqué dans le roc et aux trois quarts comblé l’entourait, au moins au sud et à l’ouest. Il sub¬ siste encore de cette puissante construction plusieurs pans de murs très épais, et au dedans quelques magasins voûtés qui servent maintenant de refuge à différentes familles de fellabs; d’autres habi¬ tants se sont bâti de grossières demeures dans l’intérieur de cette enceinte. L’une de ces maisons, plus considérable que les autres et construite en partie avec de belles pierres basaltiques provenant des ruines de la forteresse, occupe le point culminant de cette acropole, que je regarde comme antique, tout en avouant qu’elle a pu être remaniée ensuite soit par les Musulmans, soit par les Croisés. Quant à la ville, qui s’étendait au nord et à l’est de ce château, elle ne présente plus, à l’exception de quelques maisons encore debout, qu’un amas informe de décombres. Au bas, au milieu d’une vallée, coule une source dont les eaux sont recueillies dans un bassin très dégradé; elle fertilisait, il y a peu d’années encore, des jardins qui ont cessé d’être entretenus. Près de là gisent, à moitié ensevelis dans le sol, une ancienne cuve sépulcrale, plusieurs meules brisées et une sorte de mortier avec son pilon de forme conique, le tout en basalte et d’origine proba¬ blement judaïque. Au delà de cetle vallée, vers l’est, des ruines peu étendues sur une colline voisine me sont indiquées sous le nom de Kharbet el- lladdacl. C’étai t comme un petit faubourg de la ville dont je viens de sign alcr les débris. La dénomination de Oumrn et-Thaybeh, rr mère de la bonté, de l’agrément donnée actuellement à cette localité, est toute arabe, et ne nous met point sur la voie de celle CHAPITRE VUE — MERASSAS. 127 quelle portait autrefois; mais clans le nom (le Kharbet el-IIaddad, que conservent les ruines qui jadis en dépendaient, j’incline à reconnaître celui de Hadda, en hébreu rnn—py, ce source de Hacldan, en latin Enhadda, que portait l’une des villes de la tribu d’Issa- char : El Rarneth, et Engannim, et Enhadda, et Bethpheses i. Si cette conjecture est fondée, nous devons identifier les ruines elles-mêmes de Oumm et-Thaybeh avec cette antique cité, vai¬ nement cherchée jusqu’ici. MERASSAS (MEROZ?). A quatre kilomètres environ au sud-est de Thaybeh s’élève sur une colline un village appelé Merassas. Ce village, que je me con¬ tentai d’apercevoir de loin, suggère naturellement à l’esprit un rap¬ prochement entre le nom qu’il porte et celui de Meroz, en hébreu Uip, en grec M ripwl, en latin terra Meroz, ville (fui, selon toute apparence, se trouvait dans le territoire de la tribu d’Issachar, et que la Bible ne mentionne qu’une seule fois, dans un passage du célèbre cantique d’action de grâces de üebbora et de Barak, qui la maudissent pour n’avoir point voulu prendre part à la bataille livrée par les Israélites à Sisara, général de l’armée de Jabin, sur les bords du Kison : Maledicite terræ Meroz, dixit angélus Domini : maledicite habitatoribus ejus, quia non venerunt ad auxilium Domini, in adjutoriuin fortissimorum ejus 2. Josué, C. XIX, V. 91. - 2 JugCS, C. V, V. 2 0. I 128 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. CHAPITRE NEUVIEME. KHARBET KEFRA. RE WN A. KIT ARRET EL-BIREH (bIRSAPHIS ?). K A UK AB EL-IIAOUA (rEMETII?). - KHARBET BODRIEII. - DJISR MEDJAMIaL KIIARBET KEFRA. Le 17 juin, à quatre heures quinze minutes du matin, je quitte Oumm et-Thaybeh pour prendre la direction de l’est. Le plateau onduleux sur lequel je chemine, après avoir traversé un petit ravin, est naturellement très fertile; la terre en est noire et profonde, mais à peine cultivée çà et là. Le reste du sol est envahi par des chardons gigantesques et par d’autres herbes sauvages, actuelle¬ ment desséchées. A cinq heures trois minutes, je franchis un petit oued, puis j’ar¬ rive à Kefra, village complètement désert. Il peut contenir une centaine de maisons grossièrement bâties en pierres basaltiques et à moitié démolies, une dizaine de citernes et une quinzaine de matmoures ou magasins souterrains pratiqués dans le roc. Des haies de cactus environnent des jardins abandonnés. DENNA. A cinq heures quinze minutes, ma direction devient celle du nord, et à cinq heures quarante-quatre minutes, je parviens à üenna, humble village, situé sur une colline. Il était jadis beaucoup plus considérable; car de nombreux matériaux basaltiques prove¬ nant de maisons renversées jonchent le sol au nord de l’emplace¬ ment qu’il occupe lui-même. Plusieurs belles plaques de basalte étendues également par terre sont probablement les restes de CHAPITRE IX. — K A IJ K A B EL-HAOUA. 1 29 quelque édifice entièrement détruit. Une source peu abondante coule au bas du village vers l’ouest. K1IARBET EL-BIREH (bIRSAPHIS?). A six heures, je me remets en marche vers l’est, sur un plateau dont la fécondité se révèle par de hautes herbes, mais qui de¬ meure en réalité improductif, faute de bras pour le cultiver. A six heures trente-cinq minutes, j’examine des ruines éten¬ dues, appelées Kharbet el-Bireh; elles couvrent une colline que bordent au nord un oued très profondément encaissé, nommé Oued el-Bireh, et à l’ouest un autre oued moins considérable, qui aboutit au précédent. Ces ruines sont celles d’un grand village arabe dont les maisons avaient été bâties pour la plupart en pierres sèches de nature basaltique. Il avait remplacé lui-même une bour¬ gade antique, à laquelle appartenait un édifice complètement rasé, mais dont il subsiste encore plusieurs fûts de colonnes de basalte et un chapiteau mutilé. Le livre de Josué signale parmi les villes de la tribu cl’lssachar une localité appelée en hébreu Beth-Pazzez yysTPa, et en latin Bethpheses. Mais dans la version des Septante, elle est désignée sous le nom de Bypo-afiris. Ne serait-il pas permis de reconnaître la pre¬ mière partie de ce dernier nom conservée fidèlement dans celui de El-Bireh, donné aux ruines dont je viens de parler? KAUKAB EL-IIAOUA (itEMETII?). A sept heures quinze minutes, je descends vers l’est-sud-est, pour remonter ensuite vers le sud-est. Après une ascension assez raide, j’atteins, à sept heures quarante-cinq minutes, Kaukab el- Haoua. Cette ancienne forteresse, assise sur le sommet d’une mon¬ tagne, mesure 160 mètres environ de long sur autant de large. Des fossés larges de 20 mètres et profonds de 10 l’environnent de trois cotés, à l’ouest, au nord et au sud; à l’est, en effet, elle «• 9 1 30 DESCRIPTION I)E LA GALILÉE. était suffisamment protégée par l'escarpement naturel de la mon¬ tagne. Ces fossés ont été taillés dans le roc vif, et les pierres que l’on en a extraites ont servi à bâtir la forteresse. Les murs d’en¬ ceinte ont plus de 2 mètres d’épaisseur. Us ont été construits en talus avec des blocs de dimensions assez considérables, sans être gigantesques, et qui sont les uns relevés en bossage, les autres complètement aplanis. Chaque coté du quadrilatère était flanqué aux deux angles par une tour carrée et percé au centre d’une porte, défendue elle aussi par une tour. Quatre portes, une à chacun des quatre points cardinaux, donnaient ainsi accès dans la place et permettaient de même à ses défenseurs de descendre dans les fossés au moyen d’un escalier pratiqué obliquement dans une sorte de corridor étroit. Actuellement, on peut y pénétrer de toutes parts à travers de nombreuses brèches béantes. Elle contient une qua¬ rantaine de misérables buttes très grossièrement bâties, et habitées par une population peu hospitalière; un certain nombre de familles ont également élu domicile dans d’anciens magasins voûtés et sou¬ terrains, dont une partie subsiste encore et qui autrefois étaient très étendus. Au centre à peu près du village on remarque les arasements en belles pierres d’un édifice détruit, qui, à l’époque des Croisades, a pu être une église. Deux tronçons de colonnes de granit gris, qui gisent non loin de là, semblent avoir appartenu à ce monument. La forteresse de Kaukab el-lïaoua est désignée par les histo¬ riens du moyen âge sous le nom de Belvoir ou de Belvedere, à cause de sa position sur une hauteur d’où l’on domine tous les environs. Jacques de Vitry la signale comme l’une de celles que bâtirent les Chrétiens pour s’assurer la domination du pays : Cum igitur civitatcs memoratas pluresque alias, maxime mediterraneas , nostri subjugare non possent, in extremitatibus terræ snæ, ut fines suos del’en- derent, castra munitissima et inexpuguabilia inter ipsos et hostes exstruxerunt, scilicet Montem Regalem, et Pelram Deserti, eu jus modernum nomen est Crac, ultra Jordanem, Sapheth et Belvoir, cum aliis munitionibus, citra Jor- danem. Est autem Sapbelb caslrum munilissimum inter Accon et mare Ga- CHAPITRE IX. K A U K A R EL-HAOUA. 131 lilææ, non longe a montibus Gelboe situm; Belvoir vero non longe a monte Tbabor, juxta civitatem quondam egregiam et populosam Jezrae], inter Scytlio- polim et Tiberiadem, situm est in loco sublimi1. Kaukab el-Haoua est effectivement situé sur un point élevé entre Scythopolis au sud et Tibériade au nord, et son identification avec la forteresse de Belvoir, mentionnée dans ce passage, paraît incon¬ testable. Seulement, les Latins n’ont-ils fait que reconstruire en cet endroit un ancien château fort, ou, au contraire, en ont-ils été les premiers fondateurs? C’est ce que l’on ne saurait dire. Il est per¬ mis de supposer néanmoins que les anciens n’ont pas dû négliger une position aussi importante que celle de Kaukab el-Haoua, qui, entre deux oueds très profonds, l’Oued el-Bireh au nord et l’Oued el-Eucheh au sud, commande une partie de la vallée du Jourdain près de l’un des points où l’on franchit ce fleuve. Toutefois, ce château paraît avoir été entièrement rebâti par les Croisés, car Guillaume de Tyr, qui le désigne sous le nom de Belveir, l’appelle castrum novum : Versus castrum novum cui nomen estliodie Belveir, inter prædictam urbem (Scythopolim) et Tyberiadem in montibus situm, ut nostris occurrerent acies direxerunt 2. Les Arabes3 le nommaient comme maintenant Kaukab, c’est-à- dire rr étoile T>, et le surnom de El-Haoua, crie vent, l’air n , qui lui est, en outre, donné aujourd’hui, indique sa position élevée. Saladin, après s’être rendu maître de Sapbed en 1188, s’em¬ para également par la famine de Belvoir : Poslea reversus Saladinus in Galiiæam Belvedere, castrum munitissimum, quod lines Jordanis custodiebat, vias Tiberiadis, Neapolim et Nazareth angus- tabat, per inediam compulit ad deditionem4. Au xivc siècle, Marinus Sanutus cite Belveir parmi les places 1 Jacques de Vitry, c. xlix. 4 Sicardi Cremonensis Chronicon, in 2 Guillaume de Tyr, I. XXII, c. xvi. Muratori scriptoribus rerum Italicarum, 1 Bohaeddin, Vita Saladini, p. 76 et t. VII, p. 606. 88, édit. Schullens. 9- 1 132 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. qui tarent fortifiées par Foulques d’Anjou, et dans sa carte il la marque au nord de Scytfiopolis, ce qui est précisément la position qu’occupe Kaukab el-Haoua1. Guillaume de Tyr, en nous apprenant, dans le passage que j’ai reproduit plus haut, qu elle s’appelait (fi* son temps Belveir, ccCas- trum novum cui nomen est liodie Belveir, r> semble donner à en¬ tendre par là que primitivement, et avant d’être reconstruite, elle portait un autre nom. J’émets la conjecture que ce nom était celui de Remelh, en hébreu npi , en grec Pep-pas et Pap,p.a0, en latin Ramelh, nom qui paraît être une simple variante du mot ramah, cr hauteur n, et qui était celui d’une des villes de la tribu d lssachar : Et Rameth, et Engannim, et Enhadda, et Belhplieses2. Cette ville, qui est très probablement la même que celle de Ra¬ molli, appartenant également à la tribu d lssachar, et que signalent les Paralipomènes comme assignée aux Lévites3, doit, en effet, avoir été située sur une hauteur, et c’est ce qui m’incline à penser quelle avait pu occuper le site où plus tard a été élevée la forte¬ resse dont je viens de parler. KIIARBET BODIUEH. A neuf heures trente minutes, je descends vers l’est par un sentier qui serpente le long de pentes très rapides. A dix heures, je fais halte un instant au Kharbet Bodrieh, ancien village détruit et dont les maisons, depuis longtemps écroulées, avaient été bâties avec des matériaux basaltiques. Au milieu de ce chaos de débris, je distingue les arasements d’un petit édifice qui, à cause de son orientation de l’ouest à l’est, a pu avoir été une église. 1 Marinus Snnutus, Sécréta fulelmm crucis, p. 166. — 2 Josué, c. xix, v. ai. — Paralipomènes, I. I, c. vi, v. 78. a CHAPITRE IX. — DJ1SR MED J AMI A’. 133 DJISR JI EDJ A MI A . A dix heures quinze minutes, je continue à descendre vers l’est. A dix heures trente minutes, je rencontre un ruisseau abondant coulant dans un petit canal factice; il dérive de l’Oued el-Bireh, dont il porte les eaux à un niveau plus élevé que celui du lit de l’oued. De nombreux troupeaux de chameaux, de chèvres et de mou¬ tons sont rassemblés sur les bords de ce canal, où ils s’abreuvent avec délices. Les pâtres d’aspect farouche qui les gardent me disent qu’ils appartiennent à la grande tribu des Béni Sakker, qui habitent au delà du Jourdain. A dix heures trente-cinq minutes, je franchis l’Oued el-Bireh lui-même, dont les rives et le lit sont couverts d’énormes toulfes d’agnus-castus et de lauriers-roses. Ma direction est alors celle du nord-est. A onze heures dix minutes, après avoir traversé successivement deux autres oueds, mais peu considérables et à sec en ce moment, je parviens avec mon guide au Djisr MedjanuV. J’y trouve mon drogman, qui s’y est rendu par une voie plus directe et qui a dressé ma tente et la sienne près des ruines d’un ancien khan fortifié, aujourd’hui tombant en ruine et abandonné. 11 avait été construit avec des pierres basaltiques de dimension moyenne et régulière¬ ment taillées. Celles que l’on observe aux portes sont alternative¬ ment blanches et noires, celles-ci calcaires, celles-là basaltiques, selon la méthode d’ornementation chère aux Arabes. Autour d’une cour intérieure, actuellement encombrée de débris, régnait une galerie carrée à deux étages, dont les voûtes sont en grande partie écroulées. Non loin de là, un pont encore debout a été jeté sur le Jourdain. 11 se compose de plusieurs arches; celle du centre, beaucoup plus large et beaucoup plus élevée que les autres, repose à droite et à gauche sur de gigantesques rochers de basalte, entre lesquels le lit principal du fleuve se resserre en cet endroit; car il serpente en plu- 13/i DESCRIPTION DE LA GALILEE sieurs bras dans cette partie de la vallée, et enlace dans ses replis différentes petites îles bordées (1e lauriers-roses, de saules et de ro¬ seaux. Son cours est très rapide, et ses eaux jaunâtres et écumantes roulent à la façon d’un torrent sur un fond tout parsemé de gros blocs de basalte polis et arrondis par les flots. Pendant la journée, le rhamsin ou vent brûlant du midi souffle avec une telle violence que les pieux de nos tentes sont arrachés par la force de la tourmente, et que nous ne savons où chercher un abri contre les tourbillons de poussière qui nous enveloppent de toutes parts. L’atmosphère en même temps est embrasée. Le soir, la tem¬ pête tombe, et un magnifique coucher de soleil revêt d’un manteau de pourpre les pentes des montagnes qui nous font face vers l’orient, au delà du fleuve. A ces reflets éclatants succèdent bientôt des nuances plus rembrunies. Mais soudain la lune apparaît radieuse, et de son disque plein s’échappe une douce lumière, qui semble argenter les rives du Jourdain, les îlots qui le parsèment et surtout la surface mobile et miroitante de ses ondes. Le silence profond de la solitude qui nous entoure n’est interrompu que par les sourds gémissements des cascades et des rapides du fleuve, dont la grande voix plaintive monte continuellement jusqu’à nous. Un pareil spec¬ tacle, dans un pareil lieu, était bien fait pour inviter l’âme au recueillement et à la méditation. Aussi j’abandonnai la mienne longtemps à l’espèce de religieuse mélancolie que tout respirait alors autour de moi. CHAPITRE X. — KHARBET T II IRE H. 135 CHAPITRE DIXIÈME. KHARBET BEKa’a. - KHARBET TH I BEU. - SIRIN. - KHARBET a’oULAM (oULAMMa). - I1ADATEH (e’n-HADDA?). KHARBET BEKA^A. Le 18 juin, à quatre heures cinquante minutes du matin, je me mets en marche vers le nord, en longeant, à ma droite, les rives sinueuses du Jourdain et, à ma gauche, une chaîne de hautes collines. A cinq heures dix minutes, je foule, sur un monticule qui avoi¬ sine le fleuve, les débris d’un petit village complètement renversé; ils me sont désignés sous le nom de Kharbet Bekaa. KHARBET TII1REH. A cinq heures vingt minutes, je gravis vers l’ouest-sud-ouest des pentes assez raides, qui deviennent ensuite plus douces. A six heures, je franchis vers l’ouest un oued profondément en¬ caissé; il se nomme Oued Thireh. Ses berges sont parsemées de pierres volcaniques, et dans son lit couvert de roseaux gigantesques coule un maigre lilet d’eau. A six heures dix minutes, après une montée continue, je par¬ viens au Kharbet Thireh, restes d’une bourgade antique qui se développait jadis en amphithéâtre sur le versant oriental d’un pla¬ teau. De là on jouit d’une vue très étendue sur le Rhor et sur les montagnes qui s’élèvent au delà du Jourdain. Cette bourgade a été complètement détruite, et l’on 11e distingue plus çà et là que des arasements de maisons démolies; elles avaient été toutes bâties I 3 G DESCRIPTION DE LA GALILÉE. avec des matériaux volcaniques. Au milieu des ruines conluses qui jonchent le sol, je distingue deux tronçons de colonnes en calcaire blanc, provenant d’un édifice, soit sacré, soit profane, dont je n’ai pas retrouvé la trace. Vers le bas de l’emplacement occupé par les ruines coule une source abondante formant ruisseau. SllîIN. À six heures quarante-cinq minutes, je poursuis mon ascension vers l’ouest-nord-ouest. A sept heures dix minutes, je chemine sur un plateau élevé et naturellement fertile, mais en friche actuellement. De nombreux troupeaux de chameaux blancs, appartenant à des tribus transjor- danes, y paissent en ce moment. A sept heures trente-cinq minutes, je descends vers le nord- ouest, et bientôt j’arrive à Sirin. Ce village, qui compte quatre cents habitants, est à moitié renversé. Beaucoup de maisons n’offrent plus que des amas de décombres informes. D’autres, qui sont encore habitées, tombent en ruine. Je remarque les restes d’une ancienne tour mesurant 1 1\ pas sur chaque face; elle a été remaniée depuis la conquête arabe; mais la porte d’entrée et quelques assises çà et là paraissent antérieures à l’invasion musulmane. Les vestiges de deux vieilles églises, dont l’une a été plus tard transformée en mos¬ quée, sont également reconnaissables. La porte de l’une d’entre elles, ornée de rosaces et d’entrelacs, 11e manque pas d’élégance. Ce dernier édifice était pavé en mosaïque, comme l’attestent beaucoup de petits cubes épars sur le sol. Il avoisine une source que recouvre une arcade cintrée bien construite et d’apparence antique. Les Mu¬ sulmans vénèrent en cet endroit un oualy consacré à Neby Sirin, santon qui a, soit emprunté, soit communiqué son nom à la loca¬ lité ainsi appelée. a’oULAM (0 LL AMM a). A neul heures trente minutes, je prends, en quittant Sirin, la CHAPITRE X. HAD AT Eli. 137 direction du nord, et à neuf heures cinquante minutes, après avoir traversé un petit oued, j’arrive au Kharbet A’oulam. C’est un grand village dont la moitié des maisons sont encore debout, mais aban¬ données; un épais fourré de broussailles et de chardons en a envahi tous les abords. Les matériaux antiques y abondent. J’ai remarqué notamment plusieurs tronçons de colonnes et différents fragments de sculptures provenant de quelque édifice actuellement détruit. Une église , convertie plus tard en mosquée, puis en étable, est assez bien conservée. Elle avait été bâtie avec des pierres alternativement blanches et noires, les premières calcaires, les secondes basaltiques. Sur le linteau de la principale porte d’entrée on observe au centre un petitcercle, qui jadis renfermait une croix aujourd’hui complè¬ tement effacée. Dans l’intérieur gisent par terre quelques fûts de colonnes avec leurs chapiteaux brisés. Deux sources très abondantes alimentaient d’eau cette localité; elles coulent dans un vallon, où elles fertilisent encore des planta¬ tions de figuiers appartenant à une petite colonie d’Algériens, an¬ ciens compagnons d’armes d’Abd el-Kader, qui vivent sous la tente près de là. A’ouiam est, selon toute apparence, l’antique Oulamma, men¬ tionnée dans YOnomaslicon comme étant située à 12 milles de Dio- césarée, vers l’orient : yf Ecrit Sè xcà aXXr] OôXacptptd dno tê' cyr\[KS,iwv Atoxato-apsi'ixç n rpos dvonoXas. Cette distance est, à la vérité, trop faible de trois milles au moins; mais A’oulam est à Test-sud-est de Diocésarée, aujourd’hui Sefourieh, et son nom est, en outre, identique avec celui de Ou¬ lamma. Il ADATEII (e’.N-IIADDA?). A onze heures, je poursuis ma route vers le nord, et à onze heures trente minutes, je fais halte à Iladateh. Ce village a suc¬ cédé à une petite ville antique dont il n’occupe plus qu’une faible partie. II est situé sur le sommet d’une colline; beaucoup de mai- 138 DESCRIPTION DE LA GALILEE. sons sont renversées. Plusieurs de celles qui sont encore habitées ont été construites avec de belles pierres de taille provenant de quelque ancien édifice et mélées à de menus matériaux, soit cal¬ caires, soit basaltiques. Sur les pentes et au bord de la colline une dizaine de tronçons de colonnes sont épars sur le sol; ce sont les restes d’un monument totalement démoli. Non loin de là coule une source abondante; elle est recueillie dans une chambre rectangu¬ laire, d’apparence antique, bâtie en pierres de taille et recouverte d’une voûte en plein cintre. En même temps qu’elle fournit ample¬ ment à tous les besoins des habitants une eau excellente, elle arrose des jardins plantés de figuiers, de citronniers et de légumes. A propos du village de Oumni et-Thaybeh, dont j’ai parlé plus haut, j'ai émis la conjecture que cette localité représentait peut- être l’ancienne ville de E’n-Hadda, dont le nom se serait con¬ servé dans celui de Kharbet Haddad, donné à des ruines qui jadis en dépendaient. Mais il serait également permis de reconnaître dans la dénomination de Hadateh une corruption de celle de Hadda, et par conséquent d’identifier ce village avec cette ancienne ville d’issacbar, Oumm et-Tbaybeb et Hadateh étant d’ailleurs pourvus pareillement d’une source importante, ce qui était le cas de E’n- Hadda, cr source de Hadda -n. CHAPITRE XI. — KEFR MA SE R. 139 CHAPITRE ONZIÈME. TIIIREH. - KEFR MASER. - KIIARBET OUED CIIERAR. - KHARBET OUMM ER-RHANEM. - DABOURIEII (dABERATh). - DJEBEL TIIOUR (tIIABOr). - RETOUR À NAZARETH. TIIIREH. Le 19 juin, à cinq heures trente minutes du matin, je descends vers l’ouest de la colline de Hadateh par un sentier qui serpente entre des monticules que sillonnent des ravins peu profonds, puis je che¬ mine vers le sud-ouest, sur un plateau qui s’incline légèrement de l’est à l’ouest. Le sol en est très fertile et de couleur rougeâtre. D’in¬ nombrables moucherons s’élèvent en tourbillons sur mon passage des hautes herbes au milieu desquelles je chemine. A six heures vingt-cinq minutes, je traverse une vallée qu’arrose l’Oued Cherar, dont les eaux ne tarissent jamais. Au-dessus de cette vallée, vers le sud-sud-ouest, je gravis les pentes raides d’une colline que couronne le petit village de Tliireh. 11 consiste en une quinzaine de masures, grossièrement bâties en pisé ou avec de menus matériaux. KEFR MASER. De là, à sept heures cinq minutes, je descends vers l’ouest dans une plaine cultivée en sésame et en ricin. A cette plaine succèdent plusieurs monticules, que séparent de petits ravins parsemés de pierres basaltiques. A sept heures quarante-cinq minutes, je passe auprès de Kefr Maser, humble village situé sur une faible éminence, et qui a suc- 140 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. codé probablement à une localité antique, car les deux sources qui l’avoisinent ont dû naturellement attirer jadis et fixer en cet endroit un certain nombre d’habitants. KHARBET OUED CHERAR. A sept heures cinquante minutes, ma direction est celle du nord-nord-ouest. A huit heures quarante-cinq minutes, je franchis l’Oued Cherar non loin de sa source. Celle-ci tombe en cascade dans un bassin qui semble à la fois naturel et artificiel; le ruisseau qui s’en échappe coule dans le lit d’un ravin bordé de roches basal¬ tiques, et va ensuite, en serpentant vers l’est, aboutir au Jourdain. Sur une colline voisine de la source, quelques ruines disséminées portent le nom de Kharbet Oued Cherar; les pierres volcaniques y abondent. KIIARBET OUMM ER-RIIANEM. A huit heures cinquante-cinq minutes, j’arrive au Kharbet Oumrn er-Rhanem, petit village détruit, au sud du Thabor, sur les flancs inférieurs de cette montagne. Plusieurs citernes antiques sont encore intactes. Quelques caveaux pratiqués dans le roc et datant également de l’antiquité servent actuellement de refuge aux bergers qui mènent paître leurs troupeaux au milieu des ruines de ce hameau. DABOURIEII (dABERATh). A neuf heures quinze minutes, je me remets en marche vers l’ouest en longeant le pied méridional du Thabor, puis, à neuf heures trente minutes, je commence à en contourner, vers le nord- nord-ouest, le pied occidental. A neuf heures cinquante-cinq minutes, j’aperçois à ma droite quelques excavations pratiquées dans le roc, caveaux ou tombeaux, qu’ombragent de vieux caroubiers, des figuiers et des oliviers. A dix heures cinq minutes, je fais halte un instant à Dabourieh. CHAPITRE XI. Ü A B 0 U RI E H. 1 Ai 1 Ce village, peu considérable, est assis en amphithéâtre sur différents monticules au bas du Thabor. Des jardins bordés de cactus l’envi¬ ronnent. On remarque au milieu des maisons les restes d’un an¬ cien édifice, mesurant 22 pas de long sur 1 o de large et orienté de l’ouest à l’est. Il avait été construit en pierres de taille, et un cer¬ tain nombre d’assises sont encore debout. L’intérieur en est actuel¬ lement occupé par une habitation particulière et par une écurie, au-dessus desquelles s’élève le medafeh ou maison affectée à la ré¬ ception des étrangers. Tout porte à croire, à cause de son orienta¬ tion, que cet édifice était jadis une église chrétienne. Dans ce cas, il aurait été probablement bâti à l’endroit où Notre-Seigneur guérit un possédé du démon et en souvenir de cet événement. Dabourieh est, en effet, l’antique Daberath , avec l’article défini Ha-Daberatli, en hébreu rnznn , en grec Acc&pœô et Aaépà#, en latin Daberelh. Cette ville était située sur les frontières de Zabulon et d’Issachar : Et reverlilur (terminus) de Sared contra orientem in fines Ceseletli thabor; et egreditur ad Daberelh, ascendilque contra Japhie1. Elle appartenait à la tribu d’Issachar, et fut concédée aux Lévites : Porro de tribu Issachar, Cesion et Dabcreth2. Elle avait alors quelque importance, puisque, dans les Parali- pomènes, nous voyons qu’elle avait sous sa dépendance des ha¬ meaux voisins : De tribu Issachar, Cédés et suburbana ejus, et Dabereth cum suburbanis suis 3. C’est la bourgade mentionnée dans Josèphe sous le nom de Aaéap*V7 M zyaXw Ileâ'/ûJ xa.0elo[/.évcijv (puXaxcvv , êve^pevovTss ïijoXepalov, 1 ov kypiTntct xou Be- psvi'xris èiinponov , àtyei'kovTO -n raaav Ücrriv rryev ànocTxevrjv 4. 1 Josuè , c. xix, v. 12. — 2 Josuê , c. xxi, v. 28. — ' Paralipomènes , I. I, c. xi, v. 72. — 4 Guerre des Juifs, 1. II, c. xxi, S DESCRIPTION DE LA GALILEE 1 /Ci «Vers ce temps, quelques jeunes gens du bourg de Dabaritta, faisant, partie du poste de sentinelles établi dans la Grande Plaine, dressent des embûches à Ptolémée, intendant d’Agrippa et de Bérénice, et lui enlèvent tout le bagage qu’il conduisait avec lui.’') Dans Y Onomaslicon , Eusèbe l’appelle Aa^sipd : A aësipa, rjs tov j3a, consa¬ crées déjà par la tradition comme étant les deux sommets de la mon- r tagne des Béatitudes de l’Evangile, rappellent en outre à la pensée le désastre fatal de 1 187, qui brisa la domination franque en Pales¬ tine. Là succomba, avec Lusignan, le royaume latin de Jérusalem, et, sauf quelques villes de la cote, qui furent encore occupées par les Chrétiens pendant un siècle, la contrée tout entière retomba de nouveau au pouvoir de l’islamisme. Les Koroun Hattin dominenl du coté de l’est le beau lac de Gé- 150 DESCRIPTION DE LA GALILEE nésareth, dont nous apercevons un coin du lieu où nous sommes, et autour duquel dorment aujourd'hui les ombres solitaires de Capharnaüm, de Corozaïn, de Bethsaida, d’Arbela, de Tarichée, d Hippos et de Gamala, Magdala et Tibériade étant seules encore habitées. Que de souvenirs se pressent sur les bords de cette petite mer de Galilée! Et peut-on y jeter un coup d’œil, sans cju’aussitôt les scènes les plus admirables du Nouveau Testament viennent se replacer comme d’elles-mêmes, après tant de siècles, sur les divers endroits où elles se sont passées? Non loin de nous, vers l’ouest-nord-ouest, les montagnes qui en¬ vironnent Nazareth cachent sur leurs flancs inclinés l'immortelle petite ville de ce nom, dont nous distinguons seulement la blanche coupole de l’Oualy Neby IsmaM. Au delà, dans la même direction, les hauteurs qui bordent la plaine de Saint-Jean-d’Acre nous laissent voir, partout où elles s’entr ouvrent ou s’abaissent, les flots brillants de la Méditerranée. Quant à la ville ainsi appelée, elle se dérobe à nos regards. Il en est de même de Kaïpha, qui lui fait face de l’autre coté de la baie profonde dont elles occupent chacune l’une des extrémités. A l’ouest, la chaîne du Carmel se déploie tout entière jusqu’au r promontoire que couronne le couvent de Saint-Elie. Si nous nous tournons maintenant vers le sud, nous voyons se dérouler à nos pieds l’immense plaine d’Esdrelon, traversée obli¬ quement à l’est par les deux chaînes presque parallèles du Djebel Daliy ou Petit-Hermon et du Djebel Foukoua’h, l’antique Gelboë. Au pied septentrional de la première de ces montagnes, Naim et Endor attirent plus particulièrement notre attention, Naïm qu’a jadis consacrée l’un des plus touchants miracles du Christ dans la résurrection du fils unique d’une pauvre veuve; Endor, où Sa iil , dans le déclin de sa puissance et de son règne, alla consulter la pythonisse et lui ordonna cl’évoquer en sa présence l’ombre de Sa¬ muel, afin d’arracher, s’il était possible, de la tombe de ce grand prophète les secrets de l’avenir. Au sud-ouest de la même montagne apparaissent les petits vil- CHAPITRE XI. — DJEBEL THOIJR. 151 lages de Fouleli et de ATouIeli , témoins, le 16 avril 1799, de la glorieuse bataille dite du Mont-Thabor. Plus loin, vers le sud, les montagnes de la Samarie dessinent à nos yeux leurs formes diverses. A Test, enfin, notre vue plonge dans la vallée du Jourdain; au delà se montrent les hauteurs de Gile’ad et les plateaux accidentés de l’Auranitide et de la Batanée. Puis le regard se perd dans un lointain vaporeux. Le Thabor, en hébreu -iinn, Thabor, « hauteur», et linn in har- Thabor, et mont Thabor », en grec opos 0a £œp, 0a£a>p, iTtxëvptov et Ara Çvpiov, en latin Thabor, en arabe Djebel Tliour, dont la signi¬ fication est la même que celle de la dénomination hébraïque, est mentionné dans le livre de Josué comme formant la limite entre les tribus dTssacbar et de Zabulon : Etpervenil terminus ejus usque Thabor, etSehesuna et Bethsames; fuerunt- que exitus ejus Jordanis1. Son sommet portait une ville du même nom, comme cela ré¬ sulte de ce verset, qui l’énumère parmi les villes dTssacbar. Mais dans le livre I des Paralipomènes, cette ville est assignée à la tribu de Zabulon; elle était le partage des Lévites Mérarites: Filiis autem Merari residuis : de tribu Zabulon, Rein mono et suburbana ejus, et Thabor cum suburbanis suis2. Comme elle était sur la frontière des deux tribus dTssacbar et de Zabulon, une pareille confusion m’explique très facilement; d’ailleurs, elle avait pu d’abord échoir en lot à Issachar, avant d’appartenir ensuite à Zabulon. Dans tous les cas, il faut bien se garder de l’identifier, comme 011 pourrait être tenté de le faire, avec le village actuel de Dabou- rieh. Car cette identification est formellement contredite par un autre verset du même livre des Paralipomènes, où une ville du nom de Daberetli est mentionnée parmi celles dTssacbar, comme 1 Josué, c. xix, v. n ü. — 2 Paralipomènes , I. 1, c. vi, v. 77. 152 DESCRIPTION DE LA GALILEE. concédée aux descendants d’une autre famille de Lévites, celle de Gerson : De tribu Issacbar, Cédés et suburbana ejus, et Dabereth cum suburbanis suis L Or cette Dabereth 11e peut être que le village de Dabourieh, situé au pied du Thabor et qui devait jadis, comme toute la plaine d’Esdrelon, appartenir à la tribu d’Issachar, tandis ([ue le Thabor lui-même, avec la ville qui le couronnait, avait été assigné à la tribu de Zabulon. C’est sur le Thabor que, d’après les prescriptions du Seigneur, transmises par la propbétesse Debbora, Barak rassembla ses troupes avant de combattre Sisara, qu’il défit sur les bords du Kison : 0. Quæ misit et vocavit Rarac, fîlium Abinoem, de Cédés Nephthali; dixitque ad eum : Præcepit tibi Dominus Deus Israël, vade, et duc exercitum in montem Thabor, tollesque tecum decem rnillia pugnatorum de fdiis Nephthali et de filiis Zabulon. 7. Ego autein adducam ad te in loco torrentis Cison Sisaram, principem exercitus Jabin, et currus ejus, atque omnem multitudinein, et tradam eos in manu tua'2. Les frères de Gédéon furent massacrés plus tard sur le Thabor par Zebee et Salmana, princes des Madianites, qui expièrent bien¬ tôt ce meurtre par leur propre mort : 18. Dixitque (Gedeon) ad Zebee et Salmana : Quales fnerunt viri quos oc- cidistis in Thabor? Qui responderunt. : Similes tui, et unus ex eis quasi filius regis. 19. Quibus ille respondit : Fratres mei luerunt lilii matris meæ. Vivit Do¬ minus, quia, si servassetis eos, non vos occiderein3. David, dans un psaume, représente le Thabor comme tressail¬ lant avec l’Hermon au nom de l’Eternel : Thabor et Hermon in nomine tuo exultabunt4. 1 Paralipomenes , 1. 1, c. vi, v. 72. — 2 Juges, c. iv, v. G et 7. — 3 Ibid. c. vin, v. 18 et 19. — 4 Psaume rxxxviu, v. i3. CHAPITRE XI. — DJEBEL THOUR. 153 Ainsi que l’observe très justement Robinson, le poète sacré a choisi ces deux montagnes entre toutes celles de la Palestine, la première comme étant la plus gracieuse et la plus belle, la seconde comme étant la plus élevée et la plus imposante. Jérémie compare Nabuchodonosor au Tliabor et au Carmel : Vivo ego (inquit rex, Dominus exercituum nomen ejus), quoniam sicut Tliabor in montibus, et sicut Carmelus in mari, veniet1. Le prophète Osée fait allusion quelque part aux nombreux oi¬ seaux qui se plaisaient au milieu des bocages du Tliabor, et sem¬ blaient inviter les chasseurs à y tendre leurs filets : Audite boc, sacerdotes, et altendite domus Israël, et domus regis, auscul- tate : quia vobis judicium est, quoniam laqueus facli estis speculationi, et rete expansum super Tliabor2. Dans les écrivains grecs et romains, la forme du nom de cette montagne est Atabijrion et Itabyrion. Nous savons par Polybe que l’an 218 avant Jésus-Christ, An- tiochus le Grand, roi de Syrie, après s’être emparé de Pbiloteria, près du lac de Tibériade , franchit les montagnes et se rendit maître par surprise d’Atabyrion, ville située, dit l’historien, sur une hau¬ teur en forme de mamelle, dont la montée est de i5 stades au moins. Après avoir fortifié cette place, il se retira. ÀaÇiaXia-otpEvos Sè (Ppovpoiïs tolvtixs vn TspéëaXe tï)v opeivrjv xaï z^aprjv en) À-raëvpiov' b xeiTou pèv in) XoÇ>ou pacrlosiSovs , 1 r)v Sè 'apoaëacnv ëyei 'ZsXsïov fj ^svTexai'Ssxa c/iaSiwv. Xpn&otpevos Sè xo.tx tov xaipov tovtov êvéSpa. xou cy'I pot.Tnyrip.au xaiécrye Ttjv 'tsoXiv . . . Àcr(pa.Xia Analysons ce passage. Josèphe donne au Thabor 3o stades de hauteur et au plateau qui le couronne 26 de circonférence. Ces chiffres sont très exagérés; il faut les réduire de moitié. Toujours est-il qu’il entoura la plate- Gucrre des Juifs , 1. IV, c. i, S 8. I CHAPITRE XI. — DJEBEL T H OU 1L 155 forme du mont d’un mur d’enceinte pour y établir un camp fortifié. Or, si une ville eût existé alors sur le Tliabor, il est à présumer qu’il n’eût pas manqué d’en faire mention et qu’il eût trouvé sur place tout ce dont il avait besoin, sans être contraint de se le faire apporter péniblement du pied de la montagne. A la vérité, ces mots, les habitants n ayant que de l’eau de pluie, indiquent que le haut de la montagne n’était pas inhabité; mais cela ne prouve pas néanmoins que la ville antique de Tliabor, YAvxÇvptov de Polybe, prise et for¬ tifiée par Antiochus le Grand, fût encore debout. Autrement, s’il en eût été ainsi, Josèphe n’aurait point été obligé de construire l’enceinte en question. Il me paraît ressortir clairement de son si¬ lence relativement à l’existence d’une ville sur ce plateau, que celle dont parle Polybe était en ruine et déserte. Seulement quelques familles pouvaient y être alors fixées pour cultiver le sol. A l’époque de Notre-Seigneur aucun texte ne nous apprend que le sommet fût tout entier couvert d’habitations. Jésus-Christ a donc pu s’y trans¬ figurer dans un endroit solitaire devant les trois disciples qui l’ac¬ compagnaient. Qui sait même si dans ce moment-là le plateau du mont n’était point complètement inhabité? J^es évangélistes, je l’avoue, en racontant ce grand événement de la vie du Sauveur, ne nomment pas le mont Tliabor. Voici le récit de saint Matthieu : 1. Six jours après, Jésus, ayant pris avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, les mena à l’écart sur une haute montagne; 2. Et il fut transfiguré devant eux. Son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la neige. r 3. En même temps, ils virent paraître Moïse et Elie, qui s’entretenaient avec lui. h. Alors Pierre dit à Jésus: Seigneur, nous sommes bien ici; faisons-y, s’il r vous plaît, trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Elie. 5. Lorsqu’il parlait encore, une nuée lumineuse le couvrit, et il sortit une voix de cette nuée qui fit entendre ces paroles : Celui-ci est mon fils bien- aimé,dans lequel j’ai mis toute mon affection; écoutez-le. fi. Les disciples les ayant ouïes tombèrent le visage contre terre et lurent saisis d’une grande crainte. 156 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 7. Mais Jésus s’approchant les toucha et leur dit: Levez-vouset ne craignez point. 8. Alors, levant les yeux, ils 11e virent plus que Jésus seul '. Saint Matthieu, comme on le voit, ne désigne pas nommé¬ ment le Tliabor; il parle seulement d’une montagne élevée, ducit illos in montem excelsum seorsum. Saint Marc reproduit à peu près mot à mot les expressions de saint Matthieu, sans rien préciser da¬ vantage2. Saint Luc n’indique pas non plus le nom de cette montagne3; saint Jean ne mentionne pas ce prodige. Six jours avant qu’il s’accomplît, comme nous le savons par saint Matthieu4, Jésus était au delà du Jourdain, dans les environs de Césarée de Philippe ; aussi plusieurs critiques ont-ils pensé que le mystère de la transfiguration avait eu lieu sur l’une des monta¬ gnes voisines de cette ville, et peut-être sur l’un des sommets solitaires du Grand-Hermon. Mais pourquoi vouloir déposséder le Thabor de l’auréole sacrée qui l’entoure, grâce à une tradition non interrompue depuis tant de siècles, tradition qu’aucun texte, ni de l’Ecriture sainte, ni d’aucun écrivain profane, ne contredit, à l’exception toutefois d’un passage du Pèlerin de Bordeaux, qui place le lieu de la transfi¬ guration sur l’un des sommets de la montagne des Oliviers? Inde ascendis montem Oliveti, ubi Dominus ante passionein aposlolos docuit. Ibi tacta est basiiica jussu Constantini. Inde non longe est monlicnlus ubi Dominus ascendit orare, et apparuit illic Moyses et Relias, qnando Petrum et Joannem secum duxit. Je 11’ai pas besoin de faire remarquer combien cette assertion du Pèlerin de Bordeaux est contraire aux données de l’Évangile. Saint ieu et saint Marc, en effet, affirment l’un et l’autre que six jours avant sa transfiguration, le Messie était au delà du Jour¬ dain, dans les environs de Césarée de Philippe: i3. Venitautem Jésus in partes Cæsareæ Philippi. 1 Saint Matthieu , c. xvii, v. 1-8. — 2 Saint Marc, c. îx, v. 1-8. — 3 Saint Luc, c. ix, v. 28-36. — 1 Saint Matthieu, c. xvi, v. i3. DJEBEL THOUH. CHAPITRE XI. — 157 i. Et post clics sex assumit Jésus Pelrum, et Jacobum et Joannem fratreni ejus, etducil illos in montem excelsum seorsum1. 27. Et egressus est Jésus, et discipuli ejus in castella Cæsareæ Philippin. 1. Et post dies sex assumit Jésus Petrum, et Jacobum et Joannem; et ducil illos in montem excelsum seorsum solos, et transfigura tus est coram ipsis2. Immédiatement après cet événement et la guérison du lunatique qui le suivit, quand Jésus fut parvenu au bas de la montagne où il s’était transfiguré, saint Matthieu ajoute: 21. Conversantibus autem eis in Galilæa, dixit illis Jésus: Filins hominis tradendus est in manus hominum : 22. Et occident eum, et terlia die resurget. Et contristati sunt vebe- menter. 23. Et cum venissent Capharnaum. . . 3. Saint Marc poursuit également à peu près dans les mêmes termes : 29. Et inde profecti prætergrediebantur Galilæam ; nec volebat cjuem- quam scire. 30. Docebat autem discipulos suos, et dicebat illis : Quoniam filins hominis tradetur in manus hominum, et occident cum, et occisus tertia die re¬ surget. 31. Et venerunt Capharnaum4. Ces divers textes ne contredisent-ils pas formellement l’opinion du Pèlerin de Bordeaux, qui transporte en pleine Judée, sur l’un des points culminants de la montagne des Oliviers, la scène d’un événement quia dû s’accomplir en Galilée, comme cela ressort des versets que je viens de citer, et se passer sur une montagne beau¬ coup moins distante de Césarée de Philippe, où Notre-Seigneur se trouvait six jours auparavant, et moins éloignée également de Capharnaüm, où il s’est rendu après sa transfiguration? Or le mont Thabor remplit parfaitement toutes ces conditions. Il s’élève isolé dans la basse Galilée, à une journée de marche 1 Saint Matthieu , c. xvi, v. i3, et c. xvu, v. 1. — 2 Saint Marc , c. vin, v. 27, et c. ix, v. 1. — 4 Saint Matthieu, c. xvn,v. 21-23. — 1 Saint Marc , c. ix, v. 2Q-3i. DESCRIPTION DE LA GALILEE. 158 de Capliarnaüni et à trois de Gésarée de Philippe. Notre-Seigneur, qui voyageait à pied avec ses disciples, qui les instruisait chemin faisant et marquait sa route par des bienfaits et par des miracles, ne devait pas faire ordinairement de longues étapes. Il est donc tout à fait invraisemblable qu’en six jours il ait pu de cette manière se rendre de Césarée de Philippe à Jérusalem, pour aller s’y trans¬ figurer sur la montagne des Oliviers. Un pareil voyage aurait exigé au moins sept jours continus de marche, à raison de 29 à 3o kilo¬ mètres par étape, et cela sans repos. En outre, si les trois évangélistes qui parlent de la transfigura¬ tion ne nous révèlent pas le nom de la montagne sur laquelle ce fait a eu lieu, saint Pierre, en racontant le même événement, désigne cette montagne par l’épithète de sainte. Voici comment il s’exprime dans sa seconde épître : 16. Au reste , ce n’est point en suivant des fables et des fictions ingénieuses que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de Notre- Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été nous-mêmes les spectateurs de sa majesté. 17. Car il reçut de Dieu le Père un témoignage d’honneur et de gloire, lorsque de cette nuée où la splendeur de Dieu paraissait avec tant d’éclat, on entendit cette voix : Voici mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection; écoulez-le. 18. Et nous entendîmes nous-mêmes cette voix qui venait du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne1. de notre ère, le Thabor était encore désigné par les indigènes, d’après le témoignage de saint Willibald, pèlerin de celte époque : Ibi est nunc inonasterium monachorum et hæc ecclesia Domino est conse- crata et Moysi et Heliæ, et illi cives nommant ilium locuin Age mons2. Comme l’observe très judicieusement Mabillon, cette dénomina¬ tion de Age mons ne peut dériver que des mots ayiov o'pos, et sainte montagne t), et serait, par conséquent, la même que celle dont s’est 1 II0 Epi ire de saint Pierre , c. i, v. 16-18. — 2 Hodceporicum , S 1 6 . p. 7 A , édit. Mabillon. CHAPITRE XI. — DJEBEL THOUR. 159 servi saint Pierre pour indiquer le lieu de la transfiguration. Si nous interrogeons maintenant saint Cyrille, qui vivait dans le même siècle que le Pèlerin de Bordeaux, et qui, en qualité d’ar¬ chevêque de Jérusalem, devait être plus au courant que ce dernier des traditions relatives à Notrc-Seigneur en Palestine, nous voyons qu’il place la scène de la transfiguration non sur la montagne des Oliviers, mais sur le Thabor, comme une chose admise de son temps et qu’il est inutile d’établir par des preuves nouvelles1. Vers la fin de ce même ive siècle, saint Jérôme reproduit cette tradition, sans chercher non plus à la prouver, et cela même en démontre, à mon avis, l’authenticité, bien loin de l’affaiblir; car s’il y avait eu, de son temps, des doutes à ce sujet, il aurait cher¬ ché à les lever, ou bien, s’il les eût partagés lui-même, il se serait exprimé en des termes moins affirmatifs. Nous lisons dans l’épître à Marcella : Pergemus ad Itabyrium et tabernacula Salvatoris2, r Et d ans Y Epitaphe de sainte Paule : Scandebat montem Thabor, in quo transfïguratus est Dominus3. Les mots tabernacula Salvatoris semblent indiquer que déjà des sanctuaires avaient été érigés sur le Thabor, en souvenir des trois r tentes dont il est question dans l’Evangile. Nous savons, en effet, par Nicéphore Callistc, que sainte Hélène avait fait bâtir, vers l’an 3^6 ou 827, une église sur le Thabor, et avait laissé des sommes considérables pour ceux qui voudraient s’établir en ce lieu4. Vers la fin du vic siècle, Antonin le Martyr mentionne trois églises sur le Thabor, en commémoration des trois tentes que voulait dres¬ ser saint Pierre5. 1 Saint Cyrille, Catéchèses, xii, 16. 2 Saint Jérôme, ép. xlvi, à Marcella. Saint Jérôme, épître i.xxxvi, Epi¬ taphe de sainte Paule. 4 Nicéphore Calliste, Histoire ecclé¬ siastique, I. VIII, C. XXX. 5 Antonin le Martyr, Itinerarium, S 0. 1 GO DESCRIPTION DE LA GALILEE. Un siècle plus tard, Aclamnanus, d’après Arculphe, y signale un grand couvent avec de nombreuses cellules : Mons Thabor in Galilæa tribus inillibus a iacu Chenereth clistat, mira rotunditate in omni parte collectus, a parte boreali respiciens supradictum stagnum, herbosus valde et floridus. In cujus ainœna summitate ampla |»Ia— nities silva prægrandi circumcincta babetur, cujus in medio campo monacho- rum inest grande monasterium. Et plurimæ eorumdem cellulæ ; nam illius montis campestris vcrtex non in angustum coarctatur cacumen, sed in latitu- dinem dilatatur stadiorum viginti quatuor, altitudo autem ejus triginta sta- diis sublimatur1. Les chiffres relatifs à la hauteur du Thabor et à la circonférence de son plateau sont trop forts à peu près de moitié. Saint Willibald, au vmc siècle, parle de ce meme monastère et d’une église consacrée au Sauveur, à Moïse et à Elie. Les indigènes appelaient alors la montagne la Sainte, comme cela résulte d’un passage que j’ai cité tout à l’heure, en l’empruntant au récit de ce pèlerin. Sævvulf, en 1 io3, rapporte que trois anciens monastères étaient debout sur le Thabor, l’un en l’honneur du Christ, le second dédié à Moïse et un troisième, à quelque distance des deux précédents, sous le vocable d’Elie. A Nazareth distat mons Thabor, in quo monte Dominus ascendens coram Petro et Johanne et Jacobo se transfiguravit, quasi quatuor miliaria ad orien- tem. Tria vero monasteria in cacumine ejus antiquitus constructa adhuc per¬ manent, unum in honore Domini nostri Jesu Ghristi, aliud autem in honore Moysi, tertium autem Helyæ, paulo remotius, secundum quod Petrus dixit: Domine, bonum est nos hic esse; si vis, faciamus hic tria tabernacula, tibi unum, Moysi unum et Helyæ unum2. Tancrède, une fois devenu comte de la Galilée, qui lui fut con¬ cédée en fief par Godefroi, restaura et dota richement, en faveur de l’ordre des Bénédictins de Gluny, le monastère de Saint-Sauveur du Thabor. En 1 1 1 3, ce monastère fut ravagé par des hordes 1 Adamnanus, ex Arculpho, De Lacis Sanctis, 1. XI, c. xxvn. 2 Mémoires de la Société de géographie de Paris , t. IV, p. 85o. CHAPITRE XI. — DJEBEL TH OCR. 1 61 musulmanes venues de Damas, et les moines furent massacrés. Quelques années plus tard, le mont Thabor fut visité par l’higou- mène russe Daniel : On trouve, dit-il, sur le sommet du Thabor, du côté de l’orient, une assez grande élévation formant un monticule pierreux; c’est là qu’eut lieu la trans¬ figuration de Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu. On y voit actuelle¬ ment une grande église consacrée à la sainte Transfiguration du Christ. Tout auprès, au même endroit, est une autre église, consacrée au saint prophète Moïse, et puis une troisième, au saint prophète Élie. Tout le lieu de la trans¬ figuration est environné de solides murailles en pierres de taille avec des portes en fer. C’était jadis un évêché; présentement c’est un couvent latin '. En 11 83, l’abbé du monastère de Saint-Sauveur conclut avec le supérieur du monastère de Saint-Paul à Antioche une conven¬ tion d’après laquelle il offrait à ses religieux, en cas d’invasion, un asile dans son couvent. La même année, des soldats appartenant à l’armée de Saladin gravirent le Thabor et s’emparèrent facilement du couvent grec de Saint-Elie, qu’ils ravagèrent à leur gré, mais ils ne purent se rendre maîtres du grand couvent latin, que défendait une enceinte puis¬ sante de solides murailles flanquées de tours, à l’abri de laquelle s’étaient retranchés ses religieux et un certain nombre d’habitants des villages voisins : Nonnulli vero ex eisdem in montem Thabor ascenderunt, et monasterium Græcorum, quod dicitur Sancti Heliæ, pro libero tractantes arbifrio, ipsum ejus majus cœnobium effringere tentaverunt; sed receperantse infra sepla ino- naslerii , quæ muro et turribus eranl val la ta , tam monachi quam eorum uni- versa familiaetde viculis nonnulli Jinitimis, quieosqui in montem ascenderant hostes ab uni verso monasterii ambitu viriliter abegerunt 2. En il 85, le moine Phocas fait mention de ces deux mêmes monastères, l’un grec et l’autre latin. Le premier était situé dans la partie septentrionale de la plate-forme du mont; le second, habité par une multitude de religieux, en occupait, vers le sud-est, le ] Pèlerinage de Vhigoumène russe Daniel , traduit par Abraham de Norofï\ p. tio. — 2 Guillaume de Tyr, I. XXII, c. xxvi. i i i. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 162 point culminant. L’autel passait pour indiquer la place où la trans- figuralion avait eu lieu J. En 1187, les monastères et les fortifications du mont Tliabor furent renversés par Saladin. Bientôt après, un roi de Hongrie, au dire de Boniface de Raguse2, y bâtit un nouveau couvent, qu’il dota de biens considérables et qu’il remplit de moines hongrois de l’ordre de saint Paul, premier ermite. Ce couvent fut détruit en 1209 par Melek el-Adel. En 12 iù, le sultan Melek Moazzliam Ysa, fils de Melek el-Adel Abou-Bekr, frère de Saladin, érigea une forteresse sur le Thabor, en se servant pour cela des ruines qui en couvraient la vaste plate¬ forme. En 1217, cette forteresse fut attaquée, mais inutilement, par une armée chrétienne. Olivier le Scolastique, qui raconte cette expédition, rapporte que le jour de l’arrivée des Croisés au pied de la montagne, tandis qu’on lisait l’évangile : Ile in castellum quocl contra vos est, cc allez à ce château qui est devant vous, r> le patriarche marcha en avant avec la vraie croix. Jean de Brienne, suivi de la milice du Seigneur, gravit les flancs du Thabor, renversant tous les obstacles. Déjà la forteresse occupée par les Musulmans était près de tomber entre les mains des Chrétiens, au bout de dix-sept jours d’attaques, lorsque, à la suite sans doute de dissentiments survenus dans le conseil des princes qui commandaient l’armée, l’entreprise fut abandonnée 3. Après le départ des Croisés, AJelek el-Adel donna lui-même l’ordre de démanteler celte place, dans la crainte quelle ne suc¬ combât un jour sous les efforts des Chrétiens. En 1 252, saint Louis, roi de France, se rendit plusieurs fois en pèlerinage au sommet du Thabor. En 1263, Bibars Bondokdar acheva la destruction de la forte¬ resse qui le couvrait, ainsi que celle des monastères grec et latin de Saint-Elie et de Saint-Sauveur. 1 IMiocas, De Locis Sanctis, § 11. — 2 De pcrenni cultu Terrœ Sanctœ, ]). 160. — 1 Bibliothèque des Croisades, lit partie, p. 1 h o . CHAPITRE XI. — RETOUR À NAZARETH. 163 En i 2 83, le moine Burchard n’y trouva qu’un amas de grandes ruines de couvents, d’églises, de tours et d’autres édifices, devenus la retraite des bêtes féroces : De Nazareth duabns leucis contra orientem est nions Thabor, in quo trans- figuratus est Dominus. Ubi bodie ostenduntur ruine trium labernaculorum sive claustrorum, secundum desiderium Pétri construclorum. Sunt preterea ibidem ruine maxime palaciorum, turrium et regularium edificiorum, in quibus mine lati tant leones et bestie alie. Et sunt ibi venationes regie E Depuis lors jusqu’à nos jours, le plateau du mont Thabor a continué d’offrir aux pèlerins des âges subséquents le spectacle de vastes ruines confuses et solitaires, au sein desquelles la fécondité naturelle du sol avait fait partout croître des arbres et des arbustes sauvages. Enfin, il y a peu d’années, comme je l’ai dit plus haut, les Grecs ont relevé la chapelle de leur ancien couvent de Saint- r Elie et construit alentour plusieurs bâtiments. Les Pères Franciscains de Nazareth, de leur côté, se sont installés au milieu des débris gigantesques du vieux monastère latin de Saint-Sauveur, et les fouilles qu’ils ont exécutées ont déjà dégagé les assises inférieures de la chapelle de Moïse et les arasements plus vénérables encore de l’auguste et antique sanctuaire de la Transfiguration. RETOUR A NAZARETH. Le lendemain, 20 juin, à cinq heures quinze minutes du soir, je descends à regret du Thabor, où, comme saint Pierre, je me trouvais si bien et où j’aurais volontiers dressé ma tente plus long¬ temps. A six heures dix minutes, parvenu au pied de la montagne, je chemine, vers l’ouest, par un sentier très accidenté; à sept heures, je me retourne pour contempler une dernière fois cette hauteur célèbre, qu’un rideau de collines va bientôt cacher à ma vue. A ce moment , les rellets empourprés du soleil couchant doraient la cime IJurciwmlus de Monte Sion, c\ \r. 1 1 1 164 DESCRIPTION DE LA GAULEE. r de la sainte montagne et illuminaient la chapelle de Sain t— Elie relevée par les Grecs. Ce beau spectacle était à mes yeux comme l image affaiblie de l’éclat incomparable dont le sommet du Thabor avait du resplendir autrefois, lorsque le Christ daigna s’y mon¬ trer aux regards de trois de ses apôtres dans toute la gloire de sa ma vme. À sept heures douze minutes, je jette un coup d’œil, en passant, sur les restes d’un ancien village, connus sous le nom de Kharbet et-Thireh. Quelques amas de matériaux sont épars au milieu des broussailles sur un monticule et sur la déclivité d’une vallée qui sépare deux chaînes de collines, et laisse apercevoir vers le sud le village d’Iksal et une partie de la plaine d’Esdrelon. A huit heures, je suis de retour à Nazareth. CHAPITRE XII. — EL-MECHHED. 165 CHAPITRE DOUZIÈME. REINEH. - EL— JJECIIHED (gATI'I IIA-IIEPHEr). - KEElt KENNA (cANa). TOURa’n. - KHARBET MESKANA. - SADJERA. - LOUBIEI1. - K1IARBET ED-DE1R . - KHAN LOUBIEH. - 11ADJAR EN-NASAR Ail ( MULTIPLICATION DES SEPT PAINS). - 1IATTIN. UE1NEH. Le 2a juin, après un jour de repos passé à Nazareth, je me remets en marche à cinq heures du matin, dans la direction du nord-est, puis du nord-nord-est. A cinq heures trente-trois mi¬ nutes, je passe à coté d’une source abondante, appelée A in er- Reineh. Près du petit bassin qui la recueille a été placé, en guise d’auge, un sarcophage antique, dont la cuve est ornée extérieu¬ rement de disques et de guirlandes de fleurs assez élégamment sculptés. Cette source arrose des jardins plantés de figuiers et de grenadiers. Le village de Reineh s’étend sur les pentes méridionales d’une colline à laquelle il est adossé. Il renferme environ huit cents habi¬ tants, moitié Musulmans et moitié Grecs schismatiques. 11 faut joindre à ceux-ci quelques protestants. Une mission anglaise s’est, en effet, établie en cet endroit depuis plusieurs années, et y a fondé une école. EL-MECHHED (cATIl HA-HKPUEr). A six heures, je poursuis ma route vers le nord. A six heures neuf minutes, je laisse à ma droite une source, appelée Bir ech- Chemali, parce qu elle coule au nord de Reineh. Recueillie dans une sorte de puits peu profond, elle forme un ruisseau. C’est non IGG DESCRIPTION DE LA GALILEE. loin de celle source que, le ier mai 1187, eut lieu un combat acharné entre sept mille Musulmans, qui s’avançaient vers Naza¬ reth, et une poignée de Chrétiens, qui les arrêtèrent longtemps par des prodiges de bravoure. Les historiens contemporains exaltent surtout la valeur héroïque de Jacqueîin de Maillé, maréchal du Temple. Monté sur un cheval blanc, il était resté presque seul de ses compagnons d’armes debout sur le champ de bataille, faisant mordre la poussière à tous ceux qui osaient Rapprocher. Enfin, son cheval, épuisé de fatigue, s’étant abattu et l’ayant entraîné dans sa chute, il tomba percé de coups, mais après avoir immolé encore plusieurs de ses adversaires. Les Musulmans l’avaient pris pour saint George, et quand iis le virent étendu sans vie à leurs pieds, ils lui donnèrent des témoi¬ gnages singuliers d’admiration, comme le prouvent les détails sui¬ vants, que nous a transmis un écrivain du temps : Fuere, ut dicebatur, nonnulli qui corpus viri jamexanimum pulvere super- jecto consperserunt, et ipsum pulverem suis imponentes verticibus, virtutèm ex contactu hausisse credebant. Quidam vero, ut fa ma ferebat, ardentius cæteris movebatur, et abscissis viri genitalibus, ea tanquam in usum giguendi reservare disposuit, ut vel mortua membra, si fieri posset, virtutis tantæ suscitarent hæredem L A six heures vingt-trois minutes, je gravis la colline rocheuse que couronne El-Mechhed. La population de ce village est de trois cents habitants au plus. On y vénère dans une petite mosquée un tombeau couvert d’un tapis vert et renfermant, dit-on, la dépouille du pro¬ phète Jouas. Telle est la tradition accréditée à la fois parmi les Musulmans de l’endroit et parmi les Chrétiens de Nazareth. Si elle est fondée, El-Mechhed est l’ancienne ville de Gath ha-Hepher, en hébreu “ipnn na, ou Giltah-Hepher, ipn nria, ce le pressoir du puits, de l’excavation n, signalée dans le livre de Josué comme étant sur la limite de la tribu de Zabulon : Et inde pertransit (terminus) usque ad orientalem plagam Getlihepher et Tbacasin; et egreditur in Remmon, Amtbar et Noa 2. Bongars, Gesta Dei per Francos, p. 1 1 5 1 . — 2 Josué, c. xix, v. 10. 1 CHAPITRE XII. — EL-MECHHED. 1 67 Saint Jérôme, dans sa préface du livre du prophète Jouas, s’ex¬ prime ainsi : Getli, quæ est in Oplier, haud grandis est viculus, in secundo Sepphoris milliario, quæ hodie appeliatur Diocæsarea, eunlibus Tiberiadem, ubi et sepulcrum ejus ostenditur. Benjamin de Tudèle place le tombeau du prophète Jouas sur une colline près de Sepphoris; Petachia de Ratisbônne, à Kefer Ouza, et l’auteur d’Eleli ha-Messaot, à Kefer Kenna b Plus tard, en i333, le rabbin Ishak Chelo, dans son écrit inti¬ tulé : Les Chemins de Jérusalem, nous donne les détails suivants relatifs à la patrie et au tombeau de Jouas : De Sepphoris, dit-il, on va à Galhahepher, aujourd’hui Meschhad. C’est la patrie du prophète Jouas, fils d’Amitaï, ainsi qu’il est dit dans l’Ecriture sainte. Selon le Talmud, le prophète Jouas était, du coté de son père, de la tribu de Zabulon, et, du côté de sa mère, de la tribu d’Aser. Quant à Gallia- hepher, c’est un endroit peu considérable, habité seulement par quelques musulmans pauvres. De là on va à Kefer Kenna, village qui renferme le tom¬ beau du prophète Jouas, fds d’Amitaï. Les Arabes ont fait construire une belle mosquée sur le sépulcre de cet homme de Dieu. Jonas est l’un des sept pro¬ phètes ensevelis en Palestine dont les tombeaux sont connus. Un seigneur Musulman, ennemi des Juifs, habitait autrefois Kefer Kenna. Il sortit un jour de son palais rempli de funestes desseins contre les lils d’Israël; ayant passé près du tombeau du prophète, il trouva tout à coup devant lui un homme armé dont l’aspect était effrayant. Aussitôt le Musulman se jette à ses pieds, comme s’il eût été devant son juge, et Seigneur Jonas, s’écria-t-il, vous ôtes dans cet homme armé; pourquoi m’effrayez-vous? — Je suis Jonas lui-même, et je viens t’empêcher de faire du mal à mon peuple, n lui répon¬ dit-il. Cette vision fut si efficace, que non seulement ce Musulman ne lit plus de mal aux Juifs, mais qu’il devint leur plus grand ami, ainsi qu’il est écrit2. De ces divers témoignages, le plus digne d’être pris en sérieuse considération est, sans contredit, celui de saint Jérôme, et comme il s’accorde parfaitement avec la tradition actuelle, je crois qu’on ne peut mieux faire que de l’adopter. 1 Cannoly, Itinéraires de la l'erre Sainte, p. ail. — ' Carmoly, Itinéraires de lu Terre Sainte, p. 2 56 et 207. 1 68 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Ei-Mechhed, à la vérité, est à 3 milles et non à 2 milles seule¬ ment de Safourieh, Cantique Sepplioris. Mais cette différence de î mille ne doit point inspirer de doutes légitimes sur l'identifica¬ tion de El-Mecldied avec Gath ha-Hepher. Car aucune autre lo¬ calité sur la route de Sepplioris à Tibériade ne répond mieux au r renseignement fourni ici par ce Père de l’Eglise, relativement à la patrie et au tombeau de Jouas. 11 est question de Gath ba-Hepber dans le IVe livre des Rois, qui mentionne cette ville comme le lieu de la naissance de ce pro¬ phète : Ipse (Jéroboam) resliüiit lerminos Israël ab introilu Emath, risque ad mare solitudinis, juxta sermonem Domini Dei Israël, quem locutus est per servum suum Jonam, filium Amatbi, prophetam, quierat de Geth, quæ est in Opher L Eusèbe, dans X Onomasticon , la signale sous le nom de TzQBzQcl: YeOQs,(pà, xlïfpou Zio.Çov'Xojv, passage que saint Jérôme traduit ainsi : Gelbepber, in tribu Zabulon. KF.FR KEN N A (cANA). à six heures quarante minutes, je descends de la colline de El- Mecldied dans la direction du nord-est. A six heures cinquante-quatre minutes, je parviens à Kefr Kenna. Ce village renferme 3oo Grecs schismatiques et autant de Musul¬ mans. Il n’occupe qu’une faible partie de remplacement que cou¬ vrait la bourgade antique à laquelle il a succédé. Celle-ci s’étendait sur les pentes et sur le sommet d’une colline dont les terrasses successives, qui descendent jusqu’au village actuel, sont depuis longtemps bouleversées par la charrue et livrées à la culture. On y remarque de nombreuses citernes et des caveaux pratiqués dans le roc. Sur la plate-forme supérieure de la colline, les arasements 1 liais , J. IV, c. xiv, v. 25. CHAPITRE XII. — K EF R KENNA. 169 d’une construction rectangulaire sont probablement ceux d’une ancienne tour de défense. Près delà est un tombeau creusé dans le roc en forme d’auge; plus bas un autre tombeau, également taillé dans le roc, renferme cinq fours à cercueil. Plus bas encore, au pied de la colline, les ruines d’une ancienne mosquée attirent l’attention. Cet édifice, avant d’être consacré au culte musulman, avait été d’abord une église, érigée, dit-on, sur l’emplacement de la maison où Notre-Seigneur avait accompli son premier miracle en Galilée. Il y a quelques années les Pères Franciscains de Naza¬ reth, ayant obtenu la permission de relever ce sanctuaire, décou¬ vrirent, en déblayant le sol, plusieurs magnifiques blocs et cinq ou six fûts monolithes de colonnes. Mais les Musulmans de l’endroit les empêchèrent de poursuivre leurs travaux, et enlevèrent même la plupart des pierres de taille et des colonnes qu’ils avaient ainsi exhumées du milieu des décombres sous lesquels elles étaient ensevelies. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un amas confus de débris, mais dignes de nos respects et de notre vénération, à cause des souvenirs que la tradition y rattache. Tous les Chrétiens de Pales¬ tine, en elfet, tant catholiques que schismatiques, s’accordent maintenant à reconnaître en ce lieu celui où Jésus-Christ convertit l’eau en vin, aux noces de Cana, et tous les pèlerins y récitent, en commémoration de ce prodige, les versets suivants : 1. Trois jours après, il se fit des noces à Cana en Galilée, et la mère de Jésus y était. 2. Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. 3. Et le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit : Us n’ont point de vin. h. Jésus lui répondit: Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi? Mon heure n’est [tas encore venue. 5. Sa mère dit à ceux qui servaient: Faites tout ce qu*i 1 vous dira. G. Or il y avait là six grandes urnes de pierre pour servir aux purifications qui étaient en usage parmi les Juifs, dont chacune contenait deux ou trois mesures. 7. Jésus leur dit : Emplissez les urnes d’eau, et ils les emplirent jusqu’au haut. 170 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 8. Alors il leur dit: Puisez maintenant, et portez-en au maifre d’hôtel, et ils lui en portèrent. 9. Le maître d’hôtel, ayant goûte' de cette eau qui avait été changée en vin et ne sachant d’où venait ce vin. quoique les serviteurs qui avaient puisé l’eau le sussent bien, appela l’époux, 10. Et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin, et après qu’011 a beau¬ coup bu il en sert de moindre; mais vous, vous avez gardé jusqu’à cette heure le bon vin. 11. Ce fut là le premier des miracles de Jésus, qui fut fait à Cana en Galilée, et c’est ainsi qu’il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. 1 2. Après cela il descendit à Capharnaüm L Avant de venir à Cana en Galilée, doù il descendit ensuite à Capharnaüm, comme nous l’apprend ce dernier verset, Notre-Sei- gneur se trouvait à Béthanie au delà du Jourdain, ainsi que cela résulte d’un autre passage du même évangéliste : Ceci se passa à Béthanie, au delà du Jourdain, où Jean baptisait 2. Cette Béthanie est désignée, dans quelques manuscrits grecs, sous le nom de j3i/0aéapà, mot qui dérive de l’hébreu rnay rra, Belh A’barali, cr maison du passage, du gué-n. 11 en est question dans YOnomasticon d’Eusèbe : lànOaGapà , ou ov y)v I codvvrjs fian'l l%ojv, Tsépav tou lopàavov. J’ai déjà dit, dans mon ouvrage sur la Samarie3, que ce gué de Beth A’barah était probablement le plus rapproché de Jérusalem, et par conséquent devait être identifié avec celui qui avoisine Jéricho. Car cela semble ressortir des versets suivants de l’Evan¬ gile de saint Matthieu ; 1 . En ce temps-là, Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée, 2. En disant: Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. 5. Alors la ville de Jérusalem, toute la Judée et tout le pays des environs du Jourdain venaient à lui; G. Et, confessant leurs péchés, ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain. 1 Saint Jean, c. 11, v. 1-12. — J Saint Jean, c. 1, v. 28. — 1 Description géogra¬ phique, historique et archéologique de la Palestine, IIe partie, t. I, p. 10G-108. CHAPITRE XII. KEFR KENNA. 171 i3. Alors Jésus vint de la Galilée au Jourdain trouver Jean, pour être baptisé par lui G D’après ces versets, il est naturel de supposer que saint Jean- Baptiste, du désert de Judée, où il prêchait la pénitence, alla ensuite baptiser sur les rives du Jourdain les plus voisines de ce désert et en même temps de Jérusalem, puisque les habitants de cette ville et de toute la Judée accouraient auprès de lui pour recevoir le baptême. D’un autre côté, nous savons par l’Evangile de saint Jean que les noces de Cana eurent lieu cinq jours après que Notre-Seigneur eût été baptisé par son précurseur, sur les bords du Jourdain, à Betli A’barah. Le lendemain de son baptême, en effet, Jésus resta en ce même endroit, et là, vers la dixième heure du jour, il vit arriver deux des disciples de Jean qui s’attachèrent à lui. André, qui était l’un de ces disciples, lui amena également son frère Simon- Pierre. Le lendemain de ce jour, par conséquent le surlendemain de son baptême, Jésus, dit l’évangéliste, voulant s’en retourner en Galilée, trouva Philippe et lui dit: Suivez-moi. Celui-ci alla aussitôt chercher Nathanaël, que l’on croit être le même que Barthélemy, et qui s’adjoignit pareillement à Jésus. Ce jour-là même Notre-Seigneur dut se mettre en route pour la Galilée, avec ses cinq disciples. L’évan¬ géliste ne le dit pas formellement, mais cela ressort naturellement des mots qui précèdent : In crastinum voluit exire in Galilæam -. Puis l’évangéliste , au commencement du chapitre suivant, pour¬ suit ainsi : El die terlia nupliæ l'actæ sunt in Cana Galilææ; et erSt mater Jesu ibi. Ces noces eurent donc lieu à Cana, trois jours après celui où Notre-Seigneur avait dit à Philippe : Suivez-moi, au moment où il Saint Matthieu, c. uï, v. 1, 2 , 5 , 6 et 1 3. — 1 Saint Jean , c. 1, v. h 3. I 172 DESCRIPTION DE LA GALILEE. allait se mettre en route pour la Galilée. Le repas nuptial se célé¬ bra sans doute vers le soir, et Jésus y fut convié en arrivant, avec ses disciples. Il avait donc fait quatre étapes seulement pour se rendre de l’endroit où il avait été baptisé, sur les bords du Jour¬ dain, à Cana en Galilée. Or on compte 75 milles romains au moins, par la voie la plus courte et la plus directe, entre le gué de Jéricho ou Beth-A’barah et Kefr Kenna, et 82 milles le séparent de r Kana el— Djelil , où d’autres critiques placent la Cana de l’Evangile. 75 milles romains représentent environ vingt- cinq heures de marche, un peu plus de six heures par jour par conséquent, si l’on accomplit cette marche en quatre étapes. Un pareil voyage exécuté à pied dans ce laps de temps, sans aucune journée de repos dans l’intervalle, est assez pénible. Toutefois, pour des hommes habitués à la marche et à la fatigue, comme devaient l’être les disciples du Sauveur, la chose est très possible. Dans tous les cas, la distance est encore plus grande entre ce même gué et Kana el— Djelil , et cette seule considération doit incliner à penser que c’est plutôt à Kefr Kenna qu’il faut nous arrêter pour fixer la Cana évangélique. Quoi qu’il en soit, à une trentaine de pas à l’ouest de la mos¬ quée démolie, jadis église, dont je viens de parler, se trouvent les ruines d’un autre édifice, qui passe également pour avoir été une ancienne chapelle, convertie plus tard en mosquée. O11 l’appelle Beit Sema cm, cr maison de Simon n. Tourné de l’ouest à l’est, il mesure 16 pas de long sur 1 h de large. Bâti généralement avec des pierres de moyenne dimension et assez régulières , il a été remanié ultérieurement. Aujourd’hui, il est à moitié renversé. O11 croit qu’il a été construit sur l’emplacement de la maison de Simon le Cananéen, l’un des douze apôtres. Au dire de Nicéphore Callistc, c’était le personnage dont on célébrait les noces, le jour où Notre- Seigneur changea l’eau en vin : Hélène, rapporte cet historien, éleva une église à Cana de Galilée, où se célébrèrent les noces de Simon le Cananéen l. 1 Histoire ecclésiastique , 1. Vil 1 , c. x\x. CHAPITRE XII. KEFR K EN N A. 173 A nue faible distance de là est une petite église, appartenant aux Grecs schismatiques et leur servant de paroisse. Tournée de l’ouest à l’est, elle est certainement postérieure à l’époque des Croisades, et les Grecs eux-mêmes avouent quelle n’est pas située sur l’an¬ cienne salle du festin, qu’ils placent, comme les Latins, à l’endroit où l’on voit actuellement les ruines de la première mosquée dont j’ai fait mention. Mais, d’un autre côté, ils montrent dans leur église deux grandes hydries de pierre encastrées grossièrement dans delà maçonnerie, qu’ils affirment être deux des six vases dans lesquels l’eau fut changée en vin. Ces hydries sont-elles les lapideœ hydriæ du miracle? Il serait peut-être téméraire, mais non ridicule, de le prétendre; car M. de Saulcy, qui les a examinées avec soin, pense qu’elles sont à tout le moins contemporaines de l’époque de Notre-Seigneur. A 5oo pas au sud du village actuel de Kefr Kenna coule une source abondante, dont l’eau, amenée de plus loin au moyen d’un petit canal, est recueillie dans un réservoir, près duquel je remarque la cuve d’un antique sarcophage, servant d’auge, et qui est ornée extérieurement de guirlandes et de disques. Cette source, en même temps qu’elle sert aux besoins des habitants du village, arrose en outre des jardins plantés principalement de grenadiers. Indépendamment du premier miracle opéré par Notre-Seigneur à Cana, lorsqu’il convertit l’eau en vin, un second est raconté dans les termes suivants par le même évangéliste saint Jean : i A 6. Jésus vint donc de nouveau à Cana en Galilée, où il avait changé l’eau (Mi vin. Or il y avait un officier dont le fils était malade à Capharnaüm. A 7 . Lequel, ayant appris que Jésus venait de Judée en Galilée, alla le trouver et le pria de bien vouloir descendre pour guérir son fils, qui était sur le point de mourir. A 8. Jésus lui dit : Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne ‘ croyez pas. Aq. Cet officier lui répondit : Seigneur, descendez, avant que mon fils meure. 5o. Jésus lui dit : Allez, votre (ils se porte bien. Il crut à la parole que le Seigneur lui avait dite et s’en alla. i A 1 là DESCRIPTION DE LA GALILEE. 5i. Et comme il était en chemin, ses serviteurs vinrent au-devant de lui et lui dirent : Votre fils se porte bien. 5a. Et s’élant enquis de l’heure à laquelle il s’était trouvé mieux, ils lui répondirent : Hier, environ à la septième heure du jour, la fièvre le quitta. 53. Son père reconnut que c’était à cette heure-là que Jésus lui avait dit : Votre fils se porte bien; et il crut, lui et toute sa famille L Nathanaël, qui fut amené à Jésus par Philippe sur les bords du Jourdain, était de Cana en Galilée, comme le prouve le passage que voici : 1. Jésus se manifesta encore depuis à ses disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et il leur apparut de cette sorte : 2. Simon-Pierre et Thomas appelé Didyme, Nathanaël, qui était de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples, étaient réunis ensemble 2. A vingt minutes à Touest-sud-ouest de Kefr Kenna, au delà de jardins plantés de grenadiers, s’élève une colline ronde et à plu¬ sieurs étages, que soutiennent sur différents points d’anciens murs. Sur le sommet je remarque les vestiges d’une enceinte bâtie avec de gros blocs irréguliers, et qui renferme intérieurement quelques débris de constructions renversées, et eà et là des citernes, dont les orifices, béants et agrandis, sont actuellement obstrués par des figuiers, qui ont pris racine dans leurs flancs à moitié comblés. Des vignes et des grenadiers croissent alentour. Ces ruines por¬ tent le nom de Kharbet Kenna. Je vais visiter ensuite, en revenant vers Kefr Kenna, une autre colline, située à quinze minutes à l’ouest de ce village. Elle est également à plusieurs étages et parsemée aujourd’hui d’oliviers. Les constructions qui en couvraient jadis le sommet sont, les unes effacées du sol, les autres enfouies. Quelques citernes seulement sont encore visibles, et un certain nombre de gros blocs gisent çà et là. On donne à ces ruines le nom de Kharbet Oeir er-Ras. Avant de quitter Kelr Kenna, il me paraît indispensable de 1 Sciinl Jean , c. iv, v. 46-53. — * Saint Jean, c. xxi, v. î **t a. CHAPITRE XII. — KEFR KENNA. 175 traiter un peu plus à fond la question de savoir si ce village est la Cana de l’Evangile, ou s’il faut chercher et reconnaître ailleurs cette localité. Robinson s’efforce de prouver que Kana el-Djelil, et à cause de son nom (Cana de Galilée), et par suite des témoignages des plus anciens pèlerins, est la véritable Cana, et doit revendiquer l’honneur d’avoir été témoin du premier miracle de Notre-Seigneur, honneur que, selon lui, Kefr Kenna aurait injustement usurpé depuis le xvic siècle l. M. de Saulcy, de son côté, a soutenu avec force la légitimité de la tradition actuelle 2. Qu’il me soit permis, à mon tour, de citer et de discuter quel¬ ques textes pour et contre cette tradition. Dans T Onomasticon, au mot Ram, Eusèbe s’exprime ainsi : Karà, sas Trjs 'Stiïwvos 'tris [xsyaXtjs, xkrjpov Aarfp' èv toIvtyi b Kvpios rjpiœv xai 0eo? Irierous Xpielos t b vScop sis oïvov (pvaiv pLSTsëaXev’ èvieüOev $è riv xcà oiktix (puyaSevTrjpiov êv t fi T aXiXou'a. Saint Jérôme traduit comme il suit ce passage : Cana, usque ad Sidonem majorem; est quippe et altéra minor, ad cujus distinctionem major hæc dicitur. Fuit autem Cana in Iribu Aser, ubi Dominus noster atque Salvalor aquam convertit in vinum. Uude Nathanaël verus Israe- I i ta Salvatoris nostri testimonio comprobatur; et est bodie oppidulum in Gai i- læa gentium. Cette Cana est mentionnée, dans le livre de Josué, comme appar¬ tenant effectivement à la tribu d’Aser : Et Abran, et Roliob, et Hamon, et Cana, usque ad Sidonem magnam 3. J’en parlerai plus tard, quand je décrirai le village de Cana situé à deux heures de marche à l’est-sud-est de^Tyr, et qui se trouve bien réellement dans l’ancien territoire de la tribu d’Aser. r Quant à la Cana de l’Evangile, elle devait être beaucoup plus rapprochée de Nazareth et de Capharnaüm, et devait appartenir 1 Robinson, Biblical Researches in Palestine , t. II, p. 34 7— 9. — Voyage autour de la mer Morte, l. Il, p. 44q-454. — 1 Josué, c. xix, v. nH. 170 DESCRIPTION DE LA GALILEE. à la tribu de Zabulon. Aussi je m’étonne qu’Eusèbe et après lui saint Jérôme aient pu commettre une pareille méprise. En elïet, j’ai déjà dit plus liant, eu me basant sur des textes de l’Evangile, ([Lie Notre-Seigneur avec ses disciples avait mis seulement quatre jours de marche, en y comprenant celui de son arrivée à Cana, pour se rendre, de l'endroit où il avait été baptisé par saint Jean- Baptiste sur les bords du Jourdain, à la bourgade où il convertit l’eau en vin. Or du gué de Jéricho ou de Betb A’barah, lieu de ce baptême, à la Cana de la tribu d’Aser qu’Eusèbe et saint Jérôme identifient avec la Cana évangélique, il y a six fortes étapes, d’au moins sept heures de marche chacune en moyenne, ce qui dé¬ montre péremptoirement que cette identification est fausse. Nous n’avons donc plus à choisir, pour y placer la Cana de l’Evangile, qu’entre Kana el-Djelil et Kefr Kenna; mais avant de faire défini¬ tivement ce choix, interrogeons les plus anciens pèlerins relative¬ ment à cette localité célèbre. Vers la fin du vic siècle, Antonin de Plaisance s’exprime ainsi à ce sujet : De Tholomaida maritima venimus in fines Galilææ, in eivitatem qnæ vocal ur Neocæsarea. . . Deinde millia tria venimus in Cana, ubi Dominus fuit ad nup- lias; et accubuimus in ipso accubitu, ubi ego indigo us parentum meorum nomina scripsi. Ex quibus bydriæ duæ ibi sunt. Implevi aqua unam, et pro- tuli ex ea vinum, et in bumero plenam levavi et obtidi ad allare, et ipso in fonte Iavavimus pro benedictione L Nous voyons par ce passage qu’ Antonin de Plaisance se rendit de Ptolémaïs à Sepphoris ou Diocésarée, qui est ici appelée par erreur Néocésarée. De là, au bout de trois milles, il parvint à Cana où Notre-Seigneur assista aux noces. Il s’assit et écrivit les noms de ses parents à l’endroit où le Sauveur s’était assis lui-même, dans la salle du festin, transformée en chapelle. Là se trouvaient encore deux hydries. Il en remplit une d’eau, et l’eau s’étant, dit-il, mira¬ culeusement changée en vin, il la leva pleine sur son épaule et l’offrit devant l’autel, puis il alla se plonger dévotement dans la fontaine. 1 Antomni Plncentini Itinerarium , Bollandi Acta sanctovum Mali, l. Il, p. 10. CHAPITRE XI f. KEFR KEN NA. 177 A part le miracle raconté dans ce passage, et qu’il est permis de révoquer en doute, les autres assertions qui y sont consignées doi¬ vent être prises par nous en sérieuse considération. Ces assertions sont les suivantes : i° Cana est à 3 milles de Sepphoris. 2° Deux hydries s’y trouvaient encore, à la fin du vic siècle, dans la salle du festin, devenue chapelle, puiqu’un autel y avait été érigé. 3° Une fontaine coule à Cana. Or ces trois circonstances conviennent parfaitement à Kelr Kenna et nullement à Kana el-Djelil. i° Kefr Kenna est à 3 milles et demi de Saffourieh, l’antique Sepphoris ou Diocésarée; Kana el-Djelil en est à 5 milles et demi. 2° On montre encore à Kefr Kenna deux hydries en pierre et les restes dune église transformée plus tard en mosquée, et que les schismatiques comme les catholiques considèrent comme ayant été bâtie sur l’emplacement du miracle. A Kana el-Djelil on ne découvre rien de semblable au milieu des ruines de cette localité. 3° A Kefr Kenna coule une source très abondante formant ruis¬ seau, et dans le bassin de laquelle on peut très bien se baigner, in fonte lavavimus. A Kana el-Djelil, il n’v a jamais eu de fontaine, mais seulement des citernes. Saint Willibald, au vme siècle, vit à Cana une grande église et près de l’autel l’une des hydries où l’eau lut convertie en vin : Et ibi Domino se commendantes ambulaverunt inde (a Nazareth), et venie- bant in illam Chanam, ubi Dominus aquas in vinum convertit. Illic est ecclesia magna, et in ilia ecclesia stat juxta altare una de sex hydriis quas Dominus jusserat implere aqua et in vinum versæ sunt. Unurn diem fuerunt illic. Et inde pergenles venerunt ad montera Thabor h * Ce passage, à la vérité, n’indique ni la distance, ni la position de Cana par rapport à Nazareth. Nous apprenons seulement qu’après avoir visité cette dernière ville, saint Willibald se rendit â Cana et 1 llodœporicutn , e. \m i. 178 DESCRIPTION DE LA GALILEE. de là au mont Thabor. Néanmoins comme Kef r Kenna est beau¬ coup plus rapproché du Thabor que Kami el-Djelil, son itinéraire s’explique beaucoup mieux, en admettant qu’il partit du premier plutôt que du second point pour gagner la montagne de la Trans¬ figuration. Vers 1 1 o3, Sæwulf rapporte que Cana de Galilée est à environ 6 milles de Nazareth, vers le nord, sur une montagne : A Nazareth clistat Chana Galilææ, ubi Dominas aquam in vinum convertit in nuptiis, quasi sex milliards ad aquiionem, in monte sita; ibi nicliil est re- missum prêter monasterium quod dicitur Arcbitriclinii l. Sæwulf indique-t-d ici Kana el-Djelil ou Kcfr Kenna comme emplacement de Cana de Galilée? Kana el-Djelil est à q milles au nord de Nazareth. Kefr Kenna, d’un autre côté, n’est qu’à 3 milles et demi au nord-est de cette ville. 11 est donc difficile d’affirmer d’après ce passage laquelle de ces deux localités Sæwulf avait réel¬ lement en vue en parlant de Cana en Galilée. Phocas, vers la fin du même siècle, dit qu’en partant de Ptolé¬ maïs on rencontre d’abord Sepphoris, puis Cana, enfin Nazareth : Prima ilaque post Ptolemaidem urbs Galilææ Semphori est, prorsus inculta atque inliabi tabilis , uullumque 1ère pristinæ bealita lis præ se fert vestigium. Eam excipit Cana, caslellum parvum (ut mine videnti objicitur); ibi aquam Salvator in vinum convertit. Tune inter varios colles media urbs Nazareth locum liabet On est légitimement autorisé à induire de ce passage que le moine Phocas identifie Cana avec Kefr Kenna, et non avec Kana el-Djelil, qui, étant à 5 milles et demi au nord de Sepphoris, n’est nullement sur la route de celte ville à Nazareth, tandis que Kefr Kenna, sans être non plus, à la vérité, sur cette route directe, en détourne toutefois beaucoup moins que Kana el-Djelil. Jean, prêtre de Würzbourg, qui accomplit un pèlerinage en 1 Mémoires de la Société de géographie urbium ab urbe Antiocliia xtst/ue Uieroso- de Parts , t. IV, p. 85i. Itjmam, Bollandi Acta sanctorum, t. Il, 2 Compencliaria descriptio castrorum et § 10. CHAPITRE XII. — KEFR K EN N A. 179 Palestine entre les années 1160 et 1170, désigne évidemment Kefr Kenna comme étant le site de Gana de Galilée, témoin l’as¬ sertion suivante de ce pèlerin : Quarto milliario a Nazareth, secundo a Sepphori, Cana Galilææ ad orien¬ tera, a qua Philippus et Nathanaël, in qua puer Jésus cura maire sua discuin- bens in nuptiis aquara convertit in vinura En réalité, Kefr Kenna est à 3 milles et demi et non à h milles au nord-est de Nazareth, et à la même distance et non à 2 milles seulement à l’est de Sepphoris; mais néanmoins la position de ce village répond bien mieux aux indications de ce pèlerin que celle de Kana el-Djelil, qui est à 9 milles de Nazareth au nord, et à 5 milles et demi de Sepphoris au nord-nord-est. Dans une description anonyme des Lieux saints composée en français en 1 187, l’année même de la prise de Jérusalem par Sa- ladin, nous lisons ce qui suit relativement à Cana : De Nazareth à Cane Galylée a in iieues. A Cane Galylée furent faites les noces de Archedeclin (corruption du mot de l’Evangile architriclinus , le major¬ dome de l’époux), et à celes noces fîst Dex de l’eue vin; encore y pert le lieu où les noces furent faites. De Cane Galilée a bien un trait d’arc jusques au puis où l’eue fu prise qui fu portée al noces Archedeclin 2. La distance de 3 lieues signalée dans ce passage comme sépa¬ rant Nazareth de Cana de Galilée nous reporte à Kana el-Djelil, situé effectivement à 3 heures de marche de Nazareth. Vers 19,83, le moine Burchard du Mont-Sion affirme que Cana était à h lieues au sud-est de Ptolémaïs, et voici les détails qu’il nous donne sur cette bourgade ; Primo posl Accon procedendo contra euroaustrum ad quatuor leucas do Accon est Ghana Galilée, ubi Dominus convertit aquam in vinum. Et osten- dilur ibidem hodic locus ubi stetorunt sex yd rie et triclinium in quo erant mense. Sunt aulein bec loca, sicul omnia alia fere in quibus Dominus est aliquid operatus, sub terra, et descendilur ad ea in cryplam per plu res ' Tobler, Descripliones Terra; Sanctœ , p. Terre Sainte, Appendice, p. /iCj. 12. — J De Vogué, Les Eglises de la I :J . 180 DESCRIPTION DE LA GALILEE [ira dus, sicul est locus Annunliationis et Nali vitatis , et ista Ghana Galilee et plura alia, quæ ostenduntur sub terra. Cujus rci aliam non invenio rationeni, nisi quod per frequentes destructiones ecclesiarum, in quibus erant loca ipsa, ruine sunt super terram exaltate, et sic qualilercunque eis complanatis alia edificia dcsuper sunt construcla. Christiani vero devotionem habentes visi— tandi loca ista et volenles ad vera loca, ubi res est gesla, pervenire, oportuit, ut loca eruderarent ad gradus faciendos, ut sic ad ea pervenirent. . . . Chana Galilee ab aquilone montem habet altum et rotundum. Et est in declivi latere ejus sita. Sub se vero contra austrum habet campum et planiciem valde pulchrani, quain Josephus appellat Carmelion, usque in Sepboram, fertilem niinis et amenam valde. De Cana Galilee duabus leucis contra meridiem fere, in via quæ de Sephora Tiberiadem ducil, est villa quædam, Ruma nominc, in qua Jouas propheta dicitur sepultus fuisse. Villa ista est sub monte sita, qui de Nazareth veniens includit predictam vallem Carmelion a parle australi. Dans ce passage, Burchard reconnaît Cana dans Kana el-Djelil, et non dans Kefr Kenna. En effet : i° Cana, dit-il, est à h lieues au sud-est d’Accon ou Saint- Jean-d’Acre. Kana el-Djelil est, à la vérité, à 5 heures et demie de marche et, par conséquent, à 5 lieues et demie de Saint-Jean- d’Acre, mais Kefr Kenna en est encore plus éloigné. 2° Kana el-Djelil est situé sur les flancs méridionaux d’une haute colline de forme ronde. 3° Au sud de cette colline s’étend la belle plaine d’El-Bathouf, qui est évidemment celle à laquelle il est fait allusion dans Bur¬ chard. A° Enfin, à deux lieues au sud de Cana se trouve, ajoute-t-il, un village appelé Ruma, sur la route qui de Sepphoris conduit à Tibériade, et où l’on prétend que le prophète Jouas est enterré : autre particularité qui convient encore beaucoup mieux à Kana el-Djelil qu’à Kefr Kenna. Vers le commencement du xivc siècle, Ricold du Mont de la Croix, de l’ordre des Frères Prêcheurs, visita Cana de Galilée. Il en parle comme il suit : Vcni igitur in Accon, et inde itinere diei unius viginti milliaria cum CHAPITRE XII. — KEFR KENNA. 181 niullis CIi ristianis veni in Galilcam. Et primo pervenimus ad Chanam Galilee, ubi Chrislus fecit inicium signorum, aquam convertendo in vinum. Est autem Ghana Galilee quarto vel quinto miliario a Nazareth. Ibi extra ca- sale invenimus puteum, unde ministri hauserunt aquam implenles hydrias. Ibi invenimus locum nupciarum et loca et formulas hydriarum. Ibi cantavi- mus et predicavimus evangelium nupciarum1. Avec quelle localité Ricolcl identifie-t-il , dans ce passage, la Cana de Galilée? Avec KefrKenna très probablement, pour ne pas dire certainement; car il place Cana à 4 ou 5 milles de Nazareth. Kefr Kenna est à 3 milles et demi de cette ville, tandis que Kana cl-Djelil en est à 9 milles. Quelques années plus tard , Odoric de Fréjus, de l’ordre des Frères Mineurs, s’exprime ainsi au sujet de Cana de Galilée : vi miliario a Nazareth, 11 11 miliario a Sepphori, versus orientem, est Cana, Galilee villa, a qua Simon Cananæus et Philippus et Nathanaël fuerunt nati, in qua Jhesus cum matre sua discumbens in nupciis aquam mutavit in vinum 2. Odoric, comme on le voit, identifie de la manière la plus nette Cana avec Kefr Kenna; car il la place 4 milles à l’est de Sepphoris. Il se trompe seulement en disant quelle est à 6 milles de Nazareth, attendu qu’elle n’en est qu’à 3 milles et demi. A peu près à la même époque, Marinus Sanutus émet une opinion différente et conforme à celle de B u rebar d, dont il re¬ produit presque mot cà mot le passage relatif à Cana : De Sephoro ad duas leucas et dimidiam est Cana Galileæ, de qua luerunt Symon Chananæus et Nathanaël. Ibi ostenditur locus ubi steterunt sex liydriæ, in quibus converlit Christus aquam in vinum, et triclinium in quo erant mensæ. Sunt autem loca hæc, sicut et alia in yuibus Christus operatusest, sub terra, et descendunt ad ea per plures gradus in criptam.. . Adjacet autem civitati ab aquilone nions altus et rotundus, in cujus declivi latere est ; sub se vero contra austrum habet planitiem pulcbram usque in Sephorum, fertilem et amœnam. Localis tamen ordo esset ire dePtoIomayda, 1 Ricoldus de Monte Crucis, Itinerarium, c. 1. — 2 Odoricus de Foro Julii, De Terra Sancla, c. iv. 182 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. per quoique leucas, versus orientem ad Ghana Galileæ, el inde versus me- ridiem per Sephorum in Nazareth. En résumé, et pour conclure cette discussion, si nous consultons les plus anciens pèlerins sur le site véritable de l’emplacement de Cnna de Galilée, ils s’accordent presque tous à nous conduire à Kefr Kenna; quelques-uns cependant, comme Burchard, copié textuellement sur ce point par Marinus Sanutus, lions reportent vers Kana el-Djelil. Mais Burchard n’a visité la Palestine qu’à la lin du xme siècle, et son témoignage a moins de poids, à mon sens, que celui d’Antonin de Plaisance, par exemple, qui a accompli le même pèlerinage sept siècles auparavant, à une époque où la tra¬ dition primitive avait dû subir moins d’altérations. D’ailleurs, Kefr Kenna, je l’ai montré, est moins éloigné de Beth A’barah que Kana el-Djelil, et cet argument tiré de la distance me semble avoir une réelle valeur. Enfin, on montre encore aujourd’hui à Kefr Kenna les restes d’un édifice que tous les Chrétiens de la Palestine, aussi bien les schismatiques que les catholiques, vénèrent comme étant ceux d’une ancienne église, érigée sur le lieu et en souvenir du mi¬ racle de Cana. TOL'RA,N. À lient heures quinze minutes, je me remets en marche dans la direction de l’est-nord-est. A dix heures, je laisse à ma gauche le village de Tourahi, que j’avais examiné en 1 870. Des jardins le précèdent et l’environnent. Des aires, probablement fort anciennes, y sont attenantes. Il ren¬ ferme 35 0 Musulmans et a 00 Grecs unis. De nombreuses citernes pratiquées dans le roc datent, selon toute apparence, de l’anti¬ quité. Pue source coule à quelque distance du village. Le sommet de la montagne qui le domine s’appelle Ras el-Tineh, parce qu’au- trelois il était occupé par un jardin planté de figuiers. Schwarz1 reconnaît dans le village de Toura’n l’ancienne ville Schwarz, l)na lieilifje Land, p. 1 08. CHAPITRE XII. — SALUERA. 183 de Bell j CheaT'im, qui fut le siège du sanhédrin après Chefaram; car, (lit-il, le mot araméen Nirn rend le mot hébreu n yp. M. Neu- bauer combat et réfute cette identification1, en se fondant sur ce fait qu’au ivc siècle de fère chrétienne la ville de Beth CheaT’im portait toujours son 110m hébreu; or, à cette époque, l’araméen avait presque complètement disparu de la Palestine avec les Juifs. Comment la transformation du nom se serait-elle opérée? KIIARBET MESR AN A . A dix heures quarante-cinq minutes, après avoir traversé une belle et fertile vallée, appelée Sahel TouraTi, j’arrive à des ruines désignées sous le nom de Kharbet Meskana. Ce sont celles d’un ancien village, renversé sur une colline et le long de ses pentes. De nombreuses citernes creusées dans le roc sont visibles çà et là. De tous côtés aussi on observe les arasements d’habitations écroulées. A une faible distance de là se trouvent quelques tombeaux affectant la forme d’auges et excavés à fleur du sol. Un peu plus loin est un grand bassin entouré de grosses pierres basaltiques, juxtaposées sans ciment et sans ordre. SA DJ ER A. A 2 kilomètres et demi au sud de ces ruines est un village que je me contente de noter à distance, l’ayant déjà visité en 1870. Il se nomme Sadjera, d’autres prononcent Chadjera. Des jardins bordés de cactus et plantés de grenadiers, de figuiers et d’oliviers, l’entourent. On y remarque les débris d’un édifice rectangulaire, bâti en pierres de taille et tourné de l’ouest à l’est. Sa longueur est de 10 mètres, et sa largeur de G. Six colonnes monolithes en déco¬ raient lintérieur, qu’elles partageaient en deux nefs. Quelques cha¬ piteaux gisent à terre et paraissent de style byzantin. Cette église a 1 Neubauer, Lu Géographie du Tuhnud, [>. nuu. 18/i DESCRIPTION DE LA GaUlEE. été ejisu î Le transformée en mosquée, car les traces d’un mihrab sont reconnaissables vers le sud. Sur une belle dalle étendue sur le sol on lit les caractères grecs suivants, qui ont près de 12 centimè¬ tres de hauteur : AOKI , et sur une seconde dalle les lettres super¬ posées ■p. M. de Saulcy, qui depuis longtemps avait vu avant moi ces fragments d’inscription, avait remarqué que les délia ont le trait incliné de droite en saillie à gauche sur l’angle supérieur de la lettre, ce qui , dit-il1, leur assigne une antiquité peu reculée et ne les fait pas remonter au delà de l’époque byzantine. Près de cet édifice est un grand puits construit avec des pierres régulières de moyenne dimension, et dans lequel on descend par un escalier d’une vingtaine de marches. L’eau en est bonne et abondante. LOUBIEH. A onze heures, quittant les ruines de Meskana, je poursuis ma route vers l’est. A onze heures vingt minutes, je commence à gravir les flancs d’une colline dont les pentes rocheuses sont percées çà et là de citernes, de tombeaux et de cavernes, et ont été, en outre, jadis exploitées comme carrière. Le plateau supérieur en est couronné parle village de Loubieh, qui compte 700 habitants. Mentionné par Bohaeddin2, à l’occasion de la fameuse bataille de Hattin, il a suc¬ cédé à une ancienne bourgade, dont le nom nous est inconnu. Une maison bâtie avec des pierres de taille de moyenne dimension, et tournée d’ailleurs de l’ouest à l’est, me fait l’effet d’occuper l’em¬ placement et d’avoir été construite avec les matériaux d’une église chrétienne. KHARBET ED-DEIR. En descendant de Loubieh à l’ouest, je vais examiner, sur une hauteur voisine, quelques ruines indistinctes auxquelles mon guide donne le nom de Kbarbet ed-Deir. ' Voyage en Syrie et autour de la mer Morte, t. II, p. 4 5 7 . — 2 Bohaeddin, Vie de Saladin, p. 68. CHAPITRE XII. — H A D J A R EN- N AS ARA H. 1 85 KllAN LOUBIEH. A midi, je prends la direction du nord-est. A midi quarante-cinq minutes, j’arrive au Khan Loubieli. Saut les arasements du mur d’enceinte, ce khan arabe est entièrement détruit; il mesurait 62 pas de long sur 4o de large. A côté, une autre construction attenante est elle-même renversée; près de là aussi est une vaste citerne dont les voûtes sont écroulées. HADJAR EN-NASARAII (MULTIPLICATION DES SEPT PAINs)i A une faible distance de là, vers le nord-est, j’observe sur un monticule quelques blocs basaltiques qui font saillie au-dessus du sol. O11 me les désigne sous le nom de Hadjar en-Nasar ah, cr pierres des Chrétiens»; d’autres les appellent, mais par erreur, Khamsa Khoubsat, cr les cinq pains»; ils devraient les appeler plutôt Seba Khoubsat, cc les sept pains », car c’est là que, d’après une très ancienne tradition, eut lieu le miracle de la multiplication des sept pains, racontée dans l’évangile suivant : 21. Et Jésus, élant parti de là, se retira du côté de Tyr et de Sidon... 29. Puis, quittant cette contrée, il vint le long de la mer de Galilée, et montant sur une montagne, il s’y assit. 30. Alors une grande foule s’approcha de lui, ayant avec elle des muets, des aveugles, des boiteux, des infirmes et beaucoup d’autres, et on les mit aux pieds de Jésus, et il les guérit. 31. De sorte que la foule était dans l’admiration, voyant que les muets parlaient, les boiteux marchaient, les aveugles voyaient, et elle glorifiait le Dieu d’Israël. 32. Cependant, Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : J’ai compassion de ce peuple, car il y a trois jours qu’ils sont constamment avec moi, et ils 11’ont pas de quoi manger, et je ne veux pas les renvoyer à jeiîn, de peur qu’ils ne défaillent en chemin. 33. Ses disciples lui répondirent: Comment pourrons-nous trouver dans ce lieu désert assez de pains pour rassasier une si grande multitude? 3A. Et Jésus leur repartit: Combien avez-vous de pains? Sept, lui dirent- ils, et quelques petits poissons. 18G DESCRIPTION DE LA GALILEE. 35. Alors il commanda au peuple de s’asseoir sur la terre. 36. Et, prenant les sept pains et les poissons, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples, et ses disciples les distribuèrent au 37. Et tous mangèrent et furent rassasiés; et l’on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient restés. 38. Or ceux qui mangèrent étaient au nombre de quatre mille boni mes, sans compter les femmes et les petits enfants. 3(j. Jésus, ayant ensuite congédié le peuple, monta dans une barque et vint aux confins de Magedan1. Le même miracle est rapporté par saint Marc; seulement cet évangéliste termine ainsi la narration de ce grand prodige : 9. Or ceux qui mangèrent étaient environ au nombre de quatre mille, et Jésus les renvoya. 10. Aussitôt, étant entré dans une barque avec ses disciples, il vint dans le pays de Dalmanutha2. Ce dernier verset, comparé avec le verset 39 du chapitre xv de saint Matthieu, nous montre que le pays de Dalmanutha et les confins de Magedan doivent être identifiés ensemble. Dans tous les cas, le fait de la multiplication des sept pains paraît s’être accom¬ pli en deçà du Jourdain, non loin des rives occidentales du lac de Tibériade. Car Notre-Seigneur arrivait des confins de Tyr et de r Sidon, et l’Evangile ne nous dit point qu’il eût soit franchi le Jour¬ dain, soit traversé le lac de Tibériade. Nous lisons dans saint Matthieu : Puis, quittant cette contrée (les confins de Tyr et de Sidon), Jésus vint le long de la mer de Galilée, et, montant sur une montagne, il s’y assit3. D’un autre côté, saint Marc s’exprime comme il suit à ce sujet : Jésus, se retirant des confins de Tyr et de Sidon , vint vers la 111er de Galilée, au milieu des limites de la Décapole4. Ce passage, à la vérité, pourrait faire supposer que Notre- 1 Saint Matthieu, c. xv, v. 21, 29-89. — 2 Saint Marc, c. vm, v. 9 et 10. — 3 Saint Matthieu, c. xv, v. 29. — 1 Saint Marc, c. vu, v. 3i. CHAPITRE XII. — HADJAR EN -N AS A R AH. 187 Seigneur avait franchi le Jourdain ; car sur les dix villes qui com¬ posaient la Décapole, neuf étaient situées au delà du Jourdain; mais néanmoins Tune des principales, je veux dire Betli Chean ou Scythopolis, était en deçà de ce fleuve, et, par conséquent, Notre- Seigneur n’avait pas dû nécessairement traverser le Jourdain pour entrer dans les confins de la Décapole. Tout porte, au contraire, à croire qu’il était demeuré sur la rive occidentale de la mer de Galilée, lorsqu’il accomplit la multiplication des sept pains; car, après avoir fait ce miracle, il monta sur une barque et vint, dit saint Matthieu , aux confins de Magèdan, et, selon saint Marc, au pays de Dalmanutha. Or ces deux évangélistes ne se servent pas ici de l’expression sis t 6 'tiépccv rrjs SaXoLCTcryjs en grec, trans fretum maris en latin, rc au delà delà mer», expression qu’ils emploient ail¬ leurs pour indiquer la traversée du lac par le Sauveur ou par ses disciples. 11 est donc très probable qu après avoir nourri miraculeu¬ sement le peuple à l’endroit appelé aujourd’hui Hadjar en-Nasarah ou Khamsa Khoubsat, Notre-Seigneur descendit de la montagne où il était à Tibériade, et que là il monta sur une barque pour côtoyer le rivage jusqu’à Magedan, localité identique avec celle de Dalma¬ nutha, aujourd’hui Mcdjdel. Mais, me dira-t-on peut-être, la dénomination de Khamsa Khoub¬ sat ou des cinq pains, donnée à ce lieu, ne semble-t-elle pas militer en faveur de l’opinion qui place en ce même endroit, non la mul¬ tiplication des sept pains, mais celle des cinq pains? Pour apprécier la valeur de cette objection, interrogeons les évangélistes. Voici d’abord comment saint Matthieu raconte ce der¬ nier miracle : i 3. Jésus, à cette nouvelle, partit de là clans une barque pour se retirer à l’é¬ cart dans un lieu désert, et le peuple qui le sut le suivit à pieclMe diverses villes. îA. Lorsqu’il sortait de la barque, ayant vu une grande multitude, il en eût compassion et il guérit les malades. î 5. Le soir étant venu, ses disciples lui dirent : Ce lieu-ci est désert, et il est déjà bien lard. Renvoyez le peuple, afin qu’ils s’en aillent dans les villages acheter de quoi manger. 188 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 16. Mais J ésus leur dit : 11 n’est [tas nécessaire qu’ils y aillent; donnez-leur vous-mêmes à manger. 17. Ils 1 ui répondirent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. 18. Apportez-les-moi , leur dit-il. 19. Et après avoir commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux au ciel il les bénit, puis, rompant les pains, il les donna à ses disciples, et ses disciples au peuple. 20. Ils en mangèrent tous et furent rassasiés; et l’on emporta douze cor¬ beilles pleines des morceaux qui étaient restés. 21. Or ceux qui mangèrent étaient au nombre de cinq mille hommes sans compter les femmes et les enfants. 22. Aussitôt Jésus obligea ses disciples de monter dans la barque et de passera l’autre bord, pendant qu’il renverrait le peuple. 2 3. Après l’avoir renvoyé, il monta seul sur une montagne pour prier, et le soir étant venu, il se trouva seul en ce lieu-là. 2 4. Cependant, la barque était fort battue des flots au milieu de la nier, parce que le vent était contraire. 25. Mais à la quatrième veille de la nuit, Jésus vint à eux, marchant sur les eaux. . . 34. Ayant traversé la mer, ils vinrent au territoire de Genésar \ Saint Marc nous fournit un détail de plus, renfermé dans le verset suivant ; H pressa aussitôt ses disciples de monter dans la barque et de passer avant lui à l’autre bord, vers Bethsaïde, pendant qu’il renverrait le peuple2. Bethsaïde était donc sur le territoire de Genésar, puisque les disciples, en se dirigeant vers Bethsaïde, abordèrent à ce territoire, ainsi qu’avec saint Matthieu l’atteste saint Marc : Ayant traversé la mer, ils vinrent au territoire de Génésareth et y abor¬ dèrent3. Saint Luc, de son côté, nous apprend que le miracle de la multiplication des cinq pains eut lieu dans un endroit désert près de Bethsaïde4. 1 Saint Matthieu, c. xiv, v. 1 3— 2 5 , 3 h . — 2 Saint Marc, c. vi, v. Ô5. — Saint Marc, c. vi, v. 53. — 4 Saint Luc, c. ix, v. 10. CHAPITRE XII. — H À D J A R EN-N ASARÀH. 189 Celte Bethsaïde dont il est question ici est nécessairement dif¬ férente de la Bethsaïde voisine de Capharnaüm, où les disciples abordèrent ensuite après l’accomplissement de ce miracle. C’est la BethsaidaJulias, située sur la rive orientale du Jourdain, dont j’aurai l’occasion de décrire plus tard l’emplacement, et qu’il ne faut pas confondre avec la Bethsaïde placée au nord de la plaine de Gené- sar, et qui paraît être identique avec le Kharbet Khan Minieh de nos jours. Enfin, si nous consultons maintenant le récit de saint Jean, nous y voyons que Jésus se rendit au delà de la mer de Galilée, c’est-à-dire sur sa rive orientale, et que là, sur une montagne, il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains. L’évangéliste ajoute ensuite : 10. Lorsque le soir fut venu, les disciples de Je'sus descendirent au bord de la mer, 11. Et montèrent sur une barque pour passer au delà de la mer vers Ca- pharnaüm. II était déjà nuit que Jésus n’était pas encore venu à eux. . . 18. Cependant la mer commençait à s’enfler, à cause d’un grand vent qui soufflait. 1 q. Et après qu’ils eurent lait 26 ou 3o stades, ils virent Jésus qui marchait sur les dois et qui était proche de leur barque, ce qui les remplit de frayeur. 20. Mais il leur dit: C’est moi, ne craignez rien. 21. Ils voulurent donc le prendre dans leur barque, et la barque se trouva aussitôt au lieu où ils allaient L De tous ces différents textes il résulte que l’endroit où eut lieu la multiplication des cinq pains était au delà, c’est-à-dire sur la rive orientale du lac de Tibériade, non loin d’une ville appelée Bethsaïde, et que de là, après l’accomplissement de ce miracle, les disciples traversèrent le lac pour gagner, selon saint Matthieu, le territoire de Genésar, selon saint Marc, Bethsaïdê, selon saint Jean, Capharnaüm. L’apparente divergence entre les évangélistes relativement à Saint Jean , c. vi , v. 1 0 el 1 1 , 1 8-2 1 . I 190 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. l’endroit où les disciples abordèrent s’explique de la manière la plus naturelle, si l’on place la Bethsaïde occidentale à Khan Minieli et Capharnaüni à Tell Houin. En effet, Khan Minieli appartient au territoire de la belle plaine de Genésar ou Génésareth, connu actuellement sous le nom de Rhoueïr, crie petit Rhôr, la petite vallée ri. Quant à Tell Houm, c’est la localité la plus voisine vers le nord-est de Khan Minieli, et comme les disciples prirent, après le miracle dont nous venons de parler, la direction de Bethsaïde, suivant un évangéliste, de Capharnaiim, suivant un autre, la con¬ clusion que nous devons tirer de ces deux textes, c’est que ces deux villes étaient peu distantes l’une de l’autre, de telle sorte que les disciples, en débarquant près de l’une ou l’autre, pouvaient être désignés comme ayant abordé soit à Bethsaïde, soit à Capharnaiim, soit également sur le territoire de Génésareth, puisque Bethsaïde faisait partie de ce district. Dans tous les cas, la multiplication des cinq pains eut pour théâtre une montagne située au delà et, par conséquent, sur la rive orientale du lac de Tibériade. La dénomination de Khamsa Khoubsat ou des cinq pains donnée au monticule qui nous occupe en ce moment est donc erronée, et c’est le miracle de la multipli¬ cation des sept pains qui s’accomplit en cet endroit. IIATTIN. A une heure, je me dirige vers le nord-ouest pour gagner Hattin, en laissant à ma droite la montagne dite Koroun Hattin, dont je parlerai bientôt. A une heure vingt minutes, je fais balte près de la source du village, non loin de laquelle ma tente a été dressée. Au bas et au nord de la source est situé Hattin, sur la pente d’une colline. La population, entièrement musulmane, se monte à 700 âmes environ. Pendant l’été, les habitants se fabriquent, au-dessus de la ter¬ rasse de leurs maisons, de petites huttes eu roseaux où ils passent CHAPITRE XII. — HAT TIN. 191 la nuit. Des jardins plantés de citronniers et de figuiers avoisinent le village. Ils sont arrosés par les eaux qui descendent de la source, et qui forment un ruisseau divisé en de nombreuses rigoles. Cette source elle-même est dominée vers le sud par un oualy consacré à Neby Cha’ïb , et assis sur des rochers au milieu desquels quelques vieux arbres ont pris racine et ombragent ce sanctuaire vénéré. Neby Cha’ïb, en effet, n’est autre pour les Musulmans que Jéthro, le beau-père de Moïse, qui, d’après une fort ancienne tra¬ dition accréditée parmi eux, serait mort et aurait été enterré en cet endroit. Ils y montrent son tombeau et la trace d’un de ses pieds imprimée miraculeusement sur une plaque de marbre. A une faible distance de là, une chambre sépulcrale renfermerait la dé¬ pouille mortelle des filles de Jéthro, et porte le nom de Oualy benat Neby Cha’ïb. La tradition qui place auprès de Hattin le tombeau de Jéthro et de ses filles ne repose sur aucun argument sérieux. Ims Livres saints et Josèphe se taisent complètement là-dessus. Nous ignorons l’endroit où mourut le beau-père de Moïse, mais il est probable qu’il termina sa vie dans le pays de Madian, où il était retourné après avoir rejoint un instant son gendre, à qui il avait ramené sa femme Sephora et ses deux fils L Ses ossements furent-ils ensuite transportés par les Israélites dans la Terre promise et ensevelis à Hattin ? C’est sur quoi nous manquons absolument de renseigne¬ ments authentiques. Nous savons seulement que la tradition musulmane que je viens de relater date au moins du moyen âge, car nous la voyons déjà consignée dans le récit de Samuel bar Simson, qui visita la Pales¬ tine en 1 2 1 o : De là (d’Arbel) je suis allé, dit-il, au village de Chitim (c’est le Hattin de nos jours), et j’y vis du côté de la montagne deux sépulcres; les uns préten¬ dent que c’est le tombeau de Josué, les autres affirment que ce sont les sé¬ pulcres de Jéthro et de Séphanie2. Erode, c. xviu. — 2 Carinoly, Itinéraires de Palestine, p. i3i. I 192 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Rabbi Iakob, qui accomplit un pèlerinage en Palestine vers 1268, reproduit la même tradition : Au village de Chitim sont les sépulcres de Jétliro, beau-père de Moïse, notre maître, et de Scphora, qui vivent dans le monde «à venir1. On lit également dans Isbak Chelo, qui en 1 3 3 3 alla s’établir à Jérusalem : Le village de Chitim ou Clntin paraît être le Kefar Itim de la Mischnah ou le Kefar Cliitia du Talmud. Il n’est guère connu que par deux antiques monu¬ ments funéraires qu’on dit être les tombeaux de Jétliro, beau-père de Moïse, et de Jacob de Kefar Cliitia, sur qui soit le salut2. ’ Carmoly, Itinéraires de Palestine, p. 1 85. — 2 Ibidem, p. 2 5 9 . CHAPITRE XIII. — KO RO UN MAT T IN. 193 CHAPITRE TREIZIÈME. IIATTIN EL-KEDIM. - KOROUN IIATTIN. — BATAILLE DE IIATTIN. - kHAR- BET ARBED (arBEl). - KALaT’ EL-Ma’aN. - MEDJDEL (mAGDALâ). IIATTIN EL-KEDIM (kEFAR CHITIA). Le 2 3 juin, à quatre heures quarante-cinq minutes du matin, je vais visiter des ruines dites Hattin el-Kedim, cc Hattin l’ancien t>. Elles couronnent une colline élevée qui se dresse au sud du village actuel et à l’est de la source, et dont les flancs sont très abrupts sur certains points. Ces ruines sont actuellement très confuses. On distingue seulement les vestiges d’un mur d’enceinte construit avec des pierres basaltiques de toute grandeur, et au dedans de cette enceinte renversée de nombreux tas de matériaux amoncelés au milieu des broussailles, restes de maisons démolies. Cà et là on remarque quelques arbres séculaires, tels que figuiers et oliviers. KOROUN IIATTIN. Poursuivant ma route vers le sud-est, je gravis bientôt une autre colline beaucoup plus célèbre, appelée Koroun Hattin, ce cornes de Hattin n, à cause des deux sommets ou cornes qui la surmon¬ tent, l’un au nord-ouest, l’autre au sud-est. Elle domine d’environ a 5o mètres, vers le nord, la vallée que sillonne l’Oned el-IIamam et d’une soixantaine de mètres, vers le sud, la plaine accidentée qui s’étend de ce côté. Entre ces deux sommets, séparés l’un de l’autre par un intervalle de Aoo pas, se déroule un plateau inégal. La colline tout entière, dans sa partie supérieure, était entourée d’un mur d’enceinte dont il subsiste encore de nombreuses traces, 19/i DESCRIPTION DE LA GALILEE. principalement aux deux cornes, qui paraissent avoir été forti¬ fiées d’une manière spéciale. Ce mur, du reste, à en juger par la nature des matériaux de toute forme et de toute dimension qui jonchent le sol, semble avoir été construit à la hâte. Les habitants de Hattin prétendent qu’il renfermait une petite ville, depuis longtemps rasée de fond en comble et aux ruines indis¬ tinctes de laquelle ils donnent le nom de Kharbet Medinet et- Thouileh, v ruines de la ville la longue ». A les en croire, la po¬ pulation de cette ville était coupable de tant de crimes, que Dieu résolut de l’anéantir; mais auparavant il avertit Neby Cha’ïb, seul juste qu’il voulait épargner, et aussitôt que celui-ci eut quitté la cité maudite, elle fut détruite par la vengeance divine. On re¬ connaît facilement dans cette tradition une image assez fidèle de celle que nous ont transmise les Livres saints relativement à la sortie de Lotli de Sodome et à la destruction de cette ville, après le départ de ce juste. A la pointe sud-est de la colline on remarque un caveau oblong, creusé dans le roc et revêtu de ciment; il est en grande partie comblé. C’était ou un tombeau ou une citerne. A côté se voient les arase¬ ments d’une petite construction mesurant huit pas carrés, et qui passe pour être un ancien oualy, ayant succédé lui-même à une chapelle chrétienne. D’autres y reconnaissent les restes d’une tour. Une fort ancienne tradition chrétienne place sur le Djebel Koroun Hattin le lieu où Notre-Seigneur aurait prêché à ses disciples les huit béatitudes, et, en souvenir de ce sermon à jamais mémorable, les pèlerins, qui vont de Tibériade visiter cette colline, ont la pieuse habitude d’y réciter les versets qui le reproduisent U ils la vénèrent elle-même sous le nom que les chrétiens du pays lui ont depuis longtemps donné de Montagne des Béatitudes. C’est également sur cette hauteur que Jésus enseigna pour la première fois l’oraison dominicale2, divine prière qu’il devait ensei¬ gner de nouveau , plus tard, en revenant un jour de Béthanie3, pen- Saint Matthieu, c. v, v. 1-10. — 5 Id. c. vi, v. 9— 1 3 . Saint Luc, c. xi. v. l-'I. CHAPITRE XIII. BATAILLE DE H AT T IN. 195 dant que, d’après la tradition, il était sur la montagne des Oli¬ viers. BATAILLE DE H A TT IN. A l’époque des Croisades, le Djebel Koroun Hattin et les plaines qui l’avoisinent, furent le théâtre de la célèbre et désastreuse bataille où, le 4 juillet 1187, l’armée des Latins fut écrasée par celle de Saladin, qui, à la suite de cette victoire, se rendit bientôt maître de presque toute la Palestine. La trêve qui avait été conclue entre les Musulmans et les Chré¬ tiens ayant été rompue, Saladin s’était hâté de rassembler une armée formidable, composée de Turcs, d’Arabes, de Kurdes et d’ Egyp¬ tiens. Après avoir franchi le Jourdain, il s’avancait dans la Galilée, soumettant tout sur son passage. Guy de Lusignan, de son côté, nouvellement monté sur le trône de Jérusalem, avait réuni dans un camp près de la fontaine de Sep- phoris la milice entière de Saint-Jean et du Temple et toutes les forces disponibles des Chrétiens, dont le chiffre atteignait celui de cinquante mille combattants. Déjà les Musulmans venaient de s’em¬ parer de la ville de Tibériade , et menaçaient la forteresse où s’étaient réfugiés la femme et les enfants de Raymond, comte de Tripoli. Les barons étaient tous d’avis qu’il fallait immédiatement marcher contre l’ennemi. Mais Raymond émit un sentiment opposé, et, bien que sa femme et ses enfants fussent assiégés et que, comme époux et père, il dût être pressé de hâter leur délivrance, il conseilla néan¬ moins au roi et aux seigneurs présents à la délibération d’attendre de pied ferme l’ennemi à Sepphoris, où l’eau était abondante et où l’on pouvait se procurer facilement des vivres. Que si Pon marchait, au contraire, au-devant des Musulmans, à travers un pays sec et aride, l’ardeur de la saison, la soif et la faim livreraient les Chré¬ tiens épuisés à la fureur de leurs innombrables adversaires. Le conseil des barons et des chevaliers se rallia à l’avis de Raymond ; mais, lorsque Lusignan fut resté seul sous sa tente, le grand maître du Temple accusa de trahison le comte de Tripoli, et le 1 3. 1 90 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. roi donna imprudemment l’ordre de se mettre eu marche. Lç jeudi, 2 juillet, l’armée chrétienne quitta son camp de Sepphoris et prit la route de Tibériade. Arrivée près de Loubieh, elle fut as¬ saillie, le lendemain, par une grêle de pierres et de flèches lancées par les Sarrasins. Bientôt la cavalerie musulmane s’ébranla de toutes parts et, gardant soigneusement toutes les issues qui abou¬ tissaient, au lac de Tibériade, elle essaya par des attaques sans cesse renouvelées de rompre les rangs des Chrétiens. Ceux-ci, les yeux fixés sur l’étendard de la vraie croix, soutinrent bravement le choc. L’historien arabe Emad-eddin, témoin de la bataille, nous les représente faisant les plus grands efforts pour s’ouvrir un pas¬ sage vers le lac : Déjà, dit-il, ils étaient tourmentés par la soif et embrasés par la chaleur du jour. Cette première attaque eut lieu un vendredi. Les Francs parurent supporter la soit avec constance et courage. Ils avaient bu toute l’eau des outres; ils avaient mis à sec leurs vases; ils avaient épuisé jusqu’à l’eau des larmes, et déjà ils allaient succomber à leurs maux, lorsque la nuit survint. Ils passèrent cette nuit dans leur camp, ne sachant ce qu’ils devaient faire. Cependant, ils ne se laissèrent point abattre, et ils se dirent entre eux : Demain nous trouverons de l’eau avec nos épées L Le lendemain matin, samedi, A juillet, la lutte devint plus vive et plus acharnée encore que la veille ; mais les Chrétiens avaient déjà perdu tout espoir, tandis que les Musulmans, pleins de con¬ fiance dans leur nombre et sûrs de vaincre, se précipitaient sur leurs adversaires avec l’audace que donne la certitude du triomphe. Les Latins cependant, quoique enveloppés de tous côtés, conti¬ nuaient à se défendre avec un courage héroïque; mais Saladin ayant fait mettre le feu aux broussailles et aux herbes sèches qui couvraient la plaine, la flamme et la fumée, poussées par le vent, environnèrent l’armée chrétienne et achevèrent de jeter la con¬ fusion dans ses rangs. Mourants de soif et de faim, suffoqués, en outre, par la chaleur, les plus braves d’entre eux se réfugièrent Bibliothèque des Croisades, IV” partie, p. 19 H. CHAPITRE XJ II. BATAILLE DE H AT T IN. 197 sur la colline de Hattin, où le roi Guy de Lusignan lit dresser sa tente. De là ils repoussèrent trois fois les Sarrasins qui les y pour¬ suivirent. Le comte de Tripoli, qui commandait l’avant-garde, réussit à se frayer un chemin à travers les ennemis. L’évêque de Saint-J ean-d’Acre, qui portait le bois de la vraie croix, était tombé mortellement frappé, et l’évêque de Lydda, qui l’avait remplacé, fut bientôt lui-même fait prisonnier, laissant entre les mains des Musulmans l’étendard sacré confié à sa garde. A cette vue, les Chrétiens perdirent tout courage, et leur défaite fut dès lors inévi¬ table et complète. Guy de Lusignan, avec son frère Geoffroy, le grand maître des Templiers, Renaud de Gbâtillon, et tout ce que la Palestine avait de plus illustres guerriers, fut contraint de se rendre au vainqueur. Saladin traita le roi de Jérusalem avec cour¬ toisie. 11 le fit venir sous sa tente, avec les principaux prisonniers, et ce prince étant pressé par la soif, il lui lit servir un sorbet ra¬ fraîchi dans la neige. Gomme le roi, après avoir bu, présentait la coupe à Renaud de Gbâtillon, qui était debout près de lui, le sultan, qui ne voulait pas sauver la vie à ce chevalier et qui, d’après les mœurs arabes, aurait paru consentir à l’épargner, s’il l’avait laissé boire ou manger sous sa tente, arrêta aussitôt la main de Lusignan, en s’écriant: ce Ce traître ne doit point boire en ma présence, car je ne veux pas lui faire grâce, n Puis, se tournant vers Renaud et lui reprochant la rupture de la trêve, il le menaça de la mort, s’il n’abjurait aussitôt la foi chrétienne, pour em¬ brasser la religion du prophète. Renaud s’étant refusé noblement à cette lâche apostasie, Saladin, transporté de fureur, le frappa de sou cimeterre, et plusieurs des satellites du sultan se précipitè¬ rent sur lui, pour l’achever. Deux cents templiers ej hospitaliers furent ensuite pareillement décapités, par ordre et en présence de Saladin. Gauthier Winisauf raconte qu’un certain nombre d’autres che¬ valiers chrétiens, ambitionnant, eux aussi, la palme du martyre et préférant la mort à la servitude, criaient à haute voix, par un héroïque mensonge, j5. 202 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. désignées sous le nom de Kalat Ma an ou de Kalat oueâ el-Hamam ; elles ont été autrefois fortifiées. Un escalier, pratiqué sur des flancs presque verticaux, conduit à une première série de grottes, où l’on arrive en suivant une espèce de corridor, dont la voûte, lé¬ gèrement triangulaire, est en partie taillée dans le roc et en partie construite avec des pierres de moyenne dimension. De là, d’autres escaliers permettent de monter successivement à d’autres étages supérieurs. Un mur flanqué de tourelles demi-circulaires protège l’entrée de plusieurs de ces grottes ; elles sont reliées entre elles au moyen d’étroites galeries voûtées, et beaucoup sont munies de citernes. Actuellement inhabitées, elles servent d’asile à des mil¬ liers de colombes, qui y ont élu domicile, et on foule en les par¬ courant une épaisse couche de colombine, résultant du long séjour de .ces oiseaux, et qui serait un engrais excellent pour la terre, si les habitants des villages les plus rapprochés savaient en pro¬ fiter. C’est cette quantité énorme de colombes qui a fait donner à la gorge de Y Oued el-Hamam le nom qu’elle porte : cc vallée des colombes n. Josèphe signale à plusieurs reprises ces grottes célèbres. Dans un passage de cet historien 1 que j’ai cité précédemment, on a vu que le général syrien Bacchidès s’empara, lors de son passage à Arbel, de tous les Juifs qui s’étaient réfugiés en grand nombre dans les cavernes voisines de cette ville, et qui sont précisément celles dont il s’agit en ce moment. Ailleurs, cet écrivain mentionne ces mêmes cavernes comme ayant servi cle repaires à des bandes de brigands qui y furent ex¬ terminées par Hérode. Ce prince s’était rendu de sa personne à Arbel avec ses troupes et, de là, il alla attaquer ceux qui s’é¬ taient retranchés dans ces asiles, en apparence inexpugnables. Ces grottes, dit Josèphe, sont situées sur les flancs de montagnes ab¬ ruptes ; inaccessibles de toutes parts, on y pénètre seulement au moyen de sentiers très étroits et obliques. Devant, les rochers offrent des pentes extrê- Antiq. judaïq. I. XII, c. xi, S 1. I CHAPITRE XIII. — MEDJDEL. 203 mement raides, et tels sont l’escarpement et la profondeur des précipices, que le roi, déconcerte' par la difficulté des lieux, hésita longtemps pour savoir quel parti il devait prendre. Enfin, il imagina un plan qui présentait beau¬ coup de dangers. Les plus valeureux de ses soldats furent descendus du haut de la montagne dans des coffres jusqu’à la hauteur de ces cavernes, où ils s’élancèrent, massacrant les brigands avec leurs familles, et les attaquant par le feu , quand ils essayaient de résister. Hérode , voulant épargner quelques- uns de ces derniers, leur enjoignit par la voix d’un héraut de venir le trouver. Mais aucun d’entre eux ne consentit à se livrer volontairement, et beaucoup de ceux qui étaient contraints de le faire préférèrent la mort à la servitude. Un vieillard, père de sept enfants, qui le suppliaient avec leur mère de leur permettre de sortir, les tua tous de la manière suivante. Il leur ordonna de s’avancer successivement jusque sur le seuil, où il se tenait lui- même, et, à mesure qu’ils s’avançaient, il les égorgeait. En vain Hérode, qui l’observait de loin, ému à la vue d’un tel spectacle, le suppliait-il, en lui tendant la main, d’épargner ses propres enfants. Inflexible à ses prières et reprochant à Hérode la bassesse de son origine, le vieillard, après avoir im¬ molé ses enfants, tua également sa femme, et jeta ensuite leurs cadavres du haut en bas, puis il s’élança lui-même dans l’abîme b Plus tard, lors de rinvasion romaine, Josèphe, ainsi qu’il le raconte dans sa Vie2, fortifia ces grottes, et c’est probablement à lui qu’il faut attribuer les ouvrages de défense qui protègent quel¬ ques-unes d’entre elles, ouvrages qui ont pu être réparés ensuite et qui sont encore en partie intacts. MEDJDEL (MAGDALA). Après avoir consacré deux heures à explorer un certain nombre de ces cavernes, je poursuivis ma route vers l’est. A midi quinze minutes, au sortir de la gorge de l’Oued el- Harnam, je commence à traverser, dans sa partip méridionale, la riche plaine connue sous le nom de Rhoueïr. A midi quarante-cinq minutes, je fais balte à Medjdel. Ce vil¬ lage se compose d’une trentaine de petites maisons, surmontées Guerre des Juifs , I. I, c. xvi, S 4. — Vie de Josèphe, S 3y. 2 204 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. chacune d’une cabane en roseaux , où les habitants se réfugient pendant la nuit, à Ecpoque des grandes chaleurs. Près du rivage du lac, deux vieux pans de murs très épais semblent les restes d une ancienne tour. Dans le cimetière, on remarque quelques traces de constructions rasées. Medjdel, à cause de son nom et de sa position, est générale¬ ment identifié, et, je crois, non sans raison, avec la bourgade de Magdala, patrie de sainte Marie-Madeleine, et signalée sous ce nom dans un passage de saint Matthieu, version grecque : Ka< àiro'kvaaç t ovs ÔyXovs , àvé£ri sis r b 'ïïXoïov, kcu yXdev sis ta opta. Ma.ySa.Xd h Dans la Vulgate, au lieu de MayÆaAa, nous lisons Magedan : Et, dimissa turba, asceudil in naviculam, et venit in fines Magedan. D’autres manuscrits grecs portent également McuyaSav et Ma- Le nom hébraïque était très probablement ’nap, Migdal , ou Migdol , qui signifie retours et que nous voyons appliqué en Pales¬ tine à plusieurs villes fortifiées. Le village qui nous occupe ici était, sans doute, jadis une place forte au sud de la belle plaine de Génésareth, dont elle défendait les approches. Quoi qu’il en soit, comme nous le voyons par le verset que je viens de citer, Notre-Seigneur y aborda, après avoir accompli le miracle de la multiplication des sept pains et des petits poissons, avec lesquels il nourrit quatre mille hommes, indépendamment des femmes et des enfants. Dans saint Marc, Notre-Seigneur, après ce miracle, se rend en barque à Dalmanutha et non à Magdala ou Magedan : Et statim ascendens navira cum d iscipu lis suis venit in parles Dahnanu- tha2. Saint Matthieu , c. xv, v. 3q. — 1 " Saint Marc , c. vin , v. 10. CHAPITRE XIII. MED J DEL. 205 Nous lisons de même dans la version grecque : Ka< evOécos , sis t b zrXoïov (xsrà tmv \x., à cause delà forme ovale du lac de Tibériade, qui offre quelque ressemblance avec celle d’une harpe. Dans ce cas, ce serait le lac qui aurait communiqué son propre nom à la ville ainsi appelée. Mais il est plus vraisemblable que ce nom est kananéen, puisque les Hébreux trouvèrent la ville de Kin- nereth déjà construite et fortifiée, lorsqu’ils franchirent le Jourdain pour s’emparer de la Palestine. Toujours est-il que ce nom de Kin- nereth paraît s’être altéré plus tard en celui de Ginesar, en hébreu -ip:1?, en grec Tevvycrap et TewricrapsO , en latin Genesar, Gennesar , Germesaret et Gennesareth , donné au lac qui ensuite fut désigné sous celui de lac de Tibériade. Dans Y Onomasticon, au mot XsvspéO , Eusèbe s’exprime ainsi : Xsvcpèd, S-aÀa<7cra opiov zijs I ouSou'as, x\rfpov N etySctXelp.. «Chenereth, mer qui est située aux confins de la Judée, de la tribu de Neph- lliali. v Saint Jérome, après avoir traduit ce passage, ajoute ce qui suit : Sed et oppidum quod in honorem postea Tiberii Cæsaris Ilerodcs, rex Judææ, instauratum appel lavi L Tiberiadem, lerunt boc pritnum appellaluin nomine. Saint Jérome, comme on le voit, ne propose l'identification de Tibériade avec Kinnereth ou Ghenereth que d’une manière dubi¬ tative et conformément à un simple ouï-dire, ferunt. Je montre¬ rai ailleurs qu’avec le Talmud de Jérusalem j incline plutôt à re¬ connaître dans Tibériade l’ancienne Rakkath, mentionnée dans la Bible à côté de Kinnereth. Quanta celle-ci, qu’il ne faut pas dis¬ tinguer de Ginesar, Gennésar ou Gennésareth, je ne vois pas où elle pourrait être mieux placée que sur la colline d’Abou-Chou- clieli. I^es ruines qui couvrent cette hauteur sont sans doute insi¬ gnifiantes actuellement, et le misérable village arabe dont on y 212 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. trouve les débris ne donne guère l’idée d’une ville forte qui se se¬ rait élevée jadis en cet endroit. Mais Kinnereth a été probable¬ ment détruite depuis de longs siècles. Combien de villes impor¬ tantes et autrefois fortifiées n’ont pas laissé d’ailleurs en Palestine des traces plus considérables que celles qui existent à Abou-Chou- clieli ! Josèplie, qui décrit la beauté incomparable de la plaine de Gen- nésar, ne parle pas de la ville de ce nom, ce qui permet de pen¬ ser que cette dernière était, de son temps, en pleine décadence, éclipsée et amoindrie qu elle était par le voisinage de la grande cité de Tibériade, nouvellement fondée, qui avait attiré dans son sein une nombreuse population. Le Talmud de Jérusalem1 désigne sous le nom de Ginosar ("iDira) la Kinnereth du livre de Josué, et par conséquent autorise l’identi¬ fication que j’ai adoptée. Ce traité vante pareillement, à l imita¬ tion de Josèplie, la fertilité de la plaine ainsi appelée, plaine que cette ville devait sans doute commander. Dans un passage du Mi- drascb, le nom de Ginosar est indiqué comme composé des mots p cr jardin v et v&’ a prince n, comme qui dirait le jardin du 'prince 2. Si cette étymologie est légitime, la ville de Ginosar du Talmud au¬ rait été désignée de la sorte à cause de la richesse étonnante de son territoire, transformé par la culture en un jardin délicieux. Ce territoire est limité au sud par le village de Medjdel, au nord par les ruines de Khan Minieh, à l’est par le lac, à l’ouest enfin par une suite de collines sur l’une desquelles on remarque le Khar- bet Abou-Choucheh. Medjdel est très certainement l’ancienne Mag¬ dala ou Magedan; Khan Minieh, ainsi que je vais essayer de le montrer tout à l’heure, est la Bethsaïda occidentale, qu’il faut dis¬ tinguer de la Bethsaïda Julias ou Bethsaïda orientale. Reste donc pour l’emplacement de Kinnereth , identique avec Gennésar ou Gennésareth, celui d’ Abou-Choucheh; car tout porte à croire que la ville qui avait donné son nom à la plaine et au lac ainsi appelés devait avoisiner à la fois et cette plaine et ce lac. 1 Talmud de Jérusalem, Méguillah, f, i. — 2 Bercschilh Jiabba , c. xcviti. CHAPITRE XIV. — KHARBET KHAN MINIEH. 213 KHARBET U A15ADH1EH. A six heures trente minutes, je descends vers l’ouest de la col¬ line d’Abou-Choucheh et, cheminant dans la même direction à travers une vallée sillonnée par l’Oued Rabadhieh, je franchis, à sept heures, le lit de cet oued. A sept heures trente minutes, je parviens au Kharbet Rabadhieh. C’est un amas de ruines sur le plateau supérieur d’une colline, au bas de laquelle, vers le nord, l’oued de ce nom prend sa source. Une dizaine de maisons, restes d’un ancien village arabe, sont en¬ core à moitié debout; les autres sont renversées. Ce village avait succédé à une bourgade antique, dont il subsiste encore des ca¬ veaux, des citernes, des tombeaux et des pressoirs pratiqués dans le roc. KHARBET KHAN MINIEH (bETIISAÏDa). A sept heures cinquante-cinq minutes, je descends vers le nord, par des pentes très rapides, de la colline que couronnent ces ruines. A huit heures cinq minutes, je franchis l’Oued Rabadhieh non loin de sa source, et bientôt après je gravis, vers le nord-nord-est, une colline au pied septentrional de laquelle coule l’Oued Yakouk, que je traverse près de son confluent avec l’Oued el-A’moud. Celui- ci, après s’être frayé un passage dans une gorge resserrée entre deux murailles gigantesques de rochers, traverse, vers l’est, une seconde gorge, semblable à la précédente et dont l’aspect est impo¬ sant et sauvage. Ses eaux abondantes bouillonnent et se précipi¬ tent dans un lit tout obstrué de blocs et de gros galets et bordé, comme celui de la plupart des autres torrents ou ruisseaux de cette contrée, de roseaux, d’agnus-castus et de lauriers-roses. En suivant vers l’est les contours de cet oued, j’examine sur ma route plusieurs grandes cavernes pratiquées dans les flancs de col¬ lines rocheuses, jadis exploitées comme carrières. 21 à DESCRIPTION DE LA GALILÉE. A neuf heures vingt minutes, je sors de cette espèce de défilé pour entrer dans la plaine. A neuf heures cinquante-cinq minutes, je fais halte près de la source considérable dite A’ïn et-Tin, « source du figuier-». Elle est ainsi appelée parce qu’elle est ombragée par un vieux figuier, qui remplit une partie du petit réservoir où ses eaux sont d’abord re¬ cueillies, avant de former un large ruisseau, puis un marais qui, à cent pas de là, à l’est, s’ouvre une issue vers le lac. Ce marais a probablement remplacé un port peu considérable, d’où le nom de Kharbet el-Minieh, cc ruines du petit port v, donné aux vestiges d’an¬ ciennes constructions qui avoisinent la source. Le mot arabe minieh est, en effet, un diminutif de celui de mina, qui signifie tr port n. Ces ruines, que la charrue a souvent bouleversées et qui ont été d’ail¬ leurs exploitées longtemps comme une carrière de matériaux propres à bâtir, sont actuellement très peu importantes. On distingue néan¬ moins encore, au fond de tranchées qui ont été ouvertes il y a quelques années, les arasements d’un édifice qui semble avoir été bâti, en partie du moins, avec des pierres de taille. Çà et là quel¬ ques faibles monticules, que les broussailles ont envahis, ont été, selon toute apparence, formés avec des amas de décombres. En outre, d’innombrables tessons de poterie jonchent des champs de blé et accusent l’existence en cet endroit d’une bourgade qui a été comme effacée du sol. Enfin, immédiatement au-dessus et au nord de la source, s’élève une colline qui m’a été désignée sous le nom de Tell el-A’rtmeh; elle a plusieurs étages successifs, qui ont été ré¬ gularisés par la main de l’homme. La partie supérieure, aujourd’hui livrée à la culture, affecte la forme d’un petit plateau oblong jon¬ ché de débris de poterie, et qu’environnait jadis un mur d’enceinte qui a été presque complètement rasé. Cette même colline, en s’abais¬ sant un peu, se prolonge ensuite vers l’est en une sorte de promon¬ toire rocheux qui avance jusque dans le lac, et sert ainsi, vers le nord-est, de limite et de barrière naturelle à la plaine dit e El-Rhoueïr. Pour franchir ce promontoire, on peut soit le contourner vers l’ouest, soit le gravir directement vers le sud, et alors on suit un CHAPITRE XIV. — KHARBET K II A N MINIEH. 215 étroit sentier creusé dans le roc, et qui n’est autre chose qu’un ca¬ nal antique, destiné jadis à amener dans la plaine de Gennésar, pour l’arroser, les eaux de l’A’ïn et-Tabighah, dont je parlerai bientôt. A Touest-sud-ouest et au bas de la même colline est un khan arahe à moitié ruiné, qui offre extérieurement la forme d’un grand rectangle soutenu par de nombreux contreforts. A l’intérieur, il est très dégradé, et quelques familles de fellahs s’y sont installées. Ce khan a été construit très probablement avec des matériaux pro¬ venant des ruines dites maintenant, à cause de cette circonstance, Kliarbet Khan el-Minieli, cc ruines du khan d’El-Minieh n. Une question se présente naturellement ici : à quelle ville ou bourgade antique ces ruines appartiennent-elles? Quelques voya¬ geurs, notamment Robinson, placent en cet endroit Capharnaüm; mais d’autres, et, je crois, avec plus de vraisemblance, y voient la Bethsaïda occidentale, patrie des trois apôtres Pierre, Philippe et André. Les raisons qui militent en faveur de cette dernière opinion sont les suivantes : D’ahord, Bethsaïda était sur les bords occidentaux du lac de Ti¬ bériade, dans le district de Gennésar ou Gennésareth, ainsi que cela ressort des versets que voici : Zi5. 11 (Jésus) força aussitôt ses disciples de monter dans la barque et de passer avant lui à l’autre bord, pendant qu’il renverrait le peuple. 53. Ayant passé l’eau, ils vinrent au territoire de Gennésareth et y abordè¬ rent k Notre-Seigncur venait, avec cinq pains et deux poissons, de nourrir cinq mille hommes sur la côte orientale du lac. Après avoir accompli ce miracle, il ordonna à ses disciples de le précéder au delà du lac en se dirigeant vers Bethsaïda, pendant que lui-même congédiait le peuple. Ses disciples, contrariés par le vent, éprouvent une tem¬ pête sur le lac, et ils s’efforcent de lutter en rainant contre la vio- Saint Marc, c. vi, v. /i 5 et 53. t 216 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. lence de la tourmente. Alors, vers la quatrième veille de la nuit, Notre-Seigneur leur apparaît marchant sur les vagues, et aus¬ sitôt le vent tombe. Après avoir franchi le lac dans sa largeur, ils abordent à la terre de Gennésareth. En combinant ensemble les versets 65 et 53, on voit que Betli- saïda était une ville maritime située sur le territoire de Gennésar ou Gennésareth. Or cette terre, comme je l’ai dit tout cà l’heure, est délimitée au sud le long du lac par le monticule d’El-Medjdel, jadis Magdala ou Magedan, et au nord par le promontoire de Khan el-Minieh. Entre ces deux localités, séparées l’une de l’autre par un intervalle d’une heure de marche, on ne remarque, près du rivage, aucune autre ruine de ville ou de bourgade antique ; Khan el- Minieh semble donc convenir très bien au site de Bethsaïda, le Kharbet Abou-Choucheh étant trop loin du lac dans l’intérieur des terres. En second lieu, Klian el-Minieh signifiant «Khan du petit port-n, cette dénomination indique qu’il y avait jadis en cet endroit un mouillage pour les barques. Effectivement, au sud du promontoire dont j’ai parlé devait s’arrondir autrefois une petite anse naturelle, qui a été ensuite ensablée ou est devenue un marécage, depuis que les eaux de Y Min et-Tin ont cessé d’être canalisées. Les ruines qui avoisinent ce promontoire et la baie disparue ont sans doute perdu depuis longtemps le nom de Bethsaïda, mais elles ont con¬ servé celui de Kharbet Khan el-Minieh, ce qui prouve qu elles ap¬ partiennent à une ville ou à une bourgade pourvue d’un port sur le lac et ayant pu, par conséquent, avoir été habitée par des pê¬ cheurs. Or le nom de Beth-Saïda signifie en hébreu cr maison de la pêche •«, d’après l’étymologie généralement admise. Un pareil nom convenait parfaitement à la ville ou à la bourgade située au Khar¬ bet Khan el-Minieh , tandis qu’il aurait été beaucoup moins bien approprié à la position d’Abou-Ghoucheh. En troisième lieu, Bethsaïda était voisine de Capharnaüm, ce que nous pouvons induire de plusieurs témoignages. Nous lisons, par exemple, dans saint Jean, que Noire-Seigneur, CHAPITRE XIV. — KHARBET KHAN MINIEH. 217 après avoir accompli la multiplication des cinq pains et des deux poissons sur la rive orientale du lac, se retira sur une montagne pour échapper à la foule qui, transportée d’admiration à la vue du miracle qu’il venait de faire, voulait l’élire roi. Ses disciples, étant descendus vers le rivage, montèrent, le soir, dans une barque, pour repasser sur la rive opposée et se rendre à Capharnaüm : Et cum ascendissent navim, venerunt trans mare in Capharnaüm1. Saint Matthieu, en racontant le même fait, nous dit que les dis¬ ciples abordèrent à la terre de Gennésar : Et cum transfretassent, venerunt in terrain Genesar2. Saint Marc répète et confirme cette assertion : Et cum transfretassent, venerunt in terrain Genesareth et applicuerunt 3. Ilavait ajouté plus haut cette particularité, qui ne se trouve pas consignée dans saint Matthieu, à savoir que Notre-Seigneur avait recommandé à ses disciples de le précéder au delà du lac à Betli- saïda : Et statim coegit discipulos suos ascendere navim, ut præcederent eum trans fretum ad Bethsaidam, dum ipse dimitteret populum4. Saint Luc, après avoir raconté le miracle de la multiplication des cinq pains, se tait sur le retour des disciples à travers le lac. Selon saint Jean, enfin, les disciples s’embarquèrent pour gagner au delà de la mer Capharnaüm. Surpris par la tempête, ils avaient ramé pendant l’espace de 2 5 à 3o stades, lorsque Notre-Seigneur leur apparut s’avançant vers eux sur la mer, et, aussitôt qu’ils l’eu¬ rent reçu dans leur barque, ils se trouvèrent soudain transportés au but où ils tendaient. Le lendemain, le peuple,, qui était demeuré de l’autre côté de la mer, profita de l’arrivée d’autres barques qui étaient venues de Tibériade près du lieu où Jésus avait accompli ce miracle, pour aller le chercher par mer à Capharnaüm : 17. Et cum ascendissent navim, venerunt trans mare in Capharnaüm.. . 1 Saint Jean, c. vi, v. 17. Saint Matthieu, c. xiv, v. 34. 2 3 Saint Marc , c. vi, v. 53. 4 Id. ibid., v. 45. 218 DESCRIPTION DE LA GAXILÉE. 23. Aliæ vero supervenerunt naves a Tiberiade juxta locum ubi manducave- runt panem, gratias agente Domino. 2 4. Cum ergo vidisset turba quia Jésus non esset ibi, neque discipuli ejus, ascenderunt in naviculas et venerunt Capharnaum, quærentes Jesum L Il semble résulter de ce passage de saint Jean que les disciples abordèrent à Capharnaüm. Toutefois, comme les évangélistes sup¬ priment souvent des circonstances intermédiaires, il peut se faire aussi qu’ils abordèrent au port de Bethsaïda, en raison principale¬ ment de la tempête qu’ils avaient essuyée sur le lac, et que de là ils se rendirent à pied à Capharnaüm. Ainsi se concilierait le té¬ moignage de saint Jean avec ceux de saint Matthieu et de saint Marc. Les critiques cpii, pour accorder entre eux les évangélistes sur ce point, placent Capharnaüm au Kharbet Khan el-Minieh, pré¬ tendant que saint Matthieu et saint Marc affirment tous deux que les disciples abordèrent à la terre de Gennésar ou Gennésareth, et que, dès lors, Capharnaüm, où, selon saint Jean, ils débarquèrent, devait se trouver dans cette plaine, ne tiennent pas compte, d’un autre côté, du verset de saint Marc dans lequel il est dit que les disciples avaient reçu l’ordre de Notre-Seigneur de le précéder à Bethsaïda, c’est-à-dire, comme je le pense, au port de Khan el- Minieh. Tout bien pesé, je concilie, pour mon compte, de la manière suivante, les données des évangélistes : Après l’accomplissement du miracle de la multiplication des cinq pains, non loin de Bethsaïda Julias, sur la rive orientale de la mer de Galilée, Jésus se retire, le soir, sur une montagne voisine, pour se dérober à l’enthousiasme de la foule, qui veut le proclamer roi. Ses disciples reçoivent l’ordre de le précéder à Bethsaïda. Ils s’em¬ barquent donc et abordent au port de cette petite ville, dans la terre de Gennésar. De là avec Notre-Seigneur, qui, vers la quatrième veille de la nuit, c’est-à-dire vers trois heures du matin, les avait rejoints en marchant sur les vagues qu’avait bouleversées la tem¬ pête et qui se calment alors, ils s’acheminent par terre vers Caphar- 1 Saint Jean, c. vi, v. 17, 2.3 et 2 h. KHARBET KHAN MINIER. CHAPITRE XIV. — 219 naiim, c’est-à-dire vers Tell Houm, où ils arrivent au bout de cin¬ quante minutes de marche. En quatrième lieu, des raisons que je développerai plus tard, en décrivant les ruines de Tell Houm, semblent fixer d’une manière incontestable en cet endroit l’emplacement de Capharnaüm. Par conséquent, si Capharnaüm doit être identifiée avec Tell Houm, à quelle autre ville qu’à Bethsaïda peut correspondre le site du Kliarbet Khan el-Minieh ? Les ruines que l’on observe sur ce point sont, il est vrai, peu considérables actuellement; mais d abord Bethsaïda n’a jamais été une ville importante. Dans un commentaire sur saint Pierre, tiré d’un manuscrit qui a été inséré dans les Actes des saints, nous lisons le passage suivant : ÏÏst pos xoopav rfjs HaXaicrTivtis wxei irjv TahXalav. Harph Sè tovtu Brç0- craïSœ, puxpov t t xtxi evreXès zsoXiyviov1 . et Pierre habitait la Galilée, contrée de la Palestine; sa patrie était Betli- saïde, ville petite et méprisable, n De telles expressions n’auraient pu convenir à la ville dont Tell Houm nous offre les débris, car elle était ornée d’une admirable synagogue, ainsi que je le dirai plus tard. D’ailleurs Bethsaïda étant située dans la plaine, le long du lac, a pu voir ses restes transportés facilement à Tibériade comme ma¬ tériaux de construction. En outre, le khan arabe que j’ai signalé a du être bâti avec ses ruines; j’ajouterai enfin que celles-ci sont loin d’avoir complètement et radicalement disparu, bien que le site que cette bourgade occupait ait été depuis longtemps livré à la culture. Si nous interrogeons maintenant l’ Onomasticdn d’Eusèbe, il ne nous apprend qu’une chose, c’est que Bethsaïda était la patrie d’André, de Pierre et de Philippe, et qu elle était située en Galilée près du lac de Gennésaretli : R riOaixïSà, 'zsô'kts hviïpéov xcà Wézpov xa) A>iXt7i7rov xeïjat Sè èv t fj Pa- ÀfÀa/a t îj mpos t fj YevvrjaaptTtiïi ' Acta sanctorum, 1. V mensis junii. 220 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. r Epiphane, dans son ouvrage Contre les hérésies, déclare, ce que nous savions déjà par d’autres témoignages, que Bethsaïda et Capharnaüm n’étaient séparées l une de l’autre que par un faible intervalle : OtJ [Mxpciv OVTOOV 1WV 'ib’KWV TOVTCOV T 6J éta.al L Consultons actuellement quelques-uns des plus anciens pèlerins. Antonin de Plaisance, dit le Martyr, vers la fin du vic siècle, vi¬ sita Capharnaüm dans son voyage en Palestine; mais il 11e parle pas de Bethsaïda : Deinde venimus in civitatem Tiberiadem. . . Deinde venimus in Capharnaüm, in domum beati Pétri, quæ est in basilica. Inde venientes per castra, vel vicos, vcl civitates, ad duos tontes venimus, sci- licet Jor et Dan. Arculphc, qui parcourut la Palestine dans les dernières années du viic siècle, 11e mentionne pas non plus Bethsaïda, d’après le récit que nous a laissé de son pieux voyage Adamnanus. Seulement, à la manière dont il décrit le site de Capharnaüm, on voit facilement qu’il place cette ville à l’endroit qu’occupent actuellement les ruines de Tell Houm : Qui ab Hicrosolymis descendentes Capharnaüm adiré cupiunt, per Tibe¬ riadem via vadunt recta; deinde, secus lacum Galilææ, iocumcpie superius memoratæ benedictionis pervium habent, a quo per marginem ejusdem stagni non longo circuitu Capharnaüm perveniunt maritimam, quæ, ut Arculfus re- fert, qui eam de monte proximo prospexit, murum non habens, angusto inter montem et stagnum coartata spatio, per illam maritimam oram longo tramite protenditur, montem ab aquilonari plaga, lacum vero ab australi habens, ab occasu in ortum extensa dirigitur2. Le site de Tell Houm, dont les ruines s’étendent effectivement de l’ouest à l’est entre le lac au sud et une chaîne de collines au nord, est le seul, sur la rive occidentale de la mer de Tibériade, qui s’adapte parfaitement à la description d’Arculphe, telle qu’il l’a r 1 Epiphane, Contre les hérésies, I. XI, p. 437. — 2 Adamnanus, c. u, § a5. CHAPITRE XIV. KHARBET KHAN MINIEH. 221 transmise à Adamnanus. Par conséquent, si, conformément à ces renseignements très nets et très précis, nous identifions avec Tell Houm la ville de Gapliarnaüm, nous sommes forcé tout naturelle¬ ment de placer Bethsaïda au Kharbet Khan el-Minieb. Néanmoins je dois avouer que saint Willibald, dans le récit du pèlerinage qu’il accomplit en Terre sainte vers le milieu du vme siècle, une soixantaine d’années après Arculphe, mentionne Gapliarnaüm entre Magdala et Bethsaïda : Et inde (a Tiberiade) ibant circa mare, et pergebant secus vicum Magda- lenæ. Et veniebant ad ilium vicum Capharnaum . ibi fuit domus et murus magnus . et inde pergebant ad Bethsaidam . ibi est nunc ecclesia. Et illic manentes unain noclem, mane pergebant ad Corozaim; . ibi fuit ecclesia Cbristianorum 1. Ce témoignage est invoqué comme un argument péremptoire en faveur de l’opinion de ceux qui placent Gapliarnaüm au Kharbet Khan el-Minieh, entre Medjdel (Magdala) au sud et Tell Houm au nord; mais, d’un autre côté, il est en contradiction évidente avec un passage formel de saint Jérôme, qui déclare que Gorozaïn était à deux milles de Capharnaum : Chorazain, oppidum Galilææ, quod Christus propter incredulitatem misc- rabiliter déplorât et plangit. Est autem nunc desertum in secundo lapide a Capharnaum 2. Or, le Kharbet Kerazeh, qui est, d’une manière indubitable, la Gorozaïn des évangélistes, se trouve précisément à quarante-cinq minutes de marche de Tell Houm, ce qui répond aux deux milles marqués par saint Jérôme. Si Gapliarnaüm devait être identifiée avec le Kharbet Khan el-Minieh, la distance entre le Kharbet Ke¬ razeh ou Gorozaïn et Gapliarnaüm serait d’environ une heure et demie de marche, on de cinq milles. Tell Houm, à cause de sa posi¬ tion au nord du lac, position indiquée par Arculphe pour Capliar- naüm, à cause aussi de sa distance relativement au Kharbet Ke- ' Vie de saint Willibald , S îG. — 2 Onomasticon, au mol Chorazain. DESCRIPTION DE LA GALILEE 222 razeh, l’antique Corozaïn, en raison aussi d’autres particularités, que je signalerai plus tard, quand je parlerai de celte localité, est donc, selon toute vraisemblance, pour ne pas dire avec certitude, r la Capharnaüm des Evangiles. Mais, si cette conclusion est fondée, il est difficile d’admettre pour Remplacement de Bethsaïda un autre site que celui du Kbarbet Khan el-Minieh. Dans ce cas, il faut re¬ connaître qu’il y a une erreur dans le récit de saint Willibald, et que ce pèlerin, après avoir traversé Magdala, passa à Bethsaïda avant d’atteindre Capharnaüm. L’higoumène russe Daniel , qui parcourut la Palestine vers 1 1 1 5 , après avoir parlé de' Magdala, ajoute : Un peu plus loin est Bethsaïda, ville natale de Pierre, d’André et de Phi¬ lippe b Quant à Capharnaüm, il la mentionne après Bethsaïda; par con¬ séquent, il place celle-ci au Kbarbet Khan el-Minieh, et celle-là à Tell Houm. Sans énumérer ici tour à tour les divers témoignages des pèle¬ rins subséquents jusqu’à nos jours, relativement à Bethsaïda, je me contenterai de dire que les uns en fixent l’emplacement au Khan el- Minieh, d’autres près de l’A’ïn et-Tabighah, d’autres enfin à Tell Houm. La première opinion est, à mon avis, de beaucoup la plus vraisemblable, et je l’adopte comme telle. 1 Pèlerinage en Terre sainte de l’higoumène russe Daniel , traduit par Abraham de NorotT, p. îoA. CHAPITRE XV. KHARBET KEFR KOUK. 223 CHAPITRE QUINZIÈME. KIIARBET KEFR KOUK. - - a’ÏN TABIGHAII. - TELL HOUM (cAPHARNALlAl). KH ARRET KEFR KOUK. Le 25 juin, à cinq heures quinze minutes du matin, je quitte l’A’ïn et-Tin pour prendre la direction de l’ouest-nord-ouest. A cinq heures vingt minutes, je laisse à ma gauche le khan à moitié ruiné dont j’ai parlé ; à ma droite , je remarque , sur les flancs occidentaux de la colline rocheuse qui s’avance en forme de pro¬ montoire dans le lac, quelques cavernes peu profondes, qui pa¬ raissent pratiquées par la main de l’homme. De gros blocs basal¬ tiques embarrassent ou bordent le sentier que je gravis vers le nord-ouest. A cinq heures trente minutes, je parviens sur un plateau fertile. A cinq heures quarante-cinq minutes, une montée continue, mais qui devient de plus en plus douce, me conduit à des ruines qui me sont désignées sous le nom de Kharbet Kefr Kouk. Les arasements de nombreuses petites maisons sont reconnaissables. Au milieu des débris confus de ces habitations démolies, à travers lesquelles la charrue a souvent passé, j’aperçois deux fuis mutilés de colonnes de basalte; ils proviennent probablement d’un édifice tourné de l’ouest à l’est, dont il subsiste près de là de faibles vestiges, et qui, à cause de son orientation, me paraît avoir été une ancienne église chrétienne. Des citernes creusées dans le roc sont éparses sur beau¬ coup de points. Un birkeh, au fond duquel divers arbres, entre autres plusieurs figuiers, ont pris racine, a dû être dans le principe une carrière, transformée plus tard en un réservoir d’eau. 224 DESCRIPTION DE LA GALILEE a’ïn tabighaii. A six heures trente minutes, je redescends, vers Test-sud-est, puis vers Test, de la colline sur laquelle ces ruines sont dispersées. A six heures cinquante-cinq minutes, je suis, dans la direction du nord-nord-est, les restes de l’ancien aqueduc qui amenait jadis dans la plaine de Gennésar les eaux de la source dont je vais par¬ ler. A ma droite, le rivage s’arrondit en une jolie petite baie, que les pêcheurs de Bethsaïda devaient certainement fréquenter au¬ trefois; car elle avoisine au nord le promontoire de Khan Minieb, au sud duquel je place la bourgade de ce nom. L’aqueduc en question, après avoir franchi ce promontoire au moyen d’une entaille pratiquée dans le roc, large de plus de 1 mètre et qui est devenue un sentier depuis qu’elle a cessé d’être un canal à ciel ouvert, contournait les flancs de plusieurs collines, et traversait deux ravins, sous la forme d’un conduit ordinaire bâti avec de menus matériaux revêtus d’un épais ciment, et qui est actuellement en grande partie détruit, mais dont il est facile de retrouver et de suivre les traces jusqu’à la source d’où il partait. A sept heures dix minutes, je fais halte quelques instants près de cette source remarquable, appelée aujourd’hui par les Arabes A'ïn Tabighah. Elle est renfermée dans un vaste bassin de forme octogone, mesurant 80 mètres de pourtour et 10 de profondeur. Ce réservoir a été construit avec des pierres volcaniques régulières et de moyenne dimension, dont le parement intérieur consistait en une épaisse couche de ciment, qui est à moitié tombée. On y des¬ cend par un escalier qui mène à une sorte de plate-forme carrée, qui disparaissait sous l’eau, quand celle-ci était plus haute. Une foule de petits poissons se jouent dans ce bassin, comme dans celui de l’A in Medaouarah, du fond duquel s’élancent des touffes de gigantesques roseaux. L’eau, qui actuellement n’a que 2 mètres de profondeur, s’é¬ chappe vers le bas par plusieurs fissures; autrefois elle s’élevait CHAPITRE XV. — A’IN TABIGHAH. 225 beaucoup plus haut, jusqu’à une double ouverture supérieure pra¬ tiquée dans deux beaux blocs perforés au centre, et qui lui per¬ mettait de s’écouler dans un canal qu elle n’atteint plus maintenant. A 70 pas environ à l’est de ce réservoir, on remarque une sorte de petite tour ronde, à deux étages en retraite l’un au-dessus de l’autre, et qui avait 4 mètres d’élévation. Elle était revêtue exté¬ rieurement de pierres de taille qui ont été presque toutes enle¬ vées; le blocage seul est resté. La plate-forme supérieure, à laquelle on montait par des gradins circulaires, mesure 8 mètres de dia¬ mètre; quant à la base de la tour, elle en a environ i4. Au dedans de cette édicule bouillonne une source extrêmement abondante, dont la température est de 32 degrés centigrades et clonL la saveur est très saumâtre et légèrement sulfureuse. On l’appelle, comme la précédente, AT11 Tabighah. L’eau sort maintenant avec beaucoup de force de la partie inférieure de la tour, et forme trois ruisseaux, qui mettaient en mouvement, il y a un certain nombre d’années, plu¬ sieurs moulins, dont un seul est en activité en ce moment. Du reste, près de ces deux grands ouvrages hydrauliques on n’observe les traces d’aucune bourgade antique, et l’on se demande pourquoi Robinson a cru pouvoir fixer en cet endroit la petite ville de Reth- saïda. Les deux sources dites A An Tabighah sont identifiées par le capitaine Wilson avec la source de Capharnaüm, 'rsrjyrj KaÇ>ap- vcLovfj-, mentionnée par l’historien Josèphe comme arrosant le dis¬ trict de Gennésar b Ce district comprend évidemment toute la riche plaine qui porte de nos jours le nom de Rhoueîr, et, attendu que, dans cette plaine même, se trouve une source considérable renfermée dans un bassin circulaire, cl’où elle s’échappe en formant deux ruisseaux destinés à l’irrigation du sol, plusieurs savants voya¬ geurs, entre autres M. de Saulcy, reconnaissent dans cette der¬ nière source l’A’ïn el-Medaouarah des Arabes, celle que Josèphe désigne sous le nom de Capharnaüm. Ils se fondent principale- Guerre des Juifs, I. III, c. S 8. 1 .) 226 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. ment, pour établir cette identification, sur le nombre infini de petits poissons qui pullulent dans le bassin de l’A’ïn el-Medaoua- rab, poissons au milieu desquels on remarque, dit-on, plusieurs espèces de coracinus. Or, on sait que Josèphe prétend que la source de Capharnaüm produit des poissons semblables au cora¬ cinus : Tavjriv (pXéSa, t ou N e/Xov t ivès ecioï'av, êne) ysvva xarot. t rjv hXe^av- iïpétev Xi'fjivtiv xopaxi'vy 'rxapom'krio-iov ]. rc Cette source (celle de Capharnaüm) est regardée par quelques-uns comme l’une des veines du Nil, parce qu’elle engendre un poisson semblable au co¬ racinus que l’on trouve dans les marais d’Alexandrie, n D’autres voyageurs, par exemple Robinson, plaçant Caphar¬ naüm au Kharbet Khan el-Minieh, voient dans l’A’ïn et-Tin la source mentionnée par Josèphe. Le ruisseau qui en sort contient également beaucoup de petits poissons qui ressemblent à ceux de l’A’ïn Medaouarah. Le capitaine Wilson, enfin, dont le sentiment me paraît devoir être adopté, la reconnaît dans l’A’ïn Tabighah. Cette source, en efifet, est plus voisine de Tell Houm, où il fixe l’ancienne Capharnaüm; elle est plus abondante encore que l’A'ïn Medaouarah et que l’A’ïn et-Tin, aussi riche d’ailleurs que celles-ci en petits poissons, plus remarquable en outre que les deux pré¬ cédentes par les grands ouvrages hydrauliques au moyen desquels elle a été jadis soit emmagasinée, soit distribuée. Sans couler, comme l’A’ïn Medaouarah, au centre de la plaine d’El-Rhoueïr ou, comme l’A’ïn et-Tin, à l’extrémité nord-est de cette même plaine, elle pouvait néanmoins, à cause de sa position plus élevée, arroser par des canaux une plus grande étendue de ce même district. TE1.L HOUM ( CAP1IARN AÜm). A huit heures, je me remets en marche vers le nord-est. Guerre des Juifs , I. III, c. x, S 8. I CHAPITRE XV. — TELL HOUM. 227 À huit heures deux minutes, je passe auprès d’un autre puits circulaire, appelé Tannour Eyoub; construit d’après le même sys¬ tème que le précédent, il était destiné à faire monter l’eau dans le réservoir qui la contenait; elle s’en échappe maintenant par une brèche pratiquée dans la partie inférieure de ce bassin et forme un ruisseau qui va se perdre dans le lac. A ma droite s’arrondit une petite crique. A huit heures dix minutes, ma direction devient celle de l’est- nord-est. Je laisse bientôt à ma droite une autre petite haie. A l’extrémité de l’une des deux pointes qui la délimitent, je re¬ marque les restes d’une ancienne jetée. A huit heures quatorze minutes, une troisième crique se dessine sur les bords du lac. Je chemine paisiblement au milieu de gros blocs basaltiques, qui recouvrent le sol, et à travers lesquels mon cheval a grand’peine à se frayer un passage. A huit heures quarante minutes, je parviens à Tell Houm, après avoir passé devant une quatrième crique, dont les bords sont envi¬ ronnés de belles touffes de lauriers-roses. Les ruines appelées de ce nom s’étendent près du rivage , dans un développement qui peut être évalué à 800 mètres de long sur ôoo de large au plus. La ville antique dont elles offrent les débris, et qu’enfermait un mur d’enceinte depuis longtemps rasé, était donc fort petite. Elle est presque complètement renversée, et rem¬ placement quelle occupait est aujourd’hui envahi par une quantité considérable de pierres basaltiques de toute dimension, les unes qui paraissent avoir été déposées là à la suite d’éruptions volca¬ niques, les autres provenant d’habitations ou d’édifices démolis. Çà et là s’élèvent des doums ou acacias jujubiers, au milieu d’un fourré de chardons, de ronces et d’herbes sauvages. Le long du rivage, plusieurs anciennes constructions sont encore à moitié de¬ bout; l’une semble avoir été jadis un réservoir d’eau. Mais ce qui attire surtout l’attention ou plutôt l’admiration très légitime du voyageur, ce sont les arasements d’une magnifique 228 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. synagogue, dont le plan est encore actuellement jusqu’à un certain point reconnaissable, malgré les dévastations de toutes sortes que les précieux restes de ce monument ont subies depuis quelques années. Ces débris, qui avaient été exhumés en 1866 par une com¬ mission anglaise dirigée par le capitaine Wilson , et que j’avais pu étudier en 1870, sont maintenant en partie détruits ou transpor¬ tés ailleurs. Les Bédouins qui campent dans les environs, voyant l’intérêt que les voyageurs portaient à ces ruines remarquables, se sont imaginé qu’elles recélaient des trésors. N’en trouvant pas dans les fondations, ils les ont cherchés dans les fûts de colonnes, dans les chapiteaux, dans les blocs les plus richement sculptés, qu’ils ont brisés et mutilés avec un acharnement aveugle, qu’enllammait une convoitise insensée. D’un autre coté, les habitants de Tibé¬ riade sont venus quelquefois extraire de ce même endroit des matériaux de construction, de telle sorte qu’aujourd’hui les plus beaux fragments de cette synagogue ont diminué au moins de moi¬ tié depuis cinq ans, enlevés ou réduits à l’état de pierres informes; et si un pareil vandalisme ne s’arrête pas bientôt, on cherchera vainement, dans un avenir prochain, les derniers vestiges et même l’emplacement de cet édifice vénérable. Telle que je l’ai vue en 1870, cette synagogue, tournée du sud au nord, comme presque tous les anciens monuments de ce genre en Palestine, mesurait 3o pas de long sur 22 de large. Les murs qui enfermaient ce quadrilatère étaient bâtis avec de belles pierres calcaires, très régulièrement taillées, et étaient ornés à l’extérieur de pilastres cpii en rompaient élégamment la monotonie et la nu¬ dité. La façade méridionale ou façade d’entrée était percée de trois portes rectangulaires, une centrale et deux latérales, celles-ci natu¬ rellement moins grandes que la première. Elles consistaient en pieds-droits composés de blocs superbes, que couronnait un gigan¬ tesque linteau. Parmi les sculptures qui les décoraient, on remar¬ quait principalement des rosaces, des grappes de raisin, d’autres fruits et des guirlandes de fleurs. Au dedans, l’édifice était divisé en cinq nefs, séparées les unes des autres par quatre rangées de CHAPITRE XV. — TELL HOUM. 229 sept colonnes calcaires chacune, lesquelles étaient munies de cha¬ piteaux corinthiens. A l’extrémité septentrionale des deux rangées occidentale et orientale, les colonnes, au lieu d’être simples, se com¬ posaient de deux demi-colonnes adossées à un pilier carré, les deux demi-colonnes regardant l’une et l’autre les autres colonnes auxquelles elles répondaient, et le pilier carré faisant face au mur. Une particularité analogue s’observe dans les ruines de la plupart des antiques synagogues de la Palestine. A quelle époque remonte le monument dont il s’agit ici? Le capi¬ taine Wilson en attribue, et, je crois, avec quelque raison , la fonda¬ tion au centurion mentionné dans les versets suivants de l’Evangile de saint Luc : 1. Après que Jésus eut achevé tout ce discours devant le peuple qui l’écou¬ tait, il entra dans Capharnaüm. 2. Il y avait là un centurion dont le serviteur qui lui était cher était fort malade et sur le point de mourir. 3. Et, ayant ouï parler de Jésus, il lui envoya quelques-uns des anciens parmi les Juifs, pour le supplier de venir guérir son serviteur. r h. Etant donc venus trouver Jésus, ils l’en conjuraient avec grande instance, en lui disant: C’est un homme qui mérite que vous lui fassiez cette grâce; 5. Car il aime notre nation, et c’est lui-même qui a hâti notre synagogue1. Si Tell Houm, en effet, est l’antique Capharnaüm, comme beau¬ coup de critiques le supposent, opinion que je partage pleinement, la synagogue dont les ruines nous occupent en ce moment peut très bien être celle qui fut bâtie par ce centurion. Capharnaüm-, à cause de sa petitesse, ne devait avoir qu’une synagogue, ainsi que l’atteste d’ailleurs saint Luc dans le texte grec. Dans le texte latin, nous lisons : Diligit enim gentem nostram, et synagogam ipso ædificavit nobis. Le mot synagogam, étant ici indéterminé, pcuL se traduire par une synagogue ou notre synagogue, la synagogue de notre ville. 1 Sain! Luc, c. vu, v. t-5. 230 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Dans le texte grec, l’article qui précède le mot o-vvctywyrjv 11e nous laisse plus aucun doute sur le sens précis crue nous devons donner à ce mot : 9 Aycara yàp t b e$vos vptuv, xai iy\v avvotyooynv avros ùxoSéfXticrev r\yAV. ffll aime notre nation et c’est lui qui nous a construit la synagogue (c’est-à- dire celle que nous avons), v Dans ce cas, cet édifice a eu l’insigne honneur d’entendre sou¬ vent la parole du Messie, pendant qu'il habitait Capharnaüm, et d’ètre témoin de plusieurs de ses miracles, notamment de la gué¬ rison soudaine d’un possédé du démon : 3i. Jésus descendit à Capharnaüm, qui est une ville de Galilée, où il les enseignait les jours de sabbat. 3a. Et sa manière d’enseigner les remplissait d’étonnement, parce que sa parole était accompagnée de puissance et d’autorité. 33. H y avait dans la synagogue un homme possédé d’un démon impur, qui jeta un grand cri, 3 h. En disant : Laissez-nous : qu’y a-t-il de commun entre nous et vous, Jésus de Nazareth? Etes-vous venu pour nous perdre? Je sais qui vous êtes: vous êtes le saint de Dieu. 35. Mais Jésus, lui parlant avec menace, lui dit : Tais-toi, et sors de cet homme. Et le démon, l’ayant jeté à terre au milieu de tout le peuple, sortit de lui, sans lui avoir fait aucun mal l. Le même lait est raconté par saint Marc2. C’est dans cette synagogue également que Notre-Seigneur pro¬ nonça l’admirable discours rapporté par saint Jean3, et où le grand mystère de l’Eucharistie est si divinement exposé. On conçoit que les restes d’un monument qui a entendu de telles paroles et qui a vu de pareils prodiges doivent être chers à tous les chrétiens. Aussi n’est-ce point sans un profond respect que je les ai contemplés, dans la conviction où j’étais que j’avais devant les yeux les débris authentiques de la synagogue de Capharnaüm. Il est, hélas! douloureux de penser que ces reliques sacrées dispa- 1 Saint Luc , c. îv, v. 3 1 -35. — 3 Saint Marc, c. i, v. 21-26. — 2 Saint Jean, c. vi, v. 32-Go. CHAPITRE XV. — TELL HOUM. 231 raissent de jour en jour et sont comme condamnées à périr presque entièrement, lorsqu’elles devraient être, au contraire, conservées avec un soin en quelque sorte religieux. A côté et en dehors de cet édifice, mais attenant à sa façade orientale, on observe de même les arasements d’un autre monu¬ ment rectangulaire, qui avait été construit pareillement avec de superbes blocs calcaires parfaitement taillés et très régulièrement agencés. Ce second édifice avait trois portes sur sa face septentrio¬ nale et une seule sur sa face orientale; il était, comme la synagogue, avec laquelle il ne communiquait point, orné extérieurement de pilastres. Sa longueur était de 3o pas et sa largeur de 16. Sont-ce là les vestiges d’une ancienne église chrétienne, adossée, pour ainsi dire, à la synagogue juive? La chose n’est pas impossible; mais il faudrait des fouilles plus complètes que celles qui ont été exécutées en cet endroit par le capitaine Wilson, pour le démontrer péremp¬ toirement. 11 est permis cependant de supposer que nous sommes là sur l’emplacement de l’église que le Juif converti Joseph obtint de l’empereur Constantin le droit d’élever à Capharnaüm. Jus¬ que-là, en elfct, les Juifs seuls avaient pu habiter cette ville, où les chrétiens ne devaient point séjourner1. Antonin de Plaisance s’exprime ainsi, à la fin du vie siècle, en parlant de Capharnaüm : Deinde veniiiius in civitatem Capharnaüm, in doinum Pétri, quæ modo est basilica. Ce dernier témoignage prouve que la supposition précédente n’a rien que d’assez vraisemblable, et le capitaine Wilson incline à l’adopter. Nous savons par saint Matthieu que, bien que Betbsaïda lut la de Pierre et de son frère André, Pierre néanmoins avait une maison à Capharnaüm : ià. Jésus, étant venu en la maison de Pierre, vit sa belle-mère gui était au lit et qui avait la fièvre, Epiphanc, Contre les hérésies, p. 1 28 et i30. I 23 2 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. i5. Et lui ayant touché la main, la lièvre Ja quitta; elle se leva aussitôt et elle les servait L Saint Marc, en racontant le même fait, nous apprend que cette maison appartenait à la fois à Pierre et à André, et que Notre-Sei- gneur y entra en sortant de la synagogue de Capharnaüm ; 29. Sitôt qu’ils furent sortis de la synagogue, ils vinrent avec Jacques et Jean à la maison de Simon et d’André. 30. Or la belle-mère de Simon était au lit, ayant la lièvre. Ils lui parlèrent aussitôt d’elle; 01. Et lui , s’approchant, la prit par la main et la fit lever. Au même instant la fièvre la quitta, et elle les servait. 32. Sur le soir, le soleil étant couché, ils lui amenèrent tous les malades et les possédés. 33. Et toute la ville était assemblée devant sa porte. 3ô. Il guérit plusieurs gens atteints de diverses maladies et il chassa plu¬ sieurs démons 2 . Saint Luc nous donne à ce sujet des détails identiques à ceux que nous fournit saint Marc3. Comme Notre-Seigneur, en sortant de la synagogue de Caphar¬ naüm, entra immédiatement dans la maison de Simon-Pierre et d’André, où il guérit la belle-mère de Simon et accomplit plusieurs autres miracles, on peut en conclure que cette maison avoisinait la synagogue; c’est ce qui explique peut-être pourquoi la syna¬ gogue de Tell Houm est contiguë à un autre édifice, également ren¬ versé, et qui probablement est une ancienne église chrétienne, bien que son orientation, je l’avoue, 11e soit pas celle des basiliques ordinaires. Dans ce cas, je le répète, rien n’empêche d’y voir la basilique visitée par Antonin de Plaisance et construite sur l’em¬ placement de la maison de saint Pierre. A une distance peu considérable des deux monuments dont je viens de parler et en se rapprochant du rivage, 011 aperçoit une sorte de tour qui de loin offre une apparence antique, tant sont 1 Saint Matthieu , c. vin, v. 1 h et 10. — 3 Saint Marc, c. 1, v. a<)-34. — Lac, c. iv, v. 38-/ii. :i Saint CHAPITRE XV. — TELL HOUM. 233 remarquables les blocs avec lesquels elle a été bâtie; mais, pour peu qu’on l’examine de plus près , on reconnaît aussitôt quelle est d’origine plus moderne et quelle a été construite tout entière avec de belles pierres de taille, quelques-unes ornées de sculptures, provenant des ruines de la synagogue voisine. Voûtée intérieure¬ ment, elle mesure environ îa pas de chaque côté. Enfin à cinq minutes de distance, au nord-ouest de cette même synagogue, est un ancien tombeau qui a dû avoir autrefois une certaine mapjiificence. C’est un caveau construit en pierr es de taille très régulièrement appareillées, et renfermant dans chacun de ses trois compartiments plusieurs fours à cercueil rectangulaires. Je n’ai pas pu l’étudier comme je l’aurais désiré, parce que je l’ai trouvé rempli aux trois quarts de paille. Au-dessus règne une plate-forme carrée, sur le milieu de laquelle s’élevait jadis une édicule, bâtie également en pierres de taille et dont il ne subsiste plus que de faibles vestiges, ce qui ne permet pas d’en reconnaître le plan. Peut-être était-ce une petite pyramide. Telles sont, en résumé, les principales ruines qui, à Tell Houm, méritent d’être visitées avec soin. Quanta la dénomination antique que portait cette localité, j’ai déjà dit que, selon toute probabilité, c’était celle de Capharnaüm, en hébreu mro “idd, Caphar Nahoum, ce village de Nahoumn, en grec Kaficcpvcco'Ufx et KanspvtxovfÂ, en latin Capharnaüm. D’abord il y a entre les deux noms de Caphar INahoum et de Tell Houm des rapports faciles à saisir et qui sautent aux yeux. Caphar, signifiant en hébreu ce village, bourgade, petite ville, n a été remplacé par le mot arabe Tell, qui veut dire ec colline n, mais plus particulièrement cc colline couverte de ruines n. Quant au nom propre Nahoum, il a perdu sa première syllabe et n’a plus con¬ servé que sa dernière. Un retranchement analogue se remarque dans le nom antique de la ville de Achzib ou Ecdippa, située entre Saint-Jean-d’Acre et le promontoire appelé aujourd’hui Ras cn- Nakoura, nom qui est devenu en arabe Zi b. En second lieu, l’identité du Kharbet Tell Houm avec Caphar 234 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Nahoum est prouvée par le voisinage du Kharbet Kerazeh , qu’il me paraît impossible de ne pas identifier avec Corozaïn. Saint Jérôme, en effet, nous apprend que Caphar Nahoum et Gorozaïn étaient séparées l’une de l’autre par un intervalle de deux milles, inter¬ valle qui répond parfaitement à la distance qui existe entre le Kharbet Tell Houm et le Kharbet Kerazeh. Eusèbe, à la vérité, au mot Xcapa^etV, s’exprime ainsi: Xcupa^scv, x'Jfxtj t rjs TakiXai'as fjv b Xpto-los TaXavi^ei xoltol to E vayyé- Xiov, xcll vCv êcrTiv epript.05, Siecr'l&aa. Ka.(papvoiovpL anpietois r k Chorazin, village de la Galilée que le Christ maudit dans l’Evangile; il est maintenant désert, à douze milles de Capharnaüm. w Ce chiffre de douze milles est évidemment une erreur, car, dans le passage de l’Evangile auquel Eusèbe fait allusion, Capharnaüm, Gorozaïn et Bethsaïda sont citées ensemble comme étant situées dans un voisinage plus rapproché que 11e l’indique une distance de douze milles : 20. Alors Jésus commença à faire des reproches aux villes dans lesquelles il avait accompli beaucoup de miracles, parce qu’elles 11’avaient pas fait péni¬ tence. 21. Malheur à toi, Corozaïn ! Malheur à toi, Bethsaïda ! parce que, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous l’avaient été dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps quelles auraient fait pénitence dans le sac et dans la cendre. 22. C’est pourquoi je vous déclare qu’au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. 23. Et toi, Capharnaüm, t’élèveras-tu toujours jusqu’au ciel? Tu seras abaissée jusqu’au fond de l’enfer, parce que, si les miracles qui ont été faits au milieu de toi avaient été accomplis dans Sodome, elle subsisterait peut-être encore aujourd’hui. 2 h. C’est pourquoi je te déclare qu’au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi1. Saint Luc reproduit les mêmes menaces et les mêmes malédic¬ tions de Notre-Seigneur en des termes à peu près identiques2. En maudissant ensemble ces trois villes, le Sauveur paraît nous Saint Matthieu , c. xi, v. 20-2/1. — 2 Saint Luc, c. x, v. 1 3- 1 5. 1 CHAPITRE XV. — TELL HOUM. 235 faire entendre quelles étaient très voisines les unes des autres, conclusion que nous pouvons tirer également d’autres passages des r Evangiles, desquels il ressort que Bethsaïda et Capharnaüm étaient très rapprochées l’une de l’autre. En ce qui concerne Gorozaïn, si elle eût été séparée de Capharnaüm par la distance de douze milles, un pareil intervalle serait tout à fait en désaccord avec la lon¬ gueur même du lac de Tibériade, dont elle était voisine, sans être néanmoins sur le bord de cette petite mer, comme Capharnaüm et Bethsaïda. Aussi saint Jérome a-t-il corrigé ce chiffre de douze milles en celui de deux milles. Chorazain, oppidum Galilææ, quod Christus propter incredulitatem mise- rabiliter déplorât et plangit. Est autem nunc desertum in secundo lapide a Capharnaüm. Mais, dira-t-on peut-être, Notre -Seigneur, en mentionnant Bethsaïda immédiatement après Corozaïn: cc Væ tibi, Corozain! Væ tibi, Bethsaida!» ne semble-t-il pas par là faire entendre que Ca¬ pharnaüm était située plus loin de Corozaïn que ne l’était Beth¬ saïda, laquelle, par conséquent, se serait trouvée entre les deux? Dans ce cas, en laissant Corozaïn au Kharbet el-Kerazeh, il nous faudrait placer Bethsaïda à Tell Houm, et Capharnaüm au Kharbet Khan el-Minieb. Mais on peut répondre très facilement à cette objection, qui n’est que spécieuse. Si Notre-Seigneur ne mentionne Capharnaüm qu’après Corozaïn et Bethsaïda, c’est qu’il réserve pour cette ville des malédictions toutes particulières. C’est à Capharnaüm, en effet, qu’au sortir de Nazareth il avait fixé sa résidence, probablement dans la maison de Simon-Pierre. Aussi Capharnaüm est-elle appelée par saint Matthieu la propre cité de Jésus-Christ : Et ascendcns in naviculam, Iransfretavit et venit in civitatem suam1. Les versets qui suivent nous montrent qu’il s’agit ici de Caphar¬ naüm. C’est, en outre, à Capharnaüm que le Sauveur avait accompli Saint Matthieu , c. ix, v. 1. i 236 DESCRIPTION DE LA GALILEE. de nombreux miracles, en guérissant le serviteur du centurion, la belle-mère de saint Pierre, un paralytique, un homme possédé du démon, une femme affligée d une perte de sang et le fils de l’un des principaux habitants, en ressuscitant la fille de Jaïre, chef de la synagogue, etc. Enfin, la synagogue de cette ville avait, les jours de sabbat, entendu ses divins enseignements. Néanmoins, tels étaient l’incré¬ dulité et l’orgueil de Capharnaüm, que Jésus, s’adressant ensuite à elle, lui inflige les terribles menaces que l’on connaît. Après avoir maudit en commun Corozaïn et Betlisaïda, il accable d’une malédiction loute spéciale Capharnaüm, qui avait été témoin d’un plus grand nombre de miracles et qui avait davantage abusé des grâces dont elle avait été comblée. Il ne faut donc pas voir là un argument topographique à l’appui de l’opinion qui place Ca¬ pharnaüm à une plus grande distance de Corozaïn que Betlisaïda, mais seulement une preuve morale de la plus grande culpabilité de cette ville et l’annonce des châtiments plus redoutables qui l’attendaient un jour. Dans ces mots: t’élèveras-tu toujours jusqu’au ciel? ne doit-on pas, en troisième lieu, voir une allusion à la beauté de Caphar¬ naüm, beauté dont elle était si fière et quelle devait, non sans doute à ses habitations particulières, mais plutôt à quelques-uns de ses monuments publics, notamment à sa magnifique synagogue, dont les restes, tout mutilés et dégradés qu’ils sont, frappent encore d’admiration tous ceux qui les contemplent? Ces mots donc me paraissent un argument que l’on peut légiti¬ mement invoquer en faveur de Tell Houm comme représentant l’antique Capharnaüm. A Tell Houm, en effet, il y a les ruines très remarquables dont j’ai parlé; au Kharbet Khan el-Minieh, au contraire, rien de semblable n’attire les regards. Quatrièmement, du passage suivant de Josèphe il ressort clai¬ rement que Capharnaüm était la première ville que l’on rencontrait au nord-ouest du lac, le long de ses rives, après avoir franchi le Jourdain : CHAPITRE. XV. TELL H 0 U M. 237 Sylla établit son camp à cinq stades de Julins et plaça des postes sur la route qui conduisait à Cana et sur celle qui menait à la forteresse de Gamala, pour empêcher les habitants d’être secourus par les Galiléens. A cette nou¬ velle, j’envoie aussitôt deux mille soldats, commandés par Jérémie. Ceux-ci campent à un stade de Julias, près du Jourdain. Voyant qu’ils ne faisaient rien qu’escarmoucher, j’allai les rejoindre avec trois mille hommes. Le lendemain, je dressai une embuscade non loin clu camp de l’ennemi, et je provoquai au combat les troupes du roi (Agrippa), en recommandant aux miennes de lâcher pied à dessein, jusqu’à ce qu’elles eussent attiré l’ennemi vers elles; ce qui arriva; car Sylla, s’étant imaginé que les nôtres fuyaient réellement, s’avança pour les poursuivre. Soudain, ceux qui étaient en embuscade l’attaquent par derrière et jettent le trouble parmi ses soldats. Alors, je fis tourner visage à mes gens, et, chargeant les troupes royales, je les forçai à prendre la fuite. Ce jour-là, j’aurais remporté un succès complet, si la fortune ne se fût opposée à mon bonheur. Le cheval sur lequel j’étais monté pour combattre s’étant abattu sous moi, je fus renversé violemment dans un endroit marécageux, où je me foulai les articulations de la main. Je fus alors transporté au village de Kepharnomé. Les miens, en apprenant cela et craignant que je ne fusse encore plus blessé que je ne l’étais, cessèrent de poursuivre l’ennemi et revinrent très inquiets à mon sujet. On envoya chercher des médecins, qui me pansèrent. Je restai ce jour-là en ce lieu, parce que j’avais la fièvre, et la nuit, sur l’avis des médecins, je fus porté à Tarichée1. D’après ce passage de Josèphe, nous voyons que le combat entre ses troupes et celles d’Agrippa, commandées par Sylla, eut lieu non loin de l'embouchure du Jourdain dans le lac de Tibériade, à une faible distance de Julias, ville située sur la rive orientale du fleuve. Du champ de bataille, Josèphe, une lois blessé, dut être porté par ses soldats dans le premier endroit habité au delà du fleuve où se trouvaient des médecins ; or, sur le bord occidental du lac, la première localité importante que l’on rencontrait néces¬ sairement était celle qui s’appelle aujourd’hui Tell Houm, et comme Josèphe la désigne sous le nom de Ketpapeep/ (Kepharnomé), nom identique évidemment à la dénomination hébraïque de Caphar Nahoum, il s’ensuit que Tell Houm occupe l’emplacement et a conservé la fin du nom de cette petite ville. Telles sont les quatre principales raisons qui militent en faveur Vie de Josèphe , S 72. 1 ‘238 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. de cette identification. Capharnaüm, en hébreu Caphar Nahoiim, cc le village de Nahoumn, ou crie village de la consolations, selon l’in¬ terprétation d’Origène, n’est nulle part mentionnée dans l’Ancien Testament. Dans le Nouveau elle l’est plusieurs fois. Saint Matthieu l’appelle la propre ville de Notre-Seigneur, y iSicc rzôXis 1 , parce que le Sauveur, comme je l’ai dit, après avoir quitté Nazareth, pays de ses parents, vint s’y réfugier et en fit quelque temps comme sa seconde patrie. Depuis lors, Capharnaüm s’est acquis parmi les chrétiens une célébrité qui ne peut périr. Elle avait un poste mili¬ taire romain, un bureau de perception et une synagogue. Le centurion qui, à l’époque de Notre-Seigneur, commandait la petite garnison établie dans cette localité, obtint, comme nous l’avons vu, du Sauveur, la guérison soudaine de son serviteur, gra¬ vement malade, et c’est lui qui avait bâti la synagogue où Jésus fit tant de miracles et développa, les jours de sabbat, les plus au¬ gustes mystères de sa doctrine. Cet édifice, dont j’ai décrit le plan et les ruines, témoignait encore, il y a peu d’années, par la magni¬ ficence de ses débris, qui malheureusement ont en grande partie disparu, de l’importance relative qu’avait alors Capharnaüm. Quant au bureau de perception de cette petite ville , il est indiqué dans les versets suivants des Evangiles : Jésus, parlant de ce lieu, vit un homme assis au bureau des contributions, nommé Matthieu, auquel il dit: Suivez-moi. Et lui aussitôt se leva, et le suivit2. Selon saint Marc, Matthieu s’appelait aussi Lévi et était fils d’Alphée : Et lorsqu’il passait, il vit Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des contri¬ butions, auquel il dit: Suivez-moi. 11 se leva aussitôt, et le suivit 3. Tel est également le nom que saint Luc donne à Matthieu, au moment où Notre-Seigneur le choisit pour apôtre : Après cela, Jésus, étant sorti, vit un publicain, nommé Lévi, assis au bureau des contributions et lui dit : Suivez-moi 4. 1 Saint Matthieu , c. iv, v. î; Saint Marc , c. xi, v. 1. — 5 Saint Matthieu, c. ix, v. (j. — ! Saint Marc , c. xi, v. i4. — ' Saint Luc , c. vu, v. 27. CHAPITRE XV. TELL HOUM. 239 On désignait, comme on le sait, sous le nom de publicains tous ceux qui levaient pour les Romains des impôts sur toutes les mar¬ chandises et denrées qui entraient dans le pays. Ces gens étaient en horreur aux Juifs, parce quils servaient d’instruments aux vain¬ queurs de leur nation. Les Talmuds mentionnent Kefar Tanhoum, Tanlioumin et Te- Iioumin, noms qui ne sont sans doute que des variantes de Kaphar Nahoum1. Du mot Tanhoum est dérivé probablement le nom actuel Tell Houm, par une simple permutation du noun hébraïque avec le htm arabe. Dans l’itinéraire juif intitulé : Les Chemins de Jérusalem, et ré¬ digé par le rabbin Isliak Chelo, qui, vers 1 3 3 3 , se rendit en Pales¬ tine, nous lisons ce qui suit : D’Arbel on va à Kefar Nachum, qui est le Kefar Nachum cité dans les écrits de nos sages (dont la mémoire soit en bénédiction!). C’est un village en ruine où il y a un ancien tombeau, que l’on dit être celui de Nachum le Vieux. Autrefois, il y avait dans ce village beaucoup de minim , tous de grands sorciers 2. D’après ce passage d’Ishak Chelo, on voit qu’au xivc siècle le nom et l’emplacement de Caphar Nahoum étaient connus des Juifs. Le tombeau que l’on y visitait alors était probablement celui que j’ai signalé comme existant encore en partie à quelques centaines de mètres de la synagogue de Tell Houm. Nachum le Vieux, dont il est question ici, est un rabbin cité dans le Talmud. Quant au mot minim, il signifie cc renégat», et c’était un surnom appliqué par les Juifs à ceux d’entre eux qui avaient embrassé le christianisme. 1 Midrasch, Schir ha-Schirim, lit, 18; Talmud de Jérusalem, Theroumoth , xi, 7. — 2 Garmoly, Itinéraires, p. -.2 5 9 et 2C0. 240 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. CHAPITRE SEIZIÈME. KHARBET ABOU-ZEINEH. — KHABBET KERAZEH (cOROZAÏn). - RETOUR À TELL IIOUM. KHARBET ABOU-ZE1NEH. Le 26 juin, à cinq heures cinq minutes du matin, je me mets en marche vers l’est-nord-est. A cinq heures dix minutes, les ruines de Tell Iloum cessent de se montrer à mes yeux; je remarque seulement quelques arase¬ ments de murs ayant jadis délimité des jardins. A cinq heures seize minutes, je franchis l’Oued Tell Iloum; on l’appelle également Oued en-Nachef. Son lit, qui est presque tou¬ jours à sec, si ce n’est à l’époque des grandes pluies, est encombré d’énormes blocs basaltiques. Ma direction devient alors celle de l’est , à travers des champs couverts de doura, ou hérissés de chardons et de doums épineux. Une lisière de lauriers-roses et d’agnus-castus borde et embellit les rives du lac. A cinq heures trente minutes, je traverse l’Oued el-E’ucheh. Il promène ses eaux, dérivées de plusieurs sources, au milieu d’une vallée, qu’il devait jadis fertiliser, et que remplit aujourd’hui une végétation luxuriante d’arbustes, de plantes et de ronces stériles; une petite baie s’arrondit près du rivage. La marche de mon cheval est à chaque instant entravée par de gros blocs basaltiques. A six heures, j’examine, sur les dernières pentes et au bas d’une colline, quelques ruines qui me sont indiquées sous le nom de Kl îarbet Abou-Zeineh. Les arasements d’une construction assez puissante, dont les murs mesuraient un mètre d’épaisseur, sont CHAPITRE XVI. K II ARRET KERAZEH. 241 encore reconnaissables. J’incline à y voir les restes d’un ancien poste militaire, placé à l’entrée de la belle plaine dite Merdj el- Bathiha, que je décrirai bientôt. A ma droite, à une faible distance, le Jourdain se jette par deux bras et une double embouchure dans la partie septentrionale du lac. KHARBET KERAZEH (cOROZAÏn). A six heures vingt minutes, je gravis vers l’ouest une suite de collines dont les pentes, parsemées de pierres basaltiques, sont presque partout envahies par un épais fourré de chardons gigan¬ tesques; quelques parties seulement sont cultivées en doura. A six heures quarante minutes, je traverse l’Oued el-ETicheh. A sept heures trente minutes, après une ascension plus ou moins pénible, je fais halte au milieu des ruines dites Kharbct Kerazeh. J’examine d’abord les restes d’une enceinte mesurant 3 1 pas du nord au sud sur 28 de l’est à l’ouest, et bâtie avec de gros blocs, les uns aplanis, les autres assez mal équarris. A l’angle occi¬ dental, les vestiges d’une tour sont reconnaissables. Au dedans de cette enceinte, qui paraît avoir eu une destination militaire, à cause de l’épaisseur des murs qui la formaient, on observe plusieurs compartiments en pierres sèches, de date beaucoup plus récente. A quelque distance de là, des ruines bien plus remarquables appellent mon attention. Ce sont celles d’une ancienne synagogue. Tournée du sud au nord, elle avait été construite avec de beaux blocs basaltiques très régulièrement taillés. Sa longueur était de 29 pas et sa largeur de 19. Vers le milieu de sa façade méridio¬ nale, un magnifique linteau gisant à terre, et long de 2m,A5, est orné de moulures à crossettes élégamment exécutées. Il couronnait jad is des pieds-droits monolithes, qui ont été complètement brisés. Non loin de ce linteau gisent également trois superbes blocs, creusés en forme de conques marines et couverts de gracieuses sculptures figurant des grappes de raisin, des fleurs ef des fruits divers. Ces jolies coquilles décoraient probablement la voûte d’une arcade DESCRIPTION DE LA GALILEE. 242 placée au-dessus de la porte principale d’entrée. Le sol, dans l’in¬ térieur de l’enceinte, est jonché de tronçons mutilés de colonnes, de chapiteaux affectant la forme d’un ionique particulier et de bases faisant corps avec leurs piédestaux, le tout dans un affreux chaos. Line demi-colonne, adossée à un pilier carré, devait, comme dans les autres synagogues anciennes de la Palestine, terminer l’extré¬ mité septentrionale de l’une des rangées de colonnes. De la bourgade à laquelle appartenait ce bel édifice, il subsiste, en outre, de nombreuses citernes pratiquées dans le roc, des pressoirs et une quarantaine de maisons encore en partie debout, dont quelques-unes paraissent antiques. A la pointe d’une sorte de promontoire qui avance dans l’Oued Kerazeh, on distingue les arasements d’une construction carrée qui semble avoir été une tour, et sur les bords de Youed les assises inférieures d’un mur épais sont encore en place et accusent une époque antérieure à l’invasion musulmane. A quatre minutes de l’emplacement occupé par ces ruines, coule dans une vallée un petit ruisseau, qui, autrefois, devait fertiliser des jardins et servir aux autres besoins des habitants. La source d’où il sort, appelée Bir Kerazeh, est assez abondante et enfermée dans un bassin circulaire de faible dimension, construit avec des pierres irrégulières. Elle fournit maintenant de l’eau aux pâtres qui viennent faire paître leurs troupeaux dans ce lieu solitaire. Quant au nom antique de la bourgade dont le Kharbet Kerazeh nous offre les débris, c’est évidemment celui de Corozaïn , en hébreu , dans le Talmud, Chorazim, cnns, en grec XopaÇsiv, XopaÇtv, Xo- pcc&ïv et Xwpaidv , en latin Corozain, nom qui s’est fidèlement conservé dans la dénomination arabe Kerazeh. La terminaison seule, qui , dans le nom antique, est celle du pluriel ou du duel, devient celle du singulier féminin dans le nom actuel. Corozaïn est mentionnée par saint Jérôme comme étant à deux milles de Capbarnaüm et déjà déserte de son temps : Chorazain, oppidum Galilææ, quod Christus propter incredulitatem mise- CHAPITRE XVI. — KHARBET KERAZEH. *243 rabiliter déplorât et plangit. Est autom nunc desertum in secundo lapide a Capharnaum. Saint Jérôme, ainsique je l’ai déjà dit, corrige de cette manière un passage de Y Onomasticon, dans lequel Eusèbe avait prétendu que la distance qui séparait ces deux villes était de douze milles : XcopaÇstv, xoô[xr\ Trjs Y 83, place Gorozaïn an delà du Jour¬ dain, sur la rive orientale du lac de Tibériade : De isto ioco ad unam leucam contra orientera est Capharnaum civitas, quondam gloriosa, sed nunc est valde vilis, vix habens septem domos paupe- rum piscatorum . De isto Ioco ad dnas leucas Jordanis fluvius mare Galilée ingreditur, in cujns littore ulleriori videntur adhuc ruine civitalis Corozaini supra mare Galilee L On voit, d’après ce passage, combien l’on était alors mal fixé sur l’emplacement véritable de cette ville, puisqu’au lieu de la chercher en Galilée, en deçà du Jourdain, on croyait en trouver les restes au delà de ce fleuve, dans la Gaulanitide. A onze heures, je redescends, vers le sud-sud-est, de la hauteur qu’occupent les ruines de Kcrazeh, et à onze heures quarante-cinq minutes, je suis de retour à Tell Houm, dont j’étudie de nouveau les débris jusqu’au soir. Ma tente avait été dressée entre la synagogue et le lac, qui étendait devant moi sa belle nappe bleue et dont les vagues, agitées par une légère brise, venaient mourir doucement sur une plage aujourd’hui déserte et silencieuse, mais que tant de souvenirs peu¬ plent encore. Cette synagogue bouleversée de fond en comble, au milieu d’une ville elle-même presque entièrement anéantie, attes¬ tait à mes yeux l’accomplissement des divines malédictions qu elle avait entendues. Sur ce lac, d’un autre coté, mon imagination se figurait allant et venant d’une rive à l’autre la barque qui avait plus d’une fois porté le Christ et ses apôtres, barque qui sembla un jour sur le point de sombrer, mais qui finit par toucher heu- r reusement au port : image fidèle de l’Eglise, souvent battue par la tempête, jamais submergée. Ce lac, eu effet, était bien celui autour duquel le Messie avait promené ses pas, ses enseignements et ses miracles, qu’il avait aussi traversé à différentes reprises, dont les flots soulevés par les vents s’apaisaient soudain à sa voix et le virent, dans une circon- Burchardus de Monte Sion, c. iv, 1 1 et t'j. I CHAPITRE XVI. — K II A RB ET KERAZEII. 247 stance solennelle, marcher sur leur surface comme sur un sol ferme et solide. La nuit me surprit au milieu de ces pensées et de ces souvenirs, et je ne rentrai sous ma tente qu’après avoir longtemps encore contemplé cette petite mer de Galilée, alors enveloppée d’un voile de ténèbres, mais reflétant de toutes parts dans ses ondes les feux des innombrables étoiles qui brillaient au firmament. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 2/i8 CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. EL-RHOUEÏR. - aToüN FOULÏEH. - THABAR1EH (TIBERIADE). el-rhoueïr. Le 27 juin, à cinq heures du matin, je quitte Tell Houm, dans la direction de l’ouest-sud-ouest, puis du sud-ouest, laissant bien¬ tôt à ma gauche une petite haie qui jadis devait servir de port à Capharnaüm. A cinq heures quarante minutes, je jette, chemin faisant, un nouveau coup d’œil sur les deux bassins antiques del’ATn Tabighah. Ma direction est alors celle du sud-sud-ouest. A six heures, je descends dans la belle plaine dite El-Rhoueïr, en passant devant les ruines du caravansérail attribué à Senan Pacha et connu sous le nom de Khan el-Minieh. Les vestiges de Bethsaïda sont épars, comme je l’ai dit, dans la partie nord-est de cette plaine, dont la fertilité merveilleuse est attestée, tant par les broussailles gigantesques qui y poussent, que par les magni¬ fiques blés ou douras que la culture y fait croître, là où elle s’em¬ pare du sol. A six heures vingt minutes, je traverse, en cheminant vers le sud, l’Oued el-A’moud; le ruisseau intarissable qui coule dans le lit de cet oued serpente au milieu d’un fourré épais d’agnus-castus et de lauriers-roses, et aboutit au lac. A six heures trente-cinq minutes, je franchis un autre ruisseau, dont la même bordure suit tous les détours, et qui se jette pareille¬ ment dans le lac. Ses eaux proviennent d’une source appelée A’ïn ech-Cheikh, qui jaillit au centre de la plaine. A six heures quarante-cinq minutes, une nouvelle ligne ondu- CHAPITRE XVII. — AHOUN FOULIEH. 249 leuse de ces beaux arbustes en Heur m’annonce la présence d’un troisième ruisseau que j’ai à passer : c’est l’Oued Rabadhieh. Plus abondant que le précédent, il court en murmurant dans une direction parallèle. A sept heures, je remarque près de l’embouchure d’un quatrième ruisseau, que je traverse et qui dérive de TA’ïn Medaouarah, les restes d’un hameau abandonné; on me les désigne sous le nom de Kharbet Karkhaneh. A sept heures vingt minutes, je franchis un cinquième ruisseau important, appelé Oued cl-Hamam. Au delà est un ornhj consacré au santon Sidi el-A’djemy. A sept heures vingt-cinq minutes, je parviens à El-Medjdel, village devant lequel je passe sans m’y arrêter, l’ayant déjà visité suffisamment. A 10UN FOULIEH. Un sentier étroit pratiqué sur les flancs d’une colline rocheuse, dont une pointe s’avance vers l’est en forme de promontoire dans le lac et termine vers le sud la riche plaine d’El-Rhoueïr, me conduit, à sept lieures quarante minutes, dans un riche vallon, que sillonne de l’ouest à l’est un oued actuellement desséché, appelé Oued el- Hamis, et où coulent deux sources abondantes. On me les signale sous le nom de A’ïoun Foulieh. Jadis emprisonnées dans de petits réservoirs circulaires en forme détours, comme le Tannour Eyoub, dont j’ai parlé précédemment, elles s’y élevaient intérieurement en s’amassant, et arrosaient ainsi de plus haut, au moyen de canaux et de rigoles, une plus grande étendue de terrain. Actuellement, elles vont se perdre aux trois quarts dans le lac, à cause de plu¬ sieurs brèches béantes qui existent dans les parois de ces bassins. L’eau en est légèrement saumâtre et accuse à mon thermomètre une température de 32 degrés centigrades. Un fourré de gigan¬ tesques roseaux les environne. Devant ce vallon, dont une partie seulement est aujourd’hui cultivée eu grenadiers, en figuiers et en légumes, s’arrondit une petite baie. 250 DESCRIPTION DE LA GALILEE THABARIEH (TIBERIADE). A huit heures, je poursuis ma rouie le long du rivage et je gravis un autre promontoire, sur lequel je remarque les arasements de quelques anciennes constructions, appelées Kharbet Hamis. A huit heures quarante-cinq minutes, enfin, je fais halte à Tha- barieh, après avoir constamment côtoyé les bords du lac, au delà du promontoire précédent, et longé à ma droite des collines dont les lianes rocheux ont été jadis exploités comme carrière. La ville actuelle de Thabarieh n’occupe que la cinquième partie tout au plus, vers le nord, de l’emplacement qu’enfermait autre¬ fois dans sa vaste enceinte la ville de Tibériade, dont elle a gardé fidèlement le nom. Ouverte du côté du lac, elle est environnée, au nord, à l’ouest et au sud, d’une muraille construite avec des pierres basaltiques de moyenne dimension, et qui a été très ébranlée, à la suite du fameux tremblement de terre de 1887. Cette mu¬ raille, relevée en 1^38 sur les ruines sans doute de celle des Croisades, restaurée déjà elle-même au xvuc siècle, est flanquée, de distance en distance, de tours, soit rondes, soit carrées. Deux portes donnent accès dans la ville, l’une au nord, l’autre à l’ouest. O11 peut, en outre, y pénétrer par de nombreuses brèches, dues à ce tremblement de terre et agrandies ensuite 5 par la main de l’homme. La citadelle, dont la reconstruction, de même que celle de l’en¬ ceinte, est attribuée au cheikh Dhaber el-A’mer, forme, dans sa partie principale, un parallélogramme flanqué de quatre tours rondes; elle s’élève sur un monticule au nord-ouest de Thabarieh; des bâtiments considérables en dépendent. Lézardée de tous côtés par le dernier tremblement de terre, elle est depuis lors aban¬ donnée. Tout porte à croire qu’elle a succédé sur la même colline à une autre citadelle plus ancienne, datant de l’époque des Croi¬ sades, car il est à présumer qu’à cette époque l’enceinte de Tibé¬ riade était réduite à peu près au périmètre actuel; par conséquent, CHAPITRE XVII. — T H A B A RI E H. 251 i’assiette de la citadelle qui défendait alors la ville ne peut avoir été différente de celle qu’occupe la citadelle d’aujourd’hui. Non loin et au bas de celle-ci, on remarque une assez jolie mosquée en ruine, bâtie avec des pierres régulières et alternative¬ ment rouges, blanches et noires. Elle était surmontée de trois pe¬ tites coupoles et, à son centre, d’une quatrième, de dimension plus considérable. Un élégant minaret l’avoisine, et elle est précédée d’une cour ou atrium, qu’environne un portique carré dont les voûtes sont en partie écroulées. Au milieu de cette cour s’élancent trois gracieux palmiers, près d’un bassin destiné aux ablutions. Près de la porte est un sarcophage antique en basalte. La population musulmane qui habite maintenant Thabarieh ne dépasse pas 7Û0 âmes. Les Pères de Terre-Sainte y possèdent un petit hospice, qui a été récemment agrandi. Un Père seul y réside, avec un Frère. On m’y montre, encastrées dans un mur, deux belles pierres antiques sculptées. Sur l’une est représenté le chandelier à sept branches, environné d’une couronne et reposant sur une guirlande; à droite et à gauche sont figurés deux petits poissons. Sur l’autre, 011 ob¬ serve également le chandelier à sept branches renfermé dans une demi-couronne et debout sur un serpent replié sur lui-même; à droite est un palmier et à gauche une grosse grappe de raisin. Dans la cour du couvent je distingue, parmi les pierres qui gisent à terre et qui ont été, pour la plupart, exhumées sur place, une ancienne porte monolithe de tombeau judaïque; à l’époque des Croisades, elle a dû servir à un tombeau latin; car on a alors sculpté sur l’une de ses faces une croix latine, plus longue que large, décorée alentour d’entrelacs assez hier exécutés. La cha¬ pelle, réparée il y a deux ou trois ans, remonte peut-être à une époque antérieure au moyen âge, sauf la façade et le vestibule qui la précède, qui sont de date toute récente. Dédiée à saint Pierre, elle figure extérieurement la carène d’un navire, en souvenir de la barque sur laquelle était monté ce pauvre pêcheur, lorsqu il lut choisi par le Sauveur pour devenir le chef des apôtres et prendre DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 252 part, à leur tête, à la pêche surnaturelle des âmes. Elle n’a qu'une nef, percée de fenêtres très étroites et très ébrasées, comme des espèces de meurtrières. Les murs ont 2 mètres d’épaisseur. On remarque extérieurement, derrière l’abside, un beau linteau d’ap¬ parence antique, en partie brisé et engagé, vers le bas, dans la con¬ struction, comme une simple pierre de taille. Sur ce linteau a été sculptée une élégante coquille, avec une guirlande et une grappe de raisin; il couronnait peut-être jadis la porte de l’une des synagogues de Tibériade. Les Grecs catholiques de Thabarieh, au nombre de 3oo, ont dans cette ville une petite église avec une école. Quant aux Juifs, ils dépassent le chiffre de 2,5oo individus. Venus, pour la plupart, de T Allemagne, de la Pologne et de l’Espagne, ils ont conservé la langue et le costume de ces différents pays. D’autres sont origi¬ naires de la Syrie et du nord de l’Afrique. Ils ont quatre syna¬ gogues, d’assez misérable aspect, où ils se réunissent tous les samedis, appelant de leurs vœux l’avènement du Messie, qui, selon eux, doit sortir un jour de Tibériade. Très poudreuse pendant l’été, la ville est excessivement fan¬ geuse pendant l’hiver, à l’époque des grandes pluies. Fort mal entretenue, du reste, en tout temps, elle n’est plus que l’ombre de ce quelle a été autrefois, lorsqu’elle était l’une des plus grandes et des plus belles cités de la Palestine. Pour apprécier son étendue primitive et l’importance qu elle avait alors, sortons de l’enceinte actuelle par la porte occidentale et dirigeons-nous d’abord vers l’ouest. A une laiblc distance de ce côté, nous rencontrons cà et là les arasements d’une antique et épaisse muraille consistant en un blocage très compact de menus matériaux, revêtu de pierres basal¬ tiques de moyenne dimension. En suivant ces traces vers le sud, traces tantôt visibles plus ou moins, tantôt ensevelies sous des amas de terre et de débris de toutes sortes, nous arrivons bientôt à une espèce de vasque rectan¬ gulaire, longue de 00 pas et large de 22, alimentée jadis d’eau CHAPITRE XVII. — THABARIEH. 253 au moyeu d’un conduit qui en couronnait la partie supérieure. Ce réservoir était compris dans l’enceinte de la ville. Plus loin, vers le sud, en continuant à fouler les vestiges de l’ancien mur occidental d’enceinte, on remarque l’emplacement d’une grande porte et deux pans de murailles encore debout. Ils mesurent 2m,o5 d’épaisseur. En s’avançant encore dans la même direction, on atteint ensuite le pied d’une haute colline rocheuse, dont le mur d’enceinte gravit les pentes, malgré leur extrême raideur. J’escalade, en le longeant, les flancs de cette colline, qui a deux sommets principaux, l’un vers le nord-est, l’autre vers le sud-ouest. Ils sont couverts tous deux de ruines, restes d’une ancienne forteresse, et percés de plusieurs citernes. Le point culminant de cette hauteur, qui du côté de l’est est presque inaccessible, dominait la ville d’environ 200 mètres. Le mur, après avoir enfermé vers l’ouest ces deux sommets, en redescendait vers l’est. Il est presque entièrement démoli. Néan¬ moins, on en retrouve çà et là des débris. Je les suis dans cette direction, rencontrant, chemin faisant, sur les pentes, un certain nombre de citernes pratiquées dans le roc. Parvenu sur une plate¬ forme qui regarde le lac, j’y observe beaucoup de petits cubes de mo¬ saïque épars sur le sol, et qui devaient orner un édifice de quelque importance, totalement rasé; deux citernes l’alimentaient d’eau. Vers l’est, ou, en d’autres termes, du côté de la ville antique, qui s’étendait de là jusqu’au lac, au pied de la colline, les flancs de celle-ci sont à peu près verticaux. Après avoir été exploités comme carrière, ils paraissent avoir élé ensuite taillés à dessein, afin de les rendre plus abrupts. O11 y aperçoit à différentes hauteurs les ouvertures cintrées de plusieurs grottes sépulcrales, actuellement inabordables, et qui ont été probablement supprimées comme tombeaux, lors de la construction de Tibériade par Hérode Anti¬ pas, les cendres et les ossements qu’elles contenaient ayant du être à cette époque transportés ailleurs, pour se conformer à la loi mosaïque, qui, sauf de rares exceptions, ne tolérait aucun sépulcre dans l’intérieur des lieux habités. Quoi qu il en soit, les ruines DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 25A qui couronnent tant les deux sommets que la plate-forme inférieure de la colline, à l’endroit où nous sommes en ce moment, me sont désignées sous le nom de Kasr Beit el-Melek, ce château de la maison du Roi T>. Elles paraissent antérieures au moyen âge et appartien¬ nent, selon toute apparence, à la citadelle de la ville antique. Ce château fort était-il en même temps une résidence royale, comme la dénomination qui reste attachée à ses ruines semble l’annon¬ cer? La chose est très possible et même vraisemblable. A partir de la plate-forme que je viens de signaler, le mur en¬ veloppe dans ses contours une autre colline moins élevée, et située au sud de la précédente, puis, au delà d’un ravin, il tourne brus¬ quement à l’est et se dirige droit vers le lac, où il aboutit. J’en suis les traces jusque-là, en traversant ainsi toute la largeur de la ville antique. Enfin, je côtoie le lac du sud au nord et je remarque que, de ce côté, le mur oriental de la cité a été presque entière¬ ment rasé. Les substructions de quelques anciens magasins sont seules visibles le long du lac. J’évalue à 5 kilomètres, au moins, le pourtour entier de cette enceinte. I^e vaste emplacement qu’elle enfermait est aujourd’hui occupé, dans sa partie septentrionale, par la ville actuelle de Thaba- rieh, ainsi que je l’ai déjà dit, et, dans tout le reste de son étendue, par des champs cultivés, des cimetières et des terrains incultes. Le sol a été presque partout profondément remué pour en extraire des colonnes ou de beaux matériaux de construction. Toutefois, il est encore jonché de nombreux débris appartenant à des maisons ou à des édifices publics renversés. L’un de ces monuments, tourné de l’ouest à l’est, était orné intérieurement de colonnes monolithes en granit gris, dont une quinzaine sont encore gisantes à terre. Sont-ce là les restes du grand temple fondé par Adrien et que plus tard, sous Constantin, le Juif Joseph, converti au catholicisme, transforma en église chrétienne, avec la permission de cet empe¬ reur? laissé inachevé par son fondateur, les habitants voulaient alors en faire un bain public1. On l’appelait 1 Hadrianœum. Cette r 1 Epiphane, Contre les hérésies, 1. I, p. i36 H 187. CHAPITRE XVII. — THABARIEH. 255 supposition, qui a été émise par plusieurs voyageurs, est, en effet, très vraisemblable. Ailleurs, j’ai cru distinguer les traces d’un théâtre et les contours elliptiques d’un stade. Un monticule, aujourd’hui couvert de tombes musulmanes et couronné par un oualy, semble aussi avoir servi d’assiette à quelque autre édifice. La ville antique, comme on le voit, a été bouleversée de fond en comble, et ses ruines tendent à disparaître de plus en plus. 11 est temps maintenant de résumer en peu de mots son histoire. Voici comment la fondation de cette cité est racontée par Josèphe : Hérode le tétrarque, très lié avec Tibère, fonda une ville, appelée, du nom de cet empereur, Tibériade, dans la meilleure partie de la Galilée, près du lac de Gennézaretb. Des eaux thermales se trouvent à proximité, dans un bourg nommé Emmaüs. Elle fut peuplée au moyen de toutes sortes d’étrangers et aussi d’un grand nombre de Galiléens. Reaucoup d’habitants de la contrée appartenant à Hérode y furent également transplantés de force. Parmi ceux- ci, quelques-uns étaient revêtus de dignités. Mais il admit pareillement avec eux un ramassis de pauvres et même de gens dont la condition libre n’était pas suffisamment établie. Il leur accorda des immunités et les combla de bienfaits. Il leur fit construire des maisons à ses frais et leur donna des terres, à la condition de ne jamais quitter Tibériade, car il savait qu’il répugnait aux Juifs d’habiter celte ville, parce qu’on avait dû enlever beaucoup de tombeaux sur remplacement où on la bâtit, ce qui, d’après nos lois, rendait ceux qui devaient l’occuper impurs pendant sept jours l. Josèphe, dans ce passage, ne parle ni du nom, ni des ruines de la ville qui s’élevait probablement en cet endroit antérieurement à la fondation de Tibériade; il mentionne seulement de nombreux tombeaux qu’il fallut détruire pour faire place à la cité nouvelle; mais cette nécropole avoisinait, selon toute apparence, les restes d’une ancienne ville ou bourgade. Dans l’ Onomaslicon , au mot XevspéQ, Eusèbe se contente de dire : Xevepèd, BdXaaaa opiov rfis Iouâa/as, xXtfpov XeÇ-OaXetp.. ffCheneretb, mer qui sert de frontière à la Judée, de la tribu de Neplithali.u 1 Anliq. judaïq. J. XVIII, c. ii, S 3. 256 DESCRIPTION DE LA GALILEE Mais saint Jérôme, après avoir traduit ce passage, ajoute ce rpii suit : Sed et oppidum quod in honorera posteaTiberiiCæsarisHerodes, rex Judææ, instauration appellavit Tiberiadem, féru ni hoc primum appellatum nomine. Ainsi, pour saint Jérôme, la ville antique à laquelle succéda Tibériade était celle de Chenereth, en hébreu Kinnereth, que j’ai identifiée avec les ruines du Kharbet Abou-Choucheh. D’un antre côté, le Talrnud de Jérusalem affirme que Tibériade était la Rakkath de la Bible1. Quant au Talrnud de Babylone, il l’identifie tantôt avec Hammath, tantôt avec Rakkath et parfois avec Kinnereth 2. Mais Reland, se fondant sur un verset de saint Matthieu, re¬ pousse ces diverses identifications, qu’il regarde toutes comme erronées, attendu que, d’après la Bible, Rakkath, Kinnereth et Hammath faisaient partie de la tribu de Nephthali et, par consé¬ quent, étaient au nord de Capharnaüm, laquelle, au dire de saint Matthieu, était sur les confins de Nephthali et de Zabulon, et se trouvait elle-même au nord de Tibériade, qui, partant, devait être située dans la tribu de Zabulon. Voici les propres termes de Reland : Sunt qui illam (Tiberiadem) olim Kinnereth dictam pillant, aut Raccath, aut Chammath; sed cum Raccath, Cbammalh et Kinnereth urbes fuerint Naph- tbalilicæ, et Capernaum urbs Tiberiade septenlrionalior (quod nullus negat) in confiniis Zebulon et Naphthali sita fuerit, teste Matlhæo, Tiberias non po- tuit esse Chammath, Raccath aut Kinnereth. Tiberiada esse urbem Kinnereth bine, puto, creditum est, quia lacus cui adjacet dicebalur mare Tiberiadis et mare Kinnereth, unde sibi persuaserunt Tiberiada et Kinnereth fuisse urbem eamdem 3. Le verset de saint Matthieu auquel il est fait ici allusion est le suivant : Et, relicta civitate Nazarelh, venit, et habitavit in Capharnaüm maritima, in finibus Zabulon et Nepbthalim 4. 1 Talrnud de Jérusalem, Méguillali, i , 1 . 3 Reland , Palœstina, p. î o56 et 1 087. 5 Talrnud de Babylone, Méguillah, 6 a. 4 Saint Matthieu, c. iv, v. i3. CHAPITRE XVII. — T H AB A RI E H. 257 Si ce verset doit être pris à la lettre, et si Capharnaüm, aujour¬ d’hui, selon toute apparence, Tell Houm, était bien effectivement située sur les confins de Zabulon et de Nephthali, il est impossible de reconnaître dans Tibériade l’antique Kinnereth, signalée par la Bible comme appartenant à la tribu de Nephthali1. Il est égale¬ ment impossible d’y voir Rakkath ou Hammath, que le même ver¬ set mentionne pareillement au nombre des villes de cette dernière tribu. Mais l’assertion de saint Matthieu relative à la position de Capharnaüm est peut-être moins précise, en réalité, quelle ne le semble au premier abord, et cet évangéliste, pour nous montrer l’accomplissement d’une des prophéties d’Isaïe présageant la lu¬ mière future qui devait éclairer, lors de l’avènement du Christ, la terre de Zabulon et celle de Nephthali, assises l’une et l’autre à l’ombre de la mort, a fort bien pu, après avoir dit que Jésus aban¬ donna Nazareth pour aller habiter Capharnaüm, ajouter immédia¬ tement : in jinibus Zabulon el Nephthalim, sans que, pour cela, nous soyons autorisés rigoureusement à en conclure que cette ville était précisément située sur les confins de Nephthali au nord et de Za¬ bulon au sud; car ce qui suit semble nous prouver que ces mots n’ont été intercalés dans le texte évangélique que pour amener le passage d’Isaïe. 1 1\. Ut adimpleretur quod dictum est per Isaiam prophetam : 15. Terra Zabulon, et terra Nephthalim, via maris trans Jordanem, Gali- læa gentium , 16. Populus qui sedebat in tenehris vidit lucem magnam, et sedentibus in regione umbræ mortis, lux orla est eis2. Si cette conjecture, que je ne propose qu’avec réserve, est fon¬ dée, le territoire de Nephthali a pu s’étendre encore au sud de Capharnaüm et renfermer d’autres villes, telles que Kinnereth, Rakkath et Hammath, sans que, pour cela, il y ait une contradic¬ tion formelle entre une pareille supposition et le passage de saint Matthieu. Dans ce cas, Tibériade a fort bien pu succéder soit 5 1 Josué, c. xix, v. 35. — 2 Saint Matthieu, c. iv, v. 1 /i — 1 (>. 1 7 i. 258 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Kinnereth, comme le pense saint Jérôme, soit à Rakkath, comme l’affirme le Talmud de Jérusalem. Je penche de préférence vers cette dernière assertion , parce que, dans la Bible, Rakkath est men¬ tionnée immédiatement à côté de Hammath, où Ton peut voir TEm- rnaüs signalée par Josèphe près de Tibériade, le Kharbet el-Ham- mam de nos jours, et parce qu’ensuite, comme je l’ai déjà dit, je suis disposé, avec plusieurs critiques, et notamment avec M. de Saulcy, à reconnaître dans Kinnereth la même ville qui, plus tard, fut appelée Gennésareth, et à la retrouver dans les ruines de Abou- Choucheh. Quoi qu’il en soit, comme lors de la fondation de Tibériade on détruisit un grand nombre de tombeaux, ainsi que le rapporte Josèphe, ces tombeaux attestent l’existence préalable d’une ville voi¬ sine, probablement renversée à cette époque, et dont ils formaient la nécropole. Seulement cette ville était beaucoup moins considé¬ rable que ne le fut Tibériade, puisque, pour faire place à celle-ci, Hérode Antipas lit enlever ces sépultures. Tibériade devint sous ce prince, grâce à son étendue, aux embellissements qu elle reçut et aux privilèges dont elle fut comblée, la capitale de la Galilée. Il y résidait lui-même, dans un palais que, contrairement aux pres¬ criptions de la loi judaïque, il avait fait décorer de représentations d’êtres animés et qui fut, dans la suite, pillé et livré aux flammes1. Après la mort d’Hérode Antipas, Néron donna Tibériade à Agrippa le Jeune, qui rendit à Sepphoris le rang de capitale de la Galilée, dont elle avait joui précédemment. A Tapproche des Romains, Josèphe se hâta de fortifier Tibériade, en même temps que d’autres villes, soit de la haute, soit de la basse Galilée. Un jour qu’il y haranguait le peuple réuni dans le stade, il se vit sur le point d’être assassiné par les émissaires de Jean, lils de Lévi, natif de Gischala. Sautant alors en bas d’un tertre de six coudées de haut, sur lequel il était monté pour mieux se faire entendre, il courut vers le rivage, où il se jeta précipi- 1 I ie de Josèphe , $ 19. CHAPITRE XV If. — TH ABARIEH. 259 tamment dans une barque avec deux soldats, et se réfugia à Tari- chées b Indépendamment d’un palais royal et d’un stade, Josèphe men¬ tionne à Tibériade un vaste édifice qu’il appelle 'iïpoasvyrj, «prière, lieu de prière, n probablement une synagogue, et gui servait éga¬ lement à des réunions publiques d’un caractère non religieux : Kœrà t>)v êiuovactv ovv y)p.épctv crwayorrai 'rzdv'iss sis Trjv TSpoaevyrii', ixéyialov ohir\p.ci ziïoXùv 6y\ov êiuSé^ao-Oai ôvvdu.svov 2. «Le lendemain, tous se rassemblent dans la proseuchè, immense édifice pouvant contenir une foule considérable. » Redevenu maître de Tibériade, Josèphe eut, à déployer beau¬ coup de courage et d’habileté pour y faire prévaloir son autorité, tant la population de la ville était remuante et inquiète. Plusieurs séditions éclatèrent contre lui, mais il réussit à les réprimer. Une fois, pendant qu’il était à Tarichées, il apprit que Tibériade avait fait défection, en implorant le secours du roi Agrippa. Comme il n’avait pas alors assez de troupes à sa disposition pour triompher de cette révolte par les armes, il recourut à la ruse pour en venir à bout. Il rassembla tous les bateaux, au nombre de deux cent trente, qu’il put trouver sur le lac, les munit chacun de quatre ra¬ meurs, et, n’ayant avec lui que sept soldats désarmés, il cingla vers Tibériade. Les rebelles de cette ville, apercevant de loin cette flot¬ tille et s’imaginant qu’elle amenait de nombreuses troupes, per¬ dirent aussitôt tout courage et se hâtèrent de déposer les armes. Prompt à profiter de la consternation générale et de la terreur qu’il inspirait, Josèphe fit approcher sa barque du rivage et de¬ manda qu’on lui envoyât les hommes les plus considérables pour qu’il reçut leur soumission. Tous les sénateurs lui furent ainsi tour à tour envoyés, ainsi que deux mille plébéiens. Il donna l’ordre à ses matelots de les transporter sans retard à Tarichées. Pour apaiser sa colère, les habitants lui dénoncèrent alors un certain Glitus Guerre des Juifs , 1 . II, c. xxi , S 0 ; Vie de Josèphe , S 1 8. — ’ Vie de Josèphe , S 5/i. i DESCRIPTION I)E LA GALILÉE. 2 GO comme étant le principal chef de la révolte, afin que le châtiment d’un seul les sauvât tous. Josèphe commanda aussitôt à Tun de ses soldats de descendre à terre pour aller lui couper les deux mains. Celui-ci hésite à obéir, dans la crainte de se trouver seul sur le rivage au milieu d’une foule ennemie. Clitus, de son côté, im¬ plore de la plage comme une grâce la faveur de n’avoir qu’une main amputée, effrayé à la vue de Josèphe, qui menaçait de s’é¬ lancer à terre pour exécuter en personne cet ordre. Josèphe ac¬ quiesce à sa demande, à la condition qu’il se coupera lui-même Tune des deux mains. Clitus, épouvanté, saisit un glaive de la main droite et s’ampute la main gauche. Revenu à Tarichées, Josèphe usa de clémence envers les prisonniers. Dans une autre circonstance, Tibériade s’étant de nouveau ré¬ voltée, il dut rentrer de vive force dans la place, après un combat très vif où la victoire faillit un instant rester aux habitants. Quelque temps après, il sauva cette ville, que les Galiléens voulaient sacca¬ ge]', parce que, trahissant la cause de la nationalité judaïque, elle avait envoyé un message à Agrippa pour se livrer à ce prince. Tibériade ouvrit ensuite ses portes à Vespasien, qui, avant d’aller attaquer Tarichées, alla établir son camp à Emmaüs. C’est proba¬ blement à cause de la soumission volontaire de Tibériade aux armes romaines que les Juifs, après la destruction de Jérusalem, obtinrent la permission d’y résider non seulement sans être inquiétés, mais encore en jouissant de divers privilèges. Eux seuls pouvaient ha¬ biter cette ville, à l’exclusion des Samaritains, des païens et des chrétiens. Adrien, comme nous l’avons déjà vu, entreprit néanmoins d’y construire un vaste temple, mais qui resta inachevé, avant d’être plus tard converti en église sous Constantin, cet empereur ayant autorisé Joseph, Juif devenu chrétien, à bâtir des églises à Tibé¬ riade, à Diocésarée et à Capharnaüm. Quand Jérusalem eut succombé, le grand sanhédrin, après un séjour momentané à Janmia, puis à Sepphoris, se fixa à Tibériade, et cette dernière cité devint également le siège d’une très célèbre CHAPITRE XVII. — THABARIEH. 261 école talmudique qui fut longtemps florissante. De cette école sortit le docte rabbin Juda , surnommé hak-kodech, « le saint» , qui recueillit les codes partiels et les lois traditionnelles des écoles pharisiennes, pour en former, au commencement du me siècle, un vaste corps de lois, connu sous le titre de Mischna, «répétition» ou « seconde loi». A cette même école appartient le rabbin Jochanan, qui composa la Gemara, cc complément», entre 280 et 270 après Jésus-Christ, com¬ mentaire très volumineux de la Mischna, qui, avec cc code, con¬ stitue le Talmud, ce doctrine», de Jérusalem. L’autre Talmud, appelé Talmud de Babylone, ne fut rédigé que plus tard, dans cette ville, au ve siècle. Vers le vie siècle, l’école de Tibériade produisit pa¬ reillement un travail critique, fruit de longues et consciencieuses études, nommé la Mcisora, cc tradition »; c’est le texte hébreu de la Bible, fixé cl’après les manuscrits les plus authentiques et suivi d’un commentaire indiquant l’orthographe exacte et un certain nombre de variantes. On pense que c’est de cette époque que datent les points-voyelles et les accents qui accompagnent le texte biblique. Le savant professeur d’hébreu qui enseigna cette langue à saint Jérôme était de Tibériade, comme l’atteste le passage suivant de ce Père de l’Église : De Tiberiade quemdam legis doctorem, qui apud Hcbræos admirationi ba- bebatur, assumpsi, et contuli cum eo a vertice, quod aiunt, ad extremum unguem 1. L’école juive de Tibériade subsista ainsi longtemps encore après l’introduction du christianisme dans cette ville, introduction qui 11e remonte pas au delà du règne de Constantin. Nous connaissons les noms de trois évêques de Tibériade, de Jean, qui, en 45i, souscrivit aux actes du concile de Chalcédoine; d’un autre évêque du même nom, qui, en 536, assista au concile de Jérusalem; enfin de Georges, qui, en 553, parut au concile de Constantinople. Saint Jrrôino, Pntfacc aux livres des Parali^omeucs. 1 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 262 Justinien, au vic siècle, releva les remparts de Tibériade1. Lorsque les Perses, sous la conduite de Chosroès, s’avancèrent contre Jérusalem, l’an 6 1 4 de notre ère, les Juifs de Tibériade et d’autres villes de la Galilée se joignirent à son armée, et c’est à eux que l’on attribue principalement le massacre qui fut fait des Chré¬ tiens, lors de la prise de la Ville sainte. Après l’invasion musulmane, Tibériade dut perdre de son im¬ portance. Néanmoins saint Willibald y signale encore, en 7 6 5 , un grand nombre d’églises et de synagogues. Ibi sunt multæ ecclesiæ et synagogæ Judæorum2. Lors de la conquête de la Palestine par les Croisés, Godefroi de Bouillon donna la Galilée en fief à Tancrède, qui soumit immé¬ diatement Tibériade, y construisit une église et y érigea de nouveau un siège épiscopal, qui était suffragant de l’archevêché de Nazareth. En 1187, avant la désastreuse bataille de Hattin, la ville de Tibériade tomba au pouvoir de Saladin; la forteresse seule, où s’était réfugiée la femme de Raymond, comte de Tripoli, avec ses enfants, ne fut pas prise alors ; mais elle se rendit elle-même quand l’armée chrétienne eut été anéantie dans la plaine de Hattin. En 12/10, Tibériade retourna provisoirement entre les mains des Chrétiens, à la suite d’un traité conclu avec le sultan de Damas; mais sept ans plus tard elle retomba sous le joug mu¬ sulman, et son déclin alla depuis toujours croissant. Quaresmius, au commencement du xvuc siècle, la décrit ainsi: Tiberias, in præsentia Tabaria ab istarum parlium incolis nuncupata, ci- \itas esl in littore occidentali maris Galilææ ædifîcala in quadro, cincta mûris cum propugnaculis suis : tolus ejus circuilus est unius milliaris tertio minus. Portam babel in plaga occidentali ex marmore albo et nigro aflabre elaboralam , alteram minorera, habet in parte meridionali; alias non deprehendi. Non mu Hum antiqua est, et veleri Tiberiadi multo minor ; liane enim longe majorem ista fuisse circuinjacentes magnæ ruinæ, et maxime proccdendo ad duo milliaria meridiem versus, non obscure demonstrant. . . Alignas continet IVocope, De (édifions Jmliniani , V. i\. — VVillibaldi llodœporicum seu vila, S 16. CHAPITRE XVII. THABARIEH. 263 domunculas a Mauris liabilalas , in quibus paucis ante annis habitakant Judæi, et synagogam habebant, et ipsos eam muro circumdedisse fertur . Intra, ad iitlus maris in aquilonari urbis parte, est templum; et quamvis vel in Turca- rum mesquitarn et besliarum stabulum conversum sit, et pristinum amiserit splendorem, structura nibiiominus ejus integra persévérât; longitudinis est gressuum viginti quatuor, iatitudinis duodecim c.irciter; D. Petro dicatum est1. Nous voyons par ce passage qu’à l’époque où Quaresmius visita cette ville, elle n’était occupée que par un petit nombre d’Arabes, les Juifs qui l’babitaient peu d’années auparavant l’ayant aban¬ donnée. C’étaient ces derniers qui passaient pour avoir construit l’enceinte murée dont parle ce religieux. L’église dédiée à saint Pierre était à la fois convertie en mosquée et en étable. La construction de cette enceinte réduite de Tibériade, enceinte attribuée aux Juifs par Quaresmius, n’était-elle qu’une réparation de celle qui avait été élevée au moyen âge par les Croisés? La chose est très vraisemblable, car il est diflicile de croire qu’à cette époque la ville avait la même étendue que dans l’antiquité, et, afin de pouvoir mieux se défendre, elle dut se resserrer dans un périmètre plus restreint. La même chose eut lieu pour Césarée et pour plusieurs autres villes de Palestine. Dhaher el-ATner, au xvme siècle, restaura de nouveau cette dernière enceinte, qui depuis, comme je l’ai déjà dit, est restée à peu près telic que l’a laissée le tremblement de terre de 1887, c’est-à-dire avec de nombreuses brèches et en partie renversée. Quaresmius, Elucidalio Terrce sanctœ, L II, p. 864 et 865. I DESCRIPTION DE LA GALILEE L> G 4 CHAPITRE DIX-HUITIEME. k II Al’« 15 K T N A S B ED-DIN (bETIIMAOüs). KHABBET BESSOUM. K 1 1 A 15 B E T DAMEI1 (ADAMAIl). - KEFR SABT. - SABOUNEU. - KHABBET BEIT-DJENN. — IIADATEH. - KHABBET YEMMA. - KHABBET CHAMSIN. - TELL EN- NAA M. KHABBET ES-SAÏADEII. - KHABBET ELHVIENARA. - B ET O CB À THABARIEH. KIIARBET NASK ED-DIN (bETIJMAOUs). Le 28 juin, à quatre heures cinquante minutes du matin, je quitte Thabarieh pour monter vers l’ouest. Chemin faisant, j’observe çà et là ies traces d’un petit canal antique amenant jadis à Tibé¬ riade les eaux d’une source supérieure, appelée actuellement ATn Nasr ecl-Din. A cinq heures douze minutes, j’atteins cette source, après une ascension presque continue. Elle est recueillie dans une petite con¬ struction carrée. Alentour s’élevait autrefois en amphithéâtre une bourgade dont il subsiste encore quelques citernes, plusieurs ca¬ veaux pratiqués dans le roc, un certain nombre d’anciens magasins voûtés en plein cintre et une quantité assez considérable de pierres de taille éparses sur le sol, et mêlées à des matériaux de moindre dimension et à peine équarris. Au milieu de ces ruines végètent misérablement une dizaine de familles de pauvres fellahs. Un oualy y est vénéré sous le nom de Nasr ed-Din, d’où celui de cette loca¬ lité. Dans l’antiquité, elle s’appelait Bethmaous, comme cela ressort du passage suivant de Josèphe, qui la signale à quatre stades à l’ouest de Tibériade, sur la route de cette ville à Sepphoris : ■>i Apas ovv oltjtüv olito iris le7i(pMpiT(iïv zroXeces eis xu'i uriv Tira, B ri9~ fxaovs Xeyo[xévr]v, ànéyovaixv T i(:£pid(Sos crlaSia. Téacrapa, ixot.py.ytvotJ.a.1 L 1 Vie de Josèphe, H i*j. CHAPITRE XVIII. — KHARBET DAMEH. 205 p ft Etant donc parti avec eux de la ville de Sepphoris, j’arrive à un bourg appelé Bethmaous, distant de quatre stades de Tibériade, n Le Kharbet Nasr ed-Din est effectivement la première ruine de quelque importance que l’on rencontre en partant de Thabarieh pour monter à Sepphoris; les quatre stades indiqués par Josèphe s’accordent bien avec la distance qui sépare les traces de l’ancien mur d’enceinte de Tibériade vers le nord-ouest de celles des pre¬ mières ruines de Nasr ed-Din. KHARBET BESSOUM. A cinq heures quarante-cinq minutes, abandonnant le Kharbet Nasr ed-Din, je continue à gravir, vers l’ouest, puis vers le sud- ouest, les pentes des hauteurs qui dominent Thabarieh. A cinq heures cinquante-cinq minutes, je parviens au sommet du plateau; il est naturellement très fertile. Bientôt, je redescends vers l’ouest-sud-ouest. A six heures trente-cinq minutes, une descente douce me conduit à l’Oued el-Mecklan. D’innombrables chameaux, appartenant à des tribus transjordanes qui viennent de franchir le lleuve, paissent dans cette riche vallée, qui s’étend du nord-ouest au sud-est. Je laisse à ma gauche, à i,5oo mètres de distance, vers l’est- sud-est, le Kharbet Bessoum, petit village actuellement abandonné. KHARBET DAM EU (ADAMAH). A six heures cinquante minutes, je monte au Kharbet Dameh, ruines assez étendues, sur le sommet d’une colline rocheuse. Lue trentaine de maisons, encore à moitié debout, sont d’origine mu¬ sulmane, mais elles ont été bâties avec des matériaux anciens, la plupart basaltiques. Sur les pentes orientales de la colline, le sol est jonché d’un amas considérable de débris de toute nature, restes confus de maisons renversées. Plus bas, trois sources se réunissent pour aboutir par différents conduits à un bassin long de 17 pas 2 GG DESCRIPTION DE LA GALILEE sur 1 1 de large. Près de ce bassin gisent à terre plusieurs fûts de colonnes mutilés, qui ornaient jadis un édifice entièrement rasé. Le Kharbet Dameh portait vraisemblablement autrefois le même nom qu’aujourd’hui, car la Bible nous signale dans la tribu de Nephtbali deux villes appelées, l une Adami et l’autre Adamah : 32. Filiorum Nephthali sexta sors cecidit per familias suas : 33. Et cœpit terminus de Heleph et Elon in Saananim, et Adami, quæ est Neceb, et Jebnael usque Lecum; et egressus eorum usque ad Jordanem1. Dans l’hébreu, la ville de Adami est écrite tp-K, en grec Appti, en latin Adami. Quant à celle de Adamah, elle s’écrit en hébreu hdin , en grec Appia/0, en latin Edema : 3G. Et Edema, et Arama, Asor2. Ce n’est pas que je prétende que le Kharbet Dameh soit né¬ cessairement l’une ou l’autre de ces deux villes, car peut-être la tribu de Nephthali ne s’étendait-elle pas si fort au sud; mais toujours est-il que la dénomination de Dameh semble antique, et que les ruines auxquelles elle est attachée attestent l’existence en cet endroit d’une ancienne ville ou bourgade de quelque importance. KEFR SABT. A huit heures cinq minutes, je me remets en marche vers le sud -ouest, et après une montée assez raide, je parviens sur un plateau où je chemine vers l’ouest. A ma droite serpente l’Oued Dameh, aux hords rocheux et escarpés. A huit heures trente-cinq minutes, j arrive à Kefr Sabt. Auprès d’une source renfermée dans un petit bassin circulaire, de nom¬ breuses maisons renversées couvrent le sol de débris confus; quelques-unes encore debout sont seules habitées. Çà et là sont disséminées des citernes creusées dans le roc. Sur le point culmi- 1 Josué , c. xix, v. 3a el 33. — Josuè , c. xix, v. 3G. CHAPITRE XVIII. — HADATEH. 267 liant de la colline qu’occupait la bourgade antique à laquelle a succédé le hameau moderne, on observe les restes d’une puissante construction bâtie avec des pierres de taille, et qui paraît avoir eu une destination militaire : elle formait un quadrilatère long d’une quarantaine de pas. A côté d’une mosquée, on remarque deux cha¬ piteaux mutilés imitant le style corinthien, ainsi que plusieurs tronçons de colonnes provenant vraisemblablement d’une ancienne église complètement détruite. SAROUNEH. A neuf heures vingt minutes, je recommence à cheminer vers le sud-est sur un plateau très fertile dont le sol est partout profondé¬ ment crevassé. J’incline ensuite vers l’est-sucl-est. A dix heures, je descends doucement dans cette dernière direc¬ tion. A dix heures quinze minutes, j’atteins Sarouneh, petit village divisé en deux quartiers. Les maisons sont grossièrement bâties, sur deux monticules qui s’arrondissent autour d’un vallon, qu’arrose une source contenue dans une sorte de petite chambre carrée, dont le plafond est formé par de larges dalles, et que précède un vesti¬ bule cintré en pierres de taille très régulières; le tout d’apparence antique. K 11 ARRET BE1T-DJENN. A dix heures trente-cinq minutes, je monte vers le sud-est, laissant à gauche dans une vallée, appelée Oued Sarouneh, à : 2 kilomètres de distance vers l’est, le Kharbet Beit-Djenn, village aujourd’hui abandonné. Il A DATER. A dix heures quarante-cinq minutes, parvenu sur un plateau très fertile, j’en redescends à dix heures cinquante minutes, vers le sud-ouest. 268 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. A onze heures quinze minutes, j examine de nouveau les ruines de Hadateh, que j’ai déjà décrites précédemment et sur lesquelles il est inutile de revenir ici. KHARBET YEMMA. A midi vingt minutes, je monte vers le nord-est, pour redes¬ cendre, à midi trente-cinq minutes , vers l’est-nord-est. A une heure, ma direction devient celle du nord. A une heure quinze minutes, j’atteins le fond d’une fertile vallée. Plusieurs sources y coulent, sous le nom de A’ïoun Yemma, et y forment un petit marais. Près de là, sur un monticule, un village ruiné en pierres basaltiques s’appelle Kharbet Yennna, et est peut- être identique avec le Kefar Yama signalé par le Talmud en Galilée b KIIARBET CHAMSIN. A l’est et non loin du Kharbet Yemma, un autre village aban¬ donné et en ruines s’appelle Kharbet Chamsin. TELL EN-NAâ\m. En cheminant vers le nord dans la vallée que je viens de mentionner, je laisse à ma gauche, à une heure quarante-cinq minutes, un monticule auquel mon guide donne le nom de Tell en-Naa’m. Servait-il jadis d’assiette à des constructions? Je ne puis l’aflîrmer, car aucun débris n’est visible, mais elles ont pu être entièrement rasées. KHARBET ES-SAIADEH. A deux heures dix minutes, je traverse un petit village aban¬ donné depuis quelques années et à moitié renversé; il m’est indiqué sous le nom de Kharbet es-Saïadeh. Neubauer, Géographie du Talmud, p. aa5. 1 CHAPITRE XVIII. — RETOUR À THABARIEH. 269 RIIARBET EL-MENARA. A deux heures quinze minutes, je monte vers le nord-nord-est. A trois heures dix minutes, arrivé au sommet d’un plateau élevé d’où l’on domine tout le lac de Tibériade, j’y rencontre les ruines d’un village aux trois quarts détruit et appelé Kharbet el- Menara. RETOUR A TU ABAR1EII. Poursuivant ensuite ma marche vers le nord, sur le haut du plateau fertile où je suis parvenu, et nommé Ardh el-ITamma, je commence, vers trois heures quarante minutes, à descendre vers l’est des pentes très rapides , en longeant à ma droite un oued pro¬ fond, dont je contourne les bords escarpés. A quatre heures dix-sept minutes , je lais halte enfin à Thabarieh , au heu de mon campement. 270 DESCRIPTION DE LA GALILEE. CHAPITRE DIX-NEUVIEME. KHARBET El -HAMMAM (eMMAÜs). - KIIARBET KEDICII , PEUT-ETRE SEISNABRIS. - KHARBET EL-MELLAHA. - KIIARBET KERAK (tARICIIEEs). - RETOUR À THABARIEII. KHARBET EL- II A JIII A M (EMMAÜs). Le 29 juin, jour de la fête de saint Pierre, le petit couvent latin de Tibériade se dispose, dès l’aurore, à célébrer dignement la mémoire de ce grand apôtre, et l’humble chapelle dédiée au / premier chef de l’Eglise est envahie de bonne heure par de nom¬ breux chrétiens, venus la veille de Nazareth, à la suite de plusieurs religieux franciscains de cette ville. Je ne puis mieux faire que de me joindre à ces pieux fidèles pour unir mes prières aux leurs. A onze heures, je me dirige au sud de la ville actuelle de Thabarieh , en traversant le long du lac l’emplacement de la ville antique. A onze heures trente minutes, arrivé au Kharbet el-Hammam, j’examine en tous sens les ruines de cette bourgade, qui faisait im¬ médiatement suite à la ville de Tibériade. Ces ruines couvrent un espace assez étendu sur les bords du lac, jusqu’au pied des collines qui s’élèvent à l’ouest. Un épais mur d’enceinte, dont il subsiste quelques pans encore debout, construits en blocage, avec un pare¬ ment de pierres volcaniques de moyenne dimension, environnait cette petite ville, qui, vers le nord, touchait à Tibériade et n’était séparée de cette grande cité que par une muraille mitoyenne. Les arasements d’une grande tour sur un monticule, ceux d’un édifice tourné de l’ouest à l’est, et qu’ornaient autrefois des colonnes de granit actuellement gisantes sur le sol, les vestiges de nombreuses CHAPITRE XIX. KHARBET EL-HAMMAM. 271 maisons complètement renversées, plusieurs caveaux funéraires pratiqués dans les flancs des collines de l’ouest, les traces d’un aqueduc, au pied et le long de ces mêmes collines, qui amenait jadis à cette localité et à Tibériade les eaux de l’Oued Fedjaz, tels sont les principaux restes qui attirent tour à tour mon attention. Les établissements de bains thermaux qui florissaient en cet en¬ droit ont été détruits , et les trois qu’on y voit maintenant sont modernes. Deux sont fort misérables, et consistent en de petites coupoles très dégradées ; le troisième est plus considérable et porte le nom d’ibrahim Pacha, qui l’a fait réparer. Il est fréquenté par un grand nombre de malades, qui y viennent chercher la gué¬ rison de leurs maux. Quatre sources principales alimentent ces bains. On les dit très efficaces contre les rhumatismes, le scorbut et la lèpre. La température en est très élevée. Elles sont sulfu¬ reuses et renferment, en outre, de la soude, de la chaux, de la magnésie et du chlore. Vers l’an 1 1 5 6 , à l’époque des Croisades, le géographe arabe Edrisi décrit ainsi ces bains : L’un de ces bains, dit-il, est très grand et se nomme bain d 'Ed-Demaker. L’eau, au moment où elle jaillit, est tellement chaude, qu’on peut l’em¬ ployer, soit à épiler un chevreau, soit à plumer une poule, soit à durcir un œuf. Elle est salée. Le bain dit à' El- Loulou , « des Perles », est plus petit que le précédent, et l’eau en est douce, mais sa chaleur s’évapore dans les bassins où elle est reçue. On s’en sert pour les ablutions et on l’emploie à d’autres usages. Quant au bain dit El-Mondjedet, l’eau en est chaude et douce tout à la fois. A l’exception du bain dit cr Je Petite, il n’en est point où il soit nécessaire d’allumer du feu. Ce dernier bain fut construit par un prince musulman, dans sa maison, pour son usage particulier et pour celui de sa famille et de ses clients. A sa mort, il le laissa an public, en sorte que tout le monde peut v entrer. C’est le seul dont l’eau soit échauffée artificiellement. Au midi de ce •< bain , on voit diverses autres sources , telles que celle des hommes blessés, celle des chérifs, etc., dont les eaux sont naturellement chaudes, et où accourent de tous côtés les boiteux, les paralytiques, etc.1. Dans l’antiquité, Pline se contente de vanter, en parlant de ' Edrisi, Géographie , t. f, p. 3/17, traduction de A. Jauberl. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 272 Tibériade, la vertu de ses eaux, mais sans indiquer par un nom spécial la localité voisine de cette ville où elles se trouvaient1. Josèphe, au contraire, la désigne sous la dénomination d’Em¬ ma iis : Ssppà <$e ovk SlttmOsv ’évecrliv êv Hoagy ' Ègpaoüs ovopa avrfj 2. ff Des eaux thermales existent dans le voisinage de cette ville (de Tibériade). La bourgade où elles sont situées s’appelle Emmaüs.r) Dans un autre passage, ce même écrivain la signale de nouveau sous le nom d’Ammaüs : Oveanatriavos Sè, cipas ano t ijs Appaovs , ’évOa -srpô t ijs T iGspiaSos êalpa- to7tsSsvksi ([ ’xeOepprivevopévri Sè Ap.pta.ovs Ssppà Xeyon’ av , sali yàp êv avril izriyr) Sspp&v vSdrcov izrpos anscriv êirnrjSsi'os} , àÇuxvs'ïrai rspos Trjv T àpaXav 3. tfYespasien part d’Ammaüs, où il avait dressé son camp en avant de Ti¬ bériade (or ce nom d'Ammaüs , si on en interprète le sens, signifie et eaux thermales n), et il parvient à Gamala.» Dans le Talmud, ce nom d’Emmaüs ou Ammaüs devient en hé¬ breu NnDn. Gomme le remarque AT Neubauer4, le nom grec vient du mot hébreu nDn, cr être chaude, et Ton emploie généralement cette dénomination pour tous les endroits où se trouvent des eaux thermales. Dans le livre de Josué, il est question, parmi les villes forli- fiées données en lot à la tribu de Nephthali, de Hammath, nDn, en grec H(xci0aSct7cé6 et ÀpuxO, en latin Emath : Civita tes munitissimæ Assedim, Ser, et Emath, et Reccath, et Cenerelh5. L’Emmaüsde Josèphe, THamatha des talnnidistes, est évidem¬ ment identique, pour le nom, avec la ville forte de Hammath de ce passage de Josué. Est-il permis en même temps de l’identifier avec cette dernière place? Oui et non. Oui, si le verset de saint 1 Pline, Histoire naturelle , 1. V, c. xv. 4 Neubauer, Géographie du Talmud, 2 Antiq. judaïq. 1. XVIÎI, c. ii , S 3. p. 207. Guerre des Juifs , 1. IV, c. 1, S 3. Josué, c. \ix, p. 35. 3 CHAPITRE XIX. KH A RR ET K ED IC H. 273 Matthieu relatif à la position de Capliarnaiim peut être interprété comme je l’ai fait plus haut; non, s’il faut, au contraire, le prendre à la lettre, et si Gapharnaüm était réellement située sur la limite de Nephthali et de Zahulon. K II A R B ET K EDI CH , PEUT-ETRE SENNABR1S. A une heure, je poursuis ma route vers le sud-sud-est, le long du lac. A une heure vingt minutes, je gravis, vers le sud, des pentes couvertes en partie de broussailles et sillonnées par plusieurs petits ravins. A deux heures, parvenu au sommet d’une haute colline qui s’élève, par plusieurs étages successifs, à une altitude d’au moins 2 5o mètres au-dessus du lac, j’y fais halte quelques instants. Jadis environnée d’un mur d’enceinte, la partie supérieure est couverte de ruines appelées Kharbet Kedich. Plusieurs maisons, grossière¬ ment bâties en pisé et avec de menus matériaux de nature volca¬ nique, sont encore habitées par de pauvres fellahs. Près d’un vieux seder gisent sur le sol un certain nombre de dalles et de plaques de basalte, qui paraissent antiques. Delà on jouit d’une vue très étendue sur le lac. Une source coule à quelque distance au pied du village. Cette localité est peut-être l’ancienne Sennabris, mentionnée par Josèphe, et près de laquelle Yespasien, marchant de Scytho- polis vers Tibériade, campa avec trois légions, à trente stades au sud de cette dernière ville, sur une hauteur où il pouvait être aperçu des séditieux qui cherchaient à soulever contre les Ro¬ mains Tibériade et Tarichées : Koù fxerà rpiôjv Tay[jaxTCt)v zspoe'XOcov cri pa.ro7reSsv£Tou fxsv octto Tpiaxovra irjs TtGepidSos crlaSicov , xard tira, cri a.6p.bv evcruvonlov toÎs veojTEpi'loucri (2sf- J'aêpts èvo/juxÇeTcu ) 1 . ' Guerre des Juifs, I. III, <\ i\ , S n. i. îS Tl h DESCRIPTION DE LA GAULEE. L’endroit où il assit sans doute son camp est une colline unie qui avoisine celle du Kharbet Kedich, et dont le plateau, actuellement livré à la culture, est entouré de ravins qui paraissent avoir été régularisés par la main de l’homme. Cette colline est précisément à trente stades au sud de l’ancienne Tibériade, et de là on domine vers l’est-sud-est les ruines de Tarichées. De ce point, par consé¬ quent, Vespasien pouvait tenir en respect ces deux villes, auxquelles devait imposer la vue des feux de son camp. Plus haut dans la montagne, au nord-ouest du Kharbet Ke- dicb, j’ai signalé précédemment d’autres ruines, appelées Kharbet el-Menara. Ces ruines sont situées également à une trentaine de stades au sud de Tibériade, et elles peuvent être prises pareille¬ ment pour celles de Sennabris. Du plateau qu’elles occupent, en elTet, on domine de plus de do o mètres le lac de Tibériade, que l’on embrasse tout entier du regard, et il est permis de choisir entre ces deux emplacements pour y reconnaître le site du camp de Vespasien dans la circon¬ stance relatée par Josèphe. Ce même historien nous apprend ailleurs que la vallée du Jourdain, qu’il appelle la Grande Plaine, s’étendait depuis le village de Ginnabrin au nord jusqu’au lac Asphaltite au sud : !I fxécrr] Ai tôjv Svo opéwv x^Pa T° M/ya YleSiov xixXeÏtou , on ro Kwprtç T iv- l’aëp'v SirjHov (j teyp< Trjs ArripaATiTiSos \i'p.vns 1 . vf La vallée comprise entre les deux, chaînes de montagnes s’appelle la Grande Plaine; commençant au village de Ginnabrin, elle finit au lac Asphaltite. » Je suis assez disposé à identifier ensemble ces deux localités de Sennabris et de Ginnabrin, signalées l une et l’autre par Josèphe comme voisines du lac de Tibériade. Un passage du Talmud de Jérusalem parle de deux endroits fortifiés dans le voisinage de ce lac, appelés, le premier Tsenabri, le second Beth-Yerah. Tsenabri, est évidemment le village de Sennabris de Josèphe, et Belh-Yerah , rrr rua, doit probabïe- 1 Guerre des Juifs, I. IV, c. vin, S ü. CHAPITRE XIX. — KHARBET EL-KERAK. 275 ment être identifiée avec Tarichées, nr ma, comme le suppose M. Neu- bauer, étant devenue, dans la bouche du peuple, mn, Thenah\ KIIARBET EL— MELLAHA . A deux heures trente minutes, je descends, vers l’est-sud-est, de la hauteur du Kliarhet Kedich. A trois heures cinq minutes, j’arrive au Kliarhet el-Mellaha. Les ruines ainsi appelées couvrent un monticule tout jonché de débris au milieu de chardons et de broussailles, et jadis environné d’un mur d’enceinte dont les traces sont encore reconnaissables. Ce monticule, au pied duquel, vers l’est, s’arrondit une jolie petite haie, bordée d’agnus-castus et de lauriers-roses, qui servait autre¬ fois de port à Tarichées, devait jadis faire partie de cette ville, à laquelle il touchait. Le nom même attaché par les Arabes aux ruines qui le couronnent semble une pure traduction de celui de Tixpi^éou ou Tapi’/aiou , donné par Josôphe à cette ville. Ce nom, en effet , paraît venir du mot grec râpr/os , «poisson salé, sa¬ laison ; r> or le mot arabe mellaha a précisément une signification analogue, ce qui porte à penser que Tarichées avait été ainsi appelée parce qu’on y salait les poissons pêchés dans le lac. KHARBET EL-KERAK (TARICHEES). Au sud de ce monticule et de la haie qui l’avoisine, s’étend, le long du lac, un plateau onduleux qui affecte la forme d’un grand triangle, dont la hase regarde le sud et le sommet est au nord. 11 est circonscrit par des collines qui sont tellement régulières quelles doivent être en partie naturelles et en partie artificielles. Les unes, vers l’est, bordentle lac, qu elles surplombent d’une hauteur de 1 o à i 5 mètres, etelles sont coupées de ce côté par plusieurs dépressions , dues peut-être à la main de l’homme et qui permettaient de des¬ cendre jusqu’au rivage. Une autre ligne de collines longe de l’est 1 Neubnuer, Géographie du Talmud, p. si G. tS. \ 276 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. à l’ouest le lit du Jourdain, à partir de l’endroit où ce fleuve sort du lac jusqu’à celui où il se tourne brusquement vers le sud. Une troisième ligne de collines, à l’ouest, domine une vallée maréca¬ geuse, où le fleuve allonge l un de ses bras vers le nord pendant l’espace de 5oo mètres. Enfin, à l’extrémité septentrionale, ou, en d’autres termes, au sommet du triangle, une autre colline s’avance comme une sorte de promontoire dans le lac, qui, sur ce point dé¬ crit au nord, comme je l’ai déjà dit, une petite baie demi-circu¬ laire. A l’ouest de ce promontoire et au sud de la baie, court une longue chaussée, percée de nombreuses arcades, aujourd’hui en partie démolies, par où le trop-plein du lac se répand dans la vallée marécageuse dont j’ai parlé, et où déjà remonte le petit bras du Jourdain que je viens également de signaler. De cette ma¬ nière, à l’époque des hautes eaux, la ville, de presqu’île qu’elle était, devenait une île véritable, entourée soit par le lac, soit par le fleuve , qui tous deux lui servaient de défense naturelle. Les collines qui l’environnaient étaient elles-mêmes surmontées, partout où elles étaient facilement accessibles, d’un mur d’enceinte bâti intérieure¬ ment en blocage, avec un parement extérieur de blocs plus ou moins réguliers. 11 en subsiste çà et là quelques pans encore de¬ bout; mais il est aux trois quarts rasé presque complètement, ainsi que la ville qu’il enfermait. Celle-ci était traversée du nord au sud par une longue rue basse, semblable à un ravin, qui aboutissait au Jourdain. L’emplacement occupé par les maisons et par les édifices publics a été depuis longtemps sillonné par la charrue; la pointe septentrionale seule a servi d’assiette à un village arabe dont les ruines portent le nom de Kharbet el-Kerak, dans lequel il est permis de voir une corruption de celui de Tarichées. La ville ainsi désignée par Josèphe était située, comme nous l’apprend cet historien, à trente stades de Tibériade, sur les bords du lac : Mst» Sè rpiTtlv r}fjiépOLv els Tapi^aias à7rsp%Ofxévou fxou , Ttj$ T lësptxSos àizeyovacLÇ ulaSta TptdxovTa '. I tp de Josèphe , S 3 o.. 1 CHAPITRE XIX. — KHARBET EL-KERAK. 277 ff Trois jours après, je partis pour Tarichées, éloignée de trente stades de Tibériade, -n Nous lisons, d’un autre côté, clans Pline, que cette même ville se trouvait à l’extrémité méridionale du lac : Ergo ubi prima convallium fuit occasio, in lacum se fundit (Jordanis), quem plures Genesaratn vocant, xvi millia passuum longitudinis, vi millia latiludinis, amœnis circumseptum oppidis : ab oriente, Juliade et Hippo; a meridie, Tarichea, quo nomine aliqui et lacum appellent; ab occidente, Tibé¬ riade, aquis calidis salubri ll Ces deux renseignements réunis plaçant à trente stades de Tibé¬ riade, à l’extrémité méridionale du lac, la ville de Tarichées, nous conduisent droit au Kharbet el-Mellaha et au Kharbet el-Kerak, et dès lors le doute n’est pas possible relativement au site de cette ville , qui devait occuper à la fois le monticule du Kharbet el-Mellaha et tout le grand triangle dont le Kharbet el-Kerak ne couvre que le sommet. Tarichées, comme nous le savons en outre par Josèphe, était, ainsi que Tibériade, dominée par des hauteurs, et avait été munie par cet historien, partout où elle n’était point baignée par le lac, d’une puissante muraille d’enceinte, non aussi forte toute¬ fois que celle de la ville précédente : H [xèv yàp TffoXts, 6éa7rep n TiGspiàs virwpeios ovcrct, KtxOà. pî) rrj Xt'pvri 'cspouex Xvlero , tsixvtoOsv vnb t ou Yojctyi'tiov TSTet^tarlo xctpTepüs , éXatro-oo pév- toi Tris TiëspiaSos2. Il subsiste encore çà et là, comme je l’ai dit plus haut, quelques débris de cette enceinte, débris qui offrent la similitude la plus grande avec ceux des anciens murs de Tibériade. Avant cette époque, Tarichées était tombée, presque sans coup férir, au pouvoir de Cassius, qui y avait fait trente mille captifs3. Si ce chiffre, donné par Josèphe, n’est point exagéré, il prouve l’im¬ portance qu’avait déjà cette ville sous le rapport de sa population. Dans la première année de son règne, Néron concéda au roi 1 Pline, Histoire naturelle, 1. V, c. xv. — s Guerre des Juifs, 1. III, c. x, S î. — 3 Antiq. jadaïq. 1. XIV, c. vii, S 3. 278 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Agrippa une partie de la Galilée, et notamment Tibériade et Tari- cbées. Au commencement de la guerre des Juifs contre les Romains, cette dernière ville fut l’une de celles <|ue Josèphe fortifia. Quelques jeunes gens du village de Dabaritta, ayant dévalisé dans la Grande Plaine Ptoléméc, procurateur d’ Agrippa, qui accompagnait un convoi d’objets précieux destinés à ce prince, apportaient à Tari- chées le produit de leur vol; mais Josèphe, qui commandait alors dans cette ville, les en dépouilla, avec l’intention de restituer à Agrippa ce qui lui avait été enlevé. Cet acte les mécontenta vive¬ ment, et, dans leur fureur de n’avoir eux-mêmes aucune part au butin qu’ils avaient fait, ils fomentèrent contre Josèphe un violent tumulte. Les séditieux, tant de la ville que des localités voisines, se rassemblèrent, au nombre de cent mille, dans lTiippodrome de Tarichées, èv tw xcltcl TapiyécLs imroSpop.w1. Je n’ai retrouvé au¬ cune trace de ce vaste édifice; mais l’examen des lieux m’incline à penser qu’il devait occuper une partie de la vallée qui s’étend à l’ouest de la ville. Josèphe, éveillé le matin par un fidèle serviteur, au moment où l’on allait mettre le feu à sa maison, se présenta devant la foule, les vêtements déchirés et la tête couverte de cendres, annonçant qu’il était prêt à justifier sa conduite. La multitude, touchée de son air de suppliant, fit silence pour écouter le gouverneur, et celui-ci affirma qu’il ne s’était emparé du butin que pour l’employer aux forlifications de Tarichées. Sur cette déclaration, le tumulte s’apaisa, et la plupart des mécontents se retirèrent; mais les plus exaltés poursuivirent Josèphe jusque dans sa maison, dont ils assiégèrent la porte. Montant alors sur le toit, il les harangua du haut de la terrasse de son habitation, en leur répétant qu’à cause de leurs clameurs il ne pouvait pas comprendre ce qu’ils voulaient, mais que, s’ils lui envoyaient quelques-uns des leurs, pour conférer à l’amiable avec lui, il obtempérerait à leur volonté. Les chefs des séditieux ayant pénétré sans armes dans sa maison, il les fit saisir 1 Guerre des Juifs , I. Il, c. xxi, § 3. CH API TUE XIX. KHAHBET EL- K EU A K. 21 \) par ses gens, qui les déchirèrent cruellement à coups de fouets, puis il les renvoya tout sanglants. A cette vue, les rebelles, de me¬ naçants qu’ils étaient , lurent consternés, et, jetant leurs armes, se dispersèrent. Vespasien, une fois en possession de Tibériade, qui lui avait ouvert ses portes, établit son camp près des thermes d’Kmmaüs. Pendant que les soldats romains en construisaient l’enceinte, une troupe de Tarichéates fondit sur les travailleurs et réussit à ren¬ verser une partie de l’ouvrage déjà fait; mais les assaillants furenl bientôt mis en déroute et poursuivis jusqu’aux barques qui étaient prêtes à les recevoir. En même temps, Titus fut chargé par son père d’attaquer un grand rassemblement qui s’était formé dans la plaine voisine de Tarichées. Comme il n’avait amené que boo ca¬ valiers d’élite, il fut ensuite renforcé par hoo autres cavaliers, conduits par Trajan, et par 2,000 archers, commandés par Anto- nius Silo. Ceux-ci avaient pour mission d’occuper les hauteurs qui dominent la ville, vers l’ouest, et de repousser à coups de flèches les défenseurs des murs. Titus, pour faire croire qu’il avait avec lui un plus grand nombre de soldats, déploya un front égal à celui de l’ennemi, et, lançant le premier son cheval en avant, commença l’attaque avec beaucoup d’impétuosité. Tous ses cavaliers le sui¬ vaient en poussant de grands cris. Les Juifs, après avoir essayé une vaine résistance, et après avoir subi des pertes considérables, se réfugièrent épouvantés dans la place. La plupart étaient étran¬ gers à la ville, et bientôt de violentes altercations éclatèrent entre eux et les habitants, qui, depuis longtemps, voulaient traiter avec les Romains. Titus, entendant leurs clameurs, se bâta de profiter de leurs dissensions intestines. 11 pousse hardiment son cheval dans le lac, et, avec tous ses cavaliers, il se précipite dans 'Tarichées par la portion du rivage que ne protégeait point un rempart. Tout luit à son aspect : les uns se dispersent dans la campagne, les autres s’eiîorccnt de gagner leurs barques, pour s’éloigner de la côte et se rélugier au milieu du lac. \près un ellroyable carnage, T 1 tus donne enlin lordre de cesser le massacre. Instruit de <■<> ‘280 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. succès, Vespasien accourt à Tarichées. 11 fait construire aussitôt des radeaux, puis, quand ils sont prêts, il les charge de soldats armés et les lance contre les Juifs qui s’étaient retirés sur le lac. Ceux-ci, traqués de toutes parts, périssent par milliers, couvrant de leurs cadavres la surface des eaux et les rives du lac. Vespasien réunit ensuite un conseil de guerre à Tarichées, et après avoir pardonné aux habitants de la ville, il inclinait également à ac¬ corder la vie sauve aux Juifs étrangers; mais, sur les conseils de ses amis, il résolut de s’en défaire, et, leur concédant la liberté de se rendre à Tibériade, comme s’il voulait les gracier, il les réunit tous dans le stade de cette ville et ordonna de mettre im¬ médiatement à mort les vieillards et les infirmes, au nombre de 1,200. 6,ooo, choisis parmi les plus jeunes et les plus vigoureux, furent réservés pour Néron, afin d’être employés aux travaux de l’isthme de Corinthe. Tous les autres, se montant au chiffre de 3o,ôoo, furent vendus. Vespasien en donna également un certain nombre à Agrippa, qui les fit vendre. Tous ces chiffres sont probablement exagérés, comme le suppose M. de Saulcy1, car l’emplacement de Tarichées ne permet guère d’admettre que l’enceinte de cette ville ait pu renfermer, même temporairement, une population aussi considérable. D’après le récit de Josèphe, 6,5 oo hommes avaient déjà péri, tant à la prise de Tarichées que sur le lac. En outre, à ces différents chiffres, il faut ajouter celui de tous les habitants indigènes de cette place, auxquels Vespasien accorda leur pardon, et qui ne furent point at¬ tirés par lui à Tibériade, pour y être soit tués, soit vendus. Quant à l’endroit par où Titus pénétra dans la ville avec ses cavaliers, il faut le chercher dans la partie où elle était le plus facilement accessible du côté du lac, car l’espèce de longue digue qui la bor¬ dait de ce côté, et qui lui servait de rempart vers l’est, peut être escaladée même par un homme à cheval sur plusieurs points, où elle est à la fois moins haute et beaucoup moins abrupte. ' Voyage en Syrie el autour de, la mer Morte, t. II, p. ^76. CHAPITRE XIX. — RETOUR A THABARIEH. 281 RETOUR À THABARIEH. A cinq heures, je me mets en marche vers le nord, laissant à ma gauche le Kharbet el-Mellaha et à ma droite la baie demi-cir¬ culaire qui me paraît avoir été le port septentrional de l’ancienne Tarichées. Au nord de cette baie les collines se rapprochent du lac. A cinq heures quinze minutes, je rencontre une autre petite baie. Quelques ruines l’avoisinent; elles sont éparses au milieu d’un fourré d’agnus-castus et de jeunes acacias appartenant à l’espèce que les Arabes appellent dourn ou sidr. Les vestiges de plusieurs an¬ ciennes constructions sont reconnaissables. L’une, encore en partie debout, m’est désignée par mon guide sous le nom de Tahounet es-Soukkar, cr moulin à sucre n, ce qui prouve qu’autrefois la canne à sucre était cultivée sur les bords du lac de Tibériade, de même qu’elle l’était sur plusieurs points de la vallée du Jourdain. A cinq heures vingt minutes, je remarque, en continuant à che¬ miner vers le nord, puis vers le nord-nord-ouest, de gros blocs basaltiques qui surgissent du sol; les collines s’inclinent, de l’ouest à Test, jusqu’auprès du lac, que borde une lisière de beaux lau¬ riers-roses. A ma gauche, à l’ouest, l’une de ces collines porte sur son sommet les ruines de Kedich, dont j’ai parlé précédemment. Au bas de ces hauteurs, ou du moins sur leurs pentes inférieures, émerge çà et là au milieu des broussailles la ligne, souvent brisée, de l’aqueduc qui amenait jadis à Tibériade les eaux de l’Oued el- Fedjaz. A cinq heures cinquante-cinq minutes, je traverse de nouveau le Kharbet el-Hammam. Enfin, à six heures vingt-cinq minutes, je suis de retour à mon campement de Thabarieh. DESCRIPTION DE LA GALILEE. 282 CHAPITRE VINGTIÈME. DÉFAUT DE THABARIEH. - DJ1SU OUMM El -KANATHIII. - OL'MM DJOUMEH. a’bEDIEH. - DELHAMIEH. - BEkA A DELHAMIEH. - kllARBET ZEMBA- KIEH. - DJ1SB MEDJAMIA . DÉPART DE THABARIEH. Le 3o juin, à quatre heures trente minutes du matin, je quitte définitivement, et non sans regret, Thabarieh, en me dirigeant de nouveau vers le sud , le long du lac. A six heures, je salue pour la seconde lois, en passant, les ruines de Tarichées. DJISR OUMM EE- K ANATII1R. A six heures vingt minutes, je cotoie la rive occidentale du Jourdain. Ce fleuve, à sa sortie du lac, vers l’extrémité sud-ouest du bassin elliptique que forme f ancienne mer de Galilée, com¬ mence par se diriger, quelques centaines de mètres, vers l’ouest, el projette alors, comme je l’ai dit, un de ses bras vers le nord pen¬ dant 5 oo mètres environ, tandis qu’il s’écoule lui-même vers le sud en décrivant de nombreux replis. A six heures vingt-cinq minutes, je laisse à ma gauche les restes d’un pont dont les nombreuses arches sont renversées dans le lit du 11 euve. On l’appelle Djisr Oumm el-Kanathir. Une dizaine d’Arabes passent en ce moment le Jourdain à gué, à une faible distance des débris de ce pont. Ils ont de l’eau jusqu aux aisselles et paraissent lutter péniblement contre l’impétuosité du courant. A six heures trente-cinq minutes, je remarque les ruines d’un autre pont. CHAPITRE XX. A'BEÜ I EH. 283 OU Mil DJOUNEH. Près de là, un ancien barrage a été établi dans le lleuve pour permettre à une partie de ses eaux de suivre, latéralement à son cours, le lit d’un canal supérieur, destiné à arroser des plantations ou à faire tourner des moulins. Au delà du Jourdain, vers l’est, un village assis sur un monti¬ cule qui domine le fleuve m’est désigné sous le nom de Ounim Djouneh. A six heures quarante-deux minutes, je franchis l’Oued el- Fedjaz. Dans son lit, bordé de lauriers-roses et d’agnus-castus, coule un ruisseau qui autrefois allait porter ses eaux à Emmaiis et à Tibériade, et qui depuis longtemps se perd dans le fleuve. A BEDIRH. A six heures cinquante-quatre minutes, je fais halte à A’bedieh. C’est un assez grand village, qui s’élève en amphithéâtre sur une colline dont le Jourdain baigne le pied de deux côtés. Il renferme une soixantaine de petites maisons bâties en pisé et surmontées chacune d’une cabane faite avec des roseaux entrelacés, où les habitants se retirent la nuit pour avoir moins chaud. A l’ouest du village s’étendent de fertiles jardins , qu’arrosent des ruisseaux dérivés de l’Oued el-Fedjaz ou du Jourdain, et où croissent des légumes, des oliviers, des grenadiers et des figuiers; çà et là aussi s’élancent de jolis palmiers. La chaleur est tellement forte ce jour-là, et mon cheval est telle¬ ment fatigué parles excursions précédentes et surtout par le souffle embrasé du rhamsin, qui soulève de tous côtés des tourbillons de poussière brûlante, que je fais dresser ma tente dans 1 un de ces jardins, à l’ombre d’un gigantesque figuier. Je profite naturellement de ce repos lorcé pour mettre mes notes au courant. 284 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Le lendemain, icr juillet, à quatre heures vingt-cinq minutes du matin, je poursuis ma route le long du fleuve, vers le sud. La plaine où je chemine est par elle-même très fertde; mais, un kilo¬ mètre à peine au delà d’A’bedieh, elle cesse d’être cultivée, faute de bras suffisants et aussi de sécurité. Elle se déroule entre une longue chaîne de montagnes, à l’ouest, et les rives sinueuses du Jourdain, à l’est. A cinq heures trente minutes, cette plaine se resserre, et les montagnes se rapprochent du fleuve, dans le lit duquel plusieurs barrages ont été établis jadis en cet endroit, au moyen de gros blocs entassés par la main de l’homme. DELHAMIEH. Au delà du Jourdain et tout près de sa rive gauche s’élève, sur une colline, le village de Delhamieh. Les maisons sont bâties en pisé ou avec de menus matériaux , et la plupart sont surmontées de huttes en roseaux. beka’a-delhamieh. En deçà du fleuve et presque vis-à-vis le village précédent, un amas de petites pierres basaltiques provenant d’habitations ren¬ versées m’est désigné sous le nom de Beka’a-Delhamieh. KIIABBET ZEMBAKIEII. A six heures, je remarque les traces d’un ancien canal parallèle au Jourdain, auquel il empruntait une partie de ses eaux, et destiné à arroser des plantations depuis longtemps disparues. Près de là, les débris d’un village dominant le fleuve sur la rive droite s’ap¬ pellent Kharbet Zembakieh. Je les examine un instant, chemin faisant; ils n’offrent rien qui mérite d’être signalé. Seulement, ils prouvent qu’autrefois la vallée du Jourdain était tout entière bien cultivée. CHAPITRE XX. — DJISR MEDJAMIA\ 285 DJISR MEDJAMIA5. A six heures cinquante minutes, je parviens au Djisr el-Medjamia\ pont dont j’ai déjà parlé, et près duquel l’excessive chaleur due à la persistance du rhamsin me force de camper, sans pousser plus avant ce jour-là. Le niveau de la vallée en cet endroit est au moins de 200 mètres au-dessous de la Méditerranée, et cette dépression, déjà ti ’ès forte, continue à s’accroître de plus en plus, à mesure que l’on s’avance davantage vers la mer Morte. Là , près de l’embou¬ chure du fleuve, elle atteint son maximum, qui est de 892 mètres environ au-dessous de la Méditerranée. Une pareille dépression explique facilement la chaleur extraordinaire qui règne, pendant l’été, dans une vallée si profondément encaissée entre les deux chaînes de montagnes parallèles qui l’encadrent dans toute sa lon¬ gueur, à l’est et à l’ouest. La température devient surtout presque intolérable les jours où le vent du midi semble enflammer l’at¬ mosphère. Jadis, quand la vallée était cultivée, quand elle était couverte de vergers et d’immenses plantations de palmiers à tra¬ vers lesquelles de nombreux canaux promenaient la fertilité et la fraîcheur, elle devait former, au contraire, une sorte de paradis terrestre, où toutes les productions des tropiques pouvaient pros¬ pérer à l’envi, où les hivers avaient la douceur de nos plus beaux printemps, et où l’ardeur des étés devait être tempérée sur beau¬ coup de points par de magnifiques ombrages. 2 86 DESCRIPTION DE LA GALILEE. CHAPITRE VINGT ET UNIÈME. KHARBET EL-KOUSEIR. - MAAD. - KHARBET EL-BALEH. - ARAK ER- RECHDAN. - TELL EL-ARBAÏN. - KIIARBET ABOU-ZIAD. - KHARBET ED-DAL1EH. - KHARBET THABAKAT FAHIL (pELLa). KHARBET EL-KOUSEIR. Le *2 juillet, à cinq heures du matin, je franchis le Djisr Medja- nua Au delà du fleuve, le sol est d’abord très mamelonné et hérissé de gros blocs basaltiques. Je prends la direction du sud-sud-est. A cinq heures quinze minutes, je traverse, vers l’est-sud-est, une grande plaine, dont une faible partie seulement est cultivée; le reste est couvert d’énormes chardons désséchés. A cinq heures cinquante minutes, ma direction devient celle du sud, et bientôt je parviens à des ruines appelées Kharbet el-Kouseïr. Elles sont situées sur les bords de l’Oued el-ATab, qui prend égale¬ ment, en cet endroit, le nom d’Oued el-Kouseïr. Ces ruines sont actuellement peu considérables et à peu près effacées du sol, à l’exception de celles d’un pont bâti en pierres de taille, dont les piles et les voûtes sont renversées. Je signalerai également les dé¬ bris d’un petit canal, dérivé jadis de Youed, et qui était destiné à l’irrigation de la partie supérieure de la plaine. L’Oued el-A’rab est alimenté par des sources intarissables et porte au Jourdain le tribut de ses eaux. Ses rives, bordées de lau¬ riers-roses, sont en ce moment assiégées par de nombreux trou¬ peaux de chèvres et de bœufs appartenant à une tribu de Bédouins, «pii a dressé ses tentes non loin de là. CHAPITRE XXI. — TELL EL- AJ RB AIN. 287 ma'ad. À six heures cinq minutes, je laisse à ma gauche, sur une colline, an delà de l’Oued el-A’rab, le village de Ma’ad. Il est. abandonné depuis quelque temps. Près du petit groupe d’habita¬ tions qu’il formait, j’aperçois de loin un onaly consacré au cheikh Vlaad. KHARBET EL-BALEH. A six heures trente minutes, en poursuivant ma route vers le sud, j’observe à ma gauche sur une autre colline les vestiges d’un second hameau renversé, appelé Kharbet el-Baleh. A sept heures trente-cinq minutes, je franchis l Oued Thaybeh. Aussi abondant que l’Oued cl-A’rab, il va de même se jeter dans le Jourdain, en roulant ses eaux murmurantes dans un lit sinueux, bordé, comme le précédent, de superbes lauriers-roses, auxquels se mêlent des touffes d’agnus-castus et des roseaux gigantesques. Un petit canal court parallèlement à cet oued, à un niveau supérieur; il fertilisait autrefois des champs à travers lesquels il passe mainte¬ nant presque en vain; car ils sont peu cultivés. a’rAK ER-RECI1DAN. A sept heures cinquante-huit minutes, immédiatement, au sud d’un troisième oued, appelé Oued Ziklab, qu’accompagne pareille¬ ment un petit canal, je passe au pied d’une colline que couronne fin village auquel mon guide donne le nom de A’rak er-Rechdan. TELL EL— A^RBAÏN. A ma droite, dans la plaine, non loin du Jourdain, s’élève un tell solitaire, appelé Tell cl-A’rbaïn. Il est, dit-on, couvert de quelques ruines peu importantes. 288 DESCRIPTION DE LA GAULEE. KHARBET ABOU-ZIAD. A huit heures quinze minutes, je franchis un quatrième oued, nommé Abou-Ziad. Sur ses rives couvertes de roseaux florissaient autrefois des plantations que ses eaux fécondaient; elles ont laissé peu de traces, ainsi que les maisons des habitants qui les culti¬ vaient et dont les vestiges confus portent le nom de Kharbet Abou- Ziad. KHARBET ED-DAL1EH. A huit heures quarante-cinq minutes, je remarque sur les bords d’un cinquième oued, que je traverse également, et appelé Oued ed-Dalieh, les débris d’un hameau détruit, portant le même nom que Youed auprès duquel il était situé. Le sol est naturellement très fertile, mais abandonné en grande partie par la culture, malgré l’abondance des eaux de ce ruisseau, qui les promène inu¬ tilement au milieu d’admirables touffes de lauriers-roses. KHARBET TIIABAKAT FAHIL (pELLa). A neuf lieures quarante minutes, je monte, vers le sud-est, les différents gradins d’un plateau qui s’élève par étages successifs et appelé Thabakat-Fahil, fries étages de Fahil v. Ce plateau, qui est cultivé par les habitants d’un village voisin, est renommé encore maintenant pour la richesse de son terroir et la beauté de ses ré¬ coltes en céréales. A dix heures, enfin, je fais halte, après une courte descente, à coté d’un ruisseau très abondant, appelé Djerm el-Mouz, au milieu des vastes ruines du Kharbet Fahil. La source qui alimente ce ruisseau jaillit d’un peu plus haut. L’eau en est excellente et limpide. File forme un ruisseau, qui, n’étant plus canalisé comme il l’é¬ tait autrefois et divisé en différents bras pour arroser des vergers CHAPITRE XXL KIIARBET T H A R A K AT F A II IL. 289 el ensuite des champs, se répand maintenant dans une vallée extrêmement fertile, qu’il change en marais et que couvre un épais fourré de roseaux, d’agnus-castus, de tamariscs, de lauriers-roses et de saules, refuge de nombreux sangliers. Ce ruisseau est dominé par une belle plate-forme, à la fois naturelle et artificielle, où gisent pêle-mêle entassés des fûts mono¬ lithes de colonnes de différents diamètres, des tambours énormes appartenant à d’autres colonnes beaucoup plus considérables, des chapiteaux brisés, les uns corinthiens, les autres ioniques, et beaucoup de magnifiques pierres de taille, confusément amonce¬ lées. Là, probablement, s’élevaient autrefois un temple et un por¬ tique. Au-dessus de cette plate-forme, sur une hauteur voisine, deux autres édifices, sans doute deux petits temples, sont pareil¬ lement renversés de fond en comble, avec les colonnes monolithes qui les ornaient; un escalier menait de l’un à l’autre, et ils avaient été tous deux construits avec des pierres de taille de grande dimen¬ sion. La plupart des chapiteaux ont disparu ou sont brisés; un seul est encore presque intact et de style corinthien. Quant à la ville proprement dite, elle s’étendait sur une longue colline courant de l’est à l’ouest, au nord de la vallée marécageuse où serpente le ruisseau dont j’ai parlé. Cette colline est tout en¬ tière envahie en ce moment par des broussailles, des asphodèles, des fenouils, des chardons desséchés par le soleil, à travers les¬ quels il est malaisé de se frayer un passage. On heurte, en outre, à chaque pas, des tas de matériaux de toutes sortes provenant de maisons et de monuments démolis. Les assises inférieures d’un mur fort épais bâti avec de belles pierres de taille, reposant sans ciment les unes au-dessus des autres, sont encore en place, pendant un certain nombre de mètres, sur l’un des rebords du plateau de la colline, dont les pentes étaient soutenues par d’autres murs for¬ mant plusieurs terrasses successives, où s’étageaient des habitations superposées. Une fois parvenu, non sans peine, à l’extrémité occidentale de la colline, j’en redescends sur un plateau moins élevé et, là, ‘290 DESCRIPTION DE LA GAULEE. je me trouve bientôt en présence des ruines d’une ancienne basi¬ lique chrétienne, mesurant quarante-deux pas de long de l’ouest, à l’est et vingt-sept de large du nord au sud. Les murs avaient un mètre d’épaisseur. Il en subsiste çà et là quelques assises encore debout, consistant en gros blocs juxtaposés , sans ciment, et placés les uns dans le sens de leur longueur, les autres dans celui de leur largeur. Cette basilique, qui paraît contemporaine des premiers siècles de l’Eglise, était divisée en trois nefs, répondant à trois absides demi-circulaires, et était pavée en mosaïque. A l’ouest et au sud de ce monument, de grandes constructions attenantes, elles-mêmes bâties en pierres de taille et presque en¬ tièrement rasées, devaient avoir également une certaine magnifi¬ cence, ornées quelles étaient aussi de colonnes de différents dia¬ mètres, dont les fûts et les chapiteaux mutilés gisent à terre en cet endroit. Au delà, vers l’ouest, je n’aperçois plus de ruines sur ce pla¬ teau, mais, en dirigeant mes pas vers le sud, je remarque, sur un monticule qui commande l’Oued Djerm el-Mouz, la hase d’une colonne encore en place, seul reste d’un petit portique ou d’un petit sanctuaire qui décorait cette humble colline. De là, on pou¬ vait jouir de l’aspect charmant que devait offrir la vallée, lorsqu’au lieu d’être remplie tout entière par le fourré inextricable dont j’ai parlé, elle était occupée par de fertiles jardins, au milieu desquels couraient partout des eaux murmurantes qui fécondaient le sol, sans s’y perdre comme actuellement dans des marécages. Au bas de ce monticule, une avenue monte légèrement vers l’est, le long de Youcd, à droite, et de la colline où s’étendait la ville, à gauche. Elle était jadis bordée de colonnes monolithes, dont quelques lûts brisés la parsèment encore çà et là, et elle aboutissait à la belle plate-forme que j’ai mentionnée. Le coucher du soleil me surprit pendant que j’explorais ces ruines solitaires. Je regagnai ma tente, que j’avais fait dresser non loin de la source. Au milieu de la nuit, des chacals vinrent par CHAPITRE XXI. KH A RB ET TH AB AK AT FA H IL. 291 bandes rôder et faire entendre leurs miaulements plaintifs autour de moi; ce sont, avec des sangliers, qui abondent dans l’Oued Djerm el-Monz, les seuls habitants de cette ville déserte. Celle-ci, dans le nom quelle porte maintenant de Kharbet Fahil, ce ruines de Fahiln, a conservé quelques traces altérées du nom de Pella, sous lequel onia désignait autrefois. Primitivement, elle s’appelait Butis, comme nous l’apprend un passage d’Étienne de Byzance, qui la place dans la Cœlésyrie, en étendant vers le sud au delà de ses limites habituelles les bornes de cette province : IleXXà trréXis Ko/X>;s 'Evptas, rj Bout*? \eyo[iévri. Elle n’est mentionnée nulle part dans l’Ancien Testament. On croit qu elle fut habitée par une colonie de Macédoniens, des vété¬ rans peut-être de l’armée d’Alexandre, qui auraient changé son nom de Butis en celui de Pella, que portait l’une des principales vill es de leur pays, le berceau même de leur souverain. L’an 318 avant Jésus-Christ, elle tomba au pouvoir d’Antio- chus le Grand, lors de l’expédition de ce prince en Palestine1. Plus tard, sous Alexandre Jannée, les Juifs la détruisirent, parce que ses habitants ne voulaient point adopter les rites et les usages de la nation juive2. Bientôt après, elle fut rendue par Pompée à son ancienne population3, et c’est peut-être à cette époque de restauration qu’il faut attribuer les temples et les portiques dont j’ai signalé les ruines. Pella devint ensuite le chef-lieu d’une toparchie distincte4. Avant le siège de Jérusalem par Titus, les chrétiens de la Ville sainte, avertis, dit Eusèbe5, par un présage divin, allèrent se ré¬ fugier à Pella, ville jusque-là païenne, et où ils durent jeter pen¬ dant leur séjour les premières semences de la religion nouvelle. Située au nord de la Pérée, comme le remarque Josèphe6, elle faisait partie de la Décapole, et Pline vante l’abondance de ses eaux, 1 Polybe, I. V, c. i.xx, S 1 2. 4 Antiq. judaïq. 1. XIII, c. xv, $ 4. 1 Auliq. judaïq. 1. XIV, c. iv, S 4. 1 Eusèbe, Hist. eccl. 1. III, c. v. r’ Hist. eccl. I. III, 0. v. 6 Guerre des Juifs, I. III, e. m, S 3. 292 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. cr Pcllam aquis divilem1 ; n une pareille épithète convientparfaitement au Kharbet Fahil, qui jouissait autrefois de tous les avantages que lui ofTrait la source intarissable dont il a été question plus haut. Pella devint, dans la suite, le siège d’un évêché, et les noms de trois de ses évêques nous sont révélés par les Actes des conciles2. De¬ puis l'époque de l’occupation musulmane, elle disparaît complète¬ ment de l’histoire, et ses ruines, longtemps inexplorées, n’ont guère été visitées que de nos jours par des voyageurs européens, notamment par Robinson, qui les a, un des premiers, identifiées avec l’antique Pella de la Pérée. llist. naturelle, I. V, c. xvi. — 8 Le Quien, Orients chrislianus, t. III, p. (>97. 1 CHAPITRE XXII. — CHERI A3 T ËL-MANDHOUR. *21) 3 CHAPITRE VINGT-DEUXIEME. RETOUR AU KHARBET KOUSEÏR. - CHERIA’î EL-MVNDIIOUR (l’YARMOUk). - - KHARBET ED-DOUEÏR. KHARBET U AMM EH (iIAMATHa). RETOUR AU KHARBET KOUSEÏR. Lu 3 juillet, à quatre heures cinquante-cinq minutes du matin, je quitte les ruines de Del la , et, reprenant la route de la veille, mais en sens opposé, je fais halte, à huit heures cinquante mi¬ nutes, au delà de l’Oued el-A’rab, sur l’emplacement du Kharbet Kouseïr. L’élévation extraordinaire de la température me contraint de m’arrêter en cet endroit jusqu’au lendemain matin. Je n’ai qu’à me louer de la petite tribu de Bédouins dont les tentes sont éparses sur les bords de Youed, et dont les principaux cheikhs viennent me visiter et fumer ensuite de longues heures avec mon drogman, pendant que je rédige mes notes de la journée précédente et que je médite sur l’itinéraire que j’aurai à suivre les jours suivants. Le soir, au coucher du soleil, les troupeaux des Bédouins reviennent du pâturage, sous la conduite de pâtres armés, à la mine hère et sauvage, et aux longs mugissements des bœufs succèdent bientôt, pendant la nuit, les gémissements des chacals, que répercutent les échos des collines voisines. CIIERIA3r EL-MANDHOUR (l’YARMOUk). Le A juillet, à quatre heures du matin, je prends la direction du nord. A cinq heures trente minutes, je traverse un oued peu impor¬ tant et sans eau, appelé Oued Thabak. Les flancs des hautes collines 29 h DESCRIPTION DE LA GALILÉE. que je longe à ma droite sont partout hérissés de gros blocs ba¬ saltiques. A six heures trente minutes, après avoir franchi un monticule qui s’avance vers l’ouest, comme une sorte de promontoire, dans la vallée du Jourdain, j’arrive auprès du Cheria’t el-Mandhour. Ce torrent considérable a en cet endroit une trentaine de mètres de large et un mètre de profondeur d’eau à son gué. Son courant est très rapide. Il va aboutir au Jourdain. Je cotoie quelque temps sa rive gauche vers l’est ; elle est bordée sur ce point de magni¬ fiques touffes de lauriers-roses et d’élégants tamariscs au feuillage gracieux. Le Cheria’t el-Mandhour doit son nom actuel à une tribu d’Arabes ainsi appelée, qui avoisine ses rives: c’est la tribu des Menadhere, nom dont le singulier est Mandhour. Quant au mot Cheriat, il équivaut ici à celui de ce fleuve, rivièren.Le Jourdain, comme je l’ai dit ailleurs, est souvent désigné par les indigènes sous la dénomination de Cheriat el-Kehir, de grand fleuve n, par opposition au Cheria’t el-Mandhour, qui est de moindre importance, et n’est d’ailleurs que l’un de ses nombreux affluents. Cette rivière n’est point mentionnée dans la Bible, mais Pline la signale sous le nom de Hieromax : Gadara, Hieromace præfluente1. C’est la forme grecque et latine du nom que lui donnaient les Hébreux, à savoir : celui d 'Yarmouk, comme le Talmud nous l’ap¬ prend. La Mischna2 nous dit dans un passage que les eaux du Jour¬ dain et de TYarmouk ne pouvaient être employées dans le temple, parce qu’ils reçoivent l’un et l’autre des eaux impures. Le géogra plie arabe Édrisi3 nous a conservé fidèlement ce der¬ nier nom; il en est de même d’Aboulféda4. Depuis, cette appella¬ tion a disparu complètement parmi les indigènes, qui connaissent seulement celle que j’ai indiquée. 1 Histoire naturelle, 1. V, c. xvi. — 2 Parait, VIII, 9. — 3 Édrisi, Géographie, tra¬ duction Jaubert, t. I , p. 338. — 1 Abonlleda, Tabula Syriœ , édit. Kœhler, p. 1 /1 8 . CHAPITRE XXII. KHARBET HAMMEII. 295 L’Yarmouk formait jadis ia limite naturelle entre le pays de Basan, au nord, et celui de Gileaùl, au sud, et plus tard entre la province de la Gaulanitide et celle de la Pérée. Ses berges, très peu élevées à l’endroit où il commence à sillonner la vallée du Jourdain pour se jeter bientôt après dans ce lleuve, sont, vers l’est, beau¬ coup plus hautes et parfois très escarpées, comme de gigantesques murailles qui l’enserrent dans un ravin profond. KHARBET ED-DOUEJR. A six heures quarante-cinq minutes, j’aperçois au delà de cette rivière, sur un monticule qui la domine, différents tas de pierres basaltiques, restes d’habitations renversées. On les appelle Kharbet ed-Doueïr. Les rives du CheriaT el-Mandhour se dressent alors comme des remparts infranchissables, tantôt noirs et basaltiques, tantôt crayeux et resplendissant au soleil d’une blancheur si vive que l’œil en est ébloui. Le sentier que je suis serpente, vers l’est, sur les flancs d’une montagne assez raide, le long des replis multipliés que décrit le torrent ainsi encaissé, dont les eaux roulent et mugissent avec fu¬ reur sur un lit semé de gros blocs, la plupart basaltiques. KIIARBET HAMMEII (iIAMATIIa). A huit heures, après une descente rapide, je franchis à gué ce torrent; mon cheval a de l’eau jusqu’au haut du poitrail et lutte avec effort contre le courant. Le GheriaT el-Mandhour peut avoir en cet endroit à 5 mètres de large. Une fois parvenu sur la rive droite, je me trouve au milieu des ruines d’une petite ville, appe¬ lée Kharbet el-Hammeh. La première grande construction dont les ruines attirent mes re¬ gards est un vaste établissement de bains, d’origine romaine pro¬ bablement; il avait été bâti avec de superbes blocs basaltiques, ^96 DESCRIPTION DE LA GALILEE parfaitement appareillés, et se composait de plusieurs belles salles voûtées en plein cintre, aujourd’hui aux trois quarts démolies. L’une, encore en partie debout, renferme un réservoir circu¬ laire qui mesure i3 mètres de circonférence et 1 mètre 35 de profondeur. Une source chaude et très abondante y bouillonne sans cesse. L’eau en est sulfureuse et d’une température qui m’a paru, au toucher, être d’environ cinquante-cinq degrés centi¬ grades; elle s’en échappe continuellement en formant un ruisseau bordé d’agnus-castus, de lauriers-roses et de doums, qui va se jeter dans le Cheria’t el-Mandhour. Cette source m’a été indiquée sous le nom de A’ïn Oumm Selim. Elle est, dit-on, très salutaire pour beaucoup de maladies, principalement pour celles de la peau. Aussi est-elle assez fréquentée, même de nos jours, au mois d’avril surtout, par un grand nombre d’Arabes, tant des contrées trans- jordanes que de la Galilée. Dès le 1 5 mai, en effet, la chaleur est telle a Idammeh, que dominent presque de tous côtés des hauteurs, soit basaltiques, soit calcaires, et où plusieurs autres sources ther¬ males jaillissent du sol, que les baigneurs se hâtent de se retirer, abandonnant cette petite ville, bouleversée du reste de fond en comble, à sa solitude et aux moustiques, qui, dès lors, y sont innombrables. En dehors de cet établissement thermal, dont la plus grande partie devait sans doute servir à héberger tous ceux qu’y attirait la vertu curative de ses eaux, une seconde source, dite A’ïn el-Djerab, moins chaude que la précédente et également sulfureuse, coule à trois cents pas de là au pied d’une âpre colline, aux flancs noirs et basaltiques, qui, vers le nord, commande et enserre la vallée de flammeh. L’eau, claire et transparente comme du cristal, est légè¬ rement bleuâtre, et remplit un magnifique bassin pavé, que bor¬ daient jadis des pierres actuellement désunies. De hautes herbes et différentes plantes aquatiques environnent aujourd’hui ce réser¬ voir, d’ou sort pareillement un ruisseau considérable qui aboutit de même au Cheria’t el-Mandhour. Autrefois s’élevaient alentour des constructions, dont il ne subsiste plus que des vestiges confus. CHAPITRE XXII. — KHARBET HAMMEH. 297 Maintenant, elles sont remplacées par un fourré de doums, au milieu desquels on remarque de vieux térébinthes, un admirable acacia mimosa tout chargé de nids d’oiseaux, et d’élégants palmiers. Une troisième source thermale, appelée A Jïri er-Riah, forme ail¬ leurs un troisième ruisseau, qui serpente, tiède et limpide, entre une double rangée d’agnus-castus, de lauriers-roses et de doums. D’autres sources moins importantes apparaissent encore çà et là et accusent dans cette localité une richesse extraordinaire d’eaux thermales; c’est ce qui explique et le nom que portait autrefois la ville dont le Kharbet Hammeh a conservé la désignation primitive, très légèrement altérée, comme nous le verrons tout à l’heure, et la fondation en ce lieu du grand établissement de bains dont j’ai signalé les ruines. Quant à la ville qui le contenait, elle a été complètement détruite, et la plus grande partie de l’emplacement qu’elle occupait est depuis longtemps sans doute envahie par une végétation luxuriante d’arbres, d’arbustes et de broussailles, au milieu desquels on se heurte continuellement à des tas de maté¬ riaux basaltiques, restes de maisons démolies. J’y ai rencontré aussi quelques tronçons mutilés de colonnes de basalte qui devaient probablement orner jadis un temple. Une colline oblongue peu élevée et assez étroite, qui court dans la vallée où s’étendait cette petite cité, pourrait vraisemblablement, si elle était fouillée, dédommager, par quelque découverte intéressante, ceux qui en¬ treprendraient ces excavations et ces recherches. Sur les pentes d’un autre monticule, j’ai retrouvé et examiné les restes d’un théâtre. 11 avait été bâti avec de belles pierres de taille basaltiques; quelques gradins sont encore en place. Hammeh est la ville de Emmatha ou Amatha, signalée, par Eu- sèbe et par saint Jérôme dans YOnomaslicon, comme étant dans le voisinage de Gadara et comme renfermant des sources d’eaux chaudes. Nous lisons dans cet ouvrage, au mot Ai(idiO : Kai aAÀrç ciè Kojfxyj zsAr\criov U aSccpwv , '6 iahv Épt//aâà, evOcmx T cov 3-epf xwv vhctionv 3-epfjtà ÀouTpa. 298 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Dans la traduction de saint Jérôme, ce nom de Emmatha de¬ vient Amatha : Est et alia villa in vicinia Gadaræ, nomme Amatha, nbi calida? aquæ erum- punt. Dans un autre passage de Y Onomasticon , au mot Gadara, il est également question de ces sources thermales et de rétablissement de bains qu’on y avait fondé au pied de la montagne de Gadara : TaSapa., 'aôXis à-no t ou lopSavov, dvrixpv 'SxvOo'nôXetos xa) TiSspiaSos , -srpos àvcctoXds , èv iw opei xa) zspbs t eus vnoupyious toi twv 3-epp.div vSoctcov Xovipy. 'csa.pct.xenai. La Bible ne mentionne pas cette ville; mais le Talmud la cite dans le voisinage de Gadara, sous le nom de Hamatha, et parle en même temps de ses eaux thermales b L’appellation de Hamatha, Hammatha ou Hammatli dérivait évi¬ demment du mot hébreu Ilama, non, qui signifie ce être chaud n, et elle s’appliquait tout naturellement aux localités qui possédaient des sources thermales. Par conséquent, elle convenait parfaitement à notre Kharbet Hammeh, dont le nom, comme on le voit, à fort peu changé. 1 Talmud de Jérusalem, Kidclouschin , III, 1 h. CHAPITRE XXIII. MONTÉE À OU'MM KEIS. 299 CHAPITRE VINGT-TROISIEME. MONTÉE À OUMM KEIS (GADARA). - RETOUR AU KHARBET HAMMEH. MONTÉE À OUMM KEIS (GADARA). Le 5 juillet, à quatre heures cinquante minutes du matin, lais¬ sant ma tente et mon bagage à Hammeh, je traverse à gué le Cheria’t el-Mandhour et je gravis ensuite, vers le sud, les pentes de la montagne que couronnent les ruines d’Oumm Keis. Ces pentes sont fertiles et cultivées en blé sur plusieurs points. A ma droite, je côtoie quelque temps un ravin profond, dont les berges sont blanchâtres et crétacées. A cinq heures quinze minutes, je parviens sur un petit plateau, puis la montée devient plus raide. A cinq heures quarante-cinq minutes, je remarque auprès d’un vieux térébinthe un fût de colonne et quelques belles pierres de taille basaltiques gisantes sur le sol. Y avait-il là jadis un petit sanctuaire, dont ces débris seraient les restes? Je l’ignore. Car ces matériaux antiques ont pu également être transportés en cet en¬ droit, du sommet de la montagne, pour orner la tombe d’un santon musulman. A six heures, enfin, je fais balte au milieu des ruines d’Oumm Keis. Elles couvrent un assez vaste espace sur le plateau supérieur d’une montagne qui s’élève entre l’Oued el-A’rab, au sud, et le Gberia’t el-Mandhour, au nord. Son altitude au-dessus de la Médi¬ terranée est de 870 mètres et de 870 au-dessus de la vallée du Jourdain. Je commence par examiner vers l’ouest, sur un monticule qui semble en partie artificiel, un amas de beaux blocs déplacés; plu- 300 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. sieurs bases de colonnes calcaires monolithes sont encore en place. Là s’étendait jadis, du sud au nord, un portique étroit et monu¬ mental, d'où l’on pouvait jouir d’une vue magnifique sur la vallée du Jourdain et sur les montagnes de la rive occidentale du lleuve. Au bas de ce tell oblong, plusieurs cuves sépulcrales brisées gisent à terre avec leurs couvercles à acrotères. En m’avançant de là vers l’est, je rencontre, au milieu des broussailles et des hautes herbes desséchées, une suite de petits compartiments parallèles, comme autant de chambres ou de bou¬ tiques séparées, dont les arasements sont encore visibles sur une longueur de 2Ùo pas; elles avaient été construites avec des maté¬ riaux basaltiques, les uns presque bruts et de faibles dimensions, les autres plus considérables et’ équarris avec soin. Cette longue série de chambres contiguës, ouvrant vers le sud et dont les portes, actuellement détruites, paraissent avoir reposé toutes sur une sorte de soubassement continu en pierres de taille, constituait probablement l’un des principaux bazars de la ville. On pour¬ rait peut-être aussi penser quelles étaient destinées à loger des troupes. A l’endroit où elles cessent de se montrer gît une cuve de sar¬ cophage mutilée, à coté de plusieurs fosses sépulcrales pratiquées verticalement dans le roc. Non loin de là vers l’est , autour d’un vieux chêne et d’un térébinthe tout chargé également de siècles, on observe des fûts de colonnes et un amas de superbes blocs basaltiques, restes de quelque édilice renversé. Puis commence à se dérouler, d’ouest en est, une longue rue dallée que bordaient jadis des deux cotés des colonnes monolithes, dont les bases seules sont encore en partie debout. A droite et à gauche s’élevaient, sur divers monticules, de nombreux monuments, bâtis tous en pierres de taille et décorés pour la plupart de colonnes monolithes, les unes calcaires, les autres basaltiques, soit corin¬ thiennes, soit ioniques. Ils jonchent partout le sol de leurs débris. Parmi ces édifices, on remarque plusieurs temples, qui ont du être transformés en églises à l’époque chrétienne. L’une des ruines les CHAPITRE XX II I. — MONTÉE À OÜMM KEIS. 301 plus considérables est celle d’une puissante construction en énormes pierres de taille, dont la plupart des assises inférieures sont en¬ core en place. Elle est appelée par les indigènes El-Kasr, crie château», et formait un quadrilatère muni de tours carrées et ren¬ fermant intérieurement quatre grandes salles contiguës et pa¬ rallèles. Ce château avait été bâti avec de gros blocs calcaires. Les pieds-droits seuls et les voussoirs cintrés des portes étaient en basalte. Mais le monument le mieux conservé est un vaste théâtre, con¬ struit avec de superbes blocs basaltiques. La plus grande partie des galeries voûtées en plein cintre qui soutenaient les gradins sont à peu près intactes et, avec de légères réparations, pourraient servir encore. Cet édifice, en effet , n’avait pas été, comme beau¬ coup de théâtres grecs, adossé aux flancs d’une colline demi-circu¬ laire; mais il avait été complètement bâti, les nombreuses rangées de gradins, dont plusieurs sont encore en place, reposant sur diffé¬ rents étages de galeries. Les spectateurs assis sur ces gradins, principalement sur les gradins supérieurs, avaient de là une vue splendide. Ils embrassaient du regard la moitié au moins du lac de Tibériade, une partie de la vallée du Jourdain, les replis multi¬ pliés de ce fleuve, et, à côté d’eux, tout le quartier occidental de leur propre ville, ainsi que le reste du fertile plateau qui s’étendait au delà. Au nord de ce théâtre, on avait ménagé pour s’y rendre une belle plate-forme artificielle, mesurant îûo pas de long sur ho de large; elle s’appuyait sur une série de magasins voûtés paral¬ lèles, construits en pierres de taille très régulières et dont dix- sept sont presque intacts, et elle était elle-même décorée de colonnes basaltiques, comme le prouvent beaucoup de fûts mo¬ nolithes couchés par terre en cet endroit avec leurs chapiteaux corinthiens. Vers l’extrémité orientale de la ville, on remarque les restes d’un second théâtre. Il regardait le nord et est aux trois quarts démoli. Les gradins avaient été disposés sur les flancs inclinés et demi-cir- 302 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. culaires d une colline dont les pentes avaient été appropriées à cette fin. Toutefois, on avait également, pour soutenir une partie des gradins et faciliter l’entrée et la sortie des spectateurs, construit une galerie voûtée, dont la moitié existe encore, et qui avait été bâtie, ainsi que le monument tout entier, avec des pierres de taille d’un grand appareil. Tout remplacement occupé autrefois par cette ville est hérissé, d’un bout à l’autre, de broussailles, de chardons et de hautes herbes, du milieu desquelles les ruines émergent, attirant sans cesse l’explorateur, que ce fourré importun arrête souvent. Çà et là aussi s’élèvent de vieux arbres, témoins d’un passé depuis longtemps évanoui. Quant aux habitants actuels d’Oumm Keis, ils ont presque tous élu domicile dans la nécropole de la ville antique. La cité des morts égalait, par sa magnificence et par son étendue, celle des vivants, et se composait de très nombreux caveaux mortuaires pra¬ tiqués dans le roc. Ces hypogées abondent principalement au nord et au nord-est des limites de cette dernière. Comme les mieux conservés et les plus considérables servent aujourd’hui de demeures à autant de familles d’Arabes, qui y vivent en véritables troglodytes, je de¬ mandai au cheikh d’Oumm Keis de vouloir bien m’accompagner dans cette visite. Il se prêta de bonne grâce à mon désir, et je pénétrai avec lui dans une vingtaine de ces anciennes grottes sépulcrales. Elles affectent presque toutes la forme que voici : une large et profonde entaille verticale pratiquée dans le roc conduit, par plusieurs degrés, à une porte monolithe, ornée ordinairement de moulures imitant de grosses têtes de clous et de filets qui semblent la diviser en différents panneaux. Cette porte, d’un poids et d’une masse énormes, est basaltique, et roule encore, à l’entrée de plusieurs tombeaux, dans les mêmes trous où ses gonds de pierre sont engagés depuis tant de siècles. Un linteau la couronne. Il est de même presque toujours basaltique, et sa face antérieure est ordinairement décorée d’un disque entre deux rosaces. Un seul CHAPITRE XXII!. — MONTÉE À OUMM-KEIS. 303 m’a offert une inscription ; elle est gravée en caractères grecs : la voici telle que je l’ai lue et copiée : fAlOYANNIOYfAIANYlO Il faut lire probablement : \alov Àvvi'ov Taî\ov] Àv[vtov] vio [u] tf Tombeau de Gaïus Annius, fils de Gaïus Annius. n Après avoir franchi cette porte, on se trouve dans une chambre plus ou moins vaste et renfermant des fours à cercueils ou des enfoncements plus considérables, destinés à des sarcophages. Là sont entassés dans les ténèbres des familles entières, des poules, des ânes et même des chevaux. Quant aux sarcophages qui rem¬ plissaient ces antiques asiles de la mort, ils sont, pour la plupart, disséminés maintenant en dehors des grottes sépulcrales et jonchent par centaines, de leurs débris mutilés, les pentes calcaires du pla¬ teau rocheux au milieu duquel ces grottes avaient été creusées. Presque tous basaltiques, ils ont été non seulement ouverts et violés, mais beaucoup ont été réduits en pièces par les habitants d’Oumm Keis, qui espéraient y trouver des trésors. Leurs faces étaient ornées de disques, de guirlandes et de rosaces. Très peu sont demeurés à peu près intacts. J’ai remarqué: sur l’un d’eux, une tète d’Apollon avec les emblèmes du dieu de la lumière; sur un second, une tête de femme; sur un troisième, un enfant figu¬ rant un génie ailé. Oumm Keis, ainsi qu’on l’a reconnu depuis longtemps, est l’an¬ cienne Gadara, métropole de la Pérée et chef-lieu d’un district particulier, appelé la Gadaritide. Bien que cette ville ait perdu son antique dénomination, son site néanmoins ne peut être contesté et nous inspirer aucun doute. Nous savons, en elfet, par un passage de Pline, que l’Hieromax coulait devant elle: Gadara , Hieromace 304 DESCRIPTION DE LA GALILEE. prœjluente1. Nous savons, en outre, par le témoignage d’Eusèbe et de saint Jérôme, que Gadara était située au delà du Jourdain, en face et à l’est de Tibériade et de Scythopolis, et qu’au pied de la montagne où elle s’élevait jaillissaient des sources thermales au-dessus desquelles on avait construit des bains : Gadara, urbs trans Jordanem, contra Scythopolim et Tiberiadem, ad orien- taleni plagam, sita in monte, ad cujus radices aquæ calidæ erumpunt, balneis desuper ædilicatis2. Un autre ])assage de YOnomasticon nous apprend que la ville où se trouvaient ces sources thermales, dans le voisinage de Gadara, portait le nom de Amatha : Est et alia villa in vicinia Gadaræ, nomine Amatha, ubi calidæ aquæ erum¬ punt. Enfin, d’après l’Itinéraire d’Antonin et la Table de Peutinger, Gadara était à seize milles de Tibériade. Or toutes ces différentes conditions sont remplies par Oumm Keis. Oumm Keis offre aux regards des ruines très considérables, qui ont dû être celles d’une ville importante. Au bas de la mon¬ tagne dont elles couvrent le sommet, coule le Cheria’t el-Man- dhour, l’Hieromax de Pline, l’Yarmouk des Hébreux, et immédia¬ tement au delà de cette rivière jaillissent les eaux thermales de Hammeh, ]’ Amatha de saint Jérôme, l’Emmatha d’Eusèbe, jadis probablement en hébreu Hamatha ou Hammatha. Ajoutons que Oumm Keis est précisément à seize milles de Tibériade. 11 est donc impossible de ne pas voir dans les ruines d’Oumm Keis celles de Gadara. Cette ville n’est pas mentionnée dans l’Ancien Testament. La première fois qu’elle apparaît dans l’histoire, c’est à propos de sa prise par Antioclnis le Grand, l’an 218 avant Père chrétienne. Nous lisons dans Polybe que ce prince, après s’être emparé de Pella, d’Abila et d’autres places, marcha contre Gadara. Cette ville 1 Pline, Histoire naturelle, 1. V, c. xvi. — 2 Onomasticon, au mol Gadara. 305 CHAPITRE XXIII. — MONTÉE \ OÜMM KE1S. l’emportait de beaucoup sur les précédentes par la force naturelle de son assiette ; néanmoins, le roi de Syrie en effraya tellement les habitants par sa seule approche et par les premiers travaux qu’il entreprit pour s’en rendre maître, qu’ils lui ouvrirent aussitôt leurs portes1. Environ vingt ans plus tard, Alexandre Jannée reprit Gadara sur les Syriens, après un siège de dix mois, siège dont la durée suffit à prouver l’importance de cette place : Ô as TÔJV SX Trjv KotXrjv llToXefxou'ov (poëcov èXsvQspcoQsi? cri pcnsvsiou pèv sv8vs èn\ làv, ctlpsî Sè Td.Sot.pa, zsoXiopxjcras Ssxà f itjai'v'2. On voit, par ce passage de Josèphe, que la Gœlésyrie compre¬ nait alors la Pérée , puisque Gadara appartenait alors à ce dernier district. Dans la suite, Pompée, cédant aux prières d’un de ses affranchis appelé Démétrius, originaire de Gadara, releva cette ville, que les Juifs avaient renversée, et en fut, suivant l’expression de Josèphe, comme le second fondateur : ÀvaxTi'^si Sè xai F aSapa , V7 ro îovStx/cov xaTeal potpptévriv, TaSaphy t ivi t«d iSlcov dneXevOépcDV Ari[j.r]Tpi'cp yct piÇopievos3. C’est probablement de cette époque que datent quelques-uns des principaux monuments dont j’ai signalé les débris à Oumm Keis. Lorsque le gouverneur romain Gabinius divisa la nation juive en cinq fractions, soumises chacune à un synode particulier, il établit l’un de ces synodes à Jérusalem, un second à Gadara, un troisième à Amathunte, un quatrième à Jéricho, un cinquième à Sepphoris4. Gadara fut ensuite concédée par Auguste à Hérode le Grand, qui la réunit à son royaume5. On répète souvent que l’endroit où Noire-Seigneur guérit deux ' Eolylie, Ilist. 1. V, c. lxxf. 2 Antiquités judaïques, ]. XIII, c. xm, 3 Guerre des Juifs , I. I, c. vu, § 7. 4 Guerre des Juifs , I. I, c. vin, S 5. 5 Auti(j. judaïq. I. XV, c. vu, § 3. 1. :> u DESCRIPTION DE LA GALILEE 306 possédés qui vivaient dans les tombeaux, et permit aux esprits malfaisants dont ils étaient tourmentés de se jeter, en sortant de ces hommes, sur un troupeau de pourceaux, qui alla se précipiter dans le lac de Tibériade, appartenait au district de Gadara. Cette opinion s’appuie, il est vrai, sur quelques manuscrits grecs des Evangiles, où il est dit que Notre-Seigneur, qui s’était embarqué à Capharnaüm avec ses disciples, aborda, après avoir traversé lé lac , dans le pays des Gadaréniens. Nous lisons, en effet, dans saint Marc : Ka< y]a6ov sis i o 'zsépctv Ttjs &oCkcicrcrris , sis irjv yj^pav Vaiïapiivcov 1 . Nous lisons de même dans saint Luc : Kal xoi.Té'nXsvo'a.v sis t rjv ywptxv tmv Y aSapvvtiv, fais saTiv àinntspav irjs Y akiXalcts'1 . Mais, au lieu de YctSaprivwv , d’autres manuscrits portent Tep- ■yscrwvwv, d’autres aussi Ysp&crvvwv. Cette dernière leçon est certainement préférable aux deux précé¬ dentes, car sur les bords orientaux du lac se trouvent des ruines appelées aujourd’hui encore Kharbet Kersa, que les Bédouins pro¬ noncent Guersa, nom qui est identique avec celui de Gcrasa. Près de cet endroit, les montagnes se rapprochent de la plage, et une sorte de petit promontoire au sud du Kharbet Kersa, le seul qui existe sur les bords orientaux du lac, me paraît être le lieu d’où le troupeau de pourceaux se précipita dans les Ilots. En outre, le district de Gadara était séparé de la mer de Galilée parle ravin profond, et sur beaucoup de points infranchissable, de l’Yarmouk, le GhcriaT el-Mandhour de nos jours, qui, vers le nord-ouest, formait une ligne de démarcation très tranchée entre le territoire de cette ville et celui de Hippos, sa voisine, qui lou¬ chait au lac. Enfin, l’édition de la Vulgate a adopté et consacré la leçon de Gcrasa, au lieu de celles de Gadara ou de Gergcsa, dans le passage Saint Marc , c. v, v. i . — 2 Sainl Luc , c. vm, v. 26. 1 CHAPITRE XXI 1 1. 307 — MONTÉE À O U AI M KEÏS. des trois évangélistes qui racontent le miracle de Notre-Seigneur et la fuite désordonnée du troupeau de pourceaux qui alla se jeter dans les flots. Il faut donc renoncer à attribuer à Gadara, pour le reporter à Gerasa, aujourd’hui Kersa, l’honneur d’avoir vu le Messie accom¬ plir l’un de ses miracles sur son territoire. L’an 68 après Jésus-Christ, Aespasien marcha vers Gadara, capitale alors de la Pérée, et dont les principaux habitants avaient invoqué son secours contre les partisans de la guerre. Ceux-ci, à Rapproche de l’armée romaine, s’enfuirent, après avoir massacré un certain Dolésus, le personnage le plus important de la ville et le chef de ceux qui voulaient la paix. Vespasien entra aux accla¬ mations de la foule dans Gadara et y laissa une garnison. Les habi¬ tants, en signe de soumission complète et durable, avaient démoli eux-mêmes leurs remparts1. r Dès les premiers siècles de l’Eglise chrétienne, Gadara devint le siège d’un évêché qui faisait partie de la Palestine seconde. Les noms de plusieurs de ses évêques figurent au bas des actes de différents conciles, à commencer par celui de JNicée. A la fin du vic siècle, elle fut visitée par Antonin de Plaisance. Ce pèlerin signale ses eaux thermales, qu’il place à trois milles de la ville, ce qui est précisément la distance qui sépare les ruines actuelles d’Oumm Keis de celles de Hammeh, où se trouvent les belles sources chaudes dont j’ai parlé : Et in ipso loco transivimus Jordanem cl venimus in civitatem cpiæ vocatur Gaddera. In ista parle civitalis, milliario tertio ab nrbc, sunl aquae calidæ, quæ appellantur lhermæ Eliæ, ubi leprosi mundantur. Ibi est xenodochium2. Dans la suite, la décadence de Gadara fut telle quelle cessa peu à peu d’être mentionnée par les historiens; son nom même se perdit, et ses ruines solitaires, cachées en partie sous d’épaisses broussailles, ne furent plus guère connues que des bergers d’Oumm Antonin de Plaisance, Itinerarxum, vu. 1 Guerre des Juifs, I. IV, c. vu, S 3. — DESCRIPTION DE LA GALILEE. 308 Keis, petit village qui se forma au milieu de sou antique nécropole, dont les tombeaux servirent, et servent encore, de retraite à une population que l’on peut évaluer tout au plus à 200 habitants. RETOUR AU KHARBET HAMMEH. A quatre heures de l’après-midi, je redescends vers le nord les pentes de la montagne de Gadara, et, franchissant, à quatre heures quarante-cinq minutes, le CheriaT el-Mandhour, je fais, bientôt après, halte au Kharbet Hammeh, où je passe une nouvelle nuit, aussi pénible que la précédente, à cause des nuées de moustiques dont je suis sans cesse assailli. CHAPITRE XXIV. — KHARBET ES-SEMAKI1. 309 CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME. KHARBET ED-DOUEÏR. - KHARBET ES-SEMAKH. - KHAN EL-AKABA. - KHARBET ES-SOEMBA (fllPPOs). - KI1ABBET DOUEÏR BAN. - KEFR 1IÀBEB . - DE1B EL-KOUEÏB. - F1K (aPIIEKa). KIIARBET ED-DOUEÏR. Le 6 juillet, à quatre heures cinquante-cinq minutes du matin, je quitte les ruines de Hamineh, et, prenant la direction du nord- ouest, je suis les bords sinueux du Cheria’t el-Mandhour sur sa rive droite. Les berges en sont basaltiques et presque verticales; plus loin la craie succède au basalte. A cinq heures quarante-cinq minutes, le ravin profond et sau¬ vage où grondent et écument parfois les eaux rapides et torren¬ tueuses de cette rivière commence à s’élargir en une riante vallée. A cinq heures cinquante-cinq minutes, je laisse à ma gauche, au sud, le Kharbet ed-Doueïr, dont j’ai déjà parlé. A six heures, je descends dans le Rhôr, c’est-à-dire dans la grande vallée du Jourdain. KHARBET ES-SEMAKH. A six heures cinq minutes, une colline me sépare, vers l’ouest, du Kharbet es-Semakh, village arabe que j’avais visité en 1870, et actuellement tombant en ruine et abandonné. Divisé en deux quartiers, il avait été bâti sur les bords méridionaux du lac de Tibériade, avec des briques crues ou de menus matériaux de na¬ ture volcanique. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 3 1 0 KHAN EL-a’kABA. A six heures quinze minutes, je gravis, vers le nord, puis vers l’est-nord-est, des pentes hérissées de gros blocs basaltiques. A six heures vingt-cinq minutes, le sentier est, au contraire, profondément taillé dans une roche blanche et friable. A six heures quarante minutes, je passe à coté d’une source qui coule au milieu d’un bouquet de figuiers et d’un fourré de roseaux. Non loin de là sont les ruines d’un ancien khan arabe, bâti avec des pierres basaltiques. On l’appelle Khan el-A’kaba, «khan de la montée n. De ses terrasses, encore en partie debout, on jouit d’une vue magnifique sur le lac de Tibériade. A six heures quarante-cinq minutes, je recommence à gravir vers le nord-est un sentier pénible, qui serpente à travers des blocs basaltiques. A sept heures, je parviens sur un premier plateau, où je ren¬ contre bientôt une autre source, qui m’est désignée, comme la précédente, sous le nom d’A’ïn el-A’kaba. A sept heures trente minutes, après une nouvelle montée vers le nord-nord-est, j’atteins le plateau supérieur de la montagne, dont l’altitude au-dessus du lac de Tibériade dépasse Goo mètres. KIIAIiBET ES-SOUMRA ( IlIPPOS). De là , je distingue très nettement à mes pieds, à l’ouest, les ruines du Kl îarbet es-Soumra, que j’avais examinées également en 1870. Elles s’étendent à l’extrémité sud-est du lac, le long de ses bords, et, sont celles d’un grand village arabe, qui avait succédé lui-même à une ville plus ancienne, comme le prouvent les nombreuses pierres basaltiques, d’apparence antique, employées dans la con¬ struction de petites maisons plus modernes, aux trois quarts ren¬ versées actuellement. Cette ville était jadis probablement celle de Hippos, signalée CHAPITRE XXIV. — KHARBET ES-SOÜMRA. 311 par l’historien Josèphe comme se trouvant à treille stades de Tibé¬ riade : H Ai en) zsai pis, a> lovais, hsi(A£V)) êv jrj Y svvrjtjaphiSt ’Xtpvy, hcli oi.7ïé~ yovact I7 tttov pèv aldSia Tpidnovia1 . trTa patrie, ô Juslus, situe'e sur le lac de Tibériade, et éloignée de trente stades de Hippos.» D’un autre côté, un passage de Pline que j’ai déjà cité nous apprend que Hippos était à l’orient du lac de Tibériade : Ergo ubi prima convallium fuit occasio, in lacum se fundit (Jordanis), quem plures Genesaram vocant, xvi millia passuum longitudinis, vi millia latitu- dinis, amœnis circumseptum oppidis : ab oriente, Juliade et Hippo2. . . Cette position de Hippos à l’orient du lac de Tibériade nous est, en outre, confirmée par plusieurs autres témoignages des écrivains anciens, desquels il résulte quelle était voisine de Gadara et de Apheka, situées l’une et l’autre à l’est du lac. Or l’emplacement du Kharbet es-Soumra est celui qui convient le mieux à ces diverses données. A la vérité, la distance réelle qui le sépare de Tibériade, en tra¬ versant directement le lac, est de quarante stades au lieu de trente; mais au sud-est du lac, où nous devons chercher le site de Hippos, ces ruines sont à la fois les plus étendues et les plus voi¬ sines de Tibériade. Par conséquent, le chiffre de trente stades est nécessairement trop faible. Dans le Talmud de Jérusalem, une ville appelée Sousitha , ntpdid , et habitée par des païens, est souvent citée avec Tibé¬ riade3. Pendant un certain temps, elles étaient ennemies entre elles. Du reste, situées vis-à-vis l’une de l’autre sur les rives op¬ posées du lac, elles étaient en relations fréquentes. rc Les marchands, dit le Talmud, allaient et venaient de Sousi¬ tha à Tibériade 4. n 1 Vie de Josèphe, § 65. — 3 Pline, Histoire naturelle, 1. V, c. xv. — 3 Talmud de Jérusalem, Rosch-haschana , II, 1. — 4 Talmud de Jérusalem, Schcbiith, V II 1 , 3. 312 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Comme le suppose M. Neubauer1, Sousitha est, selon toute vraisemblance, la même ville que Ilippos, la dénomination hé¬ braïque, qui dérive de did, ce cheval ■», étant traduite fidèlement par le nom grec \m vos. Hippos, eu effet, à l’époque romaine, était en grande partie habitée par des Grecs. Comprise au nombre des villes delà Décapole, elle fut enlevée par Pompée aux Juifs et donnée en¬ suite par Auguste à Hérode le Grand. A la mort de celui-ci , elle fut réunie à la province de Syrie. Au commencement de leur insurrec¬ tion contre les Romains, les Juifs la saccagèrent; mais bientôt les habitants de cette ville exercèrent, à leur tour, des représailles san¬ glantes contre les Juifs. A l’époque chrétienne, Hippos devint le siège d’un évêché, et nous connaissons les noms de deux de ses évêques, Pierre et Théodore, qui assistèrent, le premier, au conciliabule de Séleucie, en 359, ainsi qu’au concile d’Antioche, en 363, et le second, au concile de Jérusalem, en 536. KHARBET DOUEIR BAN. A trois kilomètres environ au nord du Kharbet es-Soumra, j’avais visité pareillement, en 1870, sur les bords du lac, d’autres ruines moins considérables que les précédentes, et appelées Kharbet Doueïr Ban; ce sont celles d’un simple village antique, renversé complètement, et sur les débris duquel croissent maintenant des doums et des chardons sauvages. KEFR HAREB. Le plateau sur lequel je chemine vers le nord est, du côté de l’ouest, couvert de roches basaltiques, mais sur son bord extrême seulement, car il s’étend bientôt, vers l’est, en une magnifique plaine d’une grande fertilité et dont la terre, rougeâtre et profonde, Géographie du Talmud, p. 289. 1 CHAPITRE XXIV. — KEFR HAREB. 313 peut se prêter à toutes sortes de cultures. Çà et là, je remarque quelques carrés plantés en ricins; partout ailleurs, une végétation luxuriante d’herbes sauvages, flétries et desséchées par le soleil, prouve et la fécondité naturelle du sol et le défaut de bras desti¬ nés à le rendre productif. A huit heures cinquante minutes, j’arrive à Kefr Hareb. Les maisons de ce village, jadis très important, sont bâties en pierres basaltiques. La plupart des pieds-droits et des linteaux de portes sont antiques. Beaucoup d’habitations sont démolies. Sur l’emplacement d’un édifice tourné de l’ouest à l’est, et dallé en basalte, je remarque la cuve d’un baptistère et un beau linteau brisé, dont la face antérieure était décorée de deux rosaces reliées par une guirlande à une espèce de couronne centrale. Là s’élevait une église, aujourd’hui rasée. Ailleurs, on me montre les vestiges confus d’une autre grande construction, que les habitants me dé¬ signent sous le nom de Deir, rc couvent n. Quelques jardins environnés d’une ceinture de gigantesques cactus avoisinent ce village, qui a succédé à une bourgade antique dont le nom est resté inconnu. J’avais été tenté un instant d’y placer la ville de Hippos, au lieu de la reconnaître dans le Khar- bet es-Soumra, parce qu’il est à cinq kilomètres à peine de Fik, l’ancienne Apheka, dont je parlerai tout à l’heure. Or, au mot Afiexct, Eusèbe s’exprime ainsi dans Y Onomaslicon : A(psxà, Üpiov tôjv Apoppou'oov vit èp t ov iopSolvvv, o yéyovs (pvXrjç P ovëtv" •y «f xcà vvv èaVt xcopri ACpexoL Xeyopévv (j.eya\ri zrspi i rjv zroXtv t fjs Ha- Aaial Ivris. tr Apheka, limite des Amorrhéens, au delà du Jourdain, (jui échut en partage à la tribu de Ruben : maintenant il existe un grand village nommé Apheka, près de lîippos, en Palestine. ■>? En outre, les débris du K barbet es-Soumra sont actuellement moins considérables que ceux de Kefr Hareb. Mais j’ai renoncé bientôt à cette identification, à cause des deux raisons suivantes : 314 DESCRIPTION DE LA GALILEE. D’abord Kefr Hareb est à environ quarante-cinq stades de Tibé¬ riade. Or un passage de Josèphe que j’ai mentionné plus haut ré¬ duit à trente stades la distance cpii séparait Tibériade de Hippos. Cette distance, comme je Tai montré, est trop faible d’une dizaine de stades, si l’on fixe Hippos au Kharbet es-Soumra; mais l’erreur de Josèphe serait plus forte encore, si Ton identifiait cette même ville avec Kefr Hareh. En second lieu, si la conjecture de M. Neubauer relativement à l’identité de Ilippos et de Sousitha est fondée, et elle me paraît, je le répète, très vraisemblable, il en résulte que Hippos était si¬ tuée sur les bords immédiats du lac, du côté opposé à Tibériade, et non sur une montagne voisine du lac. DE1R EL-KOUEÏR. A quinze minutes de marche environ de Kefr Hareb, sur les flancs occidentaux de la hauteur dont ce village occupe l’un des points du plateau supérieur, j’aperçois de loin des ruines confuses assises au milieu d’épais rochers, qu’on me signale comme étant celles d’un ancien couvent fortifié; elles s’appellent Deir el-Koueir. FIK (aPHEKa). A neuf heures trente minutes, je me remets en marche vers Test, à travers des champs couverts de doura ou de ricin. A neuf heures cinquante minutes, le plateau sur lequel je che¬ mine s’abaisse légèrement vers Test. A dix heures, je descends par une pente très douce vers Test- nord-est, ayant à ma droite l’Oued Messa’oud, vallée très fertile, et à ma gauche l’Oued el-Fik, qui autrefois également devait être partout cultivé. A dix heures quinze minutes, le plateau se relève un peu vers Test. A dix heures quarante-cinq minutes, enfin, je fais halte à Fik. Ce village, jadis très considérable, est aujourd’hui à moitié ren- CHAPITRE XXIV. — FÏK. 315 versé. Il se divise en quatre quartiers, administrés chacun par un cheikh différent, et s’arrondit en une sorte de demi-lune à la naissance de l’Oued el-Fik, qui aboutit, vers l’ouest, au lac de Tibériade. La plupart des maisons renferment des débris de constructions antiques, tels que pieds-droits, linteaux, pierres de taille, le tout basaltique. Dans quelques-unes, aux trois quarts démolies, je re¬ marque des tronçons de colonnes provenant d’édifices détruits. Sur l’emplacement d’une mosquée qui paraît avoir succédé à une église chrétienne, gisent à terre deux fûts de colonnes calcaires monolithes et trois fragments de colonnes basaltiques. Ailleurs, dans un enclos actuellement planté de figuiers et de grenadiers, de nombreux petits cubes de mosaïque et plusieurs tronçons de colonnes épars sur le sol sont les restes d’une seconde église, qui, elle-même, avait peut-être remplacé un temple païen. Comme vestiges de l’ancienne ville qui s’élevait en cet endroit, je signale¬ rai également des citernes à moitié comblées et des meules de pierres à huile, soit brisées, soit encore intactes. Plusieurs tell oblongs, au sud du village, étaient jadis affectés à la sépulture des morts, et les débris de nombreux tombeaux y sont visibles au milieu des broussailles et des herbes sauvages qui les recouvrent. Une source très abondante, à laquelle on descend à travers de gros blocs basaltiques désunis, qui devaient former autrefois les gradins d’un grand escalier, coule au bas et à l’ouest de la demi-lune dont j’ai parlé, et ses eaux, qui jaillissent de dessous un rocher, en même temps quelles servent aux besoins des habitants, alimentent un ruisseau intarissable, qui, se divisant en canaux, arrose, dans la riante vallée que j’ai déjà mentionnée sous le nom d’Oued el-Fik, des bouquets de figuiers et de vieux oliviers, restes de plantations jadis beaucoup plus étendues. Fik est l’ancienne ville d’Apheka, signalée par Eusèbe et par saint Jérôme dans le voisinage de Ilippos, au delà du Jourdain, et qui n’était déjà plus, de leur temps, qu’un grand village : Kod vvv èrrVi \eyO[iévri (xsyaXri iffspi t>)v \irnriv, zsoXiv T r/s HaXou&l l'vys. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 316 Saint Jérôme, en traduisant ce passage de YOnomaslicon d’Eusèbe, traduit les mots xwp/ (xeyccXyj par castellum grande , ce qui nous induit à penser qu’Apheka était alors un point militaire de quelque importance. Il ne faut pas confondre cette localité avec plusieurs villes du même nom mentionnées par la Bible, et qu’il faut cher¬ cher ailleurs. CH A PI THE XXV. — KHARBET KALA’T EL-HASEN. 317 G J I API T RE V I N G T - G I N Q U I E M E . KIIARBET KALAT EL-IIASEN (gAMALa). - KHARBET ANKE1B. KHARBET ACHKOUM. - KHARBET KERSA (gERASa). KHARBET K ALA^T EL-HASEN ( GAMALA ). Le 7 juillet, à quatre heures quarante-cinq minutes du matin, après avoir contourné le village de Fik au sud, puis au sud-ouest, je descends doucement vers- l’ouest, à travers une plaine très fer¬ tile, mais en partie inculte. A ma droite, je longe l’Oued el-Fik. A cinq heures quarante-cinq minutes, après avoir franchi une vallée séparée, au nord, par une longue et haute colline, de Y oued précédent, je suis vers le nord une sorte de chaussée naturelle, large de vingt-cinq pas et longue de trois cents, qui monte du sud au nord. Chemin faisant, je rencontre plusieurs sarcophages brisés, avec leurs couvercles également mutilés. Une fois parvenu à l’extrémité septentrionale et supérieure de cette chaussée, dont les flancs ont été exploités comme carrières, et qui s’étend entre l’Oued el-Fik, au nord, et l’Oued el-Kala’h, au sud, je remarque les restes de deux tours, qui défendaient de ce côté l’entrée de la ville, dont les ruines portent actuellement le nom de Kala’t el-Ilasen. Cette ville, renversée depuis longtemps de fond en comble, couvre de ses débris le sommet inégal d’une montagne presque entièrement isolée, et qui n’est facilement accessible que par l’étroite chaussée dont je viens de parler. Elle était environnée d’une en¬ ceinte fortifiée qui est aux trois quarts détruite. Néanmoins, il en subsiste encore des arasements considérables. Les murs, mesurant im,5o d’épaisseur, avaient été bâtis avec des blocs basaltiques de 318 DESCRIPTION DE LA GALILEE. moyenne grandeur et assez réguliers. Ils reposaient presque par¬ tout sur le roc, et avaient pour fossés naturels les ravins profonds de l’Oued el-Fik au nord et de l'Oued el-Kala’h au sud, lesquels se réunissent à l’ouest, pour ne plus former de ce côté qu’une seule vallée, où serpente, avant de se perdre dans le lac, le ruisseau du premier de ces oued. Ces ravins sont hérissés, sur leurs lianes, d’énormes rochers basaltiques, qui, en certains points, paraissent avoir été taillés par la main de l’homme, afin de rendre l’escalade plus difficile. La ville que cette enceinte délimitait affectait une forme ovale, et avait environ un kilomètre de long sur trois cent cinquante mètres dans sa partie la plus large. Le plateau acci¬ denté qu elle couronnait s’élève progressivement de l’ouest à l’est et atteint son point culminant vers l’angle sud-est, qui semble avoir été le quartier le plus fortifié de la place. Des tas énormes de ma¬ tériaux, restes de maisons et d’édifices écroulés, y jonchent de toutes parts le sol. Au milieu des ruines croissent de hautes herbes, des char¬ dons sauvages et des broussailles, que dominent çà et là des carou¬ biers et des téréhinthes. Une rue principale très reconnaissable tra¬ versait la ville dans toute sa longueur, c’est-à-dire d’est en ouest. Vers sa partie centrale à peu près, on remarque les débris d’un beau monument, construit avec de superbes blocs basaltiques, parfaite¬ ment agencés ensemble, sans ciment, et que la végétation puis¬ sante de plusieurs téréhinthes, qui ont pris racine en cet endroit, a en partie désunis, en les écartant violemment et amenant peu à peu leur chute. Ce monument, formant un mur épais vers l’ouest, pro¬ jetait vers l’est deux avant-corps entre lesquels s’arrondissait un hémicycle, muni de quelques gradins demi-circulaires, qui per¬ mettaient de monter sur une petite plate-forme, d’où l’on pou vaitcon- templer toute la ville, le lac de Tibériade et un assemblage varié de vallées et de montagnes. Devant cet édifice s’étend uneplacejadis pro¬ bablement dallée ou pavée en mosaïque; percée de plusieurs regards, elle était autrefois ornée de colonnes monolithes de granit, dont les fûts sont couchés sur le sol, et elle recouvre une vaste et magnifique citerne, en partie creusée dans le roc, et en partie bâtie avec de CHAPITRE XXV. — KHARBET KALA’ T EL-HASEN. 319 belles pierres de taille, dans laquelle on descend par un escalier. Ailleurs, on foule aux pieds les vestiges d’autres édifices rasés, que décoraient également des colonnes basaltiques, granitiques ou cal¬ caires, dont les chapiteaux étaient soit corinthiens, soit ioniques. Quelques-uns de ces chapiteaux ont été creusés intérieurement, afin de pouvoir être surmontés d’un ornement. Plusieurs autels païens, gisants par terre, prouvent que la population de cette ville se composait de gentils aussi bien que de Juifs. A l’avènement du christianisme, elle dut se convertir, au moins en partie, à la re¬ ligion nouvelle, car les traces d’une basilique y attirent pareille¬ ment l’attention. Celle-ci avait trois nefs et trois absides et mesu¬ rait trente-deux pas de long sur vingt-quatre de large. Construite avec de gros blocs rectangulaires de nature calcaire, et non plus basaltique, comme la plupart des autres édifices de la cité antique, elle semble avoir été précédée, vers l’ouest, d’un atrium orné de colonnes. A droite et à gauche de la grande artère dont j’ai parlé, artère, je le répète, qui sillonnait la ville tout entière, d’est en ouest, et que bordent des monticules de décombres, le dos du plateau s’a¬ baisse, au nord et au sud, par des pentes plus ou moins rapides, jusqu’auprès des précipices béants qui l’entourent. Les maisons s’étageaient donc sur ces pentes, et les terrasses des unes devaient être au niveau du rez-de-chaussée des autres. Cette ville resta- t-elle debout après l’invasion musulmane? Je ne le pense pas, et il est probable que sa ruine définitive date de cette époque, car aucun débris ni de mosquée ni à'oualy n’atteste en ce lieu l’établissement d’une population musulmane. Telle est la description sommaire de ces ruines, an milieu des¬ quelles je n’ai rencontré que deux pauvres pâtres, qui y faisaient paître leurs troupeaux. Le nom de Kalat el-Hasen, crie château fort-n , nom donné en Palestine et en Syrie à plusieurs autres anciennes forteresses ou places fortifiées, ne nous met nullement sur la voie de celui que la ville dont je viens de signaler les restes portait autrefois; mais tout 320 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. poite à croire, comme différents voyageurs l’ont déjà supposé, que cette ville n’est autre que la fameuse Gamala, qui, avant de suc¬ comber sous les efforts de Vespasien, lui opposa une très vive ré¬ sistance. Gamala, dit Josèphe, était située au-dessus du lac de Tibériade, vis-à-vis Taricbées, par conséquent sur la rive orientale de ce lac : IZuvéa'lr) Sè tovtois xa) T olfxixXa zroXis, T ctpiyecHv avt ixpvs, tÎ7 rèp t r)v Xlp.vr]v xeipévrj b Ce même historien nous apprend qu’elle appartenait à la Gau- lanitide inférieure, et qu’elle couvrait le sommet d’une montagne dont le plateau supérieur se relevait en bosse vers le centre, d’où lui vient le nom de Gamala, ce nom dérivant du mot hébreu Ga¬ vial, cc chameau»2. Or la hauteur escarpée du Kala’t el-llascn s’élève au-dessus de la rive orientale du lac de Tibériade, tandis que Taricbées, au¬ jourd’hui K barbet el-Kerak, s’étendait le long de la rive orientale vers le sud. De l’une de ces localités on peut donc parfaitement voir l’autre. En outre, le plateau couronné de ruines dont il s’agit en ce mo¬ ment se renfle effectivement dans sa partie centrale, et on peut le comparer pour la forme au dos d’un chameau. Cet écrivain ajoute que Gamala était environnée d’effroyables précipices , ce qui s’ac¬ corde très bien avec la position du Kala’t el-Hasen. Nous savons également par lui que le quartier culminant de la ville, ou, en d’autres termes, son acropole, en occupait l’extrémité méridionale : autre assertion dont il est facile de vérifier l’exactitude au Kala’t el-Hasen. Il est cependant un détail fourni par l’auteur qui n’est plus confirmé par l’état actuel des lieux, c’est l’existence d’une source au dedans de l’enceinte des remparts et à l’une de ses extrémités : n iT/ê Sè ivTos tou t ziyous , sty’ rjv t b aalu xotTeXriysv. En effet, après avoir parcouru avec soin tout l’emplacement des Guerre des Juifs , I. IV, e. r. § i . — 2 Ibid. J CHAPITRE XXV. — KHARBET ANKEIB. 321 ruines, j’ai remarqué en beaucoup d’endroits des citernes, la plu¬ part comblées, mais aucune source, ce qui ne veut pas dire que jadis il n’y en avait point, car cette source a pu disparaître, soit à la suite de quelque tremblement de terre, soit sous des amas de décombres, qui auront obstrué l’ouverture par où elle jaillissait et forcé ses eaux à prendre une autre direction. En résumé, aucune autre montagne à l’est du lac de Tibériade ne satisfait mieux que celle de Kala’t el-Hasen, et pour sa forme et pour les ruines qui y sont accumulées, aux renseignements que nous donne l’histoire, relativement à Gamala. Par conséquent, il est permis, je crois, avec toute confiance, cl’y fixer définitivement celte ville célèbre. Au commencement de la grande insurrection des Juifs contre les Romains, Gamala fut fortifiée par Josèphe, qui augmenta ainsi sa défense naturelle. Le roi Agrippa, qui s’était rallié aux conqué¬ rants du pays, chercha en vain à s’en emparer pendant sept mois de siège. Vespasien lui-même échoua dans une première attaque, mais, à l’arrivée de son fils Titus, il donna un nouvel assaut à la place, qui finit par être emportée de force, malgré le courage hé¬ roïque de ses défenseurs. Plutôt que de se rendre aux vainqueurs, les habitants qui avaient échappé au fer des Romains se précipi¬ tèrent avec leurs femmes et leurs enfants dans les profonds ravins qui environnaient la ville, et plus de cinq mille se dérobèrent ainsi par une mort volontaire à la servitude qui les attendait1. Gamala se releva ensuite d’un pareil désastre, comme l’attestent les ruines de la basilique chrétienne dont j’ai parlé, mais l’histoire se tait sur les événements dont elle dut être encore le théâtre. Le moment de sa chute complète nous est inconnu, et son nom même est resté de longs siècles comme enseveli sous les débris solitaires de ses édifices renversés. 1 Guerre des Juifs , 1. IV, c. i. a î DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 99 KHARBET A N K El B. A onze heures trente-cinq minutes, je quitte Kala’t el-Hasen et, après avoir traversé la longue chaussée étroite que j’ai mentionnée plus haut, je descends vers l’ouest-sud-ouest des pentes qui sont parfois très rapides et très glissantes. A midi trente minutes, j’atteins enfin le fond de l’Oued el-Kaia’h , que surplombe au nord la montagne abrupte de Gamala. Ma direction est alors celle du nord-ouest, à travers un épais fourré de doums. A midi trente-cinq minutes, je franchis, au confluent des deux grands ravins de l’Oued cl-Kala’h et de l’Oued el-Fik, alors réunis en une même vallée, le ruisseau intarissable de ce dernier oued; il est bordé d’une double ceinture d’agnus-castus, de roseaux et de lauriers-roses. Un peu plus loin vers le nord, je traverse un petit canal, dérivé de ce même ruisseau et qui autrefois arrosait des plantations qu’a remplacées depuis une végétation luxuriante d’herbes sauvages. A midi quarante-cinq minutes, j’aperçois à ma droite sur une colline les restes cl’un petit village bâti en pierres basaltiques; on me les désigne sous le nom de Kharbet Ankeib. KIIARBET ACHKOUM. Poursuivant ma route vers le nord, je passe à une heure au pied d’une montagne séparée du lac, à l’est, par un intervalle de Aoo mètres; elle est couronnée par les débris d’un autre village, appelés Kharbet Achkoum. KHARBET KEKSA (gERASA). A une heure vingt-cinq minutes, je remarque que la bsière d’abord assez large qui s’étend entre les bords du lac et les mon¬ tagnes qui le dominent à l’est se rétrécit de plus en plus. ' CHAPITRE XXV. — KHARBET KERSA. 323 A une heure trente minutes, je passe une sorte de promontoire qui s’avance par une pente continue jusqu’à quelques pas de la plage; c’est là très probablement l’endroit d’ou s’est précipité dans le lac le troupeau de pourceaux dont il est question dans les pas¬ sages des Evangiles que je vais citer tout à l’heure. Au delà de ce promontoire, les montagnes se retirent en arrière, de manière à former un demi-cercle. Chemin faisant, je distingue de loin dans leurs flancs quelques cavernes qui ont pu être jadis des grottes sépulcrales. A une heure quarante-cinq minutes, je fais halte au milieu des ruines de Kersa. J’examine d’abord, sur les pentes d’un monticule escarpé qui semble avoir été taillé par la main de l’homme, les soubassements cl’un petit monument qui se terminait en une sorte de cône tron¬ qué, dont le revêtement a été enlevé. Au bas s’étendait un village, actuellement renversé et qu’environnait un mur d’enceinte, lequel avait été construit avec des pierres de moyenne dimension et la plupart très régulières. Plus près du lac, à quelques minutes de là, vers le nord-ouest, d’autres ruines éparses au milieu d’énormes broussailles, du sein desquelles s’élève un vieux et magnifique térébinthe , portent pa¬ reillement le nom de Kharbet Kersa. Ces ruines offrent probablement les restes et ont conservé le nom, légèrement altéré, de l’antique Gergesa ou mieux Gerasa, mentionnée dans le passage suivant de saint Matthieu : 18. Or Jésus, se voyant environné (Tune grande foule de peuple, ordonna à ses disciples de le passer à l’autre bord du lac . 2 3. H entra ensuite dans une barque, accompagné de ses disciples. 2 h. Et aussitôt il s’éleva sur la mer une si grande tempête que la barque était couverte de flots, et lui cependant dormait. 25. Alors ses disciples s’approchèrent de lui et le réveillèrent, en lui disant : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. 26. Jésus leur répondit : Pourquoi êtes-vous timides, hommes de peu de foi? Et, se levant en même temps, il commanda aux vents et à la mer, et il se lit un grand calme. H 1 . 3 2 h DESCRIPTION DE LA GALIL 27. Alors ceux qui étaient présents furent dans l’admiration, et ils disaient : Quel est donc celui-ci à qui les vents et la mer obéissent? 28. Jésus étant parvenu cà l’autre bord dans le pays des Géraséniens, deux possédés, qui étaient si furieux que personne n’osait passer par ce chemin-là, sortirent des sépulcres et vinrent au-devant de lui. 29. Ils se mirent en meme temps à crier et à lui dire : Jésus, fils de Dieu, qu’y a-t il entre vous et nous? Etes-vous venu ici pour nous tourmenter avant le temps? 30. Or il y avait en un lieu peu éloigné d’eux un grand troupeau de pour¬ ceaux qui paissaient. 31. Et les démons le priaient, en lui disant : Si vous nous chassez d’ici, envoyez-nous dans ce troupeau de pourceaux. 32. 11 leur répondit : Allez; et, étant sortis, ils entrèrent dans ces pour¬ ceaux. E11 même temps tout ce troupeau courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, et ils périrent dans les eaux. 33. Alors ceux qui les gardaient s’enfuirent et ils racontèrent tout ceci e( ce qui était arrivé aux possédés. 3 h. Aussitôt toute la ville sortit pour aller au-devant de Jésus et, l’ayant vu, ils le supplièrent de se retirer de leur pays1. Dans la Vulgate, nous lisons au verset 28 : Et cum venisset trans fretum in regionem Gerasenorum. Dans le texte grec le plus généralement adopté, le pays des Gé¬ raséniens devient celui des Gergéséniens : Kai èXOôv'ii ainôj el$ 1 b zsépcnv sis t rjv yûpav râv Yepyearivcvv. Mais dans d’autres manuscrits on lit YspcLmjvwv, au lieu de Yep- yecnivwv, leçon qui, je l’ai déjà dit à propos de Gadara, me semble bien préférable, d’abord parce quelle est conforme à celle de la Vulgate et ensuite parce que le nom de Gerasa se trouve fidèle¬ ment reproduit par le nom arabe Kersa, que les Bédouins pro¬ noncent Guersa , ce qui se rapproche beaucoup de Gerasa. Saint Marc raconte le même fait en des termes presque identiques. Seule¬ ment il ne met en scène qu’un possédé du démon au lieu de deux. Notre-Seigneur, d’après la version latine de cet évangéliste, aborde pareillement avec ses disciples au pays des Géraséniens : Et, vcnerunl trans fretum maris in regionem Gerasenorum2. 1 Saint Matthieu, c. vm, v. 1 8 , 23-30. — 2 Saint Marc, c. v, v. î. CHAPITRE XXV. K II A RR ET KERSA. 325 Mais, dans la version grecque, il débarque au pays des Gada- réniens : Koù r)\6ov sis t ô zrspov iris B-aXolcra-ris , sis i rjv ywpa.v iwv T oSopYivüv. Saint Luc, enfin, dans la version de la Vulgate, fait, connue saint Marc et saint Matthieu, voguer le Sauveur vers le pays des Géraséniens, qui, dit-il, est vis-à-vis de la Galilée : Et navigaverunt ad regionem Gerasenorum, vv SsIkvvioi si t) 10V opovs KOjpLYI zsopo irjv Xl'p.VÏIV T tësptôSoS sis rjv ko) 01 ypîpoi K01SKp)ip.Vl- adrjaov. Saint Jérôme, en traduisant ce passage, 11e modifie pas le nom de T spysrjct : Gergesa, ubi cos qui a dæmonibus vexabantur Salvalor restiluit sanitati, cl bodieque super montem viculus demonstralur juxta stagnum Tiberiadis, in quod porci præcipitati sunt. De ces divers témoignages il résulte que Notre-Seigneur, après s être embarqué à Capharnaüm, aborda sur la rive oj’ientale du lac dans le pays appelé des Géraséniens, des Gergéséniens ou des Gadaréniens , suivant la leçon que fon adopte. Ce pays et la ville d’où il tirait son nom étaient voisins de la plage, et cette ville, à l’époque de saint Jérôme, n’était plus qu’un petit village, viculus, non loin du lac. Or le Kharbet Kersa est, de toutes les ruines situées en lace de Capharnaüm sur les bords orientaux du lac, celle qui répond 1<; mieux aux données des évangélistes, d Eusèbe et de saint Saint Luc, c. vin, v. 26. I 326 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Jérôme. Kersa, en outre, reproduit, par sou nom, sauf une très légère nuance, celui de Gerasa, ce cpii doit faire penser que cette dernière leçon est préférable à celle de Gergesa et surtout à celle de Gadara. Gadara, en effet, actuellement Ou mm Keis, est éloignée du lac, vers le sud-est, de deux grandes heures de marche. Le Kharbet Kersa, au contraire, est à peine «à 200 pas de la plage du lac, et c’est à i kilomètre à peine plus au sud que les montagnes qui enserrent le lac vers l’est s’en rapprochent le plus et descendent presque dans les flots, constituant ainsi une pente rapide, d’où les pourceaux ont pu se précipiter. Je n’ai pas besoin de dire qu’il faut distinguer avec soin cette Gerasa de la grande ville du même nom, aujourd’hui Djerach , dont il subsiste des débris très remarquables dans le Djebel A’djloun, l’ancien pays de Gile’ad. Pour accorder entre elles les leçons différentes du texte grec et de la Yulgate, on pourrait peut-être supposer que les Gergéséniens ou Géraséniens étaient sous la juridiction des Gadaréniens. Dans ce cas, Notre-Seigneur, en abordant au pays des premiers, non loin de l’emplacement actuel du Kharbet Kersa, abordait en même temps cà celui des Gadaréniens, puisque le territoire de Gadara aurait compris, dans cette hypothèse, celui de Gerasa, le village de Gergesa d’Eusèbe et de saint Jérôme. Mais j’avoue que j’ai peine à adopter cette supposition, à cause de la distance trop considérable qui sépare Kersa de Oumm Keis, Gerasa ayant dû être bien plutôt une dépendance de Gamala. CHAPITRE XXVI. — KH ARRET DOUKA. 327 CHAPITRE VINGT-SIXIEME. KHARBET EL-KHADHER. - KHARBET DOUKA. - KHARBET MESa’dIEII. - KHARBET EL-a’râDJ. - KHARBET ET-TELL (bETHSAIDA JULlAs). KIIARBET EL-KII ADIIER. Le 8 juillet à cinq heures vingt-cinq minutes du matin, je re¬ commence à m’avancer vers le nord le long du lac. A cinq heures trente-cinq minutes, je franchis successivement les différents bras de l’Oued es-Semakh; ils sont à sec en ce mo¬ ment, et couverts de gros blocs basaltiques. Chacun de ces lits est bordé d’une lisière d’agnus-castus et de lauriers-roses. Leur nombre et leur largeur prouvent que, à l’époque des grandes pluies, cet oued, actuellement tari, doit rouler au lac une assez forte quan¬ tité d’eau. A six heures quinze minutes, je laisse à ma droite, sur une col¬ line, un petit village renversé qu’entourait jadis un mur d’enceinte dont il subsiste encore quelques vestiges. Un certain nombre de cabanes en pisé sont inhabitées, mais debout. Alentour le sol est parsemé de tombes musulmanes. On y remarque principalement, près d’un vieux et magnifique térébinthe, un oualy consacré au cheikh El-Khadher, qui a donné son nom à ces ruines. KHARBET DOUKA. A six heures trente-cinq minutes, après avoir franchi l’Oued Douka, je fais halte quelques instants, au milieu des décombres d’un village abandonné et en grande partie détruit, sur un mon¬ ticule dominant le lac. Plusieurs maisons soid encore debout et 328 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. habitables; elles sont bâties avec des matériaux basaltiques. Une quinzaine de palmiers s’élèvent le long de la plage. Cet endroit porte le nom de Kharbet Douka. Au nord coule un autre bras du même oued qui ne tarit jamais. KHARBET MESA^DIEH. A six heures cinquante minutes, je poursuis ma route vers le nord à travers d’admirables champs de doura , où les tiges atteignent 2m,5o de haut. De distance en distance, de petites cabanes en joncs entrelacés y ont été dressées sur de gros pieux fichés en terre. Là, jour et nuit, veillent des gardiens armés, qui ont pour mission d’écarter les oiseaux et les autres animaux, en les empêchant de dévorer les épis déjà murs. En même temps aussi ils ont l’œil sur les maraudeurs qui pourraient être tentés de faire la moisson avant les véritables propriétaires ou fermiers du sol. Un peu plus loin, je passe à côté d’un grand campement de Tel- laouïeh, qui vivent sous la tente ou sous des abris de roseaux. Ce sont les cultivateurs de la belle plaine, dite El-Bathihah, au milieu de laquelle je commence à cheminer. Ils possèdent de nombreux troupeaux de buffles, dont ils se servent comme de bœufs poul¬ ies labours. La plaine que je viens de mentionner s’étend entre les bords septentrionaux du lac de Tibériade au sud et la colline de Et-Tell au nord. Les fellahs qui la cultivent s’appellent du nom commun de Rhaouarna ou cc habitants du Rhôrn (de la vallée du Jourdain) et du nom particulier de Tellaouïeh, parce que leur quartier général pendant l’hiver est à Et-Tell. Arrosée par le Jour¬ dain et par plusieurs ruisseaux intarissables, cette plaine est ex¬ traordinairement fertile, et, là même où elle n’est pas cultivée, elle se couvre d’herbes, d’arbustes et de broussailles que l’humi¬ dité naturelle du sol, unie à la chaleur du climat, fait croître avec une rapidité et une abondance surprenantes. D’un autre côté, elle est peu salubre, et les fièvres y sont fréquentes. A sept heures vingt minutes, j’examine au delà de l’Oued ed- CHAPITRE XXVI. — KHARBET ET-TELL. 329 Dalieh, près du lac, les débris d’un village renversé, appelés Khar- bet Mesa’dieh. Ils jonchent un monticule très peu élevé, autour duquel le terrain est marécageux. Quelques palmiers les ombragent. KHARBET EL-a’rADJ. A i,3oo mètres environ à l’ouest-nord-ouest de ces ruines peu importantes, d’autres, plus étendues, appellent mon attention. Gi¬ santes également non loin du lac, à dix minutes à l’est de l’embou¬ chure du Jourdain, elles consistent en un assez grand nombre d’humbles et misérables habitations bouleversées de fond en comble. Quelques-unes ont été relevées pour servir d’asiles ou de magasins à de pauvres familles de Rhaouarna. Deux bouquets de palmiers croissent en cet endroit. KIIARBET ET-TELL (bETUSAIDA JULIAs). De retour à huit heures au Kharbet Mesa’dieh, je continue à m’avancer vers le nord, puis vers le nord-ouest, à travers de su¬ perbes champs de doura, et je franchis successivement trois autres oued, presque aussi abondants que le précédent, qui serpentent dans la plaine du nord-est au sud-ouest avant d’aboutir au lac; ils se nomment, le premier, Oued el-Asouad, le second, Oued es-Saffa, le troisième, Oued Cheikh A’iy. Tous ces ruisseaux murmurent in¬ cessamment dans des lits plus ou moins larges et profonds, que pare leur bordure habituelle de lauriers-roses, de roseaux et d’agnus- castus. A neuf heures, je fais halte au Kharbet ct-Tell. Les ruines ainsi appelées couvrent les pentes et le sommet d’une colline qui a dû servir d’assiette à une localité de quelque impor¬ tance. En ellet, elle domine à l’est et au-dessus du Jourdain toute la plaine d’El-Bathihah, et elle passe, aux yeux des habitants qui cultivent cette plaine, pour avoir été jadis couronnée par le cliel- licu de ce district. Actuellement la ville qui s’y élevait est com- 330 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. plètement renversée, et a été remplacée par un village de très pauvre apparence, dont les maisons sont bâties en pierres sèches et ne sont habitées que pendant l’hiver par les Rhaouarna dits Tel- laouïeh, lesquels préfèrent vivre sous la tente ou sous des cabanes de roseaux pendant la belle saison. Ce village, d’ailleurs, n’occupe qu’une partie de la colline, qui est tout entière couverte de nom¬ breux amas de pierres, restes de maisons ou d’édifices démolis. Des sycomores, des caroubiers et des acacias croissent çà et là au mi¬ lieu des ruines. Au bas de la colline, vers l’ouest, coulent une source fraîche et abondante et, en outre, deux ruisseaux canalisés, dérivés du Jour¬ dain, qui arrosent des jardins mal entretenus, mais d’une fertilité proverbiale. L’un de ces ruisseaux fait tourner, chemin faisant, plusieurs moulins. Quelques voyageurs, entre autres le docte Robinson, identifient les ruines de Et-Tell avec celles de Bethsaïda Julias, opinion que j’incline à partager. Cette ville était distincte de la Rethsaïda de Galilée, signalée par les évangélistes comme étant la patrie de Pierre, d’André et de Philippe : Hi ergo accesserunt ad Philippum, qui erat a Bethsaida Galilææ, et roga- bant eum, dicentes : Domine, volumus Jesum videre1. La Bethsaïda dont il s’agit en ce moment est mentionnée par Josèpbe dans le passage suivant des Antiquités judaïques : Q>l\iirnos Se YlavedSct d)v ixpos tous TSyyous t ou ïopSdvov xaTaerxevd&ais ovopd^ei Ka icrdpsiav' xwprjv Sè JSydaraïSoiv, Tspos \ipvy Sè Trj TewriuapiriSi , tooXews zsapao-ywv âÇtwpa, voXyOsi t s obonôpwv xau Trj àXky Svvapsi, \ov\ta S-uyarpi 7 fj Ka larapos bp.wvvp.ov êxaXeo-ev 2. k Philippe (le tétrarque, l’un des fils d’Hérode) bâtit Pandas près des sources du Jourdain et l’appela Césarée. Quant au village de Bethsaïda, situé près du lac de Gennésareth, il l’éleva à la dignité de ville, en augmentant le nombre de ses habitants et en accroissant ses ressources. A celte ville il donna le nom de Julias, en l’honneur de Julie, fille de l’empereur.» Saial Jean, c. xii, v. 21. — 2 Anliq. judaïq. I. X VIII , c. 11, § 1. I KHARBET ET-TELL. CHAPITRE XXVI. — 331 Le même historien mentionne ailleurs cette ville de Julias comme appartenant à la basse Gaulanitide : O pèv (0/A*7T7ros) Grpbs tous lopSdvov 'zstiya'ïs êv HaveaSi znoXiv )m%ec K oucrdpsiav, xdv zp xâzw TavXavizixrj lovXidSa1. ff Philippe fonde près des sources du Jourdain, à Panéas, la ville de Césa- rée et dans la basse Gaulanitide Julias. » De son coté, Pline s’exprime ainsi à propos des villes qui en¬ touraient le lac de Tibériade : Jordanis. . . in lacum se fundit, quem plures Genesaram vocant, xvi millia passuum longitudinis , vi millia latitudinis, amœnis circumseptum oppidis, ab oriente Juliade et Ilippo, a meridie Taricbea, quo noinine aliqui et lacum appellant, ab occidente Tiberiade, aquis calidis salubri2. En réalité Julias était à l’est du Jourdain et au nord du lac de Tibériade, non loin de l’embouchure du llcuve. Gela ressort, en effet, clairement du passage suivant de Josèphe, combiné avec celui de Pline : Àpyopisvos Ai (pavepov pevpazos b lopSav^s dno z ouAe z ou avzpov xottIsi pèv zd zrjs ^epeywvlziSo? Xi'pvris eXv z e kou zéXpaza * Stapetyas Aè êzspous èxazbv eïxocri crlaSi'ovs pezd zsokiv \ov\td.Sa Siexzépvet z rjv Tsvvrjcrdp pecrriv, ’éirenct 'aoXXrjv drapez povpevos èpriplav eh z rjv A.a’fyaXz'îziv et* etcrt Xîpvtjv 3. rr Au sortir de cet antre, le Jourdain commence son cours apparent, tra¬ verse les marais fangeux du lac Semechonitis, et, après avoir parcouru 120 autres stades, il sillonne par le milieu, au delà de la ville de Julias, le lac de Gennésar; puis il franchit une vaste solitude, et se perd enfin dans le lac Aspballite. r> Or, à 3oo mètres à l’est du Jourdain, et à 3 kilomètres à peine en ligne directe au nord de l’embouchure de ce fleuve dans le lac, s’élève la colline appelée Et-Tell, cela hauteur n, qui, je le répète, d’après la tradition des indigènes, avait jadis été le site d’une ville considérable. Cette ville n’offre plus, je l’avoue, que de misérables 1 Guerre îles Juifs , 1. II, c. ix, § î. des Juifs, 1. III , c. x, § 7. llisl. nul. I. V, c. xv, S i5. — 3 Guerre 332 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. vestiges; mais combien d’autres cités en Palestine onlvcomplètement disparu ! Gomme, avant d’être rebâtie et agrandie par Philippe le té- trarque, elle s’appelait Dethsaida, ce maison de la pêcher), il est natu¬ rel de penser que le village ainsi nommé qui plus tard devint la ville de Julias avoisinait davantage les bords du lac et occupait peut-être l’emplacement du Kharbet el-A’radj. Ensuite, lorsqu’il fut transformé en ville, tout en gardant sans doute un établisse¬ ment maritime auprès de la mer de Galilée, il aura reculé, pour chercher un site plus salubre et moins marécageux, jusqu’à la col¬ line de Et-Tell. Quoiqu’il en soit, Philippe semble avoir affectionné Julias, qui lui devait son importance, d’une manière toute particulière; car il s’y fit construire de son vivant un mausolée, où il fut enterré avec beaucoup de pompe après sa mort. TeXsina A’ èv Yov'ktâ.St, ncà avTOv xoyutjQévTOs £7r< t b p.vripLe7ov, o sti Tspo- Tepov ùxoSôpLïiosv avT os, roc(pa< yîvovtau -zso'kvre.Xeïs '. ff Philippe mourut à Julias et, transporté dans le tombeau qu’il s’était élevé précédemment, il fut honoré de magnifiques funérailles.» La Bethsaïda orientale ou de la Gaulanitide inférieure est celle qui se trouve mentionnée dans le passage suivant de saint Luc, passage où cet évangéliste raconte la multiplication des cinq pains et des deux poissons : 10. Les apôtres étant revenus racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. Et Jésus, les prenant avec lui, se retira à l’écart dans un lieu désert sur le territoire de Bethsaïda. 11. Lorsque le peuple l’eut appris, il le suivit, et Jésus, les ayant bien reçus, leur parlait du royaume de Dieu et guérissait ceux qui avaient besoin d’être guéris. 12. Comme le jour commençait à baisser, les douze apôtres lui vinrent dire : Renvoyez le peuple, afin qu’ils s’en aillent dans les villages et dans les lieux d’alentour pour se loger et pour y trouver de quoi vivre, parce que nous sommes ici en un lieu désert. Antiq. judaïq. 1. XVIII, c. iv, § G. J CHAPITRE XXVI. — KHARBET ET-TELL. 333 i3. Mais Jésus leur répondit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Ils lui repartirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons. Faut-il, par ha¬ sard, que nous allions acheter des vivres pour toute cette multitude? îô. Car ils étaient environ cinq mille hommes. Alors il dit à ses disciples : Faites-les asseoir par troupes, cinquante par cinquante. 1 5. Ce qu’ils exécutèrent en les faisant tous asseoir. 16. Or Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples, afin qu’ils les pré¬ sentassent au peuple. 17. Ils en mangèrent et en furent rassasiés, et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés1. Ce qui prouve qu’il s’agit ici de Betlisaïda Julias ou de Betli- saida de la Gaulanitide et non de Betlisaïda de la Galilée, c’est la tin du même récit emprunté à saint Matthieu : 22. Aussitôt Jésus obligea ses disciples de monter dans la barque et de passer à l’autre bord avant lui, pendant qu’il renverrait le peuple. 3A. Ayant passé l’eau, ils vinrent au territoire de Genésar2. Saint Marc est encore plus explicite lorsqu’il dit : A5. Jésus pressa aussitôt ses disciples de monter dans la barque et de pas¬ ser avant lui à l’autre bord vers Betlisaïda, pendant qu’il renverrait le peuple. 53. Ayant passé l’eau, ils vinrent au territoire de Génésareth et y abor¬ dèrent3. Notre-Seigneur avec ses disciples s’était embarqué à Caphar- naüm, et, après avoir traversé le lac, il aborda sur sa rive orien¬ tale, dans un lieu désert appartenant au territoire de Betlisaïda. Pu is le miracle de la multiplication des cinq pains une fois accom¬ pli, les disciples repassèrent le lac pour regagner les confins d’une autre Betlisaïda. Celle-ci, située sur la rive opposée du lac, ce qu’indiquent clairement les mots latins trans frelum ad Bethsaidam, était la Betlisaïda de la Galilée; la première était, par conséquent, la Betlisaïda de la Gaulanitide. Jésus débarqua très probablement non loin de remplacement actuel de Douka. La multiplication des cinq pains eut lieu vers le 1 Saint Luc, c. ix, v. 10-17. — * Saint Matthieu, c. xiv, v. 22 et 3A. — " Saint Marc, c. vr, v. A 5 el 53. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 33A déclin du jour, dans un endroit solitaire au nord-est du lac sur le territoire de Betlisaïda Julias. Ensuite, tandis que les disciples, sur l’ordre du Sauveur, remontaient dans la barque qui les avait ame¬ nés, pour traverser de nouveau le lac, avec l’intention de se diriger vers Betbsaïda de Galilée, il se retira lui-même sur une des mon¬ tagnes voisines, vers l’est de la plaine où il venait de faire ce miracle. Puis, à la quatrième veille de la nuit, au moment où ses disciples luttaient péniblement à force de rames contre les vents et contre les vagues soulevées par la tempête, il leur apparut soudain mar¬ chant sur les flots et aborda avec eux au territoire de Genésar. Quant à l’endroit précis où Notre-Seigneur accomplit la multi¬ plication des cinq pains, il est impossible de le fixer maintenant avec certitude, la tradition qui sans doute jadis l’avait consacré s’étant complètement perdue. Nous savons seulement qu’il était sur la rive orientale du lac et qu’il faisait partie du district de Beth¬ saïda Julias. Si saint Luc ne mentionne cette ville que sous le nom de Betbsaïda, c’est évidemment que ce nom avait persisté presque exclusivement dans l’usage commun à coté de celui de Julias, qui était, à cette époque, de date récente et d’importation étrangère, ayant été imposé par Philippe le tétrarque à l’ancien village de Betbsaïda, changé par lui en cité. Cette Bethsaïda Julias, sur le territoire de laquelle Notre- Seigneur multiplia miraculeusement les cinq pains et les deux poissons, est également la Bethsaïda où il rendit la vue à un aveugle. Cela résulte, en effet, du passage suivant de saint Marc, que je transcris presque en entier, afin que cette conclusion res¬ sorte nettement aux yeux du lecteur : 10. Aussitôt, étant entré dans une barque avec ses disciples, il (Jésus) vint dans le pays de Dahnanutha; 1 1 . Où les Pharisiens l’étant venus trouver commencèrent à disputer avec lui et lui demandèrent pour le tenter qu’il leur fit voir quelque prodige dans le ciel. 12. Mais Jésus, jetant un soupir du fond de son cœur, leur dit : Pourquoi ces gens-là demandent-ils un prodige ? Je vous dis en vérité qu’il ne leur en sera point donné. CHAPITRE XXVI. — KHARBET ET-TELL. 335 i3. Et, les ayant quittés, il remonta dans la barque cl passa à l’autre bord. là. Or les disciples avaient oublié de prendre des pains, et ils n’avaient qu’un seul pain dans leur barque. 1 5. Jésus leur donna ce précepte : Ayez soin de vous bien garder du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode. 16. Sur quoi ils pensaient et se disaient l’un à l’autre : En effet , nous n’avons pas de pain. 17. Ce que Jésus connaissant, il leur dit : Pourquoi vous entretenez-vous de cette pensée que vous n’avez point de pain ? N’avez-vous point encore de sens ni d’intelligence, et votre cœur est-il encore dans l’aveuglement? 22. Et quand il fut arrivé à Belhsaïda, on lui amena un aveugle qu’on le pria de loucher. 23. Et prenant l’aveugle par la main, il le mena hors du bourg ; il lui mit de sa salive sur les yeux, et, lui ayant imposé les mains, il lui demanda s’il voyait quelque chose. 2 h. Cet homme, regardant, lui dit: Je vois marcher des hommes qui me paraissent comme des arbres. 2 5. Jésus lui mit encore une fois la main sur les yeux, et il commença à mieux voir; il fut même tellement guéri qu’il distinguait nettement toutes choses. 26. Il le renvoya ensuite dans sa maison et lui dit : Allez-vous-en dans votre demeure, et lorsque vous serez entré dans le bourg, n’y dites à personne ce qui vous est arrivé. 27. Jésus partit de là avec ses disciples pour s’en aller dans les villages qui sont aux environs de Césarée de Philippe1. Notre-Seigneur étant à Dalmanutha, localité située sur la rive occidentale du lac de Tibériade, ainsi que je lai montré, s’em¬ barqua pour gagner la rive opposée du lac, par conséquent, la rive orientale, et aborda sur le territoire de Bethsaïda. Il n’est pas dit, en effet, qu’il débarqua à Bethsaïda même. Voici le texte grec : 1 3. Kal à(ps}s ainovs, é[J.&às 'ZSciXiv eïs t 0 zsXoiov, à7Trj\0sv eîs t b zsépav. Suit l’entretien entre Notre-Seigneur et ses disciples; puis Jésus arrive à Bethsaïda, où on lui présente un aveugle: 2 2. Kal 'ipyziai sis JjriOcroiïiïdv' uat (fiépovaiv aurai r uÇ>Xov. Saint Marc, c. vin, v. 10-17, 22-27. I 33G DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Voici maintenant le texte correspondant de la Vulgate : t3. Et dimittens eos, ascendit iterum navim,et abiil trans fretum. 22. Et veniunt Bethsaidam et adducunt ei cæcuin. On voit que saint Marc, dans les deux versions, grecque et latine, que je viens de citer, ne nous dit point que Notre-Seigneur, embarqué à Dalmanutha pour passer sur l’autre rive du lac, ait abordé précisément à Betbsaïda. Car, si cela était nettement exprimé, il faudrait renoncer à placer Behsaïda Julias au Kharbet et-Tell, et en chercher au contraire l’emplacement au Kharbet el- A’radj. Mais saint Marc se borne à nous apprendre que Jésus quitta Dalmanutha pour traverser le lac. Il ajoute ensuite, après avoir reproduit l’entretien qu’il eut avec ses disciples : ce Ils arri¬ vent à Betbsaïda. n Cet entretien eut-il lieu pendant la traversée sur le lac, ou après le débarquement à terre, pendant que Jésus cheminait avec ses disciples vers Betbsaïda ? Saint Marc ne le dit pas, mais rien n’empèche de le supposer. Les détails relatifs au débarquement et au lieu où Jésus aborda sont supprimés comme peu importants, et l’évangéliste nous transporte immédiatement à Betbsaïda pour nous raconter la guérison de l’avengle auquel le Sauveur rendit miraculeusement la vue. Dans tous les cas, cette Betbsaïda était au delà du Jourdain, par rapport à Dalmanutha, car Notre- Seigneur se rendit de là à Césarée de Philippe, sans avoir besoin de traverser ce fleuve: Et egressus est Jésus et discipuli ejus in castella Cæsareæ Philippi. Ce verset nous conduit naturellement à penser que la Betbsaïda, dont Notre-Seigneur quitta le territoire pour gagner les bourgs tT O1 dépendant de . Césarée de Philippe était située sur la rive orien¬ tale du Jourdain, et, par conséquent, était différente de la Betfi- saïda de Galilée, qui appartenait, ainsi que j’ai essayé de le prouver, au district de Genésar ou Génésaretb. J’ai déjà cité précédemment un passage emprunté à la Vie de CHAPITRE XXVI. — KHARBET ET-TELL. 337 Josèphe 1 , passage dans lequel il est dit que, Sylla ayant été assiéger Julias et ayant placé son camp à cinq stades de cette ville, Jérémie, avec 2,000 hommes, fut envoyé par Josèphe pour la défendre. Il établit lui-même son camp près du Jourdain, à un stade de Julias. Des escarmouches ont lieu entre les deux camps. Josèphe survient ensuite en personne avec 3, 000 hommes, et, le lendemain de son arrivée, il dresse une embuscade à l’ennemi dans une vallée et provoque au combat les troupes de Sylla, en simulant lui-même la fuite. Sylla se porte en avant, trompé par cette ruse, mais bientôt il est attaqué par derrière par les gens que Josèphe avait postés en embuscade. Alors celui-ci ordonne aux siens de faire soudain volte-face et de se retourner vivement contre l’ennemi, qui prend la fuite. Mais le cheval que montait Josèphe ayant fait un faux pas dans un endroit marécageux, il tombe lui-même et se foule un poignet. Transporté dans le village de Kepharnomé pour y être pansé, il est ensuite, pendant la nuit, transféré jusqu’à Tarichées. A cette nouvelle, Sylla et les siens reprennent courage, et ayant appris que le camp de l’ennemi était gardé avec plus de négligence, ils placent de nuit, au delà du Jourdain, une embuscade composée de cavaliers et, au lever de l’aurore, ils provoquent à leur tour au combat les troupes de Josèphe. Celles-ci ne refusent pas la lutte et sortent de leur camp; mais, à ce moment, les cavaliers s’élancent de leur embuscade et jettent le trouble dans les rangs de leurs adversaires ; ils tuent même six d’entre eux. Néanmoins, ils laissent échapper la victoire de leurs mains; car, ayant été informés qu’un certain nombre de soldats avaient été transportés par le lac de Tarichées à Julias, ils battent en retraite, saisis de terreur. Voici le texte même de Josèphe, en ce qui concerne ce dernier détail : Kort'XTTeTrXevxévou yâp rivas inXiras àxovcravres ànb T aptyaicov sis I ov- Xiaiïa, (Ç)o&riQivTEs àveyobpïicrav1. 1 Vie 1 T R E VINGT-NEUVIÈME. H Al) JAP» Ya’kOUB. KI1ARBET NOüAIRIEII. AKBARA , JADIS ACHABAR A. KALa’t CI10UNE1I. - S1RIN. - YAKOUK (lIOUEkOK). - KHARBET SIBANA. — a’ilaboun (a’ilbon ou a’lbôn). Il A DJ Ail YA^KOUB. Le 1 1 juillet à quatre heures cinquante-deux minutes du matin, je me mets en marche vers l’ouest. A cinq heures quinze minutes, je laisse à ma droite une grande pierre debout, appelée par les Musulmans Hadjar Yakoub , ce pierre de Jacob n. A les en croire, ce serait sur cette pierre que ce pa¬ triarche se serait reposé en cherchant son fils Joseph. Dans la Genèse, il est également question d’une pierre sur la¬ quelle Jacob appuya une nuit sa tête pour s’endormir; c’est alors qu’il eut en songe la vision de cette échelle mystérieuse qui par un bout tenait à la terre, et par l’autre touchait au ciel. Des anges du Seigneur montaient et descendaient les degrés de celte échelle; et Dieu renouvela à Jacob les promesses qu’il avait faites à Abraham. Jacob, en s’éveillant le matin, prit la pierre dont il avait fait son chevet, l’érigea debout comme une stèle et répandit de l’huile des¬ sus. Puis il appela Beth-El, cc maison du Seigneurs, la ville qui aupa¬ ravant s’appelait Louza L La tradition musulmane relative à la pierre de Jacob voisine du Khan Djoubb \ousef est, comme on le voit, une simple dérivation du récit biblique que je viens de résumer. Seulement, les Musul¬ mans ont modifié, en changeant le temps, le lien et les circons- 1 Genèse , c. xxvm. CHAPITRE XXIX. MKBARA. 351 tances, le fait raconté par la Genèse. Suivant la sainte Écriture, il s’accomplit près de Beth-El, aujourd’hui Beitin, localité située à quatre heures de marche au nord de Jérusalem, pendant que Jacob se dirigeait de Bersabée vers le pays de Haran, en Mésopo¬ tamie, pour y aller épouser l’une des fdles de son oncle Laban. Les Musulmans, au contraire, transportent ce fait, ou du moins un lait analogue, en Galilée, à mie époque bien postérieure de la vie de Jacob, lorsque ce patriarche, déjà avancé en âge et père de ses douze fils, gémissait sur la perte de Joseph, qu’il croyait avoir été dévoré par une bête féroce. La plaine accidentée que je traverse est abandonnée par la cul¬ ture; le sol néanmoins est très fertile. KHARBET NOUAIR1EH. A cinq heures vingt minutes, je laisse à ma gauche sur une col¬ line quelques ruines peu considérables, appelées Kharbet Nouairieh. A KBARA , JADIS ACIIABARA. Des ruines beaucoup plus importantes, que j’avais visitées en 1870, sont celles de A’kbara; elles sont situées à sept kilomètres en¬ viron au nord-ouest de la route que je suis en ce moment. Elles couvrent un monticule dont les pentes étaient soutenues jadis par plusieurs murs formant des terrasses successives, et dont le som¬ met est actuellement occupé par les aires d’un village arabe. Autour de ces aires sont dispersés les restes de nombreuses constructions antiques renversées. A l’est de cette colline, quelques jardins sont cultivés dans une vallée. Plantés de figuiers, de grenadiers et d’oli¬ viers, ils sont arrosés par une source abondante, à coté de laquelle on observe de magnifiques blocs antiques très régulièrement tail¬ lés. La fontaine qui la contient et d’où scs eaux se répandent a été elle-même bâtie avec des blocs semblables. À l’est et au-dessus de l’Oued A’kbara esL le village du même nom, composé seulement d’une vingtaine de misérables habitations. 35*2 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. Il est à son tour dominé par une plate-forme sur laquelle on dis¬ tingue les arasements, çà et là reconnaissables, d’une enceinte rec¬ tangulaire appelée encore aujourd’hui El-Kniseh, cr l’église n , et mesu¬ rant vingt-trois pas de large sur trente de long. Tournée de l’ouest à l’est, elle avait été construite avec de belles pierres de taille. Actuellement, l’intérieur en est livré à la culture. Cette enceinte, comme son nom et son orientation l’indiquent, semble avoir été autrefois celle d’une église chrétienne; mais peut-être cet édifice avait-il succédé à une synagogue antérieure. U oued, vers le sud, est bordé par une sorte de muraille gigan¬ tesque de rochers taillés à pic. C’est là la localité appelée par Josèphe ïlerpcc, crie rocher d’Achabara •» , et qui fut forti¬ fiée par lui, lors de l’insurrection des Juifs contre les Romains. Trjs T£ àvco T ixXtXou'as tï{v t£ 'Grpoo-ayopevop.évtiv ÂyaGapoov Uéjpoiv xcéi xa) ïapLvtô, xou M rjpcôb (dÿei t<£> Z aêov’kùv duo vStov, xa) Àarrjp awa^et xaad &akatraav , xa) o I opSavujs duo àvarzo\wv rjXt'ou. On voit que, dans cette dernière version, il n’est plus question de la tribu de Juda, les Septante se contentant de dire, à la fin du verset : cr Le Jourdain se trouve vers le soleil levant. ^ La difficulté, en effet, est de comprendre comment la tribu de Nepbthali pouvait par l’une de ses frontières être limitrophe de la tribu de Juda. Pour cela, il faudrait admettre que la vallée du Jourdain, depuis l’embouchure de ce (leuve dans la mer Morte au sud jusqu’au lac de Génésareth au nord, appartenait tout entière à cette dernière tribu, ce qui est contredit par d’autres passages de 356 DESCRIPTION DE LA GALIL la Bible; car, à propos des limites de la tribu de Benjamin, nous lisons dans le livre de Josué : 11. Et ascendit sors prima filiorum Benjamin per lamilias suas, ut possi- derent terrain inter fil ios Juda et filios Joseph. 12, Fuitque terminus eorum contra aquilonem a Jordane; pergens juxta latus Jéricho, septenlrionalis plagæ, et inde conlra occidentem ad montana conscendens, et perveniens ad solitudinem Bethaven1. Ainsi la tribu de Benjamin, située au nord de la tribu de Juda, s’étendait vers le nord-est jusqu’au Jourdain. r Nous lisons de même, au sujet des limites de la tribu d’Ephraïm, située elle-même au nord de celle de Benjamin : Cecidit quoque sors filiorum Joseph, ab Jordane contra Jéricho et aquas ejus ab oriente; soliludo quæ ascendit de Jéricho ad montem Bethel2. Les possessions des fds de Joseph, c’est-à-dire d’Ephraïm et de Manassé, commençaient pareillement à partir du Jourdain vers l’est. Plus au nord encore, la tribu d’fssachar touchait également au Jourdain vers l’est. 17. Issachar egressa est sors quarla per cognationes suas. 22. Et pervenit terminus ejus usque Thabor, et Sehesima, et Bethsames; fueruntque exitus ejus Jordanis3. En continuant à remonter toujours de plus en plus vers le nord, nous arrivons enfin à la tribu de Zabulon, qui touchait, par sa limite septentrionale, à la tribu de Nephthali; celle-ci, par consé¬ quent, d’après ces divers passages, ne pouvait par aucun de ses points être limitrophe de la tribu de Juda; elle s’étendait unique¬ ment vers l’est jusqu’au Jourdain, fleuve qui beaucoup plus au sud servait lui-même de limite orientale, près de son embouchure dans la mer Morte, à la tribu de Juda. Aussi, dans la version des Septante, la tribu de Juda, comme nous l’avons vu plus haut, n’est nullement mentionnée dans l’indi- Josiié, c. xviii , v. 1 1 et 1 2. — 1 2 Josué, c. xvi, v. 1. — s Josué, c. xix, v. 1 7 et 22. CHAPITRE XXIX. Y À KO UK. 357 cation des limites de la tribu de Nephthali, ce qui prouve que le manuscrit ou les manuscrits que les Septante ont pris pour base de leur traduction ne l'enfermaient pas les mots n-nrrn, b’Ilwudah, a à Juda, jusqu’à Juda-», que portait celui qui a été traduit par la Vul- gate. Ces mots, en elfet, semblent ici avoir été intercalés à tort, ou, s’ils ne sont point une interpolation fautive, il faut traduire ainsi le membre de phrase qui les contient: «le Jourdain était au soleil levant jusqu’à Juda,-» c’est-à-dire «la tribu de Nephthali avait pour frontière à l’est le Jourdain, qui coule jusqu’aux limites de la tribu de Juda.-» Dans les Itinéraires de Carmoly, Houkkok est mentionné par Habbi Samuel bar Simson, qui lit un pèlerinage en Palestine vers le commencement du xuie siècle. De Tabarieh , dit-il, en retournant sur nos pas, nous sommes allés à Kefar Chanania. Avant d’arriver dans la ville, nous trouvâmes le tombeau de Habacuc dans Kefar Chakuk *. Le Kefar Chanania signalé ici est le Kefr A’nan, dont je parlerai bientôt, et le chemin qui y conduit de Tibériade passe par le vil¬ lage de Yakouk, le Kefar Chakouk de Samuel bar Simson, la bour¬ gade de Houkkok du livre de Josué. Quant à l’existence du tombeau de Habacuc dans cette localité, elle est contredite par un passage de YOnomasticon dans lequel Lusèbe nous atteste que l’on montrait de son temps le sépulcre de ce prophète à Gabatha, à 12 milles d’Eleuthéropolis , par consé¬ quent en Judée et non en Galilée, comme le prétend Samuel bar Simson. Kaî eh eti vvv ss àno a-yipsicov i£'. To pvrjpa ApSaxobp tou zspofyiqTOv Mille cavaliers et six mille fantassins romains, commandés par le tribun Placidus, marchèrent donc au secours de Sepplioris. Les fantassins furent préposés à la garde de la ville. Quant aux cava¬ liers, ils campèrent en dehors dans la plaine. Josèphe tenta encore une nouvelle attaque contre cette place, mais il échoua dans son entreprise. Après la chute de Jérusalem, le grand sanhédrin se réfugia à Sepphoris, avant d’aller s’établir à Tibériade. Lue communauté chrétienne s’y forma ensuite, et un évêché appartenant à la Pales¬ tine seconde y fut créé. r Epiphane nous apprend que, sous Constantin, un certain Jo¬ sèphe de Tibériade reçut de cet empereur l’autorisation de bâtir une église à Sepphoris, alors appelée Diocésarée 2. En 3 3 9, cette ville fut détruite par les Piomains, à la suite d’une révolte des Juifs qui l’habitaient3. Eusèbe, dans Y Onomasticon , signale Diocésarée comme étant à dix milles à l’ouest du mont Thabor : SaGôép opiov 7ua.£ou\(jJV è'crli $è ôpoç êv TÎj tseSiclSi heI[xevov daro cnifJLSi'wv i Atoxoucrapei'as xar à àva.To\ct.s. Ce passage de Y Onomasticon , traduit plus tard sans aucune mo¬ dification par saint Jérôme, nous montre qu’à l’époque où Eusèbe l’écrivait, Diocésarée, qui fut renversée par les Romains en 33g, comme nous venons de le voir, était encore debout. Eusèbe mou¬ rut, il est vrai, en 3ôo; mais il dut composer Y Onomasticon quelques années auparavant. D’un autre côté, saint Jérôme tradui¬ sit cet écrit vers 388 et, attendu que dans sa transcription latine il 11e nous dit pas que Diocésarée fut alors en ruine, il faut en conclure qu’elle avait réparé le désastre dont elle avait été frappée 1 Guerre des Juifs, I. III, c. 11, S 4. — 2 Épiphane, Contre les hérésies, I. I, p. 128. — Théophane, Chronographie , p. 33. CHAPITRE XXXI. — SEFFOURIEH. •) n ~ O J ô entre l’année 33g, époque de sa prise par les Romains, et l’an¬ née 388, pendant laquelle saint Jérôme traduisit YOnomasticon d’Eusèbe. Peut-être aussi la destruction quelle subit en 33g n’a¬ vait-elle pas été aussi complète que semble le faire croire Tbéo- phane. Dans les actes du concile de Jérusalem de l’année 536 se trouve apposé le nom d’un évêque de Diocésarée, appelé Gyriacus, Kvpict- xos Aioxcucrapdccs. Vers la fin du vie siècle, Antonin le Martyr la mentionne par erreur sous la désignation de Néocésarée. De Tliolomaida maritima venimus in fines Galilææ in civitatem Neocæsa- ream, in qua adoravimus præ veneratione inolatn et canistellum sancla^ Mariæ, in quo loco est cathedra in qua sedebat, quando ad eam venit Gabriel arcban- gelus G Antonin semble admettre dans ce passage que la visite de l’ar¬ change Gabriel à la sainte Vierge eut lieu, non a Nazareth, comme le veut la tradition générale, mais à Diocésarée. Dans tous les cas, cette tradition, qu’une foule d’autres témoignages contredisent, confirme celle en vertu de laquelle Sepphoris ou Diocésarée serait la patrie des parents de la sainte Vierge, c’est-à-dire de saint Joa¬ chim et de sainte Anne. Dans le Talmud, Sepphoris est appelée mss, Tsippori, ou p-nss, Tsipporin, nom qui dériverait du mot ri -ri, Tsippor, cc oiseau -i, parce que cette ville, ou du moins son acropole, se trouvait sur le sommet d’une colline, comme un nid d’oiseau sur la cime d’un arbre. Elle est déclarée appartenir à la tribu de Nephthali et être environnée de territoires très fertiles 2. Ailleurs, le Talmud de Babylone affirme que son étendue était immense, et qu’elle contenait 180,000 places publiques, exagéra¬ tion ridicule qu’il est inutile de réfuter ici 3. Il y mentionne un marché supérieur et un marché inférieur, c’est-à-dire une ville haute et une ville basse 4; ce qui est plus exact. 1 Antonin le Martyr, Ilincrarium, § -2. — 2 Talmud de Babylone, Meguillah , 6 a. — 3 Talmud de Babylone, Baba-Balhra, jb b. — ' Talmud de Babylone, Eroubin,bU b. DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 376 Sepphoris avait plusieurs synagogues, à partir surtout de l’é¬ poque où le sanhédrin y résida, avant daller siéger à Tibériade. Ainsi, le Talnnid de Jérusalem cite à Sepphoris la synagogue de Goufna, celle des Babyloniens et d’autres encore. Du temps des Croisades, il est souvent question, non pas préci¬ sément de cette ville, mais de la source abondante qui coule à une demi-heure de distance au sud, comme d’un rendez-vous naturel pour les armées latines contre les Musulmans. Le juif Benjamin de Tudèle, qui accomplit ses différents voyages entre les années 1160 et 1 1 73 , ne mentionne Sepphoris que pour nous apprendre qu’elle renfermait le tombeau de Babbi Yehoudah ba-Kodech. En 1 1 8 5 , le moine Phocas, dans sa Description des Lieux saints , prétend que Sepphoris était alors presque déserte et n’avait plus gardé de traces visibles de son ancienne splendeur : Uptinoes ovv xoiT à t r)v IlToAefxazAa êcrVtv r\ ^spÇicopi ■croÀz? t fjs TahXai'ots zsdvip doixos priSè Xs/\pavov t rjs zrpdriv avTrjs evSoup.ovioLS èp.(pa.i- vovcra,1 . Deux années plus tard néanmoins, en 1 187, l’acropole de Sep¬ phoris était encore occupée par une garnison latine, puisque nous savons que Saladin , vainqueur des Chrétiens à Hattin, et se ren¬ dant de là à Ptolémaïs, laissa, chemin faisant, des troupes pour s’emparer de cette forteresse. En 1 ‘j83 , le moine Burchard signale encore la beauté de la cita¬ delle de Sepphoris, qu’il appelle Sephora : De Tiberiade redeundo contra occidentem ad sex leucas, de Chana Galilee ad duas leucas contra austrum, est Sephora oppidum et caslrum desuper valde pulchrum, de quo Joachim, pater beate Virginis, dicitur oriundus fuisse2. 1 Phocas, De Lotis Sanctis, § 10. — 2 Burchardus, Descriptio Terrœ Sanclœ, édit. Laurent, p. 46. CHAPITRE XXXI. MERHARET EL-DJHANEM. 377 MERHARET EL-DJHANEM. La ville de Sepphoris était jadis alimentée d’eau par un grand aqueduc, long d’environ 6 kilomètres, qui lui amenait les eaux de plusieurs sources situées à l’est-sud-est, sur une montagne dite aujourd’hui Djebel es-Siali. Cet aqueduc serpentait sur les flancs de différentes Collines, tantôt creusé dans le roc, tantôt cons¬ truit, et l’on peut en suivre presque partout la trace. Le tronçon le mieux conservé et le plus remarquable se trouve à un kilo¬ mètre à Test de Seffourieh, sur le plateau d’une colline dont l’al¬ titude est à peu près au niveau de celle qui formait jadis l’acro¬ pole de Sepphoris, et qui en est séparée par une vallée. Il consiste en un grand canal souterrain, long de 2Ô0 pas et dont la pro¬ fondeur et la largeur varient. Ce souterrain a été tout entier creusé dans le roc; les parois latérales en sont revêtues d’un épais ciment, tout verdi par l’eau, qui y a séjourné longtemps. Le toit en est plat et à fleur du sol. De distance en distance avaient été pratiqués des regards, destinés à permettre d’y puiser l’eau et à éclairer en même temps l’intérieur du tunnel. Un certain nombre de ces regards ont été agrandis par suite de l’effondrement d’une partie du plafond , et par ces ouvertures actuellement béantes s’élèvent des térébintbes et des touffes de lentisques qui ont pris racine et se sont dévelop¬ pés dans l’intérieur du canal. Ce dernier est divisé en plusieurs compartiments, au moyen de petits murs de refend ménagés dans l’épaisseur du roc excavé et, qui ont environ 2 mètres d’élévation; ils formaient des barrages. On remarque aussi deux écluses, l’une inférieure et l’autre supérieure; la première fermait ou ouvrait un étroit passage taillé dans le roc vif et actuellement bouché avec de la terre; et la seconde, un conduit maçonné à un niveau supérieur. A l’extrémité occidentale du tunnel est un amas de terre qui en obstrue l’issue. De nombreuses chauves-souris ont élu domicile en cet endroit. Les habitants du pays appellent ce souterrain Merlmrel el-J)jha- 378 DESCRIPTION DE LA GALILEE. nem, ce la caverne de l’enfer-», et il témoigne, à lui seul, de l’impor¬ tance de la ville pour les besoins de laquelle il avait été creusé. aTn seffourieii. Sepphoris, outre les eaux que lui amenait cet aqueduc et qui pouvaient parvenir à son acropole, avait également à sa disposition celles d’une source très abondante qui coule à trente-cinq minutes de distance , au sud de l’emplacement occupé jadis par la ville basse. Cette source jaillit avec force au pied méridional d’une col¬ line calcaire qui s’interpose entre elle et Seffourieh. De nombreux blocs antiques, restes d’une construction renversée, l’avoisinent. Des jardins plantés de figuiers et de grenadiers prospèrent alen¬ tour. Cette source est plusieurs fois mentionnée, à l’époque des Croi¬ sades, comme le lieu de ralliement où les rois de Jérusalem avaient coutume de rassembler leurs armées, ainsi que cela résulte du passage suivant de Guillaume de Tyr : Ingressus itaque in regnum (Amalricus rex), audiens quod Noradinus in fînibus Paneadensibus cura exercitu copioso resideret, timens ne in regnum irruptiones inde moliretur. . ., in Galiiæam descendit et, convocatis regni principibus, juxta fontem ilium celeberrimum qui inter Nazareth et Sephora est castrametalus est; ut quasi in centro regni constitutus, commodius inde ad quaslibet regni partes, si vocaret nécessitas, se transferret. Illuc enim tam ipse, quam sui prædecessores , convocare exercitus eodem intuitu consueve- rant l. Le même historien nous apprend pareillement ailleurs que Bau¬ doin IV réunit également son armée auprès de cette source : Timentes vero nostri ne a Damasco, in quam se cum omni suo comitatu receperat, regno aliquid insidiarum et damni moliretur, congregatus est uni- versus regni populus ad fontem Sephoritanum, inter Sephorim et Nazareth2. Plus tard, en 1 187, quelque temps avant la funeste bataille de 1 Guillaume de fyr, I. XX, c. xxvii. — 2 Guillaume de Tyr, 1. XXII, c. xv. 379 CHAPITRE XXXI. — RETOUR À NAZARETH. llaitin, Guy de Lusignan rassembla en ce même endroit durant plusieurs semaines l’armée chrétienne, qui se montait à 2,000 che¬ valiers et 20,000 hommes de pied, non compris d’autres troupes légèrement armées. Ce fut là qu’il tint un conseil de guerre, pour savoir si l’on devait marcher au-devant de Saladin, qui occupait les hauteurs voisines de Tibériade, ou si l’on devait, au contraire, l’at¬ tendre de pied ferme dans la position où l’armée était campée. Raymond, comte de Tripoli, opina pour ce dernier parti. Il con¬ seilla de fortifier le camp et de ne pas abandonner imprudemment la source importante que l’on possédait et les autres avantages qu’offrait cette localité. Mais le grand maître des Templiers com¬ battit vivement cet avis, qui était néanmoins le plus sage, et le roi, cédant aux instances du grand maître, donna l’ordre du départ. On sait comment, bientôt après avoir abandonné la fontaine de Sep- phoris pour s’avancer contre l’ennemi, l’armée chrétienne, épuisée par la fatigue, par la chaleur et par la soif, fut anéantie dans la célèbre plaine de Iiattin. Saladin vainqueur se hâta d’aller soumettre Saint-Jean-d’Acre et, dans sa marche, il campa une nuit auprès de la même source de Sepphoris, où peu de jours auparavant avait campé l’armée chré¬ tienne. Six siècles plus tard, au mois d’avril de l’année 1799, Kléber, allant rejoindre Junot dans les environs de Nazareth, dressa lui aussi son camp, en passant, à côté de la fontaine dont il s’agit en ce moment. RETOUR À NAZARETH. A onze heures, je me remets en marche vers le sud-est, et à midi vingt minutes je suis de retour à Nazareth. 380 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. NOUVELLE EXCURSION AU MONT TI1ABOR . - KHAN ET-TOUDJAR. OUMM EL-DJEBEIL. - a'ÏN MAIIEL. - RETOUR À NAZARETH. NOUVELLE EXCURSION AU MONT THABOR. Le i5 juillet, après un jour de repos, je quitte Nazareth à cinq heures du matin pour gagner de nouveau vers l’est le mont Thabor. J’avais appris, en effet, que, depuis ma dernière ascension de cette sainte montagne, les R. P. Franciscains avaient poursuivi les fouilles qu’ils y avaient commencées. A sept heures et demie, j’étais au pied du Djebel Thour, et, à huit heures vingt-cinq minutes, j’en atteignais le sommet. Je ne rentrerai pas ici dans d’autres détails sur la beauté singulière de ce mont célèbre, sur la parure verdoyante d’arbres, d’arbustes et de fleurs qui décore ses flancs arrondis, sur la grandeur imposante du panorama qui se déroule aux regards du haut de sa plate-forme supérieure, enfin sur les ruines de différents âges qui la couronnent. Qu’il me suffise de dire qu’un nouvel examen des fouilles exécutées par les R. P. Franciscains de Nazareth sur le point culminant du plateau où s’étendent ces ruines me convainquit de plus en plus que ces dignes religieux ont bien réellement découvert les restes du véritable sanctuaire de la Transfiguration, qui, depuis de longs siècles, étaient ensevelis sous des amas énormes de décombres, et que la crypte, en particulier, que j’ai signalée doit être regardée comme l’un des monuments les plus précieux qui existent en Pales¬ tine, appartenant, comme je le pense, à la primitive église, qui fut érigée sur le lieu même où s’élait accompli ce grand mystère. J’engage tous les pèlerins futurs à y porter pieusement leurs pas. CHAPITRE XXXII. — KHAN ET-TOUDJAR. 381 Ils reconnaîtront comme moi l’importance de cette découverte et l’intérêt profond que doivent concevoir tous les chrétiens pour ces débris vénérables de l’un des plus anciens et des plus augustes sanctuaires de leur religion. Il fait si bon sur la cime du Thabor, l’air y est si pur, l’horizon si splendide, les ruines si attachantes, les souvenirs si grands, que je ne me décidai qu’avec peine, vers une heure de l’après-midi, à en redescendre et à dire adieu, peut-être pour toujours, à cette montagne, qui m’est chère entre toutes et que j’avais saluée pour la première fois avec respect en i85a. KIIÀN ET-TOUDJAR. A une heure quarante-cinq minutes, parvenu au bas du Thabor, je prends la direction de l’est-nord-est, puis du nord-est. A deux heures quarante-cinq minutes, j’arrive au Khan et- Toudjar, «khan des marchands v. Ce caravansérail, qui date, dit-on, de la fin du xvic siècle, affecte une forme carrée et mesure 1 1 5 pas sur chaque face. Soutenu par des contreforts et flanqué aux quatre angles d’une tour ronde, il a été construit avec des pierres blanches de nature calcaire et de moyenne dimension; mais plusieurs assises parallèles de pierres noires et basaltiques ont été intercalées tout autour comme une sorte d’ornement. Au dedans de l’enceinte, on remarque une mosquée et de grandes galeries voûtées qui tombent en ruine. D’énormes figuiers ont pris racine dans une cour déserte; une source y coule. A i5o pas de là, vers le nord-ouest, sur un petit plateau plus élevé, se trouve un second khan, également carré, et qui mesure 88 pas sur chaque face. Le mur d’enceinte est flanqué aux quatre angles d’une tour percée de meurtrières et qui, circulaire à l’in¬ térieur, est octogone au dehors. Une tour semblable avait été bâtie pareillement au milieu de chacun des côtés. Les pierres avec les¬ quelles le mur a été construit ainsi que les tours sont blanches, calcaires et grossièrement taillées en bossage; elles sont entremê¬ lées d’une espèce de cordon de pierres basaltiques, dont la couleur 382 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. noire tranche avec la leur. Au dedans de l’enceinte, les différents batiments qui la remplissaient ont été rasés de fond en comble. Tous les lundis, un marché se tient en cet endroit, où les Bé¬ douins viennent vendre des bestiaux. OUMM EL-DJEBEIL. A trois heures vingt minutes, je me remets en marche vers l’ouest-nord-ouest, tantôt montant, tantôt descendant, à travers un bois de vieux chênes. A trois heures quarante-cinq minutes, j’examine quelques ruines qui me sont désignées sous le nom de Oumm el-Djebeil. On ob¬ serve en cet endroit les arasements de plusieurs petites maisons renversées, une dizaine de cavernes pratiquées dans un calcaire très tendre, une belle colonne monolithe de marbre blanc, couchée sur le sol auprès d’un superbe térébinthe, et un grand cimetière musulman couvrant le plateau d’une colline. Comme cette localité est depuis longtemps inhabitée, les nombreuses tombes arabes que je signale ici, et dont quelques-unes paraissent de date récente, pro¬ viennent sans doute des pertes que peuvent faire les tribus nomades de Bédouins qui campent, à certaines époques de l’année, autour du mont Thabor. aTn MABEL. A quatre heures, je gravis vers Tou est-sud-ouest des pentes boi¬ sées, où le chêne domine. A quatre heures trente-cinq minutes, je fais halte un instant au¬ près d’une source dite A’ïn Mahel. Elle coule au bas d’un village du même nom, situé sur une hauteur et réduit à une dizaine de misérables habitations, qu’entourent des jardins plantés de figuiers, d’oliviers et de grenadiers. RETOUR À NAZARETH. A cinq heures, je redescends de là vers le sud-ouest, et, à six heures quinze minutes, j’arrive à Nazareth. CHAPITRE XXXIII. KERM ES -S AH A B. 383 CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME. MOUKBEIA. - KERM ES-SAHAB. - Ei’lOUTH. - SAMOUNIEII (siMONIAs). - DJEBATA (GABATHA). - - KHNEIFES. - MOUDJEIDIL. - MABOUL (nAHALAl). - aTn SEFSAFEH. - RETOUR À NAZARETH. MOTJKBEIA. Le i 6 juillet à cinq heures trente-cinq minutes du matin, je monte, au sortir de Nazareth, dans la direction de l’ouest-nord- ouest, à travers de petites maisons de campagne et des jardins de création récente; ils sont plantés principalement de figuiers, de vignes et de grenadiers. A cinq heures cinquante minutes, je laisse à ma gauche Mouk- beia, village d’une vingtaine de maisons, assis sur les dernières pentes d’une colline, près d’un charmant vallon qu’arrose et ferti¬ lise une source abondante, et où croissent des grenadiers, des citron¬ niers et des figuiers entremêlés de vignes et de quelques palmiers. KERM ES-SÀHAB. A six heures, je commence à descendre vers le nord-ouest. De¬ vant moi, au nord, j’aperçois Seffourieh et au delà la belle plaine d’El-Bathouf. A six heures quinze minutes, quelques habitations au milieu de vergers fertiles me sont désignées sous le nom de Kerm es- Sahab. Des figuiers gigantesques y attestent la fécondité du sol. La vigne y prospère également très bien, ainsi que le grenadier. 384 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. ePlouth. A six heures vingt minutes, je descends vers l’ouest des pentes couvertes de chênes, de houx et de lentisques. A six heures quarante-cinq minutes, j’arrive à Ei’louth, village de 200 habitants au plus, situé dans une vallée et sur les flancs inférieurs d’un monticule. Quelques jardins le précèdent. Ils sont plantés de figuiers et d’oliviers et environnés d’une haie de cactus. Je remarque, près d’un oualy, l’emplacement d’une ancienne église complètement rasée. Il n’en subsiste plus que cinq ou six tron¬ çons de colonnes en pierre calcaire gisants sur le sol. Quant à X oualy, il paraît avoir été bâti avec des matériaux provenant de cet édifice. Les Musulmans y vénèrent intérieurement un tombeau dédié à Neby Louth. J’ai déjà dit dans ma Description de la Judée , en parlant de Béni Naïm1, qu’on montrait pareillement dans une petite mosquée de ce dernier village le tombeau du neveu d’ Abraham. SAM0UN1EII (SIMONIAS). A sept heures vingt minutes, je gravis vers l’ouest, au delà de plusieurs jardins, des pentes couvertes de chênes et de broussailles qui ont pris racine parmi des rocbes calcaires d’une nature très friable et d’une blancheur éclatante. A sept heures trente minutes, ma direction incline vers le sud- sud-ouest. A sept heures quarante minutes, je descends dans la même direction. A huit heures vingt-cinq minutes, après avoir franchi successi¬ vement deux vallons fertiles et cultivés en blé, je fais halte à Sa- mounieh. Ce village, habité à peine aujourd’hui par quelques Description de la Judée, l. III, p. i53. 1 CHAPITRE XXXIII. SAMO UNI Eli. 385 pauvres familles, a succédé à une petite ville antique qui est com¬ plètement renversée. A l’est de l’emplacement qu’elle occupait s’é¬ lève une colline ronde isolée, qui domine de toutes parts la plaine et qui jadis était entourée à son sommet d’un mur d’enceinte dont il ne subsiste que de faibles vestiges. Cette colline devait probable¬ ment jadis être fortifiée. Escarpée vers l’est, elle s’abaisse, du coté de l’ouest, par une pente plus douce vers la ville, qui couvrait à ses pieds des monticules inférieurs. En les parcourant, je distingue, au milieu des débris divers qui jonchent le sol, les restes d’un édifice en pierres de taille bouleversé de fond en comble, et orné autrefois de colonnes, comme l’ attestent deux fûts mutilés qui se trouvent en cet endroit. Cet édifice semble avoir été tourné de l’ouest à l’est, ce qui pourrait faire croire qu’à l’époque chrétienne il ser¬ vait d’église. Ailleurs, une enceinte mesurant 35 pas de long sur 25 de large attire mon attention. De loin on la supposerait antique; mais, en la considérant de plus près, on s’aperçoit aussitôt qu elle a été bâtie à une époque relativement moderne; les pierres, en effet, avec lesquelles elle a été construite affectent toutes sortes de formes et de grandeurs; quelques-unes même sont des fragments d’anciens sarcophages. Au bas de l’emplacement de la ville antique coule une source assez abondante, appelée A’ïn Samounieh. Elle arrose actuellement des jardins plantés de vieux et gigantesques figuiers. Il y a quelques années, une douzaine d’Allemands avaient fondé en cet endroit une petite colonie; mais ils ont tous succombé au climat, et les trois maisons qu’ils y avaient bâties sont abandonnées. Samounieh est la localité, dite Simonias, dont il est question dans le passage suivant de l’autobiographie de Josèphc : Æbutius, le décurion à qui avait été confié le commandement de la Grande Plaine, ayant été informé de ma présence dans le village de Simonias, situé sur les confins de la Galilée, et séparé par un intervalle de soixante stades de l’en¬ droit où il résidait lui-même, prit de nuit les cent cavaliers qu’il avait avec lui el deux cents fantassins, auxquels il adjoignit, comme auxiliaires, les habitants I. 38 G DESCRIPTION DE LA GALILEE. de la ville de Gaba, et, par une marche nocturne, parvint auprès du village où j’étais. Je m’empressai de mettre en ligne contre lui des lorces considérables. Æbutius s’efforçait de nous attirer dans la plaine, à cause de la grande con¬ fiance qu’il avait dans ses cavaliers; mais nous ne nous prêtâmes point à ses vues. Pour moi, qui comprenais très bien l’avantage qu’auraient, ses cavaliers, si nous descendions dans la plaine, étant tous nous-mêmes fantassins, je ré¬ solus d’en venir aux mains avec l’ennemi dans l’endroit même où nous étions. Æbutius nous tint tête quelque temps, non sans courage, avec ses gens; mais, voyant que sa cavalerie lui devenait inutile en un pareil lieu, il se retira à Gaba, sans avoir rien fait, et après avoir perdu trois hommes dans le com¬ bat L Simonias, comme nous Rapprend le Talmud2, est la ville biblique de Cliimrqn, en hébreu jnpp*, en grec Zv{jlowv, Hofxépwv et 'Liu- pwv, en latin Semeron et Semron, mentionnée dans le livre de Josué, comme appartenant à la tribu de Zabulon : 10. Ceciditque sors tertia filiorum Zabulon per cognationes suas, et fa cl us est terminus possessionis eorum usque Sarid... i5. Et Cathed, et Naalol, et Semeron, et Jedala, et Retblehem. . .3. Cette même ville est signalée ailleurs dans les Livres saints comme une cité dont le roi marcha contre Josué sous les étendards de Jabin, roi d’Asor : Quæ cum audisset Jabin , rex Asor, misit ad Jobab regem Madon , et ad regem Semeron, atque ad regem Achsaph4. DJEBATA (GABATHA). A neuf heures quarante minutes, je quitte la source de Samounieb et, m’avançant à travers la plaine d’Esdrelon vers le sud, je parviens à dix heures dix minutes à Djebata, village de 35o habitants, situé sur le sommet d’une colline peu élevée, qui était jadis tout entière occupée par une petite ville, dont il ne subsiste plus que des débris confus. Un certain nombre de pierres de taille, éparses le long des 1 Vie de Josèphe , § 2 h. — 2 Neubauer, Géographie du Talmud, p. 189. — 1 Josué, c. \ix, v. 10 et 1 5. — 4 Josué, c. xi, v. 1. CHAPITRE XX XI H. M A’LOUL. 387 pentes et sur la partie supérieure de la colline, sont les restes de la Gabatlia citée par saint Jérôme dans Y Onomasticon , où elle est mentionnée dans les termes suivants, au mot Gabathon : Et alia villa Gabatha in fînibus Diocæsareæ juxta grandem campum Legionis. KHNE1FES. A dix heures trente minutes, descendu deDjebata, je monte lé¬ gèrement vers le sud-est, à travers des monticules dont les flancs calcaires ont été jadis exploités comme carrière. A dix heures quarante-cinq minutes, j’arrive à Khneifes, village aux trois quarts renversé, sur une colline. Quelques maisons seules sont encore habitées. MOUDJEIDIL. A dix heures cinquante minutes, je me remets en route vers le nord-est, et après avoir franchi successivement plusieurs collines, je chemine, à onze heures dix minutes, sur un beau plateau en partie cultivé en blé et en partie couvert d’oliviers. A onze heures quinze minutes, je suis à Moudjeidil, grand vil¬ lage composé de Musulmans et de Grecs schismatiques. Parmi ces derniers, quelques familles ont embrassé depuis peu le protestan¬ tisme. Ce village a du succéder à une bourgade antique, dont le nom probablement avait du rapport avec le nom actuel, qui semble un diminutif de l’hébreu migdal , migdol, magdiel. A onze heures trente minutes, je descends vers le nord-ouest, au milieu de jardins entourés de cactus. A onze heures trente-cinq minutes, je passe auprès d’un grand puits circulaire, à côté duquel est une cuve de sarcophage brisée. G’est la source de Moudjeidil. M A LOI E (nAHALAL.). A onze heures trente-huit minutes, après avoir traversé une 388 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. vallée, je gravis vers le nord-nord-ouest des pentes couvertes de touffes de lentisques et parsemées de chênes. Chemin faisant, je remarque, le long- de la routé, un pressoir antique creusé dans le roc, et se composant de deux compartiments. A onze heures cinquante-six minutes, je parviens à Maloul, vil¬ lage de 35o habitants environ, la plupart Musulmans, et une tren¬ taine appartenant au rite grec schismatique. A l’extrémité sud-ouest de remplacement occupé par le village, on voit les restes d’un bel édifice qui présente l’apparence d’un dé carré, dont chacune des quatre faces était flanquée, aux deux angles, d’un pilastre cantonné de deux demi-colonnes, et était décorée, en outre, dans l’espace compris entre ces deux pilastres, de quatre demi-colonnes reposant sur un stvlobate continu. Ce dé mesure 12 mètres de chaque coté et avait été tout entier construit avec de belles pierres de taille. Toute la partie supérieure est détruite. Je suppose qu’il était jadis surmonté d’une petite pyramide, dont il n’existe plus aucune trace. La façade septentrionale de ce monument est encore en partie debout; les demi-colonnes y sont presque intactes. Néanmoins, ainsi que les pilastres angulaires, elles sont découronnées de leurs chapiteaux. Les autres façades sont très dégradées et à moitié dé¬ molies. On entrait primitivement dans l’intérieur de l’édifice par une porte pratiquée au centre de la façade orientale et maintenant bou¬ chée. L’entrée actuelle est vers le sud. Quand on l’a franchie, on se trouve dans une chambre oblongue, construite en pierres de taille et voûtée en plein cintre. Dans les parois du sud on remarque deux fours à cercueil recouverts par de superbes dalles étayant jadis ren- l'ermé chacun un sarcophage. A ces deux fours en répondent deux autres pratiqués dans les parois du nord. Comme cette chambre tumulaire avait été transformée en une petite chapelle par les Grecs schismatiques de Ma loul, ils avaient supprimé l’entrée primitive, qui, ainsi que je l’ai dit, était vers Lest, leur autel occupant la place de cette porte, et ils pénètrent depuis lors par l’un des fours à cercued du côté sud, dont ds ont percé le fond. CHAPITRE XXXIII. MA'LOUL. 389 Eu dehors de ce mausolée, deux chapiteaux ioniques gisent sur le sol. Aucune inscription ne nous indique les noms des divers per¬ sonnages en l'honneur desquels il avait été érigé. Il date, selon toute apparence, de l’époque gréco-romaine. Quand je Fai vu pour la première fois en i854, il était beaucoup moins détruit qu’il 11e l’est maintenant. Depuis celte époque, il a subi de nombreuses mu¬ tilations, et au moment où je l’examinais de nouveau en 1 876 , plu¬ sieurs habitants du village se préparaient à en extraire des pierres de taille pour aller les vendre à Nazareth, et ils commençaient à l’attaquer à grands coups de pioche. Quant au nom de Ma’ioul, il se retrouve dans le Talmud de Jé¬ rusalem b donné à l’une des villes de la tribu de Zabulon et écrit VibriD, Mahloul. D’après ce Talmud, Mahloul aurait été primitive¬ ment appelée Nahalal, *?"8n3, ou, comme un autre manuscrit liébreu porte, bbnp, Mahalal. Cette ville est signalée dans le verset suivant du livre de Josué : Et Catlied, et Naalol, et Semeron, et Jedala, et Belhlehem 2. Dans le texte hébreu Naalol est écrite bSn:, Nahalal. Elle est mentionnée, dans un autre verset du même 1 1 vi e de Jo- sué, comme ayant été concédée aux Lévites de la famille de Mérari : 34. Filiis autem Merari Lev i lis inferioris gradus per familias suas data est de tribu Zabulon, Jecnam, et Cartha, 35. Et Damna, et Naalol, civilates quatuor, cum suburbanis suis3. Dans le texte hébreu, 011 lit, comme précédemment, Nahalal. Le livre des Juges nous apprend que la tribu de Zabulon ne dé¬ truisit point les anciens habitants de Nahalal, mais se contenta de les rendre tributaires : Zabulon non delevil liabitatores Cetron et Naalol ; sed habilavit Chananæus in medioejus, faclus([ue est ei Iributarius 4. 1 Talmud de Jérusalem, Mcguillah, Josué, c. \\i, v. 3A el 35. c. 1 , Maascr-Scheni , c. v. 1 Juges, c. 1, v. 3o. J Josué , c. mv , v. i5. 390 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Dans le texte hébreu cette ville est écrite ici bVrn, Nahalol, va¬ riante pour Nahalal. Elle disparaît ensuite complètement de l’histoire; néanmoins les débris de l’élégant mausolée dont j’ai parlé, et qui n’est peut-être pas antérieur à l’époque de J. C., prouvent que, jusqu’au commen¬ cement de 1ère chrétienne, cette localité avait conservé quelque importance. V IN SEFSAFEIf . A une heure vingt minutes, laissant à ma gauche un vallon ar¬ rosé par une source, l’A in Ma’ioul, je traverse vers le nord des collines hérissées de broussailles et principalement de lentisques, puis je suis vers l’est une étroite vallée que bordent des hauteurs boisées. A une heure cinquante-quatre minutes, je rencontre une source appelée A in Sefsafeh. Recueillie dans une sorte de petit puits peu profond, elle arrosait autrefois un bouquet de figuiers et d’oliviers. Quelques restes d’habitations l’avoisinent. RETOUR A NAZARETH. De là je poursuis ma route vers l’est, et, à deux heures trente- cinq minutes, je mets pied à terre à Nazareth. CHAPITRE XXXIV. KH AU BEI ZEP.D \. 391 CHAPI T R E T R E N T E - Q IJ A T 15 1 È M E. KHARBET ZEBDA. DJEIDA ( I D AL AH ) . BEIT-LEIIEM (bETH-LAHEm). OUMM EL-CmED. - TELL BEIDAR . - CIIEIKII A B R E I K (c.ABa). KHARBET ZEBDA. Après quelques jours de repos, consacrés à la rédaction d’un deuxième rapport, que j’adressai à M. le Ministre de l’instruction publique, sur les principaux résultats des explorations que je ve¬ nais d’accomplir en Palestine, je quittai de nouveau Nazareth, le e 3 juillet, à cinq heures du matin. Ma direction était celle de l’ouest. A sept heures dix minutes, je fais halte au Kharbet Zebda. Che¬ min faisant, j’avais successivement dépassé Ma’loul et Samonnich, dont il a été question précédemment. Sur une colline autrefois tout entière occupée par des habita¬ tions, on remarque une enceinte grossièrement bâtie avec des blocs plus ou moins considérables provenant de constructions anté¬ rieures. Cette enceinte renferme une quinzaine de petites maisons renversées. J’y observe deux tronçons mutilés de colonnes. Plus bas, sur les pentes occidentales delà colline, de nombreuses pierres de taille et des matériaux divers gisent sur le sol, au milieu de vieux chênes, qui ont poussé sur l’emplacement d’une ancienne bourgade détruite. Sur une autre colline voisine, vers l’est, qui servait de nécropole à ceLte localité, et qui est elle-même parsemée de chênes, sont épars plusieurs sarcophages, aujourd’hui mutilés, dont les laces sont ornées de rosaces et de guirlandes. On y aperçoit aussi une dizaine de fosses rectangulaires creusées dans le roc , les unesdesti- 392 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. liées à un seul cadavre, les autres pouvant en contenir deux, sé¬ parés par une sorte de cloison ménagée dans l’épaisseur du roc évidé. Elles étaient fermées, chacune, soit par une grande dalle mo¬ nolithe, soit par un couvercle qui affectait la forme d’un dos d’âne et était muni d’acrotères à ses angles. 11 est inutile d’ajouter que toutes ces sépultures ont été depuis longtemps violées. DJfilDA ( IDA LA II j. A huit heures quinze minutes, je poursuis ma route vers l’ouest- sud-ouest, et à huit heures quarante minutes, je parviens à Djeida, que d’autres prononcent Djeda. C’est un village de 35o habitants au plus, vivant dans de misérables demeures très grossièrement bâties. Quelques-uns d’entre eux m’apprennent qu’en creusant le sol sur la surface de la colline, dont ce village n’occupe qu’une partie, on rencontre presque partout des pierres de différentes grandeurs, restes de constructions antiques rasées. Plusieurs citernes creusées dans le roc contribuent également à prouver que là s’élevait autrefois une petite ville, ou du moins une bourgade, dont le nom n’a pas été retrouvé d’une manière indubitable; mais, à cause du voisinage de ce village à la fois de Samounieh et de Beit-Lehem, j’incline avec quelques critiques à y reconnaître l’antique Idalah, signalée dans le verset suivant comme appartenant à la tribu de Zabulon et citée entre Chimron, dans la Vulgate Semeron (Samounféh), et Bethlehem (Beit-Lehem) : Et Cathed, et Naalol, et Semeron, et Jedala, et Betldehem1. Cette Idalah, en hébreu n7N-p, Idalah, en grec ia zz pocr icrysi Fa€à, zsôXiç hïTïéwv, ovroos OLyops.vop.svri Siot r b 1 ovs vÇ>’ HpooSov iov fiacjiksws OLTlo'kvOp.SVOVS ITCTISÏS SV OLVirj KOLIOIKSIV Il est question pareillement de cette même localité dans le pas¬ sage suivant des Antiquités judaïques : Ev éè tôS M syakw II sSlrp twv stuXsx'coov limscov zrspi avTov a.TcoxXripd)aas yojpïov avvsxTiasv siiî is Trj F aXiXou'a FaSa xaXovpsvov xcti ?fj ïlspaia Trjv Eœs&ojvIl'uv 2. tr Dans la Grande Plaine, llérode fonda une place forte en Galilée, appelée Gaba, au moyen de cavaliers d’élite attachés a sa personne qu’il lira au sort; en Pérée, il établit une colonie semblable à Esebonitis. r, De ces deux passages rapprochés il résulte que Gaba était située en Galilée, dans la Grande Plaine, et non loin du Carmel; que c’était, en outre, une place forte. Enfin, le nom même de Gaba qui lui lut donné, ou quelle portait peut-être déjà avant d’être colo¬ nisée par les cavaliers d’Hérode, semble prouver qu’elle couronnait une hauteur, le mot Gaba, en hébreu vaa, Cuba, ayant le sens de cr colline •». Toutes ces diverses données conviennent bien à la position Guerre des Juifs, 1. 111, c. ni, 8 1. — 2 Antiq. judaïques., i. XV, c .viu, § 5. CHAPITRE XXXIV. — CHEIKH ABRE1K. 397 tle Cheikh Abreik. Ce village est à environ 10 kilomètres ou 56 stades de Samounieh , jadis Simonias. 11 occupe le sommet d’une haute colline; il est en Galilée et voisin de la chaîne du Carmel, dont il n’est séparé que par le petit fleuve du Nalir el-Moukattha\ l’ancien Cison. Son site, au point de vue militaire, est très bien choisi, puisque la hauteur qu’il couronne commande à la fois la Grande Plaine et celle de Saint-Jean-d’Acre. De plus, son antique nécropole, les arasements du puissant édifice qui me paraît avoir été une tour, les belles pierres de taille éparses sur le plateau de la colline, les fûts mutilés de colonnes que l’on y rencontre et qui, après avoir orné un portique, un temple, ou une synagogue, ont pu ensuite, à 1 époque chrétienne, décorer l’intérieur d’une église, tout atteste l’ancienne importance de cette localité. Jusqu’à nouvel ordre et jusqu’à plus amples recherches, j’y place donc la Gaba signalée par Josôphe dans les trois passages que j’ai cités de cet a u leur. Je dois avouer ici que le docte Ueland, en parlant de cette ville de Gaba, l’identifie avec Kaïpha : Probabile est Gabam illam esse eamdem quæ poslea Caipha et Hepha dicta fuit, iirbs Carmeîo adsita e regione Plolemaidis 1. Mais cette identification est évidemment fautive. D’abord Kaïpha n’est point située sur une colline, tant la ville moderne que la ville antique ; en second lieu, Kaïpha est au moins à iGo stades de Sa- mounieh, et non à 6o, comme le veut Josèphe; en troisième lieu, elle est à l’extrémité sud-ouest de la plaine de Saint-Jean-d’Acre et ne commande nullement la Grande Plaine ou la plaine d’Es- drelon. Ueland, Palestine, p. 769. ;î98 DESCRIPTION DE LA GALILEE. CHAPITRE TRENTE-CINQUIEME. KOSKOS. - TUABa'oüN (tIIABa’oUn). — EL-IIARTIEH . TELL EL-HER- BADJEH. YADJOUR . - BELAD ECFI-CIIEIKH. a’ÏN ES-Sa’aDEH. - HE1FA (iIEPHA OU KAÏPIIa). KOSKOS. Le 2 4 juillet, à quatre heures quarante-cinq minutes du matin, je descends de Cheikh Abreik vers Lest, et bientôt après je gravis vers le nord-nord-est des pentes couvertes de chênes, dont quel¬ ques-uns sont d’une belle venue. Les rochers calcaires au milieu desquels ils croissent ont été jadis, en beaucoup d’endroits, ex¬ ploités comme carrières, ainsi que l’attestent les nombreuses en¬ tailles dues à la main de l’homme que l’on y remarque. A cinq heures vingt minutes, j’atteins Koskos, petit village sur une colline rocheuse, dont la surface supérieure est percée de pïu- une population de 200 habitants au plus, qui vivent dans des ma¬ sures construites en pisé ou avec de menus matériaux. Quelques jardins plantés de figuiers et de grenadiers l’envi¬ ronnent. tii\b,Goun (thabajoiin). A cinq heures quarante minutes, après être descendu de Koskos vers le sud-ouest, je traverse vers l’ouest des collines boisées où le chêne domine, mêlé à d’autres arbres. A cinq heures cinquante-huit minutes, une montée assez raide m amène à Thaba’oun. Ce village, de 200 habitants, a remplacé une bourgade antique du même nom. CHAPITRE XXXV. — EL-HARTIEII. 399 Plusieurs anciens caveaux creusés dans le roc sont actuellement remplis de paille ou de grains, ce qui m’empêche de les examiner; mais je suppose qu’ils ont dû avoir autrefois une destination fu¬ néraire. Cette localité n’est point, il est vrai, mentionnée dans la Bible ; mais elle est signalée dans le Talmud avec un nom iden¬ tique au nom actuel : Les habitants de Beth-Chean, est-il dit dans le Talmud de Bahylone, ainsi que ceux de Haïfa et de Thaba’oun, confondaient dans leur prononciation les deux lettres aïn et aleph; c’est pourquoi on ne pouvait les admettre pour ré¬ citer la prière à liante voix au nom de la communauté L EL-HARTIEII. A six heures vingt minutes, je me remets en marche vers l’ouest, en suivant un sentier qui d’abord monte, puis descend, resserré dans une gorge étroite au milieu de collines boisées. A six heures quarante minutes, je traverse une vallée fertile cul¬ tivée en sésame. A six heures cinquante minutes, je parviens à El-Hartieh. Ce village, assis sur un monticule, se compose d’une quarantaine de maisons grossièrement bâties, et la plupart très délabrées; quel¬ ques-unes sont aux trois quarts renversées. Dans l’autobiographie de Josèphe, après l’attaque inutile tentée par le décurion Æbutius contre Simonias, où se trouvait alors cet historien, nous lisons qu’Æbutius battit en retraite jusqu’à Gaba, séparée de Simonias par un intervalle de 60 stades, et que Josèphe, en le poursuivant, poussa jusqu’à Besara, située à 20 milles de G aba . Pour moi, dit cet écrivain , je le poursuivis immédiatement avec deux mille hoplites, et, parvenu dans le voisinage de la ville de Besara, située sur les frontières du territoire de Ptolémaïs, et éloignée de 90 stades de Gaba, où demeurait Æbutius, je plaçai les hoplites en dehors de celle bourgade, ' Talmud de Rabylone, Meguillnh , 9/1 A. DESCRIPTION DE LA GAULEE. A 00 avec ordre de bien garder toutes les routes, alin que nous ne lussions point inquiétés par l’ennemi, jusqu'à ce que nous eussions emporté le blé qui avait été amassé à Besara de tous les \illages d’alentour par les soins de la reine Bé¬ rénice, et, ayant chargé de ce blé les chameaux et les ânes que j’avais amenés en grand nombre avec moi, je l’envoyai en Galilée L Si je ne me suis point trompé en plaçant Gaba à Cheikh Àbreik, je crois qu’il est permis aussi d’identifier Besara avec El-Hartieh. J’avais été d’abord tenté de fixer Besara au Tell Beidar ou Bedar, dont j’ai parlé dans le précédent chapitre. Ce tell, en effet, est précisément à la distance de U petits kilomètres au nord-est de Cheikh Abreik; il est, en outre, sur l’une des routes qui conduisent de Samounieh à Cheikh Abreik; enfin, le nom qu’il porte offre une certaine ressemblance avec celui de Besara. Mais, d’un autre coté, Tell Beidar est une colline trop peu considérable pour avoir pu servir d’assiette à autre chose qu’à un petit village, et si l’on m’ob¬ jecte que la localité située jadis en cet endroit pouvait alors s’é¬ tendre dans la plaine, je répondrai qu’au pied de ce monticule on ne distingue aucune trace de constructions antiques. Mais la raison principale qui me force à abandonner cette hypothèse, c’est que Tell Beidar s’élève au nord de la plaine d’Esdrelon, tandis que Be¬ sara devait être plus à l’ouest, placée qu’elle était sur la frontière du territoire de Ptolémaïs, c’est-à-dire de la plaine actuelle de Saint-Jean-d’Acre. Or la colline sur le haut de laquelle est le vil¬ lage d’El-Hartieh est siluée précisément entre la plaine de Ptolémaïs au sud-est et celle d’Esdrelon au nord-ouest. Ce village est, à la vérité, bien misérable aujourd’hui et d’une étendue bien res¬ treinte; mais les aires qui le précèdent vers l’est semblent avoir été jadis occupées par des habitations. D’ailleurs, dans le même passage où Josèphe désigne Besara sous le nom de ■zsoXis, cc ville n ; il l’appelle pareillement xojp;, cr village -n : Ka/ trr ept B Yiaapàv 'zzo'kiv yevoptevos èv psOopiois t ris IIt oleuodSos xsipé- vy)v . . . , cri y cas rov ? ônXhaç e^codsv rr/s . . . 2. 1 I ic de Josèphe , S 2 h. — ’ Vie de Josèphe, § 2 h. CHAPITRE XXXV. — YADJOUR. .401 Quant à l’intervalle compris entre Cheikh Abreik et El-Hartieh, il est, en ligne directe, de ô kilomètres 1/2 ou d’environ 2 5 stades, distance qui dépasse de 5 stades celle qui est indiquée par Josèphe comme séparant Besara de Gaba. Aussi, je ne propose cette identification qu’avec une certaine ré¬ serve et dans l’impossibilité où je suis de trouver, sur les frontières de la plaine de Saint-Jean-d’Acre, une position qui convienne mieux à celle de Besara. TELL EL-HERBADJEH. A sept heures, je descends vers le nord-ouest de la colline d’El- Hartieh, et je chemine dans une riche vallée qui forme le prolon¬ gement sud-est de la grande plaine d’Esdrelon. A ma droite, sont des collines boisées; à ma gauche, serpente le Nalir el-Moukattha\ le Cison des Livres saints, et au delà de ce petit fleuve s’étend la longue chaîne du Carmel. C’est par le lit du Cison, en hébreu Naltal-Kichon, p£pp en grec \sip.(xppovs liicrwv, K icrcrwv et Ke*- t jwv , en latin Cison, que s’écoulent à l’ouest dans la mer, un peu au nord de Kaïpha, les eaux de la plaine d’Esdrelon et celles de plusieurs sources qui jaillissent au pied du Carmel. A six heures quarante-deux minutes, je fais halte quelques ins¬ tants au Tell el-Herbadjeh. Peu élevé, il est environné des restes d’une enceinte au dedans de laquelle une trentaine de maisons, à moitié renversées, sont encore habitées. Au centre, on remarque un grand puits, en partie comblé. Autour de cette colline, le sol est marécageux et les sources abondent. YADJOUR. A sept heures, je me remets en marche vers l’ouest. A sept heures quinze minutes, je franchis, sur un petit pont nouvellement construit, le Nalir el-Moukatthah Ma direction est alors celle du nord-ouest, et, côtoyant d’assez près d’abord, sur sa 26 1. im DESCRIPTION DE LA GALILÉE. rive gauche, les méandres de ce célèbre cours d’eau, j’atteins, à sept heures quarante minutes, Yadjour. C’est un petit village adossé aux dernières pentes du Carmel. 11 contient 200 habitants. Plusieurs maisons y ont été récemment rebâties, ce qui annonce une aisance relative dans cette localité. Des plantations d’oliviers et de figuiers l’environnent. Quand 011 y creuse des puits, l’eau se trouve à une faible profondeur; elle pro¬ vient sans doute des infiltrations souterraines du Nahr el-Mou- katlhak S BEL\D ECH-CHEIKII. r A sept heures cinquante-cinq minutes, je poursuis ma route vers le nord-ouest. À huit heures quinze minutes, je parviens à Bclad ech-Cheikh. Ce village, de 5oo âmes environ , s’élève, comme le précédent, mais à une hauteur plus grande, sur les flancs inférieurs du Carmel. Les maisons sont construites par étages successifs, les unes au- dessus des autres; elles sont presque toutes surmontées chacune d’une cabane faite avec des branches cl’arbres et des roseaux entre¬ lacés. C’est là que, pendant l’été, les habitants passent la nuit pour avoir moins chaud. Au bas du village sont cultivés des jardins entourés de cactus et plantés cl’oliviers, de grenadiers et de figuiers, que dominent les liges élégantes de plusieurs palmiers. aTn es-saGden. A huit heures cinquante minutes, je traverse, au sortir de Belad ech-Cheikh, de belles plantations d’oliviers. A neuf heures quinze minutes, une source très abondante, près de la route, m’est désignée sous le nom de ATn es-Sa’adeh; elle forme immédiatement avec d’autres sources voisines, en jaillissant au pied du Carmel, un ruisseau large et profond, bordé de roseaux, de tamariscs et de genévriers, qui va se jeter un peu plus à l’ouest CHAPITRE XXXV. — IIEIFA. 403 dans le Nahr el-Moukattha’, dont il augmente de beaucoup les eaux. Plus loin, vers le nord-ouest, les beaux jardins de Kaïpha com¬ mencent à se montrer. Les oliviers, les figuiers, les amandiers, les grenadiers, y abondent. On y remarque aussi de nombreux palmiers. IIEIFA ( HEP II A OU KAÏPHA). A dix heures, je laisse à ma gauche, sur les lianes d’une colline, plusieurs anciens tombeaux pratiques dans le roc et ayant ren¬ fermé chacun, sous trois arcosolia cintrés, des auges sépulcrales, actuellement mutilées ou complètement rasées , et bientôt après j’arrive à Hcifa , l’antique Hepha , la Kaïpha des Occidentaux. Comme j’ai déjà donné des détails suffisants sur cette ville dans mon ouvrage sur la Samarie, il est inutile d’y revenir ici. Je me borne¬ rai à ajouter aujourd’hui que, depuis mon dernier voyage, en 1870, elle s’est un peu agrandie. Les Latins ont rebâti sur un plan plus vaste leur église, qui était trop petite. A cette paroisse sont atta¬ chés, pour la desservir, deux religieux carmes, qui habitent dans un couvent attenant. La maison des Dames de Nazareth a vu s’accroître également le nombre des élèves qui la fréquentent. Elle compte actuellement 200 jeunes fdles, toutes externes, parmi lesquelles 175 sont catho¬ liques, 20 grecques schismatiques et 5 musulmanes. L’instruction qui leur est donnée est essentiellement gratuite; elle est de plus, et avec beaucoup de raison, très élémentaire. Les religieuses qui les dirigent s’attachent avant tout à les préparer à devenir un jour de bonnes et vertueuses mères de famille, sans chercher à déve¬ lopper leur esprit par des connaissances variées qui les mettraient trop au-dessus de la position de leurs parents et de leurs futurs maris. De cette manière, elles évitent de leur créer des prétentions et des besoins qui, ne pouvant pas être satisfaits, seraient plus lard pour elles la source de tristes désenchantements. Ces mêmes religieuses réunissent en outre dans leur établissement, nue lois par 21). DESCRIPTION DE LA GALILEE. A 04 semaine, toutes leurs anciennes élèves, tant celles qui ne sont point encore mariées que celles qui sont déjà devenues mères; elles les partagent naturellement en deux confréries distinctes, qu’elles con¬ voquent séparément, et elles s’efforcent d’entretenir au fond de leurs cœurs les sentiments chrétiens qu elles ont tâché de leur ins¬ pirer dans leur enfance. A cette maison est attaché un dispensaire, où, soir et matin, de nombreux malades, appartenant à toutes les religions, viennent demander des remèdes, des soins ou des conseils, qui leur sont prodigués gratuitement. La supérieure actuelle est Mme de Vaux, femme d’une intelligence singulière et d’un dévouement égal à l’éminence de son esprit. Après avoir été longtemps à la tête de son ordre, auquel elle a rendu des services signalés , soit en France, soit en Orient, elle administre maintenant cet humble établisse¬ ment de Kaïpha, qui, depuis seize ans qu’il est fondé, a si bien mérité de cette ville. Six religieuses, la plupart jeunes encore, ont déjà payé de leur vie les fatigues auxquelles elles s’étaient livrées, et leur dépouille mortelle repose dans le jardin de la maison, à l’ombre de vieux tamariscs , près desquels leurs compagnes viennent souvent s’agenouiller et prier, prêtes elles-mêmes à mourir, s’il le faut, à la fleur de l’âge, victimes du même dévouement. La colonie allemande qui a été transplantée à Kaïpha, il y a quelques années, a d’abord été très éprouvée par la maladie; maintenant la mortalité est à peu près la même parmi ceux qui la composent que parmi les indigènes. Elle compte 800 Wurtember- geois. Le quartier qu’ils habitent, à l’ouest et en dehors de la ville, se couvre peu à peu de maisons élégamment bâties et appropriées avec soin aux exigences du climat. Indépendamment des matériaux trouvés sur place au milieu des ruines de Heipha el-Atika ou de l’ancienne Kaïpha, ils ont ouvert sur les flancs du mont Carmel une belle carrière, dont les pierres, d’une éclatante blancheur, peuvent se tailler facilement et durcissent à l’air. Charpie maison est en¬ vironnée d’un petit jardin. Je n’ai point remarqué de chapelle s’éle¬ vant au-dessus de ces habitations, et, d’après les renseignements CHAPITRE XXXV. HE IFA. 405 que j’ai pris, ces Wurtembergeois i ion L pas réellement de culte public. Leur religion est assez vague et flottante, et ils sont divisés en plusieurs sectes. On ne peut nier les progrès matériels qu’ils ont amenés avec eux dans le pays. C’est ainsi qu’ils ont pratiqué une route carrossable entre Kaïpha et Nazareth, et jeté un pont sur le TNahr el-Moukattba’. D’un autre côté, l’influence prussienne et protestante s’étend par eux dans cette partie de la Palestine. Aussi serait-il fort à désirer que des colonies latines et catholiques vinssent y propager une influence à la lois morale et politique opposée. La Palestine, en elfet, ne pourra jamais se relever de l’abaissement profond dans lequel elle est plongée au moyen du seul élément indi¬ gène. Très peu peuplée et très mal administrée, elle a besoin d’un élément étranger considérable, réparti sur différents points de son territoire, pour tirer de son sol, qui peut se prêter aux cultures les plus variées, les richesses dont il est toujours susceptible. Cette con¬ trée, jadis si fertile, et qui l’est encore partout où elle est tant soit peu cultivée, changerait, avec le temps, en un aspect riant et plein de vie l’air triste et désolé qu’elle présente, hélas! trop souvent aujourd’hui, si des colonies chrétiennes bien dirigées venaient s’y établir dans les endroits les plus salubres, et savaient y faire re¬ fleurir, avec son antique fécondité, sa beauté première. Comme la France, à l’époque des Croisades, y a fondé un puissant Etat, et <{ue, depuis la chute de ce royaume, elle n’a jamais cessé, à aucune époque de son histoire, d’y patronner les intérêts des populations catholiques qui l’habitent encore; comme, depuis quelques années notamment, elle y a créé et y entretient de nombreux établisse¬ ments de charité ou d’éducation, qui y répandent de tous côtés nos bienfaits et l’amour de notre nation , c’est à elle qu’est dévolue., {dus qu’à, aucun autre Etat catholique, la mission d’introduire elle aussi en Palestine et d’y asseoir sur des bases solides des colo¬ nies latines, qui s’y trouveront beaucoup moins dépaysées que par¬ tout ailleurs. La Palestine, en efl’et, est pleine des souvenirs de nos aïeux. On ne peut y faire un pas sans y rencontrer, à côté des plus augustes 406 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. sanctuaires, les vestiges des églises, des couvents et des forteresses de nos pères! Que dis-je? la Palestine est. parsemée encore de nos hôpitaux, de nos dispensaires et de nos écoles, et nos colons, en y débarquant, seront accueillis comme des frères. L’important, c’est qu’ils arrivent pénétrés de ce sentiment que, pour s’associer à la politique séculaire et traditionnelle de la France en Orient, et principalement dans la Terre sainte, ils doivent arborer franche¬ ment et hautement avec leur drapeau celui de la religion catho¬ lique, dont leurs pères ont été autrefois les zélés défenseurs. Si une trentaine seulement de colonies françaises ou, tout au moins, latines, composées d’honnêtes et laborieux agriculteurs, avec leur paroisse et leur école, étaient judicieusement disséminées en Pales¬ tine, comme autant de jalons, de manière à pouvoir tout à la fois embrasser une plus grande étendue de pays et se prêter, cependant, un mutuel appui, il en résulterait, pour cette contrée, qui semble depuis longtemps maudite du ciel et livrée en proie à la barbarie, des avantages incalculables. Les ressources naturelles de son sol et des climats variés qu’elle possède, grâce à sa configuration intérieure, reparaîtraient peu à peu au grand jour, et le bon exemple de l’activité et de l’industrie européennes y secouerait sans doute, par une heureuse contagion, l’apathie et l’indolence des indigènes. En même temps le catholi¬ cisme, qui, avant l’invasion musulmane, y était très florissant, qui, à l’époque des Croisades, s’y répandit de nouveau de tous côtés, y serait moins restreint qu’il ne l’est maintenant, professé publi¬ quement qu’il serait dans ces trente villages latins, devenus autant de centres et de foyers d’où il rayonnerait alentour. La Russie y augmente de plus en plus scs possessions et le domaine du schisme. Chaque année, elle y envoie des milliers de pèlerins, qui y pro¬ pagent son influence. L’Angleterre, de son côté, et la Prusse y prennent pied chaque jour davantage, et sous leur puissant patro¬ nage l’hérésie s’y développe par des progrès incessants. À la France donc incombe le devoir, si elle ne veut point abdiquer entièrement la gloire de son passé et son litre de tille aînée de l’Église, non seule- CHAPITRE XXXV. — HEIFA. 407 ment de soutenir, en Palestine, tous les établissements catholiques qu’elle y a fondés, et dans lesquels les vertus et le dévouement de ses missionnaires et de ses religieuses honorent singulièrement son nom, mais encore d’en créer de nouveaux, et d’y faire pour l’ex¬ tension de la vérité ce que d’autres nations y font pour le dévelop¬ pement de l’erreur. Qu’elle sache bien qu’en agissant ainsi, et en servant les intérêts du ciel, elle servira les siens propres, qui, en Orient plus qu’ailleurs, et surtout en Palestine et en Syrie, sont intimement liés à ceux du catholicisme. Les écrivains et les publi¬ cistes qui lui tiennent un autre langage font preuve d’une grande ignorance de son histoire et des contrées dont je parle en ce mo¬ ment. Telles étaient les pensées qui me traversaient l’esprit à Kaïpha, pendant que j’examinais le quartier qu’y occupent les colons prus¬ siens. Le lendemain de mon arrivée dans cette petite ville, je me pré¬ parais à la quitter, lorsque j’y fus atteint soudain, à la suite d’une très forte insolation, d’un accès de fièvre tellement violent que je crus un instant qu’il allait mettre un terme à ma mission et à ma vie, et que le cimetière de Kaïpha serait ma dernière demeure, si loin de ma famille et de mon pays. Mais bientôt, grâce aux soins intelligents du bon frère Placide, médecin du Mont-Carmel, je pus, à force de quinine, triompher du mal qui me torturait. La chaleur était alors excessive. Après quelques jours d’un traitement énergique, je fus en état de remonter à cheval, et je n’eus qu’à remercier la Providence, qui ne m’avait retiré un moment la santé et les forces que pour me les rendre presque aussitôt. 408 DESCRIPTION DE LA GALILEE CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. B1R DJEDROU. - KEFR ET-TA. - KI1ARBET CHERTA. - KHARBET CIIERATA. CIIEFA A MER (cHEFARAM). BIR DJEÜROLI. Le 1er août, à cinq heures trente minutes du matin, je quitte Kaïplia, en me dirigeant vers l’est, puis vers le nord-est. Chemin faisant, j’aperçois le long de la plage, à moitié ensevelis clans le sable, de nombreux débris de bâtiments naufragés. Une violente tempête a, en effet, poussé et fait échouer sur cette côte, il y a quelques mois, une dizaine de navires à voiles de différentes gran¬ deurs. A six heures cinq minutes , je longe à ma droite le Nahr el- Moukattha’ ou le Cison, qui court, l’espace de 5oo mètres environ, parallèlement au rivage, avant de se jeter dans la baie. A six heures dix minutes, je franchis à gué ce petit fleuve, mon cheval ayant de l’eau jusqu’au haut du poitrail. A six heures vingt-cinq minutes, ma direction devient celle de l’est, à travers des dunes sablonneuses dont la blancheur éclatante semble étinceler sous les rayons du soleil et éblouit les regards. On n’y avance qu’avec peine, tant elles sont profondes et mobiles, et paraissent se dérober sous les pieds de ceux qui les parcourent. A six heures trente minutes, je descends de la zone onduleuse occupée par ces dunes dans une plaine couverte de joncs, et qui doit être très marécageuse en hiver. A sept heures dix minutes, je rencontre un campement de liliaouarneh ; ils habitent sous des huttes de roseaux. De nombreux troupeaux de bullles errent alentour. CHAPITRE XXXVI. — KHARBET CH ER ATA. 409 A sept heures quinze minutes, j’arrive à BirDjedrou. Ce village, relevé depuis peu de ses ruines, est alimenté d’eau par un puits où l’on descend par quelques marches , et que recouvre une petite construction carrée surmontée d’une coupole. Les pierres qui ont servi à cette bâtisse paraissent antiques. KEFR ET-TA. A sept heures vingt-cinq minutes, je me remets en marche vers le sud-sud-est. A sept heures quarante-cinq minutes, je parviens à Kefr et-Ta. Ce village compte une cinquantaine de maisons, bâties en pisé ou avec de menus matériaux : elles sont presque toutes de date assez récente. Un puits beaucoup plus ancien est situé au bas du monti¬ cule qu’occupe le village. Il est muni d’une manivelle , qu’un homme assis met en mouvement avec le pied, et qui sert à faire monter Peau. KHARBET CHERTA. A huit heures, je chemine vers le nord-est sur des pentes douces parsemées de petits chênes à l’état de broussailles. A huit heures vingt minutes, les vestiges d’un ancien village renversé de fond en comble sur une colline hérissée de ronces me sont désignés sous le nom de Kharbet Cherta. Plusieurs puits pratiqués dans le roc sont encore visibles çà et là. KHARBET CIIERATA. A huit heures trente minutes, je redescends vers le sud-sud-est, pour faire, bientôt après, l’ascension d’une colline voisine, dont le sommet et les pentes sont jonchés également de menus matériaux provenant d’habitations démolies, et au milieu desquels on remarque un certain nombre de citernes et de caveaux creusés dans le roc. Mon guide donne à cette ancienne localité la dénomination de 410 DESCRIPTION DE LA GALILEE. Kharbet Cherata, qui est, comme on le voit, presque identique à la précédente. CU EF A A Au El! (ciIEFARAM ). A neuf heures, je me remets en route vers l’est, et, à neuf heures quarante minutes, je fais halte à Chefa A’mer. Cette grosse bourgade, située sur les lianes et le plateau d’une haute colline, compte 9,5 oo habitants, (pii se décomposent ainsi : 706 Grecs unis, fioo Musulmans, 3oo Druses, 80 Juifs et quelques protestants. Le quartier des Druses et des Musulmans occupe toute la partie occidentale de la colline. 11 est dominé par un vaste château, bâti en 1761 par Dhaher el-A’mer, pacha de Saint-Jean-d’Acre. Au rez-de-chaussée de cette construction imposante régnent d’im¬ menses galeries voûtées, où cinq cents chevaux pouvaient trouver place. Au premier étage sont disposés, autour d’une grande cour centrale, des salons, des divans, des chambres diverses. Aujour¬ d’hui, sauf quelques pièces qui sont habitées par le gouverneur actuel de Chefa A’mer, il est abandonné et tombe en ruine. De ses superbes terrasses, défendues par des créneaux, 011 jouit d’une vue très étendue. On distingue de là une grande partie de la basse Galilée, toute la chaîne du Carmel, Kaïpha, Saint-Jean- d’Acre, et une foule de villages, de montagnes et de collines. Tout porte à croire que cette position remarquable aura fait donner jadis à Chefa A’mer le nom de Cliefaram, Dincty, cela hauteur d’où l’on voit-». Indépendamment de ce château , Dhaher el-A’mer avait fait construire, sur le sommet d’une colline qui avoisine au sud la bourgade, dont elle est séparée par une vallée, une tour à deux étages, maintenant dépouillée de son parement extérieur, et connue sous le nom de Bordj er-Ras. Une seconde tour, presque complètement démolie en ce moment, avait été élevée par lui sur une autre colline, à l’est de Chefa A’mer, qui était ainsi protégée de trois cotés, et ce célèbre pacha s’était CHAPITRE XXXVI. — CI1EFA À’ ME H. 411 de la sorle créé, dans son château fort, un refuge à l’abri de toute surprise. Les Dames de Nazareth possèdent, à l’extrémité orientale de cette bourgade, un établissement qui, comme ceux de Nazareth et de Kaïpha, a produit en cet endroit, depuis qu’il existe, des fruits excellents. Fondé en 1866, il se compose de cinq religieuses, dont deux soeurs, sous la direction du IL P. Félix, religieux carme plein de zèle et de dévouement. Elles réunissent chaque jour dans leur école 170 petites filles, divisées en deux classes. En outre, tous les dimanches, leur couvent est, pendant deux heures, le rendez-vous de deux congrégations : l’une, de femmes mariées et déjà mères, au nombre de i4o; l’autre, de jeunes femmes non encore devenues mères et de jeunes filles avant leur mariage, atteignant le chiffre de 2 5o. Ces deux congrégations, qui comprennent la plupart des femmes ou des jeunes filles catholiques de Chefa Ahner, entre¬ tiennent au milieu d’elles une singulière émulation de vertu et de bonne conduite. Aussi est-il impossible de 11’être point frappé de l’air de candeur qui brille sur leurs traits et de la décence de leur maintien. Un pareil résultat fait le plus grand honneur aux dignes religieuses qui veillent sur elles et au vénérable aumônier dont j’ai parlé. Je 11e dois point oublier de dire non plus que, deux fois par jour, tous les malades de l’endroit et même des villages voisins vont dans le dispensaire de cet établissement chercher des médica¬ ments, des avis ou des pansements, qui sont toujours gratuits, et 11e sont refusés à personne, quelle que soit la religion de celui qui les sollicite. La chapelle de la maison est une ancienne église dont j’avais vu les ruines autrefois, et que les Grecs m’avaient désignée sous le vocable de Hagios Phocas ou de Saint-Phocas, ce qui semblerait indiquer quelle était antérieure à l’époque des Croisades. Néan¬ moins, elle a du être réparée alors par les Latins. D’une seule net et terminée à l’est, par conséquent, par une seule abside, elle était éclairée, à droite et à gauche, par trois fenêtres ogivales très DESCRIPTION DE LA GALILEE. A 12 lait jadis de monter sur la terrasse de cet édifice. La longueur actuelle de la chapelle est moindre que celle qu’avait l’église, et elle n’a plus que deux fenêtres de chaque coté. Cette diminution est regrettable, la largeur étant restée la même; mais les religieuses y ont été contraintes, faute d espace suffisant pour le reste de leur établissement. Elles m’ont appris qu’en fouillant le sol de cette église avant de le daller, elles avaient trouvé un grand nombre de petits cubes de mosaïque appartenant au pavage primitif, et sous ces cubes une dizaine de fosses sépulcrales taillées dans le roc et la plupart violées; quelques-unes néanmoins renfermaient encore des ossements. Dans leur jardin, elles ont également découvert deux beaux caveaux funéraires pratiqués dans le roc, où l’on descendait par plusieurs degrés, et qui renfermaient chacun trois auges sépul¬ crales sous autant d’arcosolia cintrés. L’un est actuellement bouché, et l’autre transformé en citerne. Une école pour les garçons a été pareillement établie par le Père Félix, dans la maison qu’il habite, près des sœurs. C’est là qu’avec l’aide d’un maître laïque, il apprend les premiers élé¬ ments des connaissances humaines, et surtout le catéchisme, à 85 enfants. La paroisse grecque-unie n’otfre rien de remarquable; elle date seulement de cent cinquante ans. Le baptistère a été creusé dans le chapiteau d’une grosse colonne antique. Elle est desservie par deux religieux grecs de l’ordre de Saint-Basile. Le cimetière des chrétiens occupe une partie de l’emplacement d’un cimetière antique, dont il subsiste encore plusieurs caveaux Itinéraires, avec escalier, auges sépulcrales et arcosolia cintrés. En descendant du village vers le sud, on rencontre, sur une plate-forme aujourd’hui en partie cultivée, les vestiges d’un édifice qui mesurait 35 pas de long de l’ouest à l’est, sur 122 pas de large du nord au sud. Quelques assises en pierres de taille reposant sans ciment les unes sur les autres, et appartenant à deux des murs qui délimitaient son enceinte, sont encore debout. Bouleversé de fond en comble, cet édifice semble avoir été divisé en trois nefs, CHAPITRE XXXVI. — CHEFA A’MER. 413 que séparaient des colonnes monolithes, dont on ne remarque plus en cet endroit que deux tronçons mutilés; mais d’autres fûts ana¬ logues, plus ou moins brisés, ont été enlevés de là et transportés ailleurs. De même que l’église de Saint- Phocas, il était pavé en mosaïque, carde nombreux petits cubes de mosaïque y jonchent encore le sol. C’était jadis, selon toute apparence, la principale église de la bourgade; elle avait pu succéder elle-même à une synagogue antique. En continuant à descendre vers le sud à travers des jardins plantés de figuiers, de grenadiers et d’oliviers, on observe plusieurs anciennes citernes creusées dans le roc. Il y a quelques années, un cultivateur avait, en labourant son verger, découvert un ré¬ servoir construit en belles pierres de taille; mais il Ta recomblé depuis. Si, après avoir franchi la petite vallée qui s’étend au bas de cette descente, on gravit les flancs septentrionaux de la colline qui fait face à celle de Chefa ATner, et que couronnent les ruines de la tour dite Bordj er-Ras, on s’aperçoit aussitôt que ces flancs sont perforés sur beaucoup de points de grottes sépulcrales. Quel¬ ques-unes sont très mutilées; d’autres sont devenues des citernes. On y descend par plusieurs degrés, et elles renferment d’ordinaire trois auges sépulcrales, surmontées chacune d’un arcosolium cintré. Au-dessus de l’entrée de l’une de ces grottes a été sculptée une croix à branches égales, environnée d’un cercle en guise de cou¬ ronne, et placée entre deux colombes. Une autre de ces grottes est beaucoup plus ornée encore. Le vestibule et la chambre funéraire sont entièrement décorés de nombreuses sculptures figurant des rosaces, des grappes de raisin, un vase à parfums, des oiseaux se jouant au milieu de fleurs variées, un lion bondissant par-dessus, emblème sans doute de la vie, dont les joies et tous les biens sont foulés aux pieds par le lion de la mort. Une croix grecque cflacée semble dater ce beau tombeau des premiers siècles de l’Église. 11 contient trois auges sépulcrales intactes, mais dont les couvercles ont disparu. J’ajouterai qu’à droite de l’entrée on distingue, dans une espèce de petit cadre, quelques caractères grecs aujourdhui 414 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. peu lisil)les. A gauche, lin petit cadre correspondant renferme d’autres caractères analogues, également très dégradés. Dans l’antiquité, la ville à laquelle a succédé Chefa A’ mer n’est mentionnée ni par la Bible, ni par Josèphe. Dans le Talmud de Babylone, elle est désignée sous le nom de Chefarnm, \ nom identique, sauf une simple transposition de lettre, avec celui de Chefa A Tner. C’est là que le sanhédrin vint tenir ses séances, après avoir quitté Oucba. On sait que ce grand conseil de la nation juive se retira successivement de Jérusalem à Yabneb, à Oucba, à Chcfaram, à Betb-Chearim , et enfin à Tibériade. A l’époque des Croisades, Chefa AAner s’appelait Saphran ou le Safran, mot corrompu de Chefaram, devenu Sefaran, puis Saphran ou le Saf ran. Nous lisons dans un pèlerin du xive siècle : Via vero que ducit de Accon Nazareth est Saphran castrum, ex quo nati dicuntur Jacobus et Johannes, fdii Zehedei 2. 1 Talmud de Babylone, Rosch haschnnah, 5i. Sanclœ , c. i. Philippus, Descriplio Terrœ CHAPITRE XXXVII. — KHARBET HOUCHEH. 415 CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME. KHARBET HOUCHEH (oUCIIa). - MEDJDEL. - KHARBET Sa’saA - RAS EL-aAn. - RETOUR À CIIEFA-a’mER. KHARBET HOUCHEH (OUCIIa). Le 2 août, à cinq heures quinze minutes du matin, je descends de la hauteur de Chefa AAner dans la direction du sud. A cinq heures vingt-cinq minutes, je gravis vers le sud-ouest des collines couvertes de chênes et de lentisques, auxquelles suc¬ cèdent de fertiles vallées, puis d’autres collines. A six heures, je parviens au Kharbet Houcheh. Les ruines connues sous ce nom sont éparses sur les pentes et sur le plateau supérieur d’un monticule du haut duquel le regard embrasse toute la plaine de Saint-J ean-d’Acre. Cette ancienne bourgade est sans doute détruite depuis longtemps, car sur Remplacement quelle occupait croissent des grenadiers, des figuiers et des térébinthes. Le sol est partout jonché de menus matériaux, auxquels sont mêlées quelques pierres de taille. Les restes d’un édifice considérable attirent surtout l’attention; il est lui aussi complètement démoli, mais les beaux blocs qui gisent à terre à l’endroit où il s’élevait, et un chapiteau mutilé, prouvent qu’il avait été bâti avec soin et qu’il était orné intérieurement de colonnes. C’était peut-être une synagogue, car le Kharbet Houcheh est très probablement l’ancienne Oucha, nîtïn, souvent citée dans le Talmud avec Chefaram, dont elle était très voisine. Peu avant la chute de Bettar, le sanhédrin quitta Yabneh pour aller s’y établir1. Midrascli, S du r ha-Schirim, u, 5. 1 416 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. On dut donc construire alors une synagogue à Ouclia, si déjà cette localité n’en possédait point une. Non loin des débris de cet édifice, on remarque dans une vallée, à l’ouest, un puits circulaire assez bien bâti avec des pierres de moyenne dimension, et auquel est attenant un réservoir muni d’auges. Enfin, à quelques centaines de pas au sud, on aperçoit, sur une colline voisine couverte de beaux chênes et de broussailles, une voûte cintrée construite avec des pierres de taille d’apparence antique, et au fond de laquelle a été pratiquée une petite niche en guise de mihrab. Des lambeaux de vêtements flottent au-dessus de cet oualy, comme des espèces d 'ex-voto. Il est consacré à Neby Houchan, le tr prophète Hosée». La tradition musulmane place, en effet, en cet endroit le tombeau de ce prophète, qui commença à prédire les malheurs d’Israël huit cents ans environ avant Jésus- Christ. Mais, d’après une autre tradition que nous ont transmise quelques rabbins juifs , ce serait à Safed qu’il aurait été enterré1. 3IF.DJDEL. A sept heures, je me remets en marche vers le sud-ouest. A sept heures quarante minutes, je fais halte un instant à Medj- del. Une ceinture de cactus entoure ce village sur la colline rocheuse où il est situé. Sa population est de âoo habitants. Je remarque, à la porte d’une mosquée à moitié détruite, deux tronçons de colonnes et deux chapiteaux qui me paraissent byzantins. Au bas du village, un puits, probablement antique, l’alimente d’eau. Ce nom de Medjdel fait penser que cette localité s’appelait jadis Migdal ou Migdol, et qu’elle était peut-être fortifiée, le mot Mig- dal signifiant retour» en hébreu. Celle-ci n’est, du reste, mention¬ née nulle part dans la Bible, les autres villes ainsi désignées appar¬ tenant à d autres districts de la Palestine. Cnrmoly, Itinéraires de la Tore s. tinte, p. 38 1 el h h 7 . I CHAPITRE XXXVII. — RAS EL-A’IN. KHARBET vvVvV A huit heures, je redescends de Medjdel, dans la direction du sud-est. À huit heures dix-neuf minutes, je franchis 1 Oued el-VIalek. dont le lit, bordé d'agnus-castus, est à sec à l'endroit où je le tra¬ verse, et, immédiatement après, je gravis une colline hérissée de broussailles et de rochers, sur le sommet de laquelle on voit les ruines d'un petit village, appelé Kharbet Sa'sak II n'en subsiste plus que des citernes et des caveaux pratiqués dans le roc. De magni¬ fiques térébinthes et de vieux chênes ont pris racine au milieu de ses débris solitaires. RAS EL-CÏN. A huit heures quarante-cinq minutes, redescendu, vers le nord, de la hauteur de Sa’saJ, je chemine vers l'est-sud-est dans une fer¬ tile vallée, cultivée en doura et en sésame, et où serpente l’Oued el- Maîek. Lu petit canal latéral longe cet oued à un niveau supérieur, et met en mouvement deux moulins, auprès desquels croissent de gigantesques figuiers et des bosquets de grenadiers. À neuf Iieures quarante minutes, j’atteins la belle source qui alimente à la fois et cet oued et ce canal; elle est connue sous le nom de Ras el-A’in, cria tète de la source-. Les eaux de cette source abondante ont été emmagasinées, il y a une cinquante d'années, parle H. P. Jean-Baptiste de Frascati, dans un grand bassin carré. Par ce moyen, il a pu en augmenter de beaucoup le volume et les élever plus haut. Réparant en même temps le petit canal qui cotoie Y oued et les deux moulins dont j’ai parlé, il a de la sorte, par son industrie personnelle, amassé quelques ressources, à laide desquelles il a jeté les premiers fondements du couvent du Mont- Carmel, alors renversé de fond en comble, et qu il eut la gloire de relever de ses ruines, grâce aux dons de la chrétienté. Ln fourré de roseaux a envahi une partie de ce bassin, et d’in- 27 1. DES CIU P TI ON DE LA GALILÉE. 418 nombrables petits poissons semblent s’y jouer avec délices. L’eau est fraîche, limpide et transparente comme du cristal. Plusieurs tentes de Bédouins sont dressées en ce moment alentour, et leurs troupeaux errent le long des rives de l’Oued el-Malek, cherchant souvent dans son lit un refuge contre la chaleur dévorante du jour. RETOUR À C1IEFA ANiER. A dix heures vingt-cinq minutes, je m’éloigne à regret de cette source, et je traverse vers le nord une suite de collines rocheuses, jadis exploitées comme carrières, et couvertes de chênes. Un grand nombre de ces arbres ont actuellement disparu, soit coupés par la hache du bûcheron, soit dévorés par des incendies. Les Arabes, en effet, ont la funeste habitude, avant de mettre en culture des terrains hérissés de broussailles, d’incendier ces fourrés, et le feu, poussé par le vent et se communiquant de proche en proche , dévore quelquefois des forêts séculaires d’une grande valeur, comme j’en ai été souvent témoin en Palestine. A onze heures, je parviens sur le plateau d’une colline appelée Djebel Kharouba. De là on jouit d’une vue très étendue sur la mer et sur la plaine de Saint-Jean-d’Acre, que l’on domine d’une hau¬ teur de 200 mètres. C’est là que Saladin se retira quelque temps avec son armée pendant le fameux siège de cette ville par Philippe- Auguste et Richard Cœur-de-Lion, lorsque les pluies d’hiver détrempaient profondément le sol de la plaine et y rendaient dilli- ciles l’assiette d’un camp et surtout les opérations militaires. A onze heures quarante minutes, je suis de retour à Cliefa A’mer. CHAPITRE XXXVIII. — KHARBET SOFTA A’DY. AIR CHANT R E T R E N T E - 1 ï U ï ï I È M E . KHARBET SOFTA a’dY. - a’bILLIN (zABULOn). - TAMRA. - KABOUL (KABOUL). - DAMOUN. KHARBET SOFTA A^DY. Le 3 août, à cinq heures quinze minutes du matin, je descends vers le nord-ouest les pentes de la hauteur de Chefa ATner, en suivant un sentier pratiqué dans un roc tendre et blanchâtre. A cinq heures vingt-cinq minutes, parvenu au bas de la colline, je chemine quelque temps entre des jardins plantés de figuiers, d’oliviers et de grenadiers, et à cinq heures trente-huit minutes, j’arrive à un puits profond, qu’assiègent déjà, avec leurs grandes urnes à la main, de nombreuses femmes ou jeunes filles de Chefa ATner, pour y puiser de l’eau. De beaux oliviers séculaires bordent la route où je continue à marcher. A six heures , après avoir franchi deux collines couvertes de lentisques, j’examine un instant des ruines éparses sur le sommet et sur les pentes d’une troisième colline, et que l’on me désigne sous le nom de Kharbet Sofia AVly. Ce sont des amas confus de matériaux provenant d’habitations renversées, et qui sont mainte¬ nant en partie cachés par des broussailles et de hautes herbes épi¬ neuses. Sur le point culminant et central du monticule, on remarque de gros cubes de mosaïque gisants par terre, ce qui prouve qu’au- t relois existait en cet endroit un édifice de quelque importance, aujourd’hui complètement rasé. Au bas de la colline, vers le nord-est, un puits avec réservoir et auges alentour fournissait jadis de l’eau à ce village. Actuellement, DESCRIPTION DE LA GALILEE A 20 les femmes de Chefa Amer vont parfois en chercher jusque-là, quand la source de leur propre puits commence à tarir. a’billin (zabulon). A six heures vingt minutes, je traverse vers l’est une vallée cultivée en sésame, puis une colline hérissée de lentisques, et au delà de cette colline une riche vallée plantée de vieux oliviers. A six heures quarante-cinq minutes, je gravis les pentes rocheuses de la hauteur d’A’billin. Le village de ce nom est entouré d’une enceinte flanquée de tours, aujourd’hui à moitié détruite, et que l’on attribue au fameux cheikh Dhaher. Une mosquée, également en partie détruite, date de la même époque. Elle était accompagnée d’un minaret encore debout, du haut duquel la vue est très étendue. Les habitants sont au nombre de Goo , tant Musulmans que Grecs unis et Grecs schismatiques. Ceux-ci possèdent une petite église, consacrée à Mar Dj iris ou saint Georges, où l’on m’a montré quelques tableaux qui sont un don cle la Russie. La chapelle catholique n’offre rien qui mérite d’être signalé. La ville antique à laquelle a succédé le village d’A’billin occupait un espace plus considérable que celui dans lequel s’est ensuite resserré ce village. Il n’en subsiste plus que des arasements indistincts, quelques fûts mutilés de colonnes appartenant à un édifice entièrement détruit, des citernes, des caveaux et des tombeaux creusés dans le roc sur les lianes de la colline, et au bas un puits qui sert encore aux besoins des habi¬ tants. A’billin a probablement remplacé la ville de Zabulon, place forte de la Galilée dont Josèphe vante la beauté, et qui fut détruite par Cestius. Cestius, ayant pris avec lui une partie de ses troupes, s’avança contre une ville forte de la Galilée, appelée Zabulon, surnommée ville des guerriers, et qui sépare Ptolémaïs du territoire des Gentils. Il la trouva abandonnée par ses délenseurS, tous ses habitants s’étant enfuis sur les montagnes, et pleine d’une CHAPITRE XXXVIII. — TA MR A. /Cil foule de choses, qu’il livra en pillage àses soldats. Quant à la \ille elle-même, bien que ses maisons lussent d'une admirable beauté et bâties à l’instar de celles de Tyr, de Sidon et de Béryle, il y lit mettre le feu. Ensuite il parcou¬ rut la contrée, ravageant tout ce qu’il rencontra, incendiant tous les villages des alentours, puis il retourna à Ptolémaïs1. A’billin, en effet, par sa position avantageuse sur une colline, clans le voisinage de la plaine de Saint-Jean-d’Acre, position qui, dans les temps modernes, l’a fait choisir également pour servir de forteresse, ainsi que l’atteste l’enceinte flanquée de tours dont j’ai parlé, justifie l’identification précédente. Le nom même que porte aujourd’hui ce village semble être une altération de la dénomina¬ tion antique de Zabulon. Cette dénomination est celle de la tribu appelée en hébreu ï'tdt, Zeboulon, et pbtoî, Zebouloun, en grec ZaéovÀûiw, en latin Zabulon, qui possédait une ville du même nom, identique, selon toute apparence, avec celle que Josèphe mentionne dans le passage précédent. Ac revertilur (terminus Aser) contra orientem Bethdagon, et pertransil usque Zabulon, et vallem Jepbtbael contra aquilonem, in Bethemec et Nihiel. Egrediturque ad lævamGabul2. Dans les actes du concile de Nicée, il est question d’un évêque de Zabulon, comme ayant assisté à ce concile, ce qui prouve qu’au commencement du ivc siècle cette ville avait un siège épiscopal. Les colonnes dont j’ai retrouvé les tronçons à A’billin apparte¬ naient peut-être à la cathédrale de Zabulon. T AMR A. A huit heures quinze minutes, je redescends vers le nord, et, parvenu au pied de la colline, j’en franchis bientôt une autre, cou¬ verte d’oliviers, de figuiers et de broussailles. A huit heures trente-quatre minutes, je traverse l’Oued A’bil- 1 Guerre des Juifs , I. Il, c. xvm, § y. — 2 Josué, c. xi\, v. 97. 422 DESCRIPTION DE LA GALILEE. lin, dont le lit, actuellement à sec, sillonne d’est en ouest un riant et fertile vallon. Au delà se dresse une colline rocheuse et hérissée de broussailles, que je gravis péniblement dans la direction du nord-est, pour en redescendre ensuite. A neuf lieures, je passe l’Oued Tamra, et immédiatement après je commence l’ascension de la colline que couronne le village de ce nom. Il est précédé de jardins plantés de figuiers, de grenadiers et d’oliviers. Ce village peut contenir 800 habitants, tous Musul¬ mans. 11 paraît jouir d’une aisance relative, car beaucoup de mai¬ sons semblent nouvellement rebâties. Un grand nombre de beaux blocs antiques, encastrés dans leur construction, prouvent que Tamra a succédé à une petite ville antique , dont le nom est demeuré jusqu’ici inconnu. On y remarque une mosquée. Un oualy y est également en grande vénération, et les habitants tiennent à honneur d’être, après leur mort, enterrés alentour. Il est dédié au cheikh A hou Baker. KABOUL (KABOUL). A neuf heures trente-cinq minutes, je redescends de Tamra vers le nord-ouest. Un sentier très accidenté à travers des hauteurs boisées, dont les fourrés ont été incendiés dernièrement, me conduit à une belle vallée, où serpente le lit, maintenant tari, de l’Oued Kaboul. De là, à dix heures dix minutes, je monte vers le nord-est au village ainsi appelé. Sa population est de h 00 habitants, tous Musulmans. Il a remplacé une petite ville antique, dont il subsiste encore, sur les flancs et sur le plateau de la colline où il est situé, de nombreuses citernes creusées dans le roc, beaucoup de pierres de taille éparses çà et là ou engagées comme matériaux dans des constructions musulmanes, quelques fragments de colonnes mono¬ lithes provenant d’un édifice rasé, les vestiges d'un mur d’enceinte et des débris de sarcophages ornés de disques et de guirlandes de fleurs. CHAPITRE XXXVII 1. KABOUL. 423 Kaboul est, selon toute vraisemblance, l’ancienne ville appelée en hébreu *7133, Kaboul, en grec XaêwA, en latin Gabul et Cabul, et mentionnée dans le livre de Josué comme l’une des villes situées sur la frontière d’Aser : Ac rever litur (terminus Aser) contra orienterai Bethdagon, et pertransit usque Zabulon, et vallem Jephthaei contra aquilonem, in Bethemec et Niliiel. Egredi turque ad lævam Gabul L Elle appartenait très probablement au district ainsi désigné, qui renfermait les vingt villes données par Salomon à Hiram, roi de Tyr, en retour des services qu il eu avait reçus. i t. Hiram regeTyri præbente Salomoni ligna cedrina et abiegna, etaurum, juxta omne quod opus liabuerat, tune dédit Salomon Hiram viginli oppida in terra Galilææ. 12. Et egressus est Hiram de Tyro, ut videret oppida quæ dederat ei Salo¬ mon, et non placuerunt ei, 13. Et ait : Hæccine sunt civitales quas dedisti milii, frater? Et appel la- vil eas terrain Chabul, usque in diem liane2. Josèpbe relate le meme fait dans les termes suivants : En outre, Salomon donna à Hiram vingt villes de la Galilée, situées dans le voisinage de Tyr. Hiram, les ayant vues et examinées, fut loin d’èlre satisfait de ce don, et, envoyant des députés à Salomon, il déclara qu’il n’avait pas besoin de ces villes, et depuis ce temps le territoire qu’elles comprenaient fut appelé la terre de Chabalon. Le mot Chabalon, en effet, signifie en phénicien quelque chose qui déplaît3. Comme la ville de Kaboul dont il s’agit en ce moment existait O déjà sous ce nom dès l’époque de Josué, il est à croire que Hiram, jouant sur le nom de cette localité, désigna de la meme manière tout le territoire des dix-neuf autres villes dont elle faisait elle-même partie, et qui lui avaient été données par Salomon. De pareils calembours sont, on le sait, tout à fait dans les habitudes de l’Orient. Quoi qu’il en soit, il est question de la bourgade de 1 Josué, c. \i\, v. 27. I. VIII, c. V, S 3. liais, I. C. IV, V. 11 •1 3. — ' Antiq. jiulaïij. DESCRIPTION DE LA GALILEE. 424 diabolo dans la Vie de Josèphe, et elle est indiquée par cet histo¬ rien comme étant dans le voisinage de Ptolémaïs : Lorsque les cinq mille hommes que j’avais demandés furent arrivés, je les réunis aux trois mille soldats et aux quatre-vingts cavaliers que j’avais avec moi, et je me mis en marche vers la bourgade de Chahôlo (Xa£caÀcé), située sur les confins de Ptolémaïs L De diabolo, Josèphe se rendit ensuite à Jotapata, séparée seu¬ lement par un intervalle de ho stades de la bourgade précédente: Etant parti de Chabôlô avec trois mille hommes, et ayant laissé dans le camp le plus fidèle de mes amis, je me transportai à Jotapata, ne voulant pas m’éloigner d’eux d’une distance plus grande que 4o stades2. Ces indications fixent au village actuel de Kaboul la Chabôlô de Josèphe, identique, sans doute, avec la ville de Kaboul du livre de Josué et du troisième livre des Rois. A la vérité, il y a 5o stades et non ho seulement entre le Kharbet Djefat (Jotapata) et le village qui nous occupe en ce moment; mais les distances marquées par Josèphe sont loin d’être toujours parfaitement exactes, comme j’ai pu m’en convaincre plus d’une fois. DAMOUN. A onze heures trente minutes, je redescends vers Touest-nord- ouest de Kaboul, à travers des jardins plantés de figuiers, d’oliviers et de grenadiers, puis je chemine vers l’ouest dans une plaine fer¬ tile, le long de l’Oued Kaboul, que je côtoie quelque temps. A midi huit minutes, je fais balte à Damoun, où l’on dresse ma tente sous un bois d’oliviers. C’est un grand village de 800 habi¬ tants environ , la plupart Musulmans , et quelques-uns seulement Grecs unis. 11 est situé sur une colline qui, sans être très élevée, domine toute la plaine de Saint-Jean-d’Acre. Une mosquée y est précédée d’un portique et d’une cour où s’élance un beau palmier. Vie de Josèphe, S £3. — ' Vie de Josèphe, S /|5. 1 CHAPITRE XXXVIII. — DAMOUN. 425 Beaucoup de pierres de taille d’apparence antique placées autour des aires ou encastrées dans des maisons modernes, des citernes et des caveaux pratiqués dans le roc, et les vestiges d’un édifice presque entièrement rasé, attestent que Damoun a succédé à une ville plus ancienne. A l’est du village, sur un monticule voisin, un ouahj est vénéré sous le nom de Cheikh A’bd Allah. De nombreuses tombes l’entourent. A l’ouest s’étendent des jardins bordés de cac¬ tus, et où croissent confusément des figuiers, des grenadiers et des oliviers. Un puits dont la source est abondante fournit de l’eau à tous les besoins des habitants. Damoun est-elle l’ancienne ville de Adami ou Edami, en hébreu dis* , en grec kp pi, en latin Adami, mentionnée dans le livre de Josué à propos des limites de la tribu de Nephthali? Et cœpit terminus (Nephthali) de Heleph etEton, in Saananim, et Adami, quæ est Neceb, et Jebnael, usque Lecum : et egressus eorum usque ad Jorda- nem 1. Dans le Talmud2 cette ville de Adami s’appelle Damin, pcn, dé¬ nomination qui se rapproche singulièrement de celle de Damoun, et qui pourrait, au premier abord, incliner à penser que le village dont il est question en ce moment représente l’ Adami du livre de Josué. Mais, d’un autre coté, Damoun doit appartenir très proba¬ blement à l’ancien territoire de la tribu d’Aser, et dès lors ne peut être identifié avec une ville de la tribu de Nephthali. 1 Josué, c. xix, v. 33. — 2 Neubauer, Géographie du Talmud, p. 2 a 5. /i 2 G DESCRIPTION DE LA GALILÉE. CHAPI T R E T R E N T E-N EU V I EM E. TELL KEISAN. - TELL Da’oUK. - BASSET EL-KERDANEII (PALUS CENDEVIa). - NAIIR NA AllN (bELüs). - — TELL EL-KERDANEH. - KHARBET ET-THl- REII. - ROUEIS. - RETOUR À DAMOUN. TELL KEISAN. Le l\ août, à quatre heures vingt-cinq minutes du matin, lais¬ sant ma tente à Damoun, je suis quelque temps une belle avenue bordée de jardins que des baies de cactus protègent contre les passants, puis je chemine dans une vaste et magnifique plaine, en partie couverte de hautes herbes et principalement de chardons sauvages, en partie aussi cultivée en doura, en sésame, en blé ou en coton. À quatre heures cinquante-neuf minutes, je parviens au Tell Keisan. De forme ovale, il mesure 35o pas de long de l’ouest à l’est, sur 125 dans sa plus grande largeur, et domine de 33 mè¬ tres la plaine environnante. On y monte assez facilement au nord et au sud, vers sa partie centrale, par deux espèces de rampes mé¬ nagées à dessein au moyen d’une dépression artificielle du sol. De tous les autres côtés, il est d’un difficile accès. Le plateau qui le couronne est partout jonché de nombreux débris de poterie, parmi lesquels je remarque çà et là quelques cubes de mosaïque. Des tas de pierres provenant de constructions complètement démolies le parsèment aussi en plusieurs endroits, notamment dans sa partie occidentale. A l’époque des Croisades, il Saladin y établit son quartier Samt-Jean-d Acre par Gu\ de est plusieurs fois question de ce tell. général, lors du fameux siège de Lusignan, Hichard Cœur-de-Lion CHAPITRE XXXIX. — BASSET EL-KERDANEH. 427 cl Philippe-Auguste, et il dut y élever des fortifications, dont on ne retrouve plus aujourd’hui que des restes très confus. Y a-t-il quelque rapport entre le nom de cette colline et celui du fleuve Cison, en hébreu Kichon, dont j’ai déjà parlé et qui se jette à la mer au nord-est de Kaïpha ? La chose est possible. Néanmoins, Robinson fait observer avec raison que le Tell Keisan s’écrit en arabe par un kaf; le mot Kichon, au contraire, commence en hébreu par un lwph. Au bas du lell, vers le nord-ouest, est un puits, près duquel plusieurs tentes de Bédouins sont en ce moment dressées. TELL DA OLIK. A cinq heures trente minutes, je poursuis ma route vers l’ouest, puis vers l’ouest-sud-ouest, à travers la plaine. A cinq heures cinquante-cinq minutes, j’arrive au Tell Da’ouk. Moins considérable et moins haut que le précédent, il s’étend éga¬ lement de l’ouest à l’est. On y voit les débris d’un khan mesurant soixante-quinze pas de long sur à peu près autant de large, et dont quelques magasins, aux voûtes légèrement ogivales, sont encore debout. Près de là gisent, au bas du lell, les vestiges d’un certain nombre de maisons renversées. Un puits, où l’on descend par quelques de¬ grés et muni de son réservoir, est encore en assez bon état. Saladin avait pareillement utilisé cette hauteur, qui n’est sé¬ parée du Tell Keisan que parla distance de deux kilomètres, pour l’assiette et pour la défense de son camp. ISA SS ET EL-KERDANEH ( PALIS CENDEVIa). A six heures quinze minutes, je me dirige vers le sud à travers des champs de sésame, auxquels succèdent ensuite des fourrés de chardons sauvages. A six heures quarante-cinq minutes, j arrive à un vaste marais DESCRIPTION DE LA GALILEE. 428 appelé Basset el-Kerdaneh, et environné d une épaisse ceinture de gigantesques roseaux. Là sont les sources du Nahr NaTnin. Ces sources, à leur origine, sont immédiatement assez abondantes pour former un cours d’eau considérable et pour faire tourner les meules d’un moulin. Près de ce moulin, on remarque les assises inférieures d’un ancien pont et les restes d’une tour percée de meurtrières et à voûtes ogivales. Elle avait deux étages, et a été bâtie avec des pierres de taille sur lesquelles de nombreuses croix ont été tracées, et quelques-unes à une hauteur que la main ne peut atteindre. Par conséquent, ces croix n’ont pu être gravées là par des voya¬ geurs de passage, qui auraient eu besoin d’une échelle pour les placer si haut, mais elles doivent remonter à l’époque où cette tour était occupée par des Chrétiens, et datent très probablement du temps des Croisades. Au-dessus de la porte d’entrée régnait un balcon à mâchecoulis, dont la trace est très visible. Quant au marais que je viens de signaler, c’est évidemment celui que Pline désigne sous le nom de palus Cendevia, comme étant la source du Bclus ou Pagida : Rivus Pagida, sive Relus, vitri fertiles arenas parvo litlore iniscens. Ipse e palude Cendevia a radicibus Carmeli produit1. Seulement Pline est dans l’erreur en prétendant que le marais dit palus Cendevia se trouve au pied du mont Carmel, car il occupe à peu près le centre de la plaine de Saint-Jean-d’Acre. N \I1 R Na’mIN (RELUS). Le Nahr NaTnin ou Nahr NaTnan, qui sort de ce marais pour aller aboutir à la mer un peu au sud de Saint-Jean-d’Acre, après un parcours très court, est donc l’ancien Belus ou Pagida, men¬ tionné par Josèphe et par Pline. Nous lisons dans le premier de ces deux écrivains : A deux stades de la ville (Ptolémaïs), coule un tout petit lleuve, appelé 1 Pline, Histoire naturelle, 1. V, c. xvn. CHAPITRE XXXIX. — NA HR N AJM1N. 429 Belæus, près duquel se trouve le monument de Memnon, qui avoisine un endroit long de 100 coudées et digne d’admiration. Rond et creux, il fournit, en effet, le sable qui sert à faire le verre. Ce sable a beau être épuisé par les nombreux navires qui abordent à ce point de la cote, la mine d’où on le tire se remplit aussitôt, les vents y amoncelant comme à dessein un sable inutile au dehors, mais qui se transforme aussitôt en verre dans cette mine. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que le verre qui sort de là peut redevenir un sable ordinaire. Telle est la particularité naturelle de cet endroit1. Pline, de son côté, s’exprime ainsi à ce sujet : Pars est Syriæ, quæ Pbœnice vocatur, finitima Judææ, intra montis Carmeli radices paludem habens, quæ vocatur Cendevia. Ex ea creditur nasci Relus amnis, quinque m passuum spatio in mare perfluens, juxta Ptolemaidem coloniam. Lentus bic currit, insalubri potu, sed cærimoniis sacer, limosus, vado profundus. Non nisi refuso mari arenas fatetur : Il uctibus cnim volulatæ nitescunt, detritis sordibus. Tune et marino creduntur adstringi morsu, non prius utiles. Quingentorum est passuum non amplius liltoris spatium, idque tantum multa per sæcula gignendo fuit vitro. Fama est, adpulsa nave mercato- rum nitri, cum sparsi per littus cpulas parurent, nec esset cortinis adtollendis lapidum occasio, glebas nitri e nave subdidisse. Quibus accensis permixta arena littoris, translucentes novi liquoris lluxisse rivos, et banc fuisse origi- nem vitri2. Ailleurs, dans le passage que j’ai cité plus haut, le même écri¬ vain nous parle également, mais avec beaucoup moins de détails, du Belus, qu’il appelle pareillement Pagida. De ces trois différents passages il ressort que le Belus ou Pagida coulait à une faible distance de Ptolémaïs, que ce petit fleuve de 5,ooo pas de cours tirait sa source du marais Cendevia, et que, près de son embouchure dans la mer, le sable qui avoisinait ses bords, sur une longueur de 5oo pas, servait depuis de longs siècles à la fabrication du verre. En ce qui concerne le monument de Memnon signalé par Josèplic, il n’en subsiste plus le moindre vestige, ou si quelques débris de ce tombeau ont échappé au temps et aux hommes, ils Guerre des Juifs , I. Il, c. x, S 2. — 2 Histoire naturelle,, I. XXXVI, c. xxvi. I 430 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. sont actuellement recouverts par les sables amoncelés de la plage. Le nom de Belus est celui d’une ancienne divinité phénicienne, Bel ou Baal. Celui de Pagida, que ce fleuve portait pareillement, est identifié par Beland1 avec la désignation de Figah, n?s, que les talmudistes donnent à l’un des fleuves de la Palestine. TF. LL EL-KF.RDANEII. Un peu au sud-ouest du marais dit Basset el-Kerdaneh , s’élève un tell appelé Tell el-Kerdaneh, dont le point culminant domine la plaine d’une quarantaine de mètres, et dont le sommet et les pentes sont hérissés de ronces cpii recouvrent des matériaux épars, restes de constructions renversées. Au nord et au bas de ce tell, le long du marais, on observe les vestiges d’une enceinte qui mesurait 54 pas de long sur ho de large, et qui paraît avoir été celle d’un khan fortifié. Tout le revête¬ ment des murs a été enlevé; le blocage intérieur est seul en partie resté. KHARBET ET-THIREH. A huit heures, je quitte le Tell el-Kerdaneh, pour contourner, vers son extrémité sud et sud-est , le grand marais que je viens de mentionner; m’avançant ensuite dans la plaine vers le nord-est, je traverse, à huit heures quarante-huit minutes, l'Oued A’billin. A neuf heures cinq minutes, parvenu de ce côté à l’extrémité orientale de la plaine, j’entre dans une vallée que bordent deux collines rocheuses et hérissées de broussailles. A neuf heures dix minutes, je fais halte au Kharbet et— Thireh , restes d un grand village musulman aujourd’hui abandonné, et dont les maisons sont presque toutes renversées. 11 avait succédé, sur une colline, à une ancienne bourgade, comme semblent l’an¬ noncer quelques-uns des matériaux avec lesquels il avait été bâti. Reland , Palestine, p. 9 ç}o. CHAPITRE XXXIX. — RETOUR A DAMOUN. 431 Au bas, vers îe nord, est un puits muni d'un réservoir, et dont l’eau est excellente. Sur beaucoup rie points, on a taillé les rochers qui bordent les flancs de la colline, pour en extraire des pierres de construction. \ ers l'est, notamment, s’étend une vaste excavation rectangulaire, qui n’est autre chose qu’une ancienne carrière, pratiquée dans le roc vif, et autour de laquelle de vieux térébinthes ont pris racine et se sont développés entre les interstices des rochers. ROUEIS. A dix heures, je me remets en marche vers le nord-est, et, après avoir franchi un petit oued , je parviens, à dix heures quinze mi¬ nutes, à Roueis, village de i5o habitants tout au plus, dont les maisons sont situées sur une colline, au milieu de jardins plantés de figuiers, de grenadiers et d’oliviers, que dominent çà et là quelques palmiers. Beaucoup de blocs bien taillés, autour des aires ou des vergers, accusent une origine antique. RETOUR À DAMOUN. A onze heures, je descends, vers le nord-nord-est, de la colline de Roueis, et à onze heures vingt minutes, je suis de retour à Damoun. /i32 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. G 1 1 A FIT Pi E Q U A 1 \ V NTIÈME. TELL BER O UE II . BEROUEII (e’bROn). - BIR ES-SAFA. - KIIARBET RAS EZ— ZEITOUN. MIaAr. - CHA’aB (sAAb). TELL BEROUEII. Le 5 août, à quatre heures cinquante-cinq minutes du matin, je traverse, vers le nord, des champs couverts de doura. A cinq heures dix minutes, je franchis un petit oued sans eau, et ma direction est alors celle du nord-nord-ouest. A cinq heures vingt-cinq minutes, un puits muni de son réser¬ voir m’est désigné sous le nom de Bir Beroueh. 11 est situé au Las et au sud-ouest d’un tell considérable, appelé Tell Beroueh. Cette colline, qui s’étend principalement de l’ouest à l’est, paraît avoir été environnée d’un mur à sa partie inférieure, et autour d’elle on remarque de belles plantations de figuiers. En la gravissant vers l’ouest, où elle est plus facilement accessible, car des trois autres cotés elle est presque abrupte et hérissée de ronces et de brous¬ sailles, on parvient sur un plateau aujourd’hui en partie cultivé, et séparé en plusieurs compartiments au moyen de petits murs d’enclos en pierres sèches; mais jadis quelques constructions s’y élevaient. BEROUEII (e’bROn). A une faible distance à l’est de ce tell, un village du même nom couronne une colline voisine. 11 est composé de Musulmans et de Chrétiens. Ceux-ci sont Grecs schismatiques, et possèdent une cha¬ pelle de date récente. Peut-être est-il permis de reconnaître, dans CHAPITRE XL. KHARBET RAS EZ-ZEITOUN. h 3 3 ce village, la ville de E’bron , en grec ÉXé’wt», en latin Abran, signa¬ lée comme appartenant à la tribu d’Aser1. BIR ES SA FA. A six heures trente minutes, je redescends vers l’est, puis vers le sud-est, des pentes plantées de figuiers et cl’oliviers. A six heures quarante- cinq minutes, j’atteins la riche vallée de l’Oued Cha’ab, et, après avoir franchi le lit actuellement dessé¬ ché du torrent qui la sillonne, je continue à m’avancer vers le sud, à travers des plantations de cotonniers ou des champs de sésame. A six heures cinquante minutes, ma direction est celle de l’est- sud-est. A sept heures, je passe auprès d’un puits appelé Bir es-Safa. Il est en partie bâti et en partie creusé dans le roc. La colline rocheuse qui le domine vers le sud a été jadis exploitée comme carrière, et plusieurs grottes ont été pratiquées clans ses flancs, mais aucune ruine ne la couvre, ainsi qu’on pourrait s’y attendre, à cause du voisinage de ce puits. KHARBET RAS EZ-ZEITOUN. A sept heures cinq minutes, je poursuis ma route vers l’est- sud-est. La vallée se resserre de plus en plus. A sept heures vingt-cinq minutes, je gravis des pentes rocheuses et hérissées de lentisques, et, à sept heures trente minutes, je foule les vestiges d’un fort ancien village, appelé Kharhet Ras ez-Zeitoun. 11 est renversé de fond en comble au milieu d’épaisses broussailles. Les quelques maisons dont il se composait avaient été bâties avec des blocs assez mal équarris, extraits des flancs de la colline. Plu¬ sieurs caveaux creusés dans le roc y sont en partie comblés. Une plantation d’oliviers, en arabe zeitoun, au bas de la hauteur où il est situé, lui a fait donner le nom qu’il porte. 1 Josué, c. xix, v. 98. DESCRIPTION DK LA GALILEE. 43/1 MIA^AR. A sept heures cinquante- cinq minutes, je suis vers l’est-sud-est une gorge étroite, où serpente l’Oued el-Miaar, et que bordent de hautes collines revêtues de lentisques et d’âpres rochers. Cette gorge s’élève d’abord connue par étages successifs. A huit heures vingt-cinq minutes, la montée devient plus raide. A huit heures trente-deux minutes, après avoir gravi des pentes très escarpées, je parviens à Mia’ar. Ce village occupe le sommet d’une colline dont l’altitude est au moins de 3oo mètres. Il contient 5oo habitants, tous Musulmans. Au medafeh, je remarque plusieurs tronçons de colonnes, trois chapiteaux brisés et un certain nombre de belles pierres de taille, provenant d’un ancien édifice renversé. Autour des aires, j’observe de même beaucoup de blocs d’apparence antique disposés en rond. A des temps plus ou moins reculés appartiennent également des puits, des citernes, des caveaux et des tombeaux creusés dans le roc. ciiaLvb (saab). A neuf heures trente minutes, je descends vers le nord par un sentier extrêmement rapide, et, inclinant ensuite un peu vers le nord-ouest, je fais halte, à dix heures dix minutes, près du puits de Cha’ab, non loin duquel je fais dresser ma tente. Ce puits a 33 mètres de profondeur et est presque entièrement creusé dans le roc; il est certainement antique. Le réservoir muni d’auges qui y est attenant a été construit avec des blocs qui pro¬ viennent pareillement d’anciennes constructions. On y remarque notamment la cuve d’un sarcophage dont la face visible est ornée de disques et de guirlandes de Heurs assez élégamment sculptés. Pi ‘ès de là, sur une belle pierre, est figuré un vase à deux anses, d’une forme très gracieuse. CHAPITRE X'L. Cil A5 A B. 435 Le village de Cha’ab se compose de quatre quartiers, s’élevant doucement sur les flancs inférieurs d’une petite montagne. Les habitants sont, pour la plupart, Musulmans, et atteignent le chiffre de 800 âmes, y compris une vingtaine de familles qui professent la religion grecque schismatique. Les Musulmans y ont deux mos¬ quées et deux oualy. L’une de ces mosquées passe pour être sur l’emplacement et pour avoir été bâtie avec les débris d’une ancienne synagogue. J’y observe plusieurs fûts mutilés de colonnes de diffé¬ rents diamètres, un chapiteau ionique, beaucoup de belles pierres de taille et un fragment de sculpture. A l’est du village, des citernes et des tombeaux pratiqués dans le roc méritent d’être visités, et prouvent l’antique importance de cette localité. Josèphe la mentionne sous le nom de Saab, comme étant la patrie d’Eléazar, bis de Saméas, qui se distingua par des prodiges de force et de courage en défendant Jotapata : Alors parut un héros juif, dont le nom est digne d’être célébré et transmis à la postérité. Il était fils de Saméas, et s’appelait Éléazar. Sa patrie était Saab, en Galilée h Elle est signalée également par les talmudistes. C’était le ber¬ ceau de Rabbi Meni2. Guerre des Juifs, 1. III, c. vu, § 21. — 2 Géographie du Talmud, p. 278. 1 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. /i 36 CHAPITRE QUARANTE ET UNIÈME. KHARBET YANIN. - KHARBET DJALOEN. - MEDJDEL KEROUM. KHARBET Ya’jNIN. Le 6 août, à quatre heures quarante-cinq minutes du matin, je suis vers l’ouest la belle vallée de Cha’ab, au milieu de planta¬ tions d’oliviers et de champs cultivés en sésame. A cinq heures dix minutes, j’arrive aux ruines dites Kharbet YaTiin. Actuellement très confuses, elles sont les restes d’un ancien village, dont les maisons couvraient autrefois les pentes et le som¬ met d’une colline qui s’élève isolée par étages successifs au milieu de la vallée. L’emplacement de ce village renversé a été depuis longtemps livré à la culture , et les matériaux des habitations dé¬ molies ont servi à construire de petits murs en pierres sèches pour délimiter des enclos différents, où croissent des figuiers et des gre¬ nadiers. Au bas de la colline est un puits antique, muni de son réservoir. KHARBET DJALOUN. A cinq heures trente-deux minutes, redescendu de cette colline, je franchis, vers le nord, l’Oued Cha’ab, qui sillonne d’est en ouest la vallée de ce nom, et, à cinq heures quarante-cinq minutes, je commence à gravir péniblement, par un sentier qui décrit de nom¬ breux lacets, et qui souvent ressemble à un escalier, les lianes escarpés et hérissés de broussailles du Djebel Kenitrah. A six heures dix minutes, je chemine quelque temps sur un pla¬ teau élevé, d’où la vue est très étendue. CHAPITRE XLI. MED J DEL KEROUM. 437 A six iieures quatorze niiimtes, je redescends vers le nord-est, et, à six heures dix-huit minutes, je parviens au Kharbet Djaloun. Là, sur les pentes septentrionales et inférieures de la montagne, sont les ruines d’un village détruit, sur l’emplacement duquel ont poussé d’énormes touffes de lentisques, des caroubiers, des chênes et plusieurs magnifiques térébinthes tombant de vétusté. Les ara¬ sements de deux constructions rectangulaires en pierres de taille de moyenne dimension sont seuls reconnaissables; de nombreux débris de poterie jonchent partout le sol. MEDJDEL KEROUM. A sept heures, je continue à descendre dans la direction du nord-est. A sept heures sept minutes, je suis au bas de la montagne, et une magnifique vallée se déroule devant moi. Bordée au nord par d’âpres montagnes, plus élevées que celles qui la limitent au sud, elle s’étend d’ouest en est, et forme une frontière toute naturelle entre la basse et la haute Galilée. D’une grande fertilité, elle est en partie couverte de vieux oliviers plusieurs fois séculaires, ou cultivée en blé, en doura, en coton et en sésame. C’est la route la plus généralement suivie pour se rendre de Saint-J ean-d’Acre à Safed. Sa largeur est tantôt de ôoo pas, tantôt de Goo, tantôt même de 900. Sa longueur est de plusieurs heures de marche. Les Arabes ne la désignent pas d’ordinaire sous une dénomination générale et unique, mais ils lui donnent tour à tour les différents noms des villages que l’on y rencontre. Je la suis dans la direction de l’est, et, à sept heures trente mi¬ nutes, je fais halte à Medjdcl Kcrouin, où l’on dresse ma tente sous de beaux oliviers. Ce village, appelé également par d’autres Medjed el-Keroum, s’élève sur les dernières pentes méridionales et au pied du Djebel Mahouz. Composé exclusivement de Musulmans, et divisé en trois quartiers sous la juridiction de trois cheikhs différents, il compte 438 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. 800 habitants. Aucune antiquité n’y attire mon attention; néan¬ moins, il a du succéder à une ancienne bourgade, dont il ne sub¬ siste plus que le grand puits creusé dans le roc qui est au bas du village , et qui fournit toujours une eau très abondante, bien que l’on y puise presque incessamment. CHAPITRE X L 1 1 . — KHARBET MAHOUZ. 439 CHAPITRE QUARANTE-DEUXIÈME. BIRKET EL-Ba’nEH. - KHARBET MAHOUZ. - KALA A TOUFANIEH. - KASR MEBLIEH. - KHARBET MEBLIEH. - RETOUR A MED.JDEL KEROUM. BIRKET EL-BA^NEH. Le 7 août, à cinq heures du matin, laissant ma tente à Medjdel Keroum , je m’avance vers le nord-est, à travers un vieux bois d’énormes oliviers. A cinq heures vingt minutes, je gravis, vers le nord-nord-est, des pentes également couvertes d’oliviers, mais beaucoup plus jeunes, et bientôt j’arrive à un grand bassin long de 200 pas au moins sur une centaine de large. Creusé dans un roc très tendre et muré d’un côté, il recueille toutes les eaux pluviales qui des¬ cendent des hauteurs voisines, et sert à abreuver les troupeaux et les bêtes de somme des deux villages auprès desquels il est situé. On l’appelle Rirket el-Ba’neb. KHARBET MAHOl.'Z. Je poursuis mon ascension vers le nord, passant, sans les visi¬ ter, non loin à l’ouest des deux villages d’El-Ba’neh et de Deir el-Asad, que je dois examiner le lendemain. Les flancs de la montagne sont cultivés par terrasses successives, et de gros murs de soutènement d’apparence antique constituent différentes plates-formes en retraite les unes au-dessus des autres, où croissent des oliviers gigantesques, dont le tronc très développé et les nombreux rejetons accusent l’âge vénérable. A cinq heures trente-deux minutes, la montée devient plus raide; àâO DESCRIPTION DE LA GALILEE. aux oliviers succèdent des broussailles et des herbes épineuses et odorantes. Après une ascension pénible vers le nord-ouest, puis vers l’ouest- nord-ouest, je parviens, à cinq heures cinquante-cinq minutes, sur un plateau où des chênes verts et des térébinthes croissent au milieu d’un épais fourré de lentisques. De tous côtés des rochers hérissent le sol. Chemin faisant, dans la direction du nord-nord- ouest, je rencontre plusieurs citernes creusées dans le roc. A six heures quinze minutes, je descends vers le nord-est par un étroit sentier, bordé de hautes broussailles, quil faut souvent écarter de la main pour se frayer passage. Un homme seul peut y marcher de front en beaucoup d’endroits. A six heures trente-huit minutes, parvenu au bas de la descente, je franchis vers le nord l’Oued Mahouz, qui sillonne d’est en ouest une petite vallée, et au delà, sur des pentes soutenues par de gros murs, et qui font vis-à-vis à celles que je viens de descendre, des ruines très considérables attirent mon attention. Les arasements de nombreuses habitations renversées, qui avaient été bâties avec des pierres de moyenne dimension, mais régulière¬ ment taillées, sont partout reconnaissables. Des citernes et des caveaux pratiqués dans le roc y sont également çà et là visibles. Un grand bassin, moitié creusé dans le roc et moitié construit, mesure 20 mètres sur chaque face. Aujourd’hui en partie comblé, il a perdu presque toute la couche de mortier qui en revêtait autrefois les parois intérieures, et de vieux térébinthes y ont pris racine et s’v sont développés depuis longtemps. A une faible distance de ce ré¬ servoir, on remarque, sur une belle plate-forme artificielle , les restes d une enceinte bâtie avec de magnifiques blocs enlevés à des cons¬ tructions antérieures. Plusieurs tronçons de colonnes et des linteaux de portes ont été ainsi engagés dans le corps de la bâtisse. Au de¬ dans de cette enceinte, qui mesure 3o mètres de long sur 28 mètres de large, on heurte des amas de pierres de taille, au milieu d’un lourré presque inextricable de térébinthes, et l’on s’aperçoit qu’elle avait été divisée en plusieurs petits compartiments voûtés. CHAPITRE X LU. — KHARBET MAHOUZ. 44 1 À l’est de celte enceinte, et y attenant, s’élevait une église, bouleversée maintenant de fond en comble, et dans l’intérieur de laquelle d’autres térébinthes ont également envahi l’emplacement des nefs. Des trois absides qui en terminaient le chevet oriental il ne subsiste plus que le blocage, toutes les pierres de taille qui en for¬ maient le parement extérieur ayant été enlevées. Plus haut, sur les flancs de la montagne, les assises inférieures d'une espèce de tour carrée, qui avait été bâtie avec de beaux blocs et renfermait intérieurement une citerne et un magasin voûté, me paraissent antiques. Des chênes verts et des térébinthes l’envelop¬ pent de même de toutes parts. En continuant à m’élever, comme par étages réguliers et succes¬ sifs, j’observe les arasements d’autres petites habitations d’apparence fort ancienne. Quelques-unes sont encore munies de leur porte d’entrée rectangulaire, consistant en deux pieds-droits surmontés d'un linteau. La plupart d’entre elles, comme les maisons des fellahs actuels, n’avaient qu’une pièce principale et un rez-de-chaus¬ sée où toute la famille était entassée, avec une terrasse plate iden¬ tique à celles d’aujourd'hui. Après avoir examiné ces ruines, depuis longtemps sans doute abandonnées, comme l’indique la forêt d’arbres et de broussailles qui a pris possession de l’emplacement qu elles occupent , je vais visiter, à une faible distance de là vers l’est, sur les dernières pentes d’une colline voisine, deux espèces de petites salles encore debout, paral¬ lèles et contiguës et éclairées par des fenêtres extrêmement étroites, semblables à des meurtrières. Les deux portes qui y donnent accès vers l’ouest consistent en pieds-droits monolithes, hauts de 2m,io, que couronnent des linteaux également monolithes, dont l’un, assez grossièrement équarri, est marqué au centre d’une croix à branches égales encadrée dans un cercle, et l’autre est orné de losanges qu en- vironnent des moulures rectilignes figurant un cadre oblong. Les murs de ces deux salles, qui mesurent 18 mètres de long, sont con¬ struits avec des blocs plus ou moins réguliers et jointoyés avec des DESCRIPTION DE LA GALILEE. hk 2 éclats de pierres. Leur orientation et la croix gravée au-dessus de la porte d’entrée de Tune d’elles in’ont fait supposer que celle-ci était une ancienne chapelle, contemporaine au moins de l’époque des Croisades, si même elle ne remonte pas à des temps antérieurs à l’arrivée des Croisés. La seconde serait une habitation attenante. Les débris de la petite ville que je viens de décrire s’appellent Kharbet Maliouz. Ce nom est certainement antique, carie Talmud de Babylone signale sur les bords du Tigre une ville nommée Mahouza, en hébreu ntidd1. Quant à celle dont il s’agit ici, elle n’est mentionnée par aucun écrivain ancien, ce qui ne prouve nullement quelle ne remonte pas à l’époque judaïque. Plusieurs des constructions que l’on y remarque à l’état de ruines semblent dater du moyen âge, mais d’autres accusent un âge plus reculé. Aujourd’hui, elles ne sont connues que des pâtres qui y mènent paître leurs troupeaux et des bûcherons qui y vont couper des broussailles ou des arbres pour faire du charbon. kàla’t totifanieh. A huit heures quarante minutes, je quitte les ruines de Mahouz, pour gravir vers l’ouest des pentes boisées et parsemées de rochers. Le sentier, étroit et parfois pratiqué en escalier, serpente au milieu d’un épais fourré de térébinthes, de chênes verts et de lentisques. A neuf heures cinq minutes, j’arrive, après une montée continue, au bas d’un sommet rocheux dont l’altitude est de 53o mètres au-dessus de la Méditerranée. C’est l’un des points culminants de la montagne dite Djebel er-Rous. 11 est couronné par les restes d’une petite lorteresse construite avec de gros blocs rectangulaires et depuis longtemps renversée. Des broussailles presque inextricables en rendent l’accès et l’examen très difficiles. Plusieurs citernes l’alimentaient d’eau. Cette forteresse m’est indiquée par mon guide sous le nom de Kala’t Choufanieh ; mais, à mon retour à Medjdel 1 Talmud de Babylone, Berakhoth, 5 9 />. CHAPITRE XL II. — KHARBET MEBLIEH. 443 Keroum, j’appris qu’on la désignait plus habituellement sous celui de Toufanieh. K A SR MEBLIEH. A neuf heures quinze minutes, je me remets en marche vers le sud. A neuf heures vingt minutes, je chemine sur un plateau accideuté, hérissé de broussailles et aussi d’âpres rochers de teinte grisâtre, qui émergent du sein des lentisques et des chênes verts. A neuf heures trente-cinq minutes, je descends vers le sud-ouest. A neuf heures quarante-huit minutes, je passe auprès d’un fortin détruit, appelé Kasr Meblieh. Situé sur une colline où les chênes verts abondent actuellement et enveloppent ses débris, il n’offre plus qu’un chaos de ruines; quelques assises seules sont encore en place. Une citerne assez étendue , munie d’un escalier qui permettait d’y descendre, fournissait de l’eau au petit poste qui était placé jadis en cet endroit et qui, avec celui du Kala’t Toufanieh , avait pour mission d’assurer la sécurité de la route comprise entre les ruines de Mahonz et celles dont je vais parler. A dix heures six minutes, je gravis vers l’ouest-nord-ouest des pentes très raides. KHARBET MEBLIEH. A dix heures douze minutes, je fais halte au Kharbet Meblieh. Ce village, habité, il y a peu d’années encore, par des Druses, est maintenant abandonné. Quelques maisons sont debout , d’autres sont déjà à moitié renversées. Un mur cl’enceinte, dans la construction duquel on remarque beaucoup de pierres de taille d’apparence antique, mais lui-même d’époque plus récente, les environnait. Plusieurs citernes, actuellement en partie comblées, et un bassin profond, long de 1 1 mètres sur 1 o mètres de large, fournissaient de l’eau aux habitants, caries sources manquent sur ce plateau élevé. Ce bassin, en grande partie creusé dans le roc, était autrclois re¬ couvert par de belles dalles reposant sur des arcades cintrées en DESCRIPTION DE LA GALILEE. hhh pierres de taille; des ouvertures étaient seulement ménagées pour puiser de l’eau. Deux de ces arcades sont encore intactes et sup¬ portent de grandes dalles. A l’époque des Croisades, le village dont je parle s’appelait, comme aujourd’hui , Meblieli ; sou nom antique est resté inconnu ; peut-être , sauf quelque petite différence, ressemblait-il au nom actuel. RETOUR À MEDJDEL KEROUM. A onze heures, je prends la route du sud-est, et, après une marche pénible, tantôt sur des hauteurs que se disputent les rochers et des broussailles, tantôt sur des pentes très rapides, qui ne sont qu’en partie cultivées, je suis de retour à Medjdel-Keroum, ou je retrouve avec joie ma tente, à midi vingt-cinq minutes. CHAPITRE XLI1I. EL-BA’NEH. h h 5 CHAPITRE QUARANTE-TROISIÈME. EL-Ba’nEH (bâÏNAH?). - DEIR EL-ASAD. - RAS ED-DOUEÏR. - KHARBET KABRA (GABARA). - KHARBET EL-KABOU. - KHARBET TELL EL-KEZAZ. - KHARBET RAS ES-SIHEII. KHARBET El R EL-KIIR ADJAR. N AII EF. EL-BA^NEH (bâÏNAH?). Le 8 août, à cinq heures du matin, je quitte définitivement Medjdel Keroum, et, prenant la direction du nord-est, j’arrive, à cinq heures vingt-sept minutes, à El-Ba’neh. Ce village est composé de Druses et de Grecs schismatiques. Les premiers y ont une mosquée qui passe pour avoir été bâtie sur l’emplacement d’une ancienne église, à laquelle appartenait une grande cuve baptismale monolithe que l’on voit encore non loin de là. En outre, le gros mur formant terrasse qui entoure cet édifice est en partie construit avec de beaux blocs d’apparence antique. L’église des Grecs a été nouvellement rebâtie sur les ruines d’une autre, également fort ancienne et dédiée à sainte Barbe. Elle est propre, bien tenue, et le cimetière chrétien l’environne. En dehors et au bas du village, dans un enclos planté de vieux oliviers, je jette un coup d’œil, en passant, sur la cuve d’un grand sarcophage antique dont le couvercle a disparu. El-Ba’neh est peut-être la ville de Daïnah, n:\x3, signalée dans le Talmud de Jérusalem1. Je dis peut-être, car la position de cette localité n’est pas indiquée avec précision par les talmud istes, et il ne faut admettre cette conjecture qu’avec quelque réserve. Neubauer, Géographie du Talmud, p. 9,35. I DESCRIPTION DE LA GALILEE DE1R EL-ASAD. A six heures, je traverse vers l’est une petite vallée couverte d’admirables oliviers, que les habitants eux-mêmes font dater de l’époque romaine, ou tout au moins de celle qui précéda l’invasion musulmane ; puis je monte vers le nord au village de Deir el-Asad, que j’atteins à six heures quinze minutes. Les maisons de ce village, exclusivement habité par des Druses,au nombre de 45o environ, s’élèvent les unes au-dessus des autres sur des terrasses successives. On y admire, sur une belle plate-forme, les restes d’une élégante église de l’époque des Croisades. Construite avec de petites pierres de taille très régulières, elle avait trois nefs et trois absides. Ses fenêtres étaient étroites et ébrasées comme de véritables meurtrières, et plusieurs détails de son archi¬ tecture accusent un art véritable. Malheureusement, les Druses l’ont à moitié démolie, et ce qu’ils ont épargné de cet édifice a été trans¬ formé par eux en étable. On n’y peut faire un pas sans enfoncer dans un épais fumier, accumulé là depuis de longues années. Près de cette église, un vaste magasin voûté, en partie conservé, paraît dater pareillement du temps des Croisades. Il en est de même d’une tour carrée, qui sert aujourd’hui de demeure à une famille. Au bas du village, un oualy musulman est consacré à Cheikh el- Asad. Dans la cour qui le précède s’élève un joli palmier. On y observe aussi plusieurs lûts mutilés de colonnes qui proviennent probablement de l’église dont j’ai parlé. Le mur qui l’environne a également emprunté la plupart des beaux matériaux qui le compo¬ sent, soit à cette église, soit même à quelque autre édifice antérieur. Au bas du village coule une source, qui appartient en commun aux habitants de Cheikh el-Asad et cl’El-Ba’neh. Le grand bassin dont il a été fait mention précédemment est de même la propriété indivise de ces deux villages, qui autrefois avaient en outre fies citernes, actuellement presque toutes comblées. CHAPITRE XL III. — KHARBET KABRA. kkl RAS ED-DOUEÏR . A sept heures cinquante-cinq minutes, je descends vers le sud, et, à huit heures dix minutes, je suis au pied de la colline dite Ras ed-Doueïr. Les flancs de cette colline, principalement vers le nord et vers l’est, sont formés de couches successives d’énormes rochers en re¬ traite les uns au-dessus des autres, semblables à des gradins gigan¬ tesques. Ailleurs, elle est plus facilement accessible. A huit heures vingt minutes, j’en atteins le sommet. Il est pré¬ cédé de plusieurs plates-formes elliptiques, ménagées par la main de l’homme et soutenues par des murs d’appui. Sur celle qui envi¬ ronne le sommet, je remarque un certain nombre de cubes de mo¬ saïque épars çà et là ; mais aucune autre trace de construction n’est actuellement visible. Quant au plateau supérieur, il était en¬ touré d’un mur d’enceinte, construit avec des pierres plus ou moins bien équarries et reposant sans ciment les unes au-dessus des autres, autant qu’on peut en juger par quelques assises encore debout vers l’est et vers le nord. A l’extrémité méridionale de cette enceinte, est une grande citerne creusée dans le roc; une citerne plus vaste encore, et divisée en trois compartiments, avait été pratiquée à l’ex¬ trémité opposée. Cette enceinte, du reste peu considérable, paraît avoir été celle d’un poste militaire. Toutefois, le nom de Doueïr ou petit couvent semblerait faire penser qu’un établissement chrétien s’élevait jadis en cet endroit. Des fouilles seules pourraient nous éclairer sur ce point. KHARBET KABRA (gABARa). A q5o pas à l’est de la colline précédente, une autre plus étendue a servi autrefois d’assiette à une petite ville, rasée de fond en comble depuis longtemps, et dont il ne subsiste plus qu’une dizaine de citernes creusées dans le roc, quelques restes de murs et des amas /i 48 DESCRIPTION DE LA GALILÉE. de pierres indistincts, au milieu desquels j’ai remarqué çà et là des cubes de mosaïque. De vieux oliviers couvrent actuellement les pentes inférieures de cette colline, disposées en terrasses circulaires par le travail de l’homme ; ailleurs, le sol a été cultive en blé, et la charrue a souvent passé sur Remplacement d habitations démolies. On donne à ces ruines le nom de Kharbet Kabra. Ce nom fait songer immédiatement à celui de Gabara, attribué par Josèphe à Tune des villes de la Galilée. Nous lisons dans la Vie de cet historien le passage suivant: Les peuples voisins, les Gadaréniens, les Gabaréniens, les Soganéens et les Tvriens, ayant rassemblé une grande armée, attaquèrent Gischala et s’en em¬ parèrent de force1. Dans un autre passage du même écrit, Gabara est citée avec Tibériade et Sepphoris, comme étant Tune des plus grandes villes de la Galilée : Jean, fds deLévi, espérant mettre un terme à ma bonne fortune, s’il par¬ venait à exciter contre moi la haine de ceux qui m’étaient soumis, sollicita à la défection à ma cause, pour s’attacher à la sienne, les habitants de Tibériade et de Sepphoris, pensant bien que ceux de Gabara m'abandonneraient également; car ce sont là les plus grandes villes de la Galilée2. Gomme la colline de Kabra n’a tout au plus qu’un kilomètre de pourtour, et que, par conséquent, comme je l’ai dit tout à l’heure, elle n’a pu être le site que d’une petite ville , il faut ou renoncer à l’identification du Kharbet Kabra avec la ville de Gabara, ou ad¬ mettre, ce qui est très possible, que cette colline ne formait qu’un des quartiers de la ville ainsi appelée, et que celle-ci comprenait dans son enceinte, au bas de la colline qui lui servait d'acropole, un beaucoup plus vaste espace, où la culture aura peu à peu fait dispa¬ raître les traces d’habitations. Vespasien, en s’avançant de Ptolémaïs vers la Galilée et pénétrant dans cette contrée, s’empara de Gabara, qu’il réduisit en cendres. Vie de Josèphe , 8 10. — 2 Ibid. 25. CHAPITRE XLIII. KHARBET EL-KABOU. 449 Josèphe, à la vérité, en racontant ce fait, parle (le la ville des Gada- réniens, au lieu de celle des Gabaréniens1 ; mais le savant Reland a depuis longtemps prouvé qu'il faut lire ici YLoXis tmv YuÇ i. DESCRIPTION DE LA GAULEE. 450 do constructions renversées; les assises inférieures d’une longue salle jadis voûtée sont même encore visibles. Plus loin, vers l’est, les arasements d’un édilice complètement renversé et dont il subsiste quelques beaux blocs, qui paraissent en place, percent au milieu des broussailles. K II Ml B ET TELL EL-KEZAZ. A dix heures vingt-cinq minutes, je poursuis ma route dans cette direction, et, à dix heures trente-trois minutes, je commence à gravir les pentes rocheuses du Tell el-Kezaz. Quelques cubes de mosaïque épars sur le sol, un grand pressoir à huile à deux com¬ partiments carrés, l’un supérieur et l’autre inférieur, communiquant ensemble au moyen d’une ouverture et entièrement pratiqués dans le roc, près delà une citerne, le tout d’apparence antique, attirent successivement mon attention. Quant au sommet du lell, il est peu étendu et couvert de broussailles. On y remarque les arasements d’un mur construit avec des pierres régulières de moyenne dimension , qui délimitait une petite enceinte, et une seconde citerne, creusée dans le roc. Ces ruines, qui sont celles, soit d’un poste militaire, soit plutôt cl’une sorte d’ancienne villa, portent le nom de KharbetTell el-Kezaz ou de Kharbet Thiret el-Kezaz. KllARBET RAS ES-SIHEH. A dix heures cinquante minutes, je me remets en marche vers le nord-est, et, à onze heures, je parviens au pied d’une autre colline beaucoup plus considérable, qui, rien qu’à la voir de loin, révèle le travail de l’homme, par l’heureuse disposition des rampes qui y con¬ duisent et des différentes plates-formes circulaires qui l’entourent successivement. Jadis occupées par des habitations, elles sont actuel¬ lement livrées à la culture, et, sauf de nombreux tessons de poterie et quelques cubes de mosaïque qui jonchent çà et là le sol, on n’y observe plus aucun vestige de construction antique. Seulement, par- CHAPITRE XLI1I. N AH EF. 451 tout où le roc paraît et présente une surface assez large et une pro¬ fondeur assez grande pour être excavé en citerne, il a été creusé dans ce but. Sur le plateau supérieur, les ruines abondent, et en même temps les arbres et les broussailles. Au dedans d’une enceinte construite en gros blocs, dont les traces sont facilement reconnais¬ sables, des tas de pierres de différentes grandeurs, provenant de mai¬ sons renversées, sont dispersés au milieu d’un fourré de térébinthes, de chênes verts et de lentisques. Les vestiges d’un bel édifice en pierres de taille, et orné jadis de colonnes dont les tronçons mutilés attestent l’ancienne élégance, sont également visibles. A quelque distance de là, un ancien bassin, en partie bâti et en partie creusé dans le roc, mesure 20 pas de long sur 10 de large. Environné actuellement de térébinthes, il est à moitié comblé. Au bas de cette même colline, vers le nord, est un autre grand bassin construit. Beaucoup plus vaste que le précédent, il est aux trois quarts rempli de terre. Toutes les ruines que je viens de signaler et de décrire sont, comme on le voit, très rapprochées les unes des autres. Les dernières portent le nom de Kharbet Ras es-Siheh. KHARBET BIR EL-KHRADJAB. A midi trente-cinq minutes, je laisse à ma droite, sur les pentes du Djebel el-Kemmaneh, un petit village ruiné, appelé Kharbet Bir el-Khradjab, et, m’avançant vers le nord, je traverse les flancs in¬ férieurs d’une colline rocheuse, jadis exploitée comme carrière sur certains points, appelée Bas ed-Dhaher. NAHEB. A une heure, je descends dans une vallée cultivée en doura, puis je monte vers le nord-nord-est des pentes assez douces d’abord et un peu plus raides ensuite, cultivées en partie de la même ma¬ nière. :!Ç). h 5 '2 DESCRIPTION DE LA GALILEE. A une heure trente minutes, je fais balte à Nahef. Ma tente est dressée auprès d’une source abondante, sous un bois d’oliviers plu¬ sieurs fois séculaires. Le village de Nahef est situé sur une colline dont les étages suc¬ cessifs, soutenus par des murs d’appui probablement fort anciens, sont, vers le bas, plantés de figuiers et d’oliviers et, vers le haut, couverts d’habitations. Plusieurs de ces maisons offrent à ma vue de belles pierres de taille, évidemment antiques, mèléesà des matériaux plus médiocres. Près d’une petite mosquée, un certain nombre de blocs réguliers et trois fûts de colonnes brisés prouvent qu’en cet endroit s’élevait r jadis un édifice, aujourd’hui détruit de fond en comble. Etait-ce une synagogue, transformée plus tard en église ? Je l’ignore. Autour des aires et les délimitant, de magnifiques blocs antiques attirent pareillement mon attention. Deux rues principales descendent vers le nord du village et abou¬ tissent à une vallée, où croissent de superbes oliviers; puis une montée conduit, à travers d’autres plantations d’oliviers, à la source dont j’ai fait mention, et qui jaillit des flancs d’une haute montagne. Ses eaux sont d’abord recueillies dans la cuve d’un antique sarco¬ phage, servant d’auge, dont les faces sont ornées de disques et de guirlandes élégamment sculptés ; ensuite elles se répandent dans un premier bassin, et de là s’écoulent en plusieurs ruisseaux , soit dans un second bassin inférieur, où l’on abreuve les troupeaux et les bêtes de somme, soit dans des jardins qu elles fertilisent. En résumé, Nahef, grâce à cette source précieuse, a dû jouir au¬ trefois d’une certaine importance, bien que l’histoire dans l’anti¬ quité l’ait complètement passée sous silence. Sa population actuelle est approximativement de ûoo Musulmans, auxquels il faut joindre quelques familles appartenant à la religion grecque schismatique. A l’époque des Croisades, ce village est cité sous le nom de Nef. I CHAPITRE XLI V. — ER-RAMEH. 453 CHAPITRE QUARANTE-QUATRIÈME. SEDJOUR (ciUZOUr). - ER-RAMEH (hA-RAMAh). - R11ARBET EL-KEMMANEH. a'ïn TANNOUR. SEDJOUR (cHIZOUr). Le 9 août, à cinq heures quinze minutes du matin, je quitte la source de Nahef, et je suis vers l’est un sentier pratiqué sur les tlancs de la mont